Syrie: « Ici Londres » ou la grande manip de l’information

Un article qui en dit long sur une des facettes du conflit en Syrie qu’est la guerre de l’information/Propagande. La Grande Bretagne a une longue expérience dans ce domaine et ceux qui veulent s’en faire une idée agréablement peuvent lire le très beau roman de William Boyd, « La vie aux aguets » qui nous plonge dans la manipulation de l’information pendant la guerre de 1939 – 1945.

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Pour faire court, une bonne partie de l’information que nous distillent nos médias sur la situation en Syrie nous vient d’officines crées à l’instigation de puissances comme le Royaume Uni et financées par elles à des fins précises.

Qu’on y songe, j’écoutais ce matin sur France Info un reportage d’Omar Ouahmane sur la Syrie. Non seulement Omar Ouahmane ne s’exprimait pas depuis la Syrie, mais de Beyrouth, mais le contenu de son reportage était fait de propos tenus par John Kerry, de réactions de l’ONU et d’une citation de l’Office Syrien des Droits de l’Homme qui ne siège pas en Syrie mais en Angleterre et est une de ces officines dûment stipendiées par Londres.

Comment la Grande Bretagne finance la « guerre de propagande » contre l’EIIL (Daesh) en Syrie

Ian Cobain, Alice Ross, Rob Evans, Mona Mahmood, The Guardian (UK) 3 mai 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

Des sous-traitants du gouvernement animent avec efficacité un bureau de presse pour les combattants de l’opposition mais les communications cachent le rôle du Royaume Uni.

Le gouvernement britannique mène une guerre de l’information en Syrie en finançant des opérations médiatiques pour plusieurs organisations rebelles, sur le front étranger de ce que David Cameron a appelé « la guerre de propagande » contre l’Etat Islamique.

Cette campagne vise à améliorer la réputation de ce que le gouvernement appelle « l’opposition armée modérée », une alliance complexe et changeante de factions armées.

Décider quelles factions soutenir est risqué pour le gouvernement parce que de nombreuses organisations sont devenues de plus en plus extrémistes en cette cinquième année de guerre civile qui se poursuit.

Les sous-traitants recrutés par le ministère des affaires étrangères mais supervisés par le ministère de la défense (Ministry of Defence, Mod), produisent des vidéos, des photos, des émissions radiophoniques, des imprimés et des posts sur les médias sociaux avec les logos des organisations armées et ils animent avec efficacité un bureau de presse pour les combattants d’opposition.

Ce matériel est diffusé sur les médias audiovisuels arabophones et publiés en ligne dans aucune indication de l’implication du gouvernement britannique.

Comme le Guardian l’a relaté, l’Office de la Sécurité et du Contre-terrorisme du ministère de l’intérieur mène une action en parallèle à l’intérieur du Royaume Uni pour susciter un « changement de comportement et d’attitude » chez les Musulmans britanniques par la production « à une échelle et un rythme industriels » des messages anti-EIIL (Daesh).

Dans ces deux campagnes, celle menée à l’étranger et celle menées à l’intérieur, le rôle du gouvernement est souvent dissimulé. Les messages sont placés sous la bannière d’organisations apparemment indépendantes – des organisations communautaires au Royaume Uni et des groupes armés en Syrie.

Le Royaume Uni considère l’information comme un élément essentiel dans les conflits modernes. Le Mod a élaboré une doctrine qui envisage l’information comme « si abondante, puissante et incontournable qu’elle fait autant partie de l’environnement stratégique que le terrain ou la météo » et qui explique comment elle devait être gérée à travers des « communications stratégiques. »

L’action propagandiste du Royaume Uni pour l’opposition syrienne armée a commencé quand le gouvernement a échoué à convaincre le parlement de soutenir une action militaire contre le régime Assad. A l’automne 2013, le Royaume Uni s’est embarqué dans un travail en coulisses pour influer sur le cours de la guerre en façonnant la perception [par l’opinion] des combattants d’opposition.

Les documents contractuels [avec les sous-traitants] examinés par le Gardian montrent que le gouvernement semble voir ce projet comme une manière de garder un pied dans le pays en attendant la possibilité d’une plus grande implication militaire britannique offrant « la capacité de se projeter dans l’espace stratégique [le territoire syrien, NdT] au moment où l’occasion se présentera. »

A travers son Conflict and Stability Fund, le gouvernement dépense 2.4 millions de Livres sterling (3 millions d’euros) pour des sous-traitants privés qui travaillent depuis Istanbul pour fournir des « communications stratégiques et des opérations médiatiques en soutien de l’opposition armée syrienne modérée ».

Le contrat s’inscrit dans un effort propagandiste plus large centré sur la Syrie, d’autres éléments cherchant à promouvoir « les valeurs modérées de la révolution » et à contribuer à façonner un sentiment d’identité nationale syrienne qui rejettera aussi bien le régime Assad que Daesh.

Les documents appellent les prestataires à « sélectionner et à  former un porte-parole capable de représenter toutes les organisations de l’opposition armée modérée en tant que seule voix unifiée » et à animer 24/24 un « bureau central des médias de l’opposition armée modérée » avec « une capacité de production de médias. » Une source britannique au fait des contrats en cours explique que le gouvernement contrôlait ce qui est pour l’essentiel un « service de presse de l’Armée Syrienne Libre. »

Le contrat pour soutenir l’opposition armée modérée a été détenu brièvement par Regester Larkin, un consultant en matière de communication internationale, chez qui il était géré par un ancien lieutenant-colonel de l’armée britannique qui avait aussi travaillé comme spécialiste de la communication stratégique au ministère de la défense. Il a créé une compagnie baptisée Innovative Communications & Strategies, ou InCoStrat, qui a repris le contrat en novembre 2014, a déclaré au Guardian un porte-parole de Regester Larkin.

Un porte-parole d’InCoStrat a confirmé: « InCoStrat fournit un soutien en matière de média et de communication à l’opposition syrienne modérée pour aider les Syriens à mieux faire connaître la réalité de la guerre et ceux qui y sont impliqués. »

Les deux entreprises ont souligné l’étroite supervision de ce travail par le gouvernement britannique. Le membre d’une des entreprises a aussi parlé d’un « contrôle serré » avec des agents du ministère de la défense et du contre-terrorisme qui rencontrent les sous-traitants jusqu’à trois fois par semaine. « Ils avaient le dernier mot sut tout, » affirme notre source.

Une bonne partie du matériel élaboré dans le cadre de ces contrats est de la propagande de guerre au jour le jour, destinée à des audiences syriennes civiles et militaires. On y trouve des bulletins d’information sur des engagements militaires victorieux, ou des vidéos de combattants de l’opposition qui distribuent de la nourriture.

Certains médias ont cependant une fonction militaire supplémentaire, expliquent deux sources familières des projets. Par exemple la vidéo d’un missile sol-air portatif détruisant un hélicoptère du régime signale à ceux qui se trouvent en Syrie que le groupe est bien armé et est efficace. Mais elle adresse aussi un message à ceux qui arment le groupe. « C’est une bonne opération de relations publiques en direction du Pentagone », explique notre source.

Une porte-parole du ministère de la défense a souligné que les organisations que soutient le Royaume Uni sont modérées. Mais identifier quelles organisations sont réellement modérées est une tâche risquée étant donné qu’elles peuvent commettre des actes inacceptables ou s’allier à des organisations considérées comme trop extrémistes.

Les documents contractuels consultés par le Guardian énumèrent plusieurs « unités de taille intermédiaire » comme exemples de groupes considérés comme appartenant à « l’opposition modérée armée ». On y trouve le Harakat al-Hazm, qui a reçu une assistance militaire des Etats Unis, et le Jaysh al-Islam, une organisation signalée comme ayant été constituée avec le soutien des Saoudiens.

Mais six mois avant la rédaction de ces documents en novembre 2014, Human Rights Watch avait identifié le Jaysh al-Islam comme étant le responsable probable de l’enlèvement de quatre militants des droits de l’homme en décembre 2013. On considère généralement que ces quatre militants ont été assassinés. L’organisation a aussi été critiquée pour s’être servie de civils comme boucliers humains et avoir diffusé en juin une vidéo qui montre l’horrible assassinat de 18 combattants de Daesh faits prisonniers, un crime de guerre selon la convention de Genève.

Le gouvernement [britannique] a d’abord nié que cette organisation était référencée [comme modérée, NdT] dans son cahier des charges. Il a par la suite reconnu qu’elle était mentionnée mais a affirmé qu’elle était référencée dans le document dans le cadre de la présentation par d’autres organisations de l’opposition armée modérée.

Une porte-parole du ministère de la défense a déclaré : « Jaysh al-Islam n’a jamais reçu aucune assistance de la part du ministère de la défense, de l’office du Contre-Terrorisme ni d’aucun prestataire qui travaille pour le compte du gouvernement de Sa Majesté. Tous ceux qui reçoivent notre assistance ont fait l’objet d’une évaluation rigoureuse pour avoir l’assurance qu’ils ne sont impliqués dans aucune activité extrémiste ou violation des droits de l’homme. »

Une source indique que des sous-traitants ont apporté un soutien média à Harakat al-Hazm, mais l’organisation a disparu en mars 2015 et des armes, dont des missiles antichars fournis par les Etats Unis sont passées entre les mains du front al-Nosra, une organisation qui a fait allégeance à al Qaïda.

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Missile antichar Tow d’origine américaine

Une porte-parole du ministère de la défense a déclaré : « Le Royaume Uni soutient depuis longtemps l’opposition modérée en Syrie, qui fait face à la fois au régime tyrannique d’Assad et à l’idéologie nocive et meurtrière de Daesh [EIIL]. »

Equipe de reportage: Ian Cobain, Alice Ross, Rob Evans, Mona Mahmood, Nick Fielding et Safak Timur

Une Réponse to “Syrie: « Ici Londres » ou la grande manip de l’information”

  1. Syrie: « Ici Londres  ou la grande manip de l’information | «salimsellami's Blog Says:

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