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L’Etat Islamique en Irak et au Levant (Daesh), les Kurdes, la Turquie, et la lutte des classes

22 octobre 2014

Une lecture intéressante du positionnement de la Turquie à l’égard de la situation à sa frontière avec la Syrie où l’Etat Islamique (EI, Daesh) cherche à s’emparer de la ville de Kobané aux dépends des Kurdes syriens.

En effet, Adnan Khan dépasse la lecture commune qui privilégie soit l’angle religieux, soit l’angle ethnique pour nous donner à comprendre ce qui se joue réellement en Turquie : la reprise du bras de fer entre un gouvernement, d’inspiration islamiste, qui a a lancé le pays, avec un certain succès, dans une expansion économique de type capitaliste et une extrême gauche qui n’a pas renoncé à faire aboutir un projet socialiste par la voie révolutionnaire.

Il s’avère que cette extrême gauche comporte une forte représentation kurde sans pour autant qu’on puisse la caractériser sous l’angle ethnique ou culturel. Et cette extrême gauche se reconnaît dans le projet politique non ethnique porté par le Parti des Travailleurs du Kurdistan et le PYD qui assure la défense de Kobané.

On comprend mieux à la fois les réticences du gouvernement turc mais aussi la réaction d’hostilité d’une partie de la population turque à l’égard des régimes occidentaux, Etats Unis en tête.

 

Le vrai problème kurde de la Turquie

par Adnan Khan, The Globe and Mail (Canada) 22 octobre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Adnan Khan

Adnan Khan

Adnan Khan est un écrivain et photographe qui vit à Istanbul et à Islamabad

Il y a eu peu de manifestations de joie chez les Kurdes de Turquie lorsque l’aviation américaine a commencé à larguer des bombes sur l’État Islamique (EI, Daeeh) en Syrie. Leur réaction a été pour le moins surprenante: depuis des semaines, les Kurdes protestaient à Istanbul et dans le sud à majorité kurde de la Turquie contre le manque de soutien apporté à leurs compatriotes kurdes de Kobané, la ville assiégée en Syrie, juste de l’autre côté de la frontière.

Kobané était encerclée sur trois côtés, la seule voie de passage sûre pour y entrer ou en sortir étant celle vers la Turquie au nord. Mais l’armée turque a fermé la frontière. Les défenseurs de la ville, une milice kurde syrienne locale, la branche armée du Parti de l’Union Démocratique (PYD) ont sollicité une aide internationale. Quand les bombardements et les largages de matériel par les Américains ont enfin contribué à faire reculer les forces de l’Etat Islamique, les Kurdes ont probablement échappé au massacre.

L’intervention [américaine] aurait dû provoquer de la joie, mais la protestation a continué, les Kurdes s’en prenant à l’Etat Islamique et condamnant les actions de la Turquie. Encore plus significatif, les manifestants se sont déchaînés contre les Etats Unis et leurs alliés, dont le Canada, dénonçant l’impérialisme et le capitalisme occidentaux.

Les manifestants étaient en majorité des socialistes, d’une tendance virulente qui reste répandue dans la population kurde de Turquie. Leur colère ne découle pas d’un nationalisme ethnique mais d’une idéologie politique. Une révolution est en cours à Kobané, disent-ils, et tout le monde – l’Occident, l’Etat Islamique, les pays arabes, le gouvernement turc – tente de la faire échouer.

Leur version des faits est préoccupante. La Turquie a connu des années de violence politique après l’effondrement d’un processus de paix avec sa minorité kurde en 1993. L’es extrémistes de gauche, principalement des Kurdes favorables au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK interdit) étaient à la lutte contre les ultranationalistes turcs et les islamistes qui se faisaient appeler le Hezbollah turc. Le gouvernement de l’époque, fortement influencé par l’armée, était soupçonné de manipuler les islamistes et les nationalistes dans sa tentative pour écraser l’insurrection dirigée par le PKK.

Ce furent des jours sombres. Des milliers de Kurdes périrent et des centaines de milliers furent déplacés après que pas moins de 3 000 villages du sud-est du pays furent rasés par l’armée pour leur soutien présumé au PKK. « C’était comme une guerre des gangs, » affirme Tolga Baysal, un cinéaste d’Istanbul qui a vécu cette époque. « Le Hezbollah enlevait et assassinait des membres présumés dy PKK, le PKK faisait de même avec le Hezbollah. »

Aujourd’hui, l’histoire semble se répéter. Un autre processus de paix avec les Kurdes est sur le point de capoter. Le Hezbollah turc est de retour, revigoré par ce qu’il perçoit comme un renouveau islamique en Irak et en Syrie, ainsi que les penchants conservateurs de l’actuel gouvernement turc. Kobané a donné une nouvelle énergie à une extrême gauche turque inspirée par le Parti d’Union Démoocratique qui a annoncé en septembre dernier qu’il allait instaurer la société socialiste parfaite à Kobané. Une fois encore, le gouvernement turc se tourne vers les ultra-nationalistes pour les contrer.

Selon le discours prédominant, la volonté kurde d’une auto-détermination sur une base culturelle et ethnique a été réveillée par les événements de Syrie. Mais c’est une simplification excessive. L’escalade du conflit a plus à voir avec l’idéologie politique – un socialisme radical en opposition avec le projet capitaliste turc en plein essor et le gouvernement enraciné dans l’islamisme politique qui le dirige.

En effet, le Parti de la Justice et du Développement (AKP) qui gouverne la Turquie a fait des avancées significatives ces dix dernières années en reconnaissant des droits culturels aux Kurdes. Beaucoup de travail reste à accomplir, mais il n’est plus illégal de se dire kurde ou de parler d’un espace nommé Kuridtan. Un nombre limité de chaînes de télévision kurdophones onr reçu l’autorisation d’émettre et d’importants projets de développement dans le sud-est ont amélioré la situation économique des Kurdes.

Mais le Parti de l’Union Démocratique et le PKK ont un projet beaucoup plus vaste que les militants m’avaient expliqué en 2006 quand j’avais visité leur base ses monts Qandil dans le Kurdistan irakien.

« La révolution commence avec le peuple, » m’avait-on dit. « C’est ce qui distingue notre socialisme de tout autre mouvement socialiste : l’action individuelle. Les gens doivent prendre en main leurs propres vies. Essayez d’imaginer ça : un pouvoir qui émane de la base, du peuple vers l’appareil de gouvernement d’une manière qui réduit le pouvoir de ce dernier à un rôle de coordination. C’est la vision du PKK. »

Pendant la semaine que j’avais passée avec les révolutionnaires, j’avais pu voir par moi-même ce à quoi pouvait ressembler leur utopie : une société organisée de manière rigide où tout était mis en commun, les rôles liés au genre étaient éliminés et les idéaux révolutionnaires étaient inculqués. Selon les dirigeants, ce n’était qu’un début.

« Notre mouvement est global, pas seulement limité à la région, » disaient-ils. « Mais nous nous concentrons sur le Moyen Orient comme point de départ. Nous changerons le paysage politique du Moyen Orient comme exemple pour le reste du monde. »

Maintenant, le projet révolutionnaire a trouvé son moment historique : le printemps Arabe. Dans le quartier majoritairement kurde ‘Okmeydani à Istanbul, tous les signes sont présents : des graffiti qui annoncent la résurgence du pouvoir populaire, des faucilles et des marteaux grossièrement dessinés avec de la peinture rouge vif, des portraits de Che Guevara à côté de ceux de révolutionnaires kurdes. « Kobané est notre Stalingrad, » affirme un slogan répandu.

« L’Etat Islamique n’est pas seul, » m’a dit un manifestant de gauche. « L’Etat Islamique attaque une révolution… Ce n’est pas une lutte contre l’Etat Islamique. C’est une lutte contre le système et ceux qui le soutiennent, dont l’Etat turc et toute une série d’autres : le Qatar, l’Arabie Saoudite, l’Angleterre, la France, les Etats Unis. On doit s’opposer à tous ces systèmes capitalistes et impérialistes. »

Pour le gouvernement turc, ce genre de ferveur menace de casser des années d’entreprise capitaliste et de ramener la Turquie à l’effusion de sang et à la ruine économique des années 1990. Dans son calcul, l’Etat Islamique est un moindre mal. L’extrême gauche turque, qui se trouve être kurde, est la boîte de Pandore – dont le couvercle doit être maintenu fermé à tout prix.

Scandale dans le scandale en Turquie: la police protège al Qaïda!

28 décembre 2013

Le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan a fait beaucoup pour contribuer à la chute du régime syrien. Or, non seulement ce régime est toujours en place, avec Bachar al-Assad à sa tête, mais il a engrangé et continue à engranger des gains substantiels aussi bien sur le terrain politique que sur le terrain militaire.

Tandis que le pouvoir du premier ministre turc est en train de vaciller, ébranlé par un scandale politico-financier de grande ampleur qui a déjà entraîné la démission de trois ministres et un profond remaniement du gouvernement.

En admettant qu’il ne soit pas contraint à remettre sa démission, on voit mal, dans ces conditions, comment M. Erdogan pourrait briguer un mandat présidentiel lors des élections de 2014 d’autant, nous dit-on, que le mouvement religieux de Fethullah Gülen est entré en opposition ouverte contre lui (Gülen avait contribué à la victoire électorale d’Erdogan).

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Recep Tayyip Erdogan et Fethullah Gülen

Le scandale ne se limite cependant pas à des affaires strictement turques mais concerne aussi l’action du gouvernement AKP (Parti de la Justice et du Développement) dans la Syrie voisine. En effet, parmi les personnes recherchées par la justice, on compte deux ressortissants Arabes présentés comme membres d’al Qaïda, c’est-à-dire en réalité des services secrets saoudiens.

Ces deux personnages sont actuellement en fuite, une fuite qui a été permise par une police dirigée désormais par des fidèles du gouvernement et qui se permet de ne pas appliquer les ordres des magistrats.

Yusuf Al Qadi et Osama Khoutub ne menaient pas une existence clandestine en Turquie où ils avaient au contraire l’oreille de hauts responsables politiques .

Il fallait bien ça pour organiser le transit de ces milliers de combattants européens vers le champ de bataille syrien.

Des suspects membres d’al Qaïda fuient après le blocage par le gouvernement turc d’une descente de police

Eaman (Turquie) 26 décembre 2013traduit de l’anglais par Djazaïri

Selon des informations, Yusuf Al Qadi et Osama Khoutub qui sont liés à al Qaïda et figurent parmi les suspects dans une importante affaire de corruption, auraient fui la Turquie après que le Parti de la Justice et du Développement (AKP au pouvoir) a bloqué une descente de police mercredi, le police d’Istanbul ayant refusé d’exécuter les ordres donnés par des magistrats afin d’arrêter plusieurs suspects dans le second volet de l’enquête,

Le bureau du procureur d’Istanbul a ordonné l’arrestation de 30 suspects, dont un certain nombre de parlementaires et d’hommes d’affaires, Le département de police d’Istanbul qui a connu unevaste purge au niveau de ses officiers supérieurs la semaine dernière, ne s’est cependant pas conformé aux instructions.

Les informations de presse laissent entendre que quand la liste des 30 suspects a été révélée aux médias mercredi, certains des suspects ont pris des mesures de précaution pour éviter de laisser des éléments à charge contre eux en cas de descente de police chez eux où dans leurs bureaux.

Et certains suspects ont fui la Turquie, dont les agents d’al Qaïda pour la Turquie, Al Qadi et Khoutub, après que le gouvernement a bloqué l’enquête par le truchement de chefs de la police récemment nommés qui ont refusé de se conformer à la décision de justice.

Le procureur Muammer Akkaş, qui conduisait la deuxième phase de l’enquête, a été dessaisi du dossier. «L’ensemble de mes collègues et l’opinion publique devraient savoir qu’on m’a empêché en tant que procureur d’effectuer l’enquête, » a expliqué jeudi le procureur dans une déclaration, ajoutant qu’une entrave à l’action judiciaire a été exercée aussi bien par le bureau du procureur général que par la police, donnant ainsi l’occasion aux suspects de détruire les preuves.

Akkaş a déclaré que malgré la délivrance de mandats d’arrêt et de perquisition à l’encontre des suspects et leur transmission mercredi matin aux services de police d’Istanbul, ces derniers n’ont pas respecté ses ordres.

«En n’appliquant pas les décisions de justice, les chefs de la police ont commis un délit. Une occasion a été offerte aux suspects de prendre des dispositions, de fuir ou d’altérer des éléments à charge,» a-t-il dit.

 Les avoirs en Turquie de l’homme d’affaires saoudien Al Qadi ont été gelés après sa désignation comme financier du terrorisme international. Des articles de presse observent que le suspect d’appartenance à al Qaïda est autorisé à entrer librement en Turquie et a accès à des diplomates et à des responsables sécuritaires de haut niveau, comme le sous-secrétaire des services de renseignements (MİT) Hakan Fidan.

Selon des allégations, l’ancien ministre de la justice Sadullah Fergin, qui a quitté son poste mercredi suite à un important remaniement ministériel, avait demandé au procureur général de fermer le dossier.

Syrie: montée de l’exaspération en Turquie

29 août 2012

Nous avons d’une part les rodomontades d’Ahmet Davutoglu, le chef de la diplomatie turque, ou les propos grotesques et grossiers de François Hollande comparant les opposants armés au gouvernement syrien aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) dans leur lutte pour libérer Paris de l’occupation allemande (puisque le régime de Vichy ne contrôlait pas l’ex capitale française).

Et nous avons d’autre part une inquiétude qui monte en Turquie dans des segments de la population de la Turquie qui sont ouvertement hostiles à la politique syrienne menée par leurs autorités.

Ces segments de population sont tout sauf négligeables : les 500 000 alaouites arabes de la province de Hatay, les 15 à 20 millions d’alévis et les 15 millions de kurdes.

Ce n’est à mon avis pas pour rien si le gouvernement turc cherche à stopper un afflux de réfugiés syriens qui, tout en étant important certes, n’a rien à voir avec les flux colossaux engendrés par des situations de conflit en d’autres lieux (Palestine, Libye sous les bombardements amicaux de l’OTAN, Irak émancipé par les chars américains…).

Parce que les forces qui secouent la Syrie existent aussi à leur manière en Turquie et ce n’est pas un hasard si la presse turque donne de plus en plus souvent la parole à des universitaires qui mettent en garde contre une politique aventureuse.

Ces intellectuels ont d’autant plus de mérite qu’ils doivent veiller à ne pas franchir certaine limites, comme quand il s’agit de la question kurde, limites dont le dépassement leur vaudrait quelques ennuis. 

Les 120 pays  Non Alignés réunis à Téhéran devraient appeler à une solution politique qui passe par une discussion impliquant les acteurs de la région, dont la Turquie. Qui disait que l’Iran était un pays isolé ?

Il n’y a à mon avis aucune chance qu’une telle démarche se concrétise dans la mesure où les puissances occidentales veulent que la Syrie continue à s’enfoncer dans une spirale destructrice et meurtrière.

Notons cependant que le mouvement des Non Alignés se caractérise par un égalitarisme qu’on aura de la peine à retrouver dans la clique des prétendus « amis de la Syrie » animée par des pétromonarchies et des puissances néocoloniales qui manient carotte et bâton pour rameuter du monde à leurs orgies de sang.

Dans la ville frontière avec la Turquie, le soutien d’Erdogan aux rebelles syriens suscite la colère

par Alexander Christie-Miller, Christian Science Monitor (USA) 28 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Dans la ville d’Antakya à la frontière turco-syrienne, le soutien du gouvernement turc à l’opposition syrienne a déconcerté les habitants qui appartiennent à la même secte chiite que le président Assad.

Le réfugié syrien Abdulhefiz Abdulrahman se souvient qu’il avait de nombreux amis dans la ville turque d’Antakya, mais cette époque semble révolue.

Ce dissident politique avait fui la Syrie pour arriver dans cette cité frontalière plusieurs mois avant que le soulèvement contre le régime du président Bachar al-Assad éclate l’an dernier.

«J’ai eu beaucoup d’amis alaouites ici», dit M. Abdulrahman, se référant à cette branche du chiisme à laquelle une grande partie de la population d’Antakya adhère.

Les alaouites dominent le régime en Syrie, où le soulèvement de 18 mois a divisé le pays selon des lignes sectaires, opposant la minorité alaouite privilégiée contre la majorité sunnite [il est ridicule et faux d’affirmer que la minorité alaouite est privilégiée, note de Djazaïri].

À Antakya, où le soutien au régime alaouite d’Assad est profond, l’hostilité monte envers les rebelles syriens et les dissidents qui ont établi une base temporaire sur place. Et partout dans la province, le soutien apparent [évident, note de Djazaïri] de la Turquie à l’opposition syrienne met à mal un délicat équilibre ethnique.

«Avant, quand je disais que j’étais un réfugié, ils me respectaient,» a déclaré Abdulrahman au Monitor. «Ils ne me disent même plus bonjour dans la rue.»

Désormais, la frustration locale à propos de la décision apparente du gouvernement de laisser les dissidents et les combattants syriens opérer sur le sol turc pourrait exciter de plus grandes tensions ethniques dans le pays.

Le soutien de la Turquie aux rebelles suscite la colère

Le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a fortement soutenu l’opposition syrienne, appelant au renversement du régime.

Même si la Turquie est un pays laïque, elle est de plus en plus considérée comme un acteur sunnite [dans le conflit syrien], aux côtés de l’Arabie saoudite et du Qatar», déclare Bulent Aliriza, directeur du Programme Turquie au Centre for Strategic and International Studies à Washington . «Cela affecte inévitablement le corps politique».

Le 26 août, le chef du Parti Républicain du Peuple, le principal parti d’opposition en Turquie, a accusé le gouvernement de former les combattants syriens anti-régime après qu’une délégation de son parti  se soit vue refuser l’accès à un camp de réfugiés à la frontière syrienne.

J’ai envoyé nos députés inspecter le camp dont on disait qu’il était plein d’agents et d’espions, mais les autorités leur ont dit qu’ils ne pouvaient pas entrer dans le camp,» a déclaré Kemal Kilicdaroglu aux journalistes. «maintenant, j’attends une réponse du gouvernement : Qu’est-ce qu’il y a dans ce camp ? Qui entraînez-vous dans ce camp ? Recrutez-vous des homes pour répandre du sang musulman ?»

Ankara dément offrir un soutien à l’opposition syrienne armée, ou lui permettre d’opérer librement à partir du territoire turc. Mais quand le Christian Science Monitor a visité hier le poste frontière de Reyhanli près d’Antakya, un officier rebelle qui attendait là nous a dit que les autorités lui permettaient de passer en Syrie, alors même qu’il n’avait pas de passeport. Et Reuters, citant des sources à Doha, a rapporté le mois dernier qu’Ankara a mis en place une base secrète près de la frontière syrienne, en coopération avec l’Arabie saoudite et le Qatar, pour fournir une assistance militaire et des moyens de communication aux rebelles.

‘Solidarité sectaire’

Pendant ce temps, la tension monte à Antakya. La semaine dernière, certains habitants ont organisé une manifestation appelant à l’expulsion [des militants syriens] de la ville, tandis que des militants syriens ont indiqué au Monitor, qu’ils avaient été convoqués à une réunion avec des responsables militaires turcs et des officiels de la municipalité qui leur ont dit qu’ils devaient quitter la ville « pour leur propre sécurité. » Les officiels turcs nient qu’une telle réunion ait eu lieu.

 «Les gens de Hatay ont vécu ensemble pendant des milliers d’années sans tenir compte de l’origine ethnique ou de la religion», explique Mehmet Ali Edipoglu, un député local du parti d’opposition de M. Kilicdaroglu. « Le fait que les tentatives de changement de régime en Syrie se sont transformées en une guerre sectaire nuit [à ce vivre ensemble]. « 

 «Ce ne sont pas des réfugiés qui viennent à Antakya, mais les militants syriens qui sont armés par le gouvernement pour qu’ils retournent en Syrie », dit-il, décrivant ceux qui  vivent ici [à Antakya] comme des «assassins».

M. Edipoglu accuse le gouvernement de mener une politique étrangère sectaire. «[Le gouvernement turc] ne soutient pas un mouvement laïc, il soutient un mouvement sunnite dont même les sunnites ne veulent pas», dit-il.

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à la tête du Parti de la Justice et du Développmement au pouvoir (AKP) a déclaré à plusieurs reprises que son opposition au régime Assad est nourrie par les violations des droits de l’homme par ce régime, non par  une solidarité  avec l’opposition sunnite contre le régime . Mais cela n’a pas empêché des personnalités de haut niveau de l’AKP de lancer des accusations similaires contre l’opposition au gouvernement turc.

M. Kilicdaroglu, le chef de l’opposition, est un alévi, un membre d’une secte alaouite turque distincte de la secte alaouite arabe et qui est forte de 15 à 20 millions de personnes en Turquie. Le nombre d’alaouites est d’environ 400.000, qui vivent presque tous à Hatay.

En dépit d’origines et de rites religieux différents, les deux groupes ont tous deux des interprétations laxistes et peu orthodoxes de l’Islam, et ont ainsi en partage un historique de persécution par les musulmans sunnites au milieu desquels ils forment une minorité.

Le 6 août, M. Erdogan a mis en colère les alévis quand il a suggéré que leurs édifices religieux, connus sous le nom de cemevis , n’étaient pas de véritables lieux de culte. Se référant à la mosquée, il a dit aux journalistes que « il doit n’y avoir qu’un seul lieu de culte pour les musulmans. » Le mois précédent, la Direction turque des affaires religieuses avait conclu que les cemevis n’étaient que des « centres culturels ».

En Juillet, Huseyin Celik, vice-président de l’AKP, a  confondu Alaouites et Alevis quand il a suggéré qu’une «solidarité sectaire» était derrière les critiques répétées de M. Kilicdaroglu contre la position de la Turquie sur la Syrie, affirmant que le chef de l’opposition soutenait le régime Assad.

La Syrie sème-t-elle discrètement la discorde ? 

Quelles que soient les motivations du soutien d’Ankara à l’opposition syrienne, certains craignent que Damas réponde à la ligne dure de la Turquie en essayant d’attiser les hostilités avec les minorités que la Turquie a eu du mal à réprimer, en particulier avec les Kurdes, qui sont au nombre d’environ 20 millions en Turquie et ont subi des décennies de persécutions par l’Etat.

Plus tôt ce mois-ci une voiture piégée a tué neuf personnes, dont un enfant de 12 ans dans la ville frontalière de Gaziantep. La Turquie a imputé l’attaque à la guérilla du Parti des Travailleurs du Kurdistan PKK), mais elle a également enquêté sur d’éventuelles connexions syriennes et iraniennes dans cet attentat.

L’attentat a provoqué des tensions entre les Turcs et une minorité kurde de plus en plus agitée.

Le mois dernier, la Turquie avait réagi avec fureur après la cession par damas du contrôle d’une grande partie du territoire syrien à population kurde à une milice liée aux rebelles kurdes qui opèrent en Turquie.

Erdogan a déclaré que le territoire syrien était utilisé pour monter des raids transfrontaliers en Turquie, « une intervention serait donc notre droit naturel.»

À Antakya aujourd’hui, le gouverneur de hatay Mehmet Celalettin Lekesiz a réfuté une récente série de reportages dans les médias turcs,et a affirmé que les Syriens dans la province n’étaient ni armés, ni aidés par l’État, ni persécutés par la population locale.

Il a déclaré aux journalistes lors d’une conférence de presse que ces allégations faisaient partie d’une campagne  «systématique» visant à ébranler la paix dans la province. « Ces tentatives pour trouver des histoires [pour la presse] ne sont ni morales, ni raisonnables. Ne contribuons pas aux tentatives de répandre l’hostilité entre les gens», a-t-il dit.

Koray Caliskan, politologue à l’Université du Bosphore à Istanbul, estime qu’avec la campagne d’Ankara pour le renversement du régime Assad, il est inévitable que Damas cherche à attiser l’instabilité chez son voisin.

« Je crois que si nous nous engageons dans des politiques dangereuses, comme un changement de régime dans les pays voisins, ils se livreront à des activités perturbatrices du même genre dans le nôtre», dit-il.

La Syrie et les dangereux fantasmes de la diplomatie turque

29 avril 2012

J’avais déjà écrit que l’action du gouvernement turc en Syrie ne fait pas l’unanimité en Turquie et qu’elle inquiète la communauté Alevi, au moins une partie de la communauté arabe de Turquie et le principal parti d’opposition, le Parti Populaire Républicain (CHP).

L’article que je vous propose fait le point sur les motivations de l’opposition turque, cette dernière rappelant opportunément quelques règles élementaires de droit que les autorités turques, mais aussi françaises ou britanniques s’empressent d’enfreindre quand elles estiment que c’est leur intérêt.

Sauf que le CHP n’est pas du tout sûr que l’intérêt de la Turquie soit de prendre parti activement pour la sédition et la guerre civile en Syrie.

Parce que la Turquie en payera forcément le prix que ce soit par une entrée en guerre ou autrement. Il faut quand même rappeler que, contrairement à la Turquie, ni la France, ni la Grande Bretagne ou les Etats Unis n’ont de frontière avec la Syrie.

Dans sa critique de la politique étrangère actuelle du gouvernement turc, le responsable du CHP n’attire cependant pas directement l’attention sur le point qui est peut-être le plus lourd de menaces pour la stabilité régionale. Je veux parler de l’immixtion récente du gouvernement d’Ankara dans les affaires intérieures irakiennes en nouant une sorte de relation d’Etat à Etat avec le Kurdistan irakien.

Ce que le gouvernement turc refuserait de manière catégorique pour son propre Kurdistan !

On a presque l’impression que le gouvernement turc a reçu mandat de l’OTAN pour attiser le feu dans la région.

Quand je pense qu’il y a quelques mois encore, on espérait du rôle modérateur d’une Turquie entraînant par son dynamisme toute une région en même temps qu’elle aurait pu exercer des pressions sur le régime sioniste afin non seulement de lever le blocus de Gaza mais d’avancer vers une solution négociée !

Le rôle de la Turquie au Moyen-Orient « un fantasme dangereux« 

Par  İpek Yezdaniipek,  Hürriyet (Turquie)28 avril 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Faruk Loğoğlu , vice président du Parti Populaire Républicain (CHP), la  principale force d’opposition, a vivement critiqué le ministre Turc des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu pour ses propos sur le rôle pionnier de la Turquie dans le nouveau Moyen orient, les qualifiant  de «fantasme dangereux.»

“Ca me fait seulement sourire. Je l’interprète comme un fantasme. Je n’y trouverais rien à redire si c’était un fantasme inoffensif, mais c’est un fantasme dangereux. Quand le ministre Turc des affaires étrangères, qui est incapable de conduire la politique étrangère de la Turquie,  dit que ‘nous allons être pionniers du changement au Moyen orient, »  il manque de respect aux nations arabes, a déclaré Loğoğlu à la presse le 27  avril. Le CHP organise une conférence internationale baptisée :

 «Saisons du changement : la marche des peuples arabes vers la liberté et la démocratie » les 28 et 29 avril à Istanbul. Les vide présidents du CHP, Loğoğlu and Gürsel Tekin, ont organisé une conférence de presse à Istanbul avant la conférence. Loğoğlu, un ambassadeur à la retraite, a critique sévèrement l’approche des affaires régionales par le parti au pouvoir.

«Ils doivent d’abord gérer la propre politique étrangère de la Turquie. Nous sommes hostiles à l’Arménie, nous avons des jours difficiles avec l’Iran et l’Irak, nous sommes au bord de la guerre avec la Syrie, nous échangeons des menaces avec Israël et nous menaçons la partie grecque de Chypre. Qu’est-ce qui est correct dans cette ligne de la politique étrangère ? »

Loğoğlu a aussi critiqué le gouvernement pour l’accueil en Turquie de l’Armée Syrienne Libre (ASL) d’opposition, affirmant qu’il était contraire au droit et aux règlements internationaux. « La Turquie a pris parti dès le premier jour dans l’affaire syrienne. Le gouvernement turxc a directement exclu le régime et s’est rangé du côté non seulement de personnalités politiques de l’opposition, mais aussi des chefs militaires de l’opposition. Faciliter l’action de l’aile militaire de l’opposition qui cherche à détruire le régime d’un pays est contraire au droit et aux règlements internationaux, » a déclaré Loğoğlu. Le parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir, entraîne la Turquie vers la guerre, a affirmé Loğoğlu. « Ce n’est pas à la Turquie d’attiser les conflits en Syrie en prenant parti. L’attitude du gouvernement [de l’AKP] est mauvaise. Elle est aussi contraire à de bonnes relations de voisinages, » a ajouté Loğoğlu.

Les Alevis de Turquie contre la politique syrienne de leur gouvernement

17 avril 2012

Je vous disais dans un post précédent que l’aventurisme en Syrie n’était pas sans risque pour les équilibres internes de la Turquie.

Soner Cagaptay donne à ce sujet un point de vue plus informé que le mien. S’il relève les problèmes posés par la présence d’une communauté arabo-turque forte de 1,5 millions d’âmes, dont un tiers d’Alaouites, qui se concentrent dans les régions limitrophes de la Syrie, il insiste beaucoup sur les Alevis.

A la différence des Alaouites ; les Alevis sont de souche turque et constitueraient entre 10 et 15 % de la population turque, c’est—dire qu’ils seraient au minimum 7,5 millions, ce qui fait quand même du monde.

Or, nous explique Soner Cagaptay, les Alevis sont une communauté très attachée à l’héritage kémaliste et se méfient du parti AKP au pouvoir qui comporte, selon eux, une tendance sunnite sectaire dont ils ont eu à souffrir par le passé.

De ce fait, les Alevis seraient très réticents devant les orientations de la politique du gouvernement actuel en Syrie dont ils craignent qu’elle traduise surtout un combat sectaire ou plus simplement qu’elle encourage un tel combat en Syrie.

D’autant que les Alevis perçoivent les Alaouites comme une minorité sœur, ce que l’auteur de l’article conteste au motif qu’Alevis et Alaouites ne sont liés ni ethniquement (les premiers sont des Turcs et les deuxièmes des Arabes), ni religieusement.

Le premier argument ne fait guère sens dans la mesure où ce qui définit Alevis et Alaouites n’est pas leur ethnicité, mais bien leur appartenance confessionnelle. Le deuxième est à peine moins problématique puisque le mot « alevi » n’est pas autre chose que le mot arabe «alaoui» prononcé à la turque, le ou de l’arabe étant transformé en v comme dans le prénom Vahid [par exemple Vahid Halilhodžić] au lieu de [Abdel] Ouahid.

Et de fait, si Alevis Turcs et Alaouites Syriens n’ont pas exactement la même conception religieuse, ils s’inscrivent tous deux dans une tradition qui les apparente au chiisme et ils sont certainement plus proches les uns des autres qu’ils ne le sont du chiisme iranien par exemple.

Mais le fond du problème n’est cependant pas religieux, mais purement politique et c’est bien ainsi que le comprennent les Alevis et le principal parti d’opposition en Turquie.

Pour finir, notez la conclusion étrange du rédacteur de l’article qui pense pouvoir résoudre les contradictions internes à la Turquie en aggravant l’interventionnisme de son pays en Syrie par sa proposition d’une démarche qui signifierait tout simplement une guerre totale entre la Turquie et la Syrie !

Les divisions sectaires syriennes vont-elles se propager à la Turquie?

par Soner Cagaptay, New Republic (USA) 14 avril 2012 traduit de l’arabe par Djazaïri

Si le conflit en Syrie devait évoluer en affrontements Sunnites contre Alaouites, les Alevis Turcs pourraient se retrouver en position de s’opposer activement à toute intervention organisée par leur gouvernement.

Les observateurs de la crise humanitaire qui s’aggrave en Syrie sont de plus en plus préoccupés par la perspective de voir le conflit dériver vers une lute sectaire, et à juste raison: le régime Assad jouit d’un soutien massif auprès de la minorité alaouite de Syrie, tandis que la majorité sunnite du pays est à la pointe de la rébellion contre Assad. Mais le conflit porte un autre risque. Il pourrait exciter des tensions sectaires en Turquie qui pourraient, à leur tour, compliquer toute intervention internationale contre le régime Assad.

La principale pierre d’achoppement est le groupe Alevi, une ramification syncrétique et très sécularisée de l’islam qui existe en Turquie et qui s’est souvent définie comme une minorité persécutée par la majorité sunnite du pays.

Si le conflit en Syrie devait voir les Sunnites se dresser contre les Alaouites, les Alevis Turcs pourraient bien se trouver en empathie avec la minorité alaouite de Syrie et, par extension, avec le régime Assad. Plus encore : ils pourraient s’opposer activement à toute intervention organisée par leur propre gouvernement.

Leur attitude est enracinée en partie dans l’histoire politique de la Turquie. Le Parti de la Justice et du développement (AKP) au pouvoir, s’il s’est éloigné de ses racines islamistes dures pour se rapprocher de la plupart des secteurs de la société turque, n’a néanmoins pas réussi à obtenir beaucoup de soutien auprès des Alevis qui constituent 10 à 15 % des 75 millions de citoyens Turcs. A la différence de l’AKP, les Alaouites tendent à s’aligner que la vision laïque du fondateur de la Turquie, Kemal Ataturk, et sont favorables à une stricte séparation de la religion et de la politique. Et un conflit sectaire pendant les années 1970, qui avait vu des attaques sunnites contre des communautés alevis, a laissé en héritage un sentiment de méfiance entre Alevis et Sunnites.

Les relations se sont améliorées récemment, mais si Ankara devait intervenir en Syrie contre le régime Assad, certains dans la communauté Alevi pourraient être enclins à y voir une nouvelle « attaque sunnite » contre une minorité sœur. Cette probabilité est encore renforcée par le fait que nombreux Alevis sont convaincus d’être semblables aux Alaouites, alors qu’ils n’ont pas liés ethniquement ou religieusement (les Alaouites sont des Arabes et les Alevis sont des Turcs). Il n’est pas rare de rencontrer des Alevis qui, par manque d’éducation religieuse, considèrent qu’Alaouite est simplement un autre nom pour Alevi).

Il existe déjà des signes de divergence entre la position de l’AKP sur la Syrie et la façon dont les Alevis Turcs perçoivent le conflit. Dans un entretien accordé le 9 avril au Wall Street Journal, Selahattin Ozel, président de la fédération des associations Alevis en Turquie, a déclaré, «En tant qu’Alevis Turcs, nous ne soutenons pas un régime inhumain et antidémocratique [en Syrie], mais nous ne comprenons pas pourquoi le premier ministre [Turc] est devenu soudain l’ennemi du gouvernement syrien.»

La plupart des Alevis Turcs sont favorable au Parti Populaire républicain (CHP) d’opposition, qui a critiqué la politique de l’AKP qui consiste à entrer en confrontation avec le régime Assad. Il se trouve que l’actuel leader du CHP, Kemal Kilicdaroglu, est un Alevi et que, dans sa critique à l’égard de la position sur la Syrie de ce dernier, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a fait des insinuations de sectarisme. « N’oubliez pas que la religion d’une certaine personne, » a déclaré Erdogan à ce sujet, « est la religion de son ami.»

Il y a par ailleurs un autre motif d’inquiétudes pour Ankara quant à un risque de débordement des tensions sectaires: plus de 500 000 Arabes Alaouites vivent en Turquie – majoritairement dans la province de Hatay dont la ville principale est Antakya [Antioche] – et près d’un million d’Arabes Sunnites vivent dans le sud de la Turquie. Si le conflit en Syrie devient plus sectaire, il pourrait avoir un écho par delà la frontière chez les Arabes de Turquie, aussi bien Sunnites qu’Alaouites.

J’ai visité récemment Antakya où la Turquie a créé des camps pour héberger les réfugiés qui fuient la répression en Syrie. Sur place, j’ai pu voir une manifestation d’Arabes Alaouites Turcs qui scandaient des slogans hostiles à l’AKP et favorables à Assad. Les commerçants Aalouites de cette ville vendent et exposent fièrement des accessoires pro-Assad. Dans le même temps, la communauté Arabe Sunnite d’Antakya s’active à organiser l’aide au soulèvement anti-Assad et acheminer en contrebande  des fournitures en Syrie.

Compte tenu de tous ces éléments, il semble vraiment possible que la perspective d’une agitation sectaire dans le pays puisse lier les mains de la Turquie dans sa définition d’une politique à l’égard de la Syrie. Ceci dit, c’est un problème qu’Ankara peut encore éviter. A cet effet, il serait essentiel que la Turquie soit capable d’apaiser les inquiétudes de ceux pour qui l’approche du gouvernement en Syrie vise à servir des intérêts sectaires étroits. Pour commencer, le gouvernement devrait arrêter sa propre rhétorique qui joue sur le sectarisme, et tendre expressément la main au CHP et aux Turcs Alevis, pour les informer de la nature humanitaire de sa politique syrienne. Ankara devrait aussi envisager de se tourner vers les Alaouites Syriens pour leur signifier clairement que de hauts responsables Alaouites du régime qui feraient défection auraient la possibilité de trouver refuge en Turquie.

Il y autre chose que la Turquie peut faire. La Turquie a débattu de la mise en place d’un corridor humanitaire qui permettrait à la communauté internationale d’apporter de l’aide aux civils en Syrie. Ankara devrait plaider avec force pour ouvrir le premier corridor de la Turquie vers le cœur de la Syrie alaouite ou dans la ville multiethnique de Lattaquié. Ce qui signalerait l’intention de la Turquie de protéger tous les Syriens. Un tel corridor ne serait pas seulement un pont entre Ankara et les Alaouites, mais peut-être aussi entre les Sunnites Turcs et les Alevis. Et in pourrait permettre de réduire l’opposition interne à une intervention.

Soner Cagaptay est directeur du Turkish Research Program au Washington Institute.

La Syrie selon Ziya Meral

25 novembre 2011

Décidément la presse turque st une lecture fort intéressante. Le journal Zaman (encore lui), proche de l’AKP, le parti qui est au pouvoir en ce moment en Turquie, nous offre un texte d’un universitaire Turc, Ziya Meral, sur la situation en Syrie, qui nous en propose une analyse essentiellement régionale..

Sans partager complètement ses vues, je dois dire que je suis d »accord avec l’essentiel de son analyse.

Ce qui veut dire que seule une intervention militaire étrangère pourrait déboulonner le régime en place à Damas. Et comme je le disais dans un autre post, cette action militaire devrait être massive parce que le potentiel militaire syrien, sans être en mesure de faire échouer une agression conduite par des armées modernes, a néanmoins une capacité de riposte hors de proportion avec celle de la la Libye de Mouammar Kadhafi ou même de l’Irak de Saddam Hussein.

Le monde selon Bachar el-Assad

par Ziya Meral*, Zaman (Turquie) 24 novembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ces dernières semaines, j’ai pu entendre un certain nombre de personnes qui ont visité récemment la Syrie et rencontré et parlé avec Bachar el-Assad en personne.

Avec des aperçus récents de ce genre sur sa façon de voir et avec ce que nous avons pu constater dans ses dernières déclarations publiques, nous sommes en mesure de reconstruire la façon dont il se représente ce qui se passe autour de lui.

 Il est évident que Assad reste confiant et ne voit pas son régime disparaître.

Premièrement, il considère que la Maison Blanche se moque des citoyens Américains en faisant des déclarations publiques sur le gel de ses avoirs et ceux de sa famille aux Etats Unis, mais sans exercer de réelles pressions sur la Syrie. Assad relève qu’il ne possède absolument rien aux Etats Unis et que le président Barack Obama le sait aussi. Il pense que les Etats Unis ne sont pas désireux de déstabiliser son régime et sont dépendants d’autres pays comme la Turquie.

Deuxièmement, il pense qu’Israël veut qu’il reste aux affaires et ne soutiendra jamais une action puissante contre lui, et encore moins une action qui pourrait conduire à une Syrie morcelée dirigée par des islamistes.

Troisièmement, Assad pense que la pression exercée sur lui par la Turquie est limitée et que la fermeté des réactions du gouvernement du Parti de la Justice et du développement (AKP) est destinée à l’opinion. Il ne pense pas que la Turquie soit en capacité de faire autre chose pour l’instant. Il est persuadé que les forces armées turques tiennent encore l’essentiel du pouvoir dans le pays et qu’elles ne permettront jamais à des «islamistes» de conduire la Turquie vers une guerre. Etant donné que le rapprochement syro-turc avait commencé par les relations militaires, Assad conserve une image positive de l’armée turque. Il croit qu’elle a suffisamment de travail avec les Kurdes pour se dispenser de créer une pression indirecte sur la Turquie.

Quatrièmement, Assad entretient une méfiance profonde à l’égard des puissant pays arabes de la région. Il considère que l’Egypte n’est pas un véritable Etat du Moyen Orient, mais un pays d’Afrique du Nord. Selon lui, l’Egypte ne fait que s’agiter mais n’a aucun pouvoir ou influence réels dans la région. Il voit les pays du Golfe comme des bandits. Il est convaincu que tous ces pays en plein essor, comme les Emirats Arabes Unis, le Qatar et même l’Arabie Saoudite sont voués à l’effondrement et à l’échec quand l’argent du pétrole fera défaut parce que ce ne sont pas de «vraies» nations. Il voit l’Arabie Saoudite comme étant une grave menace par son financement ininterrompu d’organisations extrémistes. Il pense que le Qatar est trop ambitieux mais est dépourvu d’une quelconque substance. Conséquemment, le petit royaume de Jordanie est une marionnette des Etats Unis.

Les Etats Unis, l’Union Européenne et les pays arabes ne sont pas dignes de confiance

La brouille entre la majorité des pays arabes et la Syrie pendant la guerre Irak-Iran, et le resserrement des relations irano-syriennes qui s’en est suivi continuent à modeler la réflexion d’Assad. Il sait que les pays arabes et les Etats unis veulent qu’il se rapproche de leur bloc et s’éloigne de l’Iran, mais il trouve que ces propositions de partenariat ne sont pas dignes de confiance. Ses garanties de survie, l’Iran et l’influence sur le Liban semblent être fortes et bien ancrées. C’est pourquoi les menaces de la Ligue Arabe ne l’impressionnent pas.

Au-delà de ce que nous voyons dans les media internationaux et de nos anticipations émotionnelles d’une autre révolution du printemps arabe, Assad a encore un niveau de soutien important dans son pays. La crainte ce voir des organisations sunnites extrémistes non seulement dominer le pays, mais imposer l’islam aux masses est commune, même parmi les Musulmans sunnites conservateurs. sans parler des Alaouites ou des libéraux. La communauté chrétienne substantielle du pays est obsédée nuit et jour par une possible Syrie post-Assad. Ce dernier admet désormais publiquement que des erreurs ont été commises à l’égard des Kurdes. Ils semblent prêt à garantir aux kurdes une citoyenneté qui leur était jusque là refusée afin qu’ils en viennent à se considérer comme Syriens.

Son discours politique sous-jacent continue à parler d’un idéal panarabe, pas d’un nationalisme syrien. Il parle de puissance et d’unité arabes, et pourtant ce qu’il entend par là reste indéfinissable. Exactement comme son père, il essaye d’évoquer le nationalisme arabe  à travers tout le monde arabe mais ne parvient pas à le concrétiser. Il est parfaitement conscient que la portée de ce discours sur l’unité arabe se limite au Liban et à la Syrie et qu’il parle en réalité de puissance et d’influence de la Syrie, sous la conduite de sa famille. Cependant, son inquiétude première et les signaux d’alerte sur une prise de contrôle de la Syrie pas des islamistes font écho à une partie significative de ses concitoyens et des Arabes d’autres pays ainsi qu’à des regards inquiets en Amérique et en Europe. Il a donc encore un argument gagnant sur la base de ces craintes pour légitimer sa brutale répression contre les «rebelles.»

Assad n’a pas tort sur certains aspects de sa lecture de son environnement. Il a une connaissance magistrale des peurs de la majorité des Syriens , qui en majorité veulent la fin des troubles pour pouvoir reprendre une vie normale et se sentir à nouveau en sécurité. Le « soulèvement » en Syrie ne semble pas avoir atteint la masse critique nécessaire pour renverser le régime Assad et ses forces armées et ses services secrets restent loyaux et sont intacts.

Les dynamiques régionales maintiennent encore un soutien à la Syrie, tout comme les animosités avec lesquelles la Syrie a appris à vivre et à naviguer ces vingt dernières années. L’opposition syrienne est désordonnée et n’est pas en position de défier le pouvoir et de le supplanter dans un futur proche. En fait, certaines de manifestations et des attaques menées par l’opposition ne rencontrent pas un large soutien

En d’autres termes, il n’y a pas de changement majeur à l’horizon, du moins pas encore.

*Ziya Meral est un chercheur et universitaire (Turc) établi à Londres.


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