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Dissolution de l’Etat national: la Turquie après la Syrie et l’Irak?

9 mai 2016

Verda Özer est une spécialiste des relations internationales chercheur à l’Istanbul Policy Center (IPC) et qui collabore avec plusieurs publications dont le journal turc Hürriyet.

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Verda Özer

Son article que je vous propose en traduction veut contredire le vice-président des Etats Unis Joe Biden, et donc la ligne officielle de Washington, selon qui les Etats où son pays intervient pour « maintenir la paix » sont des structures artificielles et qu’il faut se préparer à leur éclatement en entités plus petites mais plus homogènes.

Ce serait par exemple en Syrie, une entité alaouite, une entité kurde et une entité sunnite, ces deux dernières étant réparties sur des portions de territoires de la Syrie et de l’Irak actuels.

Mme Özer a parfaitement compris que cette argumentation s’appliquait aussi à son pays, la Turquie.

C’est pour cette raison qu’elle a souhaité contredire Joe Biden en arguant du fait que nulle part il n’existe de frontières naturelles. Et en effet, contrairement à ce que certains ont pu apprendre à l’école, les Pyrénées ne sont pas une frontière naturelle de la France. Une frontière est uniquement un fait accompli de main d’homme et un fait de droit.

Cette précision de Verda özer peut être assimilée à un coup pour rien mais ce n’est pas le cas. Elle lui permet en réalité de formuler de manière diplomatique deux conseils à un gouvernement qui n’aime pas trop en recevoir.

Le premier est celui de se tenir à l’écart des conflits en cours en Syrie et en Irak, de crainte d’un effet déstabilisateur sur la Turquie elle-même.

Le deuxième est celui de ne pas tracer des frontières (forcément artificielles) à l’intérieur du territoire national. Mme Özer pense évidemment aux Kurdes de Turquie mais pas seulement car il existe en Turquie d’autres minorités qui pourraient trouver un intérêt à la défaisance de l’Etat turc tel qu’il est actuellement établi. Je parle ici de la  minorité syrienne de l’ancien wilayet d’Antioche (Antakya) et des Alévis, une importante minorité confessionnelle.

On verra bien ce que pèsent les avertissements distillés par des spécialistes comme Verda Özer face aux plans des Etats Unis qui consistent à favoriser et accompagner la fragmentation de la région pour peu qu’elle demeure dans un niveau d’instabilité à la fois gérable, non menaçant pour leurs intérêts et favorables à ceux de l’entité sioniste. Une politique étrangement conforme au fameux plan Yinon

Vous avez peut-être tort, M. Biden

Par Verda Özer, Hürriyet (Turquie) 7 mai 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

Les mots du vice-président des Etats Unis Joe Biden ont fait l’effet d’une bombe cette semaine. « Pensez à tous ces endroits où nous essayons de maintenir la paix. Ce sont des endroits où nous avons tracé des lignes artificielles, créé des Etats artificiels, constitués de groupes culturels, ethniques et religieux distincts et nous avons dit, ‘C’est pour vous ! Vivez ensemble ! », a-t-il dit.

L’endroit auquel il se référait principalement comme « artificiel » était l’Irak, étant donné qu’il a tenu ces propos dans l’ambassade américaine à Bagdad au cours de sa première visite en Irak depuis cinq ans.

Le même jour, le New York Times rapportait que les « officiels des Nations Unies à Bagdad ont discrètement commencé à étudier comment la communauté internationale pourrait gérer un éclatement du pays. »

Le moment de la visite de Biden et ces déclarations sont loin d’être des coïncidences. L’Irak a été littéralement mis en lambeaux. Et en premier lieu, le gouvernement central à Bagdad est complètement dysfonctionnel depuis février dernier. Aucun des ministères n’est en situation de pouvoir travailler.

La principale raison en est que l’opposition au premier ministre chiite Haider al-Abadi et à son gouvernement est devenue hors de contrôle à cause de sa politique sectaire et d’allégations de corruption. C’est pour cette raison que al-Abadi avait promis de formé un nouveau gouvernement constitué uniquement de technocrates le 9 février. Il a cependant été incapable d’y parvenir pour l’instant. Par conséquent, l’équilibre des pouvoirs dans le pays qui est façonné par les tendances sectaires s’est retrouvé complètement sens dessus dessous.

Ce qui indique fortement que le sectarisme va sonner le glas pour [le gouvernement d’] al-Abadi exactement comme ce fut le cas pour le premier ministre chiite Nouri al-Maliki en 2014. En d’autres termes, l’Irak ne va nulle part.

La tension ancienne entre Bagdad et Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, s’étale au grand jour. Les deux parties s’accusent mutuellement de ne pas respecter l’accord qu’elles avaient conclu le 2 décembre 2014 sur le partage des revenus du pétrole.

Ce qui à son tour, s’est transformé généralement en conflit entre Kurdes et Chiites à travers le pays. Il y a eu tout récemment une escalade dans les affrontements, particulièrement du côté de Kirkouk que Bagdad et Erbil se disputent depuis longtemps. En outre, les Turkmènes chiites combattent aussi aux côtés des milices chiites contre les Kurdes dans les zones de conflit. Dit autrement, les conflits ethniques et religieux sont devenus intriqués.

Par ailleurs, le fait que l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant, Daesh) soit leur ennemi commun ne change en rien la situation. Au contraire, la lutte contre l’EIIL a changé l’équation sur le terrain en faveur des Kurdes en étendant leur territoire d’environ 40 % depuis 2014, ce qui n’a fait qu’attiser la confrontation.

La tension Chiites – Sunnites, d’autre part, est omniprésente dans le pays depuis des dizaines d’années. Elle s’est pourtant encore aggravée à un tel point récemment que « l’opération de grande ampleur pour reprendre Mossoul » qui doit être lancée en septembre ou en octobre devrait, dit-on, interdire aux milices chiites d’accéder au centre-ville afin d’éviter tout affrontement éventuel avec les Sunnites qui sont majoritaires dans la ville.

Avec tout ça, les Chiites sont aussi divisés entre eux. Le leader religieux chiite Moqtada al-Sadr  a appelé avec de plus en plus de force à la démission d’al-Abadi. La même chose s’observe du côté du parti politique chiite d’al-Maliki, Dawa.

Compte tenu de tous ces éléments, l’Irak sera-t-il capable de combattre d’EIIL dans ces conditions ? En outre, l’EIIL lui-même n’est-il pas issu de la confrontation sectaire ? Il ne semble par conséquent guère possible de sauver à brève échéance l’Irak de Daesh et d’empêcher la dissolution de l’Etat à long terme.

La Syrie est pour sa part dans une situation de morte-vivante depuis un certain temps. La communauté internationale considère même sa dissolution comme plus probable et imminente que celle de l’Irak.

En novembre 2014, j’ai eu la chance d’avoir un tête-à-tête [en français dans le texte] avec Richard Haas, le président du Council on Foreign Relations (CFR), le think tank américain le mieux établi. Haas est un des plus éminents penseurs et concepteurs de politiques aux Etats Unis, ayant coordonné les politiques de Washington en Irak et en Afghanistan en des moments critiques.

Haas m’avait que « pour le moment, les Etats Unis préfèrent un Irak unifié, avec les Kurdes ayant une autonomie plutôt que l’indépendance. » Il considère cependant que ce n’est pas une perspective réaliste dans le futur parce que nous avons déjà franchi le point de non-retour aussi bien en Irak qu’en Syrie.

« L’avenir de la Syrie ne se situe plus dans le cadre de paramètres nationaux. Le pays est déjà partitionné. Al-Assad, ou quelqu’un comme lui, gouvernera la région alaouite, pas l’ensemble du pays. Les Kurdes auront une autonomie significative. El les Sunnites se débattront entre l’EIIL et différentes tribus, » avait-il expliqué.

Dans un tel scénario, les zones sunnites en Irak et en Syrie seraient à cheval des deux côtés de la frontière. La même chose pourrait se passer pour les zones kurdes. Et un tel changement fondamental de la carte de la région affectera certainement aussi la Turquie.

En réponse à ces vagues de désintégration, la Turquie doit se tenir hors de ces conflits dans toute la mesure de ses capacités et se préparer à tous les scénarios possibles. Plus important, elle doit faire valoir la paix et l’unité à l’intérieur de ses propres frontières.

Enfin et surtout, je voudrais en finit avec des histoires de « nature artificielle ». Existe-t-il quelque part une « frontière naturelle » ? Les frontières e tous les Etats nations du monde ont été tracées un jour d’une manière ou d’une autre. Ce qui importe vraiment c’est de ne pas en créer de nouvelles ; et au contraire d’effacer les frontières internes à nos territoires que nous tendons à créer nous-mêmes. Après tout, ce sont des frontières artificielles.

La presse française n’en parle pas: 155 000 manifestants à Ankara contre la guerre

8 octobre 2012

La situation en Syrie est devenue un vrai casse-tête pour le gouvernement turc qui ne sait maintenant plus comment s’en dépêtrer.

Après avoir encouragé Ankara à soutenir la sédition armée dans le pays voisin, les démocraties humanistes occidentales ont clairement fait savoir qu’elles n’étaient pas intéressées par le déclenchement d’une guerre ouverte avec la Syrie.

Pas plus qu’elles n’acceptent de mettre la main au portefeuille pour aider les autorités turques à faire face aux besoins des Syriens qui se sont réfugiés sur son sol.

La Turquie se retrouve maintenant donc seule face aux problèmes posés par la situation en Syrie. On peut compter sur les prétendus rebelles prétendument démocrates pour essayer de provoquer la guerre ouverte dont Recep Tayyip Erdogan et son équipe ne veulent pourtant pas.

C’est ainsi qu’il faut interpréter le récent transfert de ce qui est présenté comme la direction militaire de l’Armée Syrienne Libre en territoire syrien dans ce que les derniers évènements ont transformé en zone tampon, ou en réduit, de facto.

Avec le refus explicite d’accueillir de nouveaux réfugiés, nous avons là les premiers signes d’une volonté de désengagement. Une volonté qu’on peut aussi repérer dans la proposition faite par le gouvernement turc d’une démission du président Bachar al-Assad qui pourrait être remplacé par le vice-président actuel Farouk al Chareh.

Sympa de ta part Bachar, mais tes costumes sont trop grands pour moi. Même la retoucheuse Erdogan pourra rien y faire

Recep Tayyip Erdogan ne sait plus comment sortir la tête haute d’une affaire qui se réduirait à une question de personne. J’imagine volontiers le premier ministre Turc supplier à  genoux Bachar al-Assad de céder le pouvoir, seul expédient qui lui reste pour sauver la face.

Parce que le gouvernement turc a fait montre d’irréflexion et de sottise dans sa gestion de l’affaire syrienne. Avant d’emboîter le pas à Londres ou à Paris, il aurait dû se rappeler que son pays partage une longue frontière et bien d’autres choses avec la Syrie : une histoire, des Alaouites et des Kurdes entre autres.

Et que tout bouleversement dans le pays voisin est susceptible d’avoir des répercussions en Turquie où les lignes de fracture sont très présentes  et peuvent s’élargir jusqu’à causer des troubles de nature à remettre en cause la stabilité du pays et la paix civile.

J’’ai déjà parlé sur ce blog de ces lignes de fracture avec les trois minorités précitées, kurdes, alaouites et alévies.

Alévis et Kurdes sont très présents dans les zones limitrophes de la Syrie

Vos journaux n’en ont bien sûr pas parlé, mais ce sont plus de 150 000 manifestants, essentiellement alévis, qui ont défilé dimanche dernier à Ankara pour réclamer justice et égalité mais aussi pour signifier leur refus de l’escalade militaire avec la Syrie voisine.

Manifestants à Ankara: Erdogan, tu insistes sur le foulard, commence d’abord par en porter un toi-même!

A bon entendeur, M. Erdogan!

Tension pendant une grande manifestation alévie

Zaman (Turquie) 7 Octobre 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Des manifestants se sont affrontés à la police dimanche alors d’environ 155 000 manifestants étaient rassemblés place Sıhhiye à Ankara ce dimanche, dans une manifestation organisée par la Fédération Alevi Bektaşi et le Fédération des Associations Alévis pour exprimer leur demande d’égalité.

La police a tiré du gaz lacrymogène sur certains manifestants parce qu’ils avaient refusé d’être fouillés à leur arrivée sur la place Sıhhiye. Il y a eu un bref affrontement entre manifestants et policiers quand la foule a commencé à pousser après la barricade de la police à l’entrée. L’agence de presse Cihan a rapporté que ceux qui se sont heurtés à la police aux checkpoints de l’entrée appartenaient à la Plateforme Socialiste des Opprimés (ESP) et à une organisation marginale nommée Partisan. Cihan indique que ce sont ces organisations qui ont lancé des objets contre la police. Un manifestant a été arrêté et trois agents de police ont été blessés dans ces incidents.

Le rassemblement, appelé le « Laik ve Türkiye Demokratik ICIN ESIT Yurttaşlık Mitingi » (manifestation  de l’égalité citoyenne pour une Turquie laïque et démocratique), a commencé dans la matinée, les manifestants alévis s’étant regroupés à la gare d’Ankara avant de se diriger sur Sihhiye vers 10:30. Les manifestants ont scandé des slogans appelant à la justice pour le massacre de Sivas en 1993 où 35 alévis avaient été tués, à l’abolition des cours de religion obligatoires, à l’octroi aux lieux de culte des Alévis (cemevi, mot dérivé de l’arabe djemaa) le même statut que les mosquées, tout en protestant contre l’éventualité d’une guerre avec la Syrie et en exprimant un soutien au peuple syrien.

Outre l’ESP et Partisan, la manifestation a vu la participation d’autres organisations associatives et politiques, dont le Parti de la Solidarité et de la Liberté (ÖDP), le Parti Communiste Turc (TKP), l’Association Halkevleri, le Parti Populaire de Libération (HKP) et beaucoup d’autres.

Ces organisations protestaient aussi contre les insuffisances de l’enquête sur des incidents récents où les maisons d’habitants Alévis avaient été marquées en rouge dans plusieurs villes.

Un bus du Parti Républicain Populaire (CHP) ouvrait la marche pour la foule dans sa marche entre la gare de chemin de fer et Sıhhiye. Le fan club Çarşı de l’équipe de football de Beşiktaş jouait du tambourin et il y avait un groupe de caisses claires nommé  Kızıldavul (tambour rouge).

En 2010, le gouvernement avait organisé sept ateliers sur une période de six mois qui avaient vu la participation de 400 universitaires, théologiens, membres d’organisations de la société civile, politiciens, journalistes et représentants Alévis et Bektaşis.

Malgré tout, un certain nombre d’organisations avaient protesté contre le gouvernement, accusant les autorités de «sunniser» les Alévis dans le pays.

Toute la lumière  n’a pas encore été faite sur l’histoire des Alévis au temps de l’empire ottoman, mais les relations entre les communautés sunnite et alévie en Anatolie ont été difficiles dès le début. En 1511, l’armée ottomane avait brutalement réprimé en Anatolie une révolte des Turkmènes Kizilbaş (tête rouge) de confession alévie, et 40 000 d’entre eux avaient péri. La bataille de Çaldıran, entre l’empire Ottoman sous Yavuz Sultan Selim et le dirigeant Séfévide Ismaïl en 1514 avait eu pour conséquence un édit impérial ordonnant la mise à mort de tous les Kızılbaş de la région.

Les siècles qui suivirent furent aussi troublés, mais pas aussi brutaux. En fait, les troupes impériales ottomanes – appelées janissaires – étaient recrutées exclusivement dans des loges Bektaşi. Ce qui reste difficile à apprécier, c’est l’étendue de la persécution des Alévis à l’époque républicaine. Des centaines d’Alévis furent tués dans des pogroms, dont beaucoup considèrent qu’ils avaient été ourdi en sous-main par des organisations secrètes à l’intérieur de l’appareil d’Etat, dans les villes de Çorum, Yozgat et Kahramanmaraş, dans les années 1970. 34 artistes Alévis avaient péri brûlés vifs en 1992 dans l’incendie de l’hôtel Madimak à Sivas. Il y a eu d’autres incidents, comme celui dans le quartier alévi de Gazi à Istanbul en 1995, quand des Alévis avaient été la cible de tirs à l’arme automatique.

Syrie: montée de l’exaspération en Turquie

29 août 2012

Nous avons d’une part les rodomontades d’Ahmet Davutoglu, le chef de la diplomatie turque, ou les propos grotesques et grossiers de François Hollande comparant les opposants armés au gouvernement syrien aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) dans leur lutte pour libérer Paris de l’occupation allemande (puisque le régime de Vichy ne contrôlait pas l’ex capitale française).

Et nous avons d’autre part une inquiétude qui monte en Turquie dans des segments de la population de la Turquie qui sont ouvertement hostiles à la politique syrienne menée par leurs autorités.

Ces segments de population sont tout sauf négligeables : les 500 000 alaouites arabes de la province de Hatay, les 15 à 20 millions d’alévis et les 15 millions de kurdes.

Ce n’est à mon avis pas pour rien si le gouvernement turc cherche à stopper un afflux de réfugiés syriens qui, tout en étant important certes, n’a rien à voir avec les flux colossaux engendrés par des situations de conflit en d’autres lieux (Palestine, Libye sous les bombardements amicaux de l’OTAN, Irak émancipé par les chars américains…).

Parce que les forces qui secouent la Syrie existent aussi à leur manière en Turquie et ce n’est pas un hasard si la presse turque donne de plus en plus souvent la parole à des universitaires qui mettent en garde contre une politique aventureuse.

Ces intellectuels ont d’autant plus de mérite qu’ils doivent veiller à ne pas franchir certaine limites, comme quand il s’agit de la question kurde, limites dont le dépassement leur vaudrait quelques ennuis. 

Les 120 pays  Non Alignés réunis à Téhéran devraient appeler à une solution politique qui passe par une discussion impliquant les acteurs de la région, dont la Turquie. Qui disait que l’Iran était un pays isolé ?

Il n’y a à mon avis aucune chance qu’une telle démarche se concrétise dans la mesure où les puissances occidentales veulent que la Syrie continue à s’enfoncer dans une spirale destructrice et meurtrière.

Notons cependant que le mouvement des Non Alignés se caractérise par un égalitarisme qu’on aura de la peine à retrouver dans la clique des prétendus « amis de la Syrie » animée par des pétromonarchies et des puissances néocoloniales qui manient carotte et bâton pour rameuter du monde à leurs orgies de sang.

Dans la ville frontière avec la Turquie, le soutien d’Erdogan aux rebelles syriens suscite la colère

par Alexander Christie-Miller, Christian Science Monitor (USA) 28 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Dans la ville d’Antakya à la frontière turco-syrienne, le soutien du gouvernement turc à l’opposition syrienne a déconcerté les habitants qui appartiennent à la même secte chiite que le président Assad.

Le réfugié syrien Abdulhefiz Abdulrahman se souvient qu’il avait de nombreux amis dans la ville turque d’Antakya, mais cette époque semble révolue.

Ce dissident politique avait fui la Syrie pour arriver dans cette cité frontalière plusieurs mois avant que le soulèvement contre le régime du président Bachar al-Assad éclate l’an dernier.

«J’ai eu beaucoup d’amis alaouites ici», dit M. Abdulrahman, se référant à cette branche du chiisme à laquelle une grande partie de la population d’Antakya adhère.

Les alaouites dominent le régime en Syrie, où le soulèvement de 18 mois a divisé le pays selon des lignes sectaires, opposant la minorité alaouite privilégiée contre la majorité sunnite [il est ridicule et faux d’affirmer que la minorité alaouite est privilégiée, note de Djazaïri].

À Antakya, où le soutien au régime alaouite d’Assad est profond, l’hostilité monte envers les rebelles syriens et les dissidents qui ont établi une base temporaire sur place. Et partout dans la province, le soutien apparent [évident, note de Djazaïri] de la Turquie à l’opposition syrienne met à mal un délicat équilibre ethnique.

«Avant, quand je disais que j’étais un réfugié, ils me respectaient,» a déclaré Abdulrahman au Monitor. «Ils ne me disent même plus bonjour dans la rue.»

Désormais, la frustration locale à propos de la décision apparente du gouvernement de laisser les dissidents et les combattants syriens opérer sur le sol turc pourrait exciter de plus grandes tensions ethniques dans le pays.

Le soutien de la Turquie aux rebelles suscite la colère

Le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a fortement soutenu l’opposition syrienne, appelant au renversement du régime.

Même si la Turquie est un pays laïque, elle est de plus en plus considérée comme un acteur sunnite [dans le conflit syrien], aux côtés de l’Arabie saoudite et du Qatar», déclare Bulent Aliriza, directeur du Programme Turquie au Centre for Strategic and International Studies à Washington . «Cela affecte inévitablement le corps politique».

Le 26 août, le chef du Parti Républicain du Peuple, le principal parti d’opposition en Turquie, a accusé le gouvernement de former les combattants syriens anti-régime après qu’une délégation de son parti  se soit vue refuser l’accès à un camp de réfugiés à la frontière syrienne.

J’ai envoyé nos députés inspecter le camp dont on disait qu’il était plein d’agents et d’espions, mais les autorités leur ont dit qu’ils ne pouvaient pas entrer dans le camp,» a déclaré Kemal Kilicdaroglu aux journalistes. «maintenant, j’attends une réponse du gouvernement : Qu’est-ce qu’il y a dans ce camp ? Qui entraînez-vous dans ce camp ? Recrutez-vous des homes pour répandre du sang musulman ?»

Ankara dément offrir un soutien à l’opposition syrienne armée, ou lui permettre d’opérer librement à partir du territoire turc. Mais quand le Christian Science Monitor a visité hier le poste frontière de Reyhanli près d’Antakya, un officier rebelle qui attendait là nous a dit que les autorités lui permettaient de passer en Syrie, alors même qu’il n’avait pas de passeport. Et Reuters, citant des sources à Doha, a rapporté le mois dernier qu’Ankara a mis en place une base secrète près de la frontière syrienne, en coopération avec l’Arabie saoudite et le Qatar, pour fournir une assistance militaire et des moyens de communication aux rebelles.

‘Solidarité sectaire’

Pendant ce temps, la tension monte à Antakya. La semaine dernière, certains habitants ont organisé une manifestation appelant à l’expulsion [des militants syriens] de la ville, tandis que des militants syriens ont indiqué au Monitor, qu’ils avaient été convoqués à une réunion avec des responsables militaires turcs et des officiels de la municipalité qui leur ont dit qu’ils devaient quitter la ville « pour leur propre sécurité. » Les officiels turcs nient qu’une telle réunion ait eu lieu.

 «Les gens de Hatay ont vécu ensemble pendant des milliers d’années sans tenir compte de l’origine ethnique ou de la religion», explique Mehmet Ali Edipoglu, un député local du parti d’opposition de M. Kilicdaroglu. « Le fait que les tentatives de changement de régime en Syrie se sont transformées en une guerre sectaire nuit [à ce vivre ensemble]. « 

 «Ce ne sont pas des réfugiés qui viennent à Antakya, mais les militants syriens qui sont armés par le gouvernement pour qu’ils retournent en Syrie », dit-il, décrivant ceux qui  vivent ici [à Antakya] comme des «assassins».

M. Edipoglu accuse le gouvernement de mener une politique étrangère sectaire. «[Le gouvernement turc] ne soutient pas un mouvement laïc, il soutient un mouvement sunnite dont même les sunnites ne veulent pas», dit-il.

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à la tête du Parti de la Justice et du Développmement au pouvoir (AKP) a déclaré à plusieurs reprises que son opposition au régime Assad est nourrie par les violations des droits de l’homme par ce régime, non par  une solidarité  avec l’opposition sunnite contre le régime . Mais cela n’a pas empêché des personnalités de haut niveau de l’AKP de lancer des accusations similaires contre l’opposition au gouvernement turc.

M. Kilicdaroglu, le chef de l’opposition, est un alévi, un membre d’une secte alaouite turque distincte de la secte alaouite arabe et qui est forte de 15 à 20 millions de personnes en Turquie. Le nombre d’alaouites est d’environ 400.000, qui vivent presque tous à Hatay.

En dépit d’origines et de rites religieux différents, les deux groupes ont tous deux des interprétations laxistes et peu orthodoxes de l’Islam, et ont ainsi en partage un historique de persécution par les musulmans sunnites au milieu desquels ils forment une minorité.

Le 6 août, M. Erdogan a mis en colère les alévis quand il a suggéré que leurs édifices religieux, connus sous le nom de cemevis , n’étaient pas de véritables lieux de culte. Se référant à la mosquée, il a dit aux journalistes que « il doit n’y avoir qu’un seul lieu de culte pour les musulmans. » Le mois précédent, la Direction turque des affaires religieuses avait conclu que les cemevis n’étaient que des « centres culturels ».

En Juillet, Huseyin Celik, vice-président de l’AKP, a  confondu Alaouites et Alevis quand il a suggéré qu’une «solidarité sectaire» était derrière les critiques répétées de M. Kilicdaroglu contre la position de la Turquie sur la Syrie, affirmant que le chef de l’opposition soutenait le régime Assad.

La Syrie sème-t-elle discrètement la discorde ? 

Quelles que soient les motivations du soutien d’Ankara à l’opposition syrienne, certains craignent que Damas réponde à la ligne dure de la Turquie en essayant d’attiser les hostilités avec les minorités que la Turquie a eu du mal à réprimer, en particulier avec les Kurdes, qui sont au nombre d’environ 20 millions en Turquie et ont subi des décennies de persécutions par l’Etat.

Plus tôt ce mois-ci une voiture piégée a tué neuf personnes, dont un enfant de 12 ans dans la ville frontalière de Gaziantep. La Turquie a imputé l’attaque à la guérilla du Parti des Travailleurs du Kurdistan PKK), mais elle a également enquêté sur d’éventuelles connexions syriennes et iraniennes dans cet attentat.

L’attentat a provoqué des tensions entre les Turcs et une minorité kurde de plus en plus agitée.

Le mois dernier, la Turquie avait réagi avec fureur après la cession par damas du contrôle d’une grande partie du territoire syrien à population kurde à une milice liée aux rebelles kurdes qui opèrent en Turquie.

Erdogan a déclaré que le territoire syrien était utilisé pour monter des raids transfrontaliers en Turquie, « une intervention serait donc notre droit naturel.»

À Antakya aujourd’hui, le gouverneur de hatay Mehmet Celalettin Lekesiz a réfuté une récente série de reportages dans les médias turcs,et a affirmé que les Syriens dans la province n’étaient ni armés, ni aidés par l’État, ni persécutés par la population locale.

Il a déclaré aux journalistes lors d’une conférence de presse que ces allégations faisaient partie d’une campagne  «systématique» visant à ébranler la paix dans la province. « Ces tentatives pour trouver des histoires [pour la presse] ne sont ni morales, ni raisonnables. Ne contribuons pas aux tentatives de répandre l’hostilité entre les gens», a-t-il dit.

Koray Caliskan, politologue à l’Université du Bosphore à Istanbul, estime qu’avec la campagne d’Ankara pour le renversement du régime Assad, il est inévitable que Damas cherche à attiser l’instabilité chez son voisin.

« Je crois que si nous nous engageons dans des politiques dangereuses, comme un changement de régime dans les pays voisins, ils se livreront à des activités perturbatrices du même genre dans le nôtre», dit-il.

Soli Özel dissèque la politique syrienne du gouvernement turc

25 août 2012

C’est toujours intéressant de chercher à comprendre la politique turque dans la région où ce pays est ancré. En effet, après avoir suscité beaucoup d’espoirs et d’attentes, la Turquie dirigée par le parti AKP de M. Recep Teyyip Erdogan a énormément déçu en finissant par retourner dans le giron de l’OTAN.

Curieusement, le tournant des prises de position turques a été l’intervention en Libye où, après quelques hésitations, Istanbul avait rejoint les faiseurs de démocratie Occidentaux et jordano-qataris.

Une participation somme toute discrète à une opération couronnée de succès comme l’on sait.

Ce qui a sans doute encouragé le gouvernement turc a adopter la position qu’on lui connaît sur le dossier Syrie après avoir été adéquatement stimulé par Alain Juppé et David Cameron.

Mais la Syrie n’est pas la Libye. Il y a tout d’abord le fait que la Syrie a une longue frontière commune avec la Turquie et que comme cette dernière elle comporte des minorités ethniques ou religieuses dont plusieurs sont présentes en nombre dans les deux pays : Alaouites, Kurdes, Arabes Sunnites (ces derniers formant avec les Alaouites la minorité arabe de Turquie). La Turquie comporte en outre une importante minorité alevie (à ne pas confondre avec les Alaouites) qui a clairement fait part de son inquiétude..

Tout ça pour dire qu’un ébranlement majeur en Syrie ne saurait être sans conséquences sur la Turquie, surtout avec la mentalité sectaire d’une bonne partie de ceux qui ont pris les armes contre le gouvernement syrien.

Ensuite, la Syrie bénéficie de soutiens de poids qui ne se sont jamais démentis, ceux de l’Iran, de la Russie et de la Chine tandis que d’autres pays tentent de se débarrasser du carcan mortifère que constitue le groupe dit des «Amis de la Syrie.»

Et puis l’armée syrienne, c’est sans doute autre chose que l’armée libyenne qui, si elle a prouvé sa capacité à réduire les rebelles, n’a rien pu faire devant l’aviation de l’OTAN. L’équipement de l’armé syrienne est sans doute en bonne parie obsolète, avec ses nombreux MIG 23 et même MIG 21, mais il est probable qu’elle ferait payer le prix fort au pays même coalisés qui agresseraient la Syrie. 

Vaincre ces pays, c’est une autre affaire…

La gestion du dossier syrien génère en Turquie un débat qui risque de prendre encore plus d’ampleur avec le retour au premier plan de la question kurde en lien avec les développements sur la scène syrienne.

L’universitaire Turc Soli Özel nous explique l’importance de certains enjeux pour son pays.

Tout en critiquant sévèrement la démarche moralisatrice adoptée par son gouvernement, il nous dit benoîtement ignorer les principes qui fondent les prises de position et les actes de son pays devant la crise syrienne.

Et il les ignore parce que son gouvernement ne veut pas communiquer à ce sujet préférant se retrancher derrière des arguments moralisateurs bien commodes pour faire taire les curieux et les sceptiques.

Soli Özel

Mais, dirai-je, la Turquie n’a pas le monopole de ce genre d’attitude puisque nous voyons qu’en France, quelqu’un de très mal placé pour donner des leçons, nous a expliqué que Bachar al-Assad n’avait plus sa place sur cette terre !

Des fous sanguinaires en costume cravate, je vous dis.

La politique syrienne de l’AKP basée sur la morale ne marche pas, affirme un chercheur universitaire

ISTANBUL- Hürriyet (Turquie) 25 août 2012

Le gouvernement turc a été incapable d’expliquer à l’opinion quel est l’intérêt national de notre pays dans sa politique syrienne, ce qui l’a amené à justifier ses actions de manière insuffisante sur la base de la moralité, selon le chercheur Soli Özel. L’argument moral ne peut être qu’un aspect d’une politique étrangère mais pas l’essence de cette dernière,’ dit-il.

La Turquie a perdu le précieux avantage qui consistait à rester au-dessus de la mêlée des divisions sectaires e la région moyen-orientale, affirme l’universitaire Soli özel, qui observe que la Turquie s’est désormais immiscée dans une lutte s ans merci le long de lignes sectaires, c’est là que sa politique étrangère basée sur des ‘principes moraux’ a été mise en défaut.

La politique étrangère, ce n’est pas la morale, affirme Özel à propos des déclarations du gouvernement selon lesquelles il agit moralement, répondant ainsi aux détracteurs de sa politique syrienne.

«Reprocher à ses détracteurs d’être amoraux est immoral,» a déclaré Özel à Hürriyet au cours d’un récent entretien.

Les leaders d’opinion et les journalistes semblent polarisés par rapport à la politique du gouvernement sur la Syrie : une partie lui apporte son soutien inconditionnel, tandis que l’autre la critique avec vigueur. Où vous situez vous dans ce débat ?

Je refuse de m’exprimer dans les termes définis par le gouvernement dont la politique est à mon avis tortueuse. Avant que ce gouvernement découvre que le président Syrien Bachar al-Assad était un homme malfaisant, il y avait suffisamment de gens dans ce pays qui avaient fait connaître leurs points de vue, disant ne souffrir les relations avec la Syrie que sur la base de la Realpolitik mais qu’ils avaient mal au cœur parce que c’était un régime répréhensible.

Donc, ceux qui critiquent ceux qui critiquent la politique du gouvernement en insinuant qu’ils soutiennent al-Assad ne disent pas la vérité, et en essayant de tout enfermer dans un discours moralisateur, ils se comportent eux-mêmes de manière immorale.

Bachar doit partir, et il partira. La question n’est pas de savoir si vous soutenez ou pas al-Assad, mais de savoir si vous gérez correctement votre politique en fonction du contexte régional et mondial actuel de sorte à atteindre cet objectif dans trop de dégâts – pas seulement pour le peuple syrien mais aussi pour vos intérêts nationaux ? Sur ce point, je ne suis pas tout à fait convaincu que le gouvernement ait poursuivi la bonne politique.

Pouvez-vous développer ? Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Nous sommes en ce moment la base pour une guerre secrète contre le gouvernement d’un pays voisin. Le fait que le gouvernement de ce pays est illégitime ne change pas le fait que nous sommes ce que le Honduras était au Nicaragua dans les années 1980. Le régime irakien était illégitime, mais nous n’avions pas permis l’installation de bases opérationnelles sur notre territoire pour organiser des attaques contre ce gouvernement. En fait nous nous enorgueillissons de ne pas avoir collaboré avec les Etats Unis pour leur guerre contre un autre régime illégitime.

Le soutien ouvert et flagrant à une guerre secrète contre le régime syrien place la Turquie dans le camp des puissances sunnites, même si le gouvernement proteste du caractère œcuménique de sa politique. Le fait que le gouvernement est incapable de convaincre – pas seulement sa population mais qui que ce soit dans le monde – que sa politique est œcuménique est quelque chose qui doit nous parler.

Il y a un transfert massif d’armes vers les rebelles en Syrie via la Turquie. Je ne remets pas en cause la légitimité de la résistance au régime syrien. Je m’interroge sur les moyens, en matériel et en discours, qui sont mobilisés pour soutenir cette opposition.

Le résultat net de la politique turque est que nous avons maintenant des relations inamicales avec l’Iran, qui est influent en Irak, pays avec lequel nous n’avons pratiquement plus de relations maintenant. Nous ne sommes pas en phase avec la Russie non plus.

C’est un fait que le principe du zéro-problème nous donne dans les circonstances actuelles l’image d’un pays qui a des problèmes avec tous ses voisins à l’est et au sud. Je ne vais pas m’étendre sur ce point.

Je ne crois pas que c’était la faute de la Turquie, ou la faute du principe [du zéro problème].C’est le résultat d’une incapacité à ajuster la politique de la Turquie à un environnement tumultueux dans lequel l’histoire s’accélère. Notre ministre des affaires étrangères comprend sans doute très bien l’importance historique de cette transformation, mais il ne parvient pas à ajuster la politique turque d’une manière qui permettrait de réduire les dangers qui découleront des évènements en cours. C’est le problème.

Quand on nous demande si nous devrions continuer à serrer la main d’un dictateur sanguinaire, j’aimerais rappeler à tout le monde que le dictateur sanguinaire était déjà un dictateur sanguinaire avant, aussi – il avait juste tué moins de gens à l’époque que depuis mars 2011. Il faut une zone grise qui se situerait entre avoir des dîners en privé avec un dictateur sanguinaire et couper toutes les relations avec son régime. La Turquie est devenue un acteur moins influent qu’elle aurait pu l’être autrement.

Dans sa réponse aux critiques, le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu dit que la Turquie n’aurait pas pu se présenter devant les rues arabes si elle n’avais pas fait le choix de se ranger au côté du peuple.

Quelles rues arabes ? Quel peuple ? Les Chrétiens, les Syriaques, les Nusaïris et les Sunnites laïques sont-ils nécessairement des admirateurs de la politique turque ? Toutes les informations dont je disposé donnent à penser que la population d’Alep est très mécontente de la présence de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Mais l’ASL trouve des armes qui lui sont fournies par le Qatar et l’Arabie Saoudite et qui transitent par les frontières turques.

Le fait que la Turquie est maintenant vue comme une puissance inamicale par les Chiites dans la région est un échec de la part de la diplomatie turque. Gardez en mémoire qu’un citoyen Turc est retenu par une tribu chiite au Liban qui dit qu’elel le tuera pour punir la Turquie si elle n’obtient pas ce qu’elle veut [la libération de membres de cette tribu prisonniers des « rebelles » en Syrie]. Est-ce là l’image que nous voulons donner au reste du monde ?

La Turquie n’affirmait-elle pas que sa politique étrangère réussissait parce qu’elle se tenait à équidistance de tous ? Quand vous regardez en ce moment, nous ne sommes capables de parler avec aucun de nos voisins.

Mais vous avez dit vous-même que les circonstances ont changé et que ce n’était pas forcément la faute de la Turquie.

Lorsque, pour une raison ou  votre principe ne peut plus être appliqué, vous devez concevoir votre politique de sorte à ce que quand vous cherchez tout seul à obtenir l’éviction de Bachar vous puissiez garder des relations normales avec les autres voisins ; ce que nous avons échoué à faire. Il est évident qu’ils [les dirigeants Turcs] avaient surestimé leur influence que le régime syrien, ce qui devrait nous amener  à interroger la sagesse des politiques qui ont été menées ces huit dernières années. Puis ils ont pris une position très forte contre le régime, soutenant une guerre secrète à partir du territoire turc, particulièrement les zones frontalières où les opinions sont très partagées sur ce qu’il est bon ou mauvais [de faire].

Mais le gouvernement a demandé à ses détracteurs, «Qu’aurions-nous dû faire ? Rester assis et regarder Bachar tuer son propre peuple ?

La politique étrangère, ce n’est pas la morale. En faire maintenant une affaire de morale et reprocher à ses détracteurs d’être amoraux est en soi immoral. Je pense que Bachar doit partir et il partira, mais à quel prix ? A quel prix pour la population syrienne ? On peut aussi dire, si vous êtes si moral, pourquoi n’intervenez-vous pas militairement vous-même au lieu d’attendre que la communauté internationale vous en donne la permission ? Même dans ce cas, vous ne seriez pas disposé à la faire seul.

Les autorités turques ont régulièrement affirmé que leurs alliés leur avaient apporté leur soutien pour une action [éventuelle], mais quand les choses se gâtent, il n’y a plus personne. Ce qui nous donne à comprendre où se situe le mauvais calcul effectué par nos dirigeants.

A un moment, les Turcs ont cru qu’il y aurait une intervention militaire occidentale.  Mais n’importe qui ayant examiné l’expérience libyenne pouvait comprendre qu’il n’y avait aucune possibilité pour qui que ce soit d’intervenir en Syrie. Prétendre que nous avons été induits en erreur ne donne pas une bonne image de la diplomatie turque en termes de capacité d’anticipation.

Quand vous commencez à fournir des armes aux rebelles et que vous faites ça pour les meilleurs raisons morales, vous créez une situation par laquelle vous prolongez le conflit.

Si l’opposition n’avait pas été armée, Bachar aurait continué à tuer. De quelles autres options disposait le gouvernement qui a critiqué ses détracteurs pour ne pas s’être rangés du côté de la morale ?

Comme le gouvernement ne pouvait pas expliquer réellement à l’opinion quel était l’intérêt national dans tout ça, il s’est constamment appuyé sur l’argument moral. L’argument moral ne peut être qu’un aspect de la politique étrangère mais pas son fondement. La Syrie est très importante parce que l’agitation dans ce pays affectera la stabilité en Turquie même, ne serait-ce qu’en vertu de l’incroyable instabilité qu’elle va générer – et qu’elle a déjà commencé à générer – dans la région. Le problème interne à la Syrie de la rébellion contre un dictateur s’est transformé en lutte à couteaux tirés entre des puissances régionales et des puissances extérieures, et cet affrontement se fait le long de lignes sectaires.

La Turquie se retrouve maintenant plongée dans une compétition géopolitique qui est définie en termes sectaires. L’avantage qu’avait la Turquie avant le déclenchement de la crise syrienne était que la Turquie n’était pas partie prenante des divisions sectaires dans la région. Nous avons maintenant le résultat d’un an et demi de cette politique, et ce résultat ne me frappe pas comme étant une brillante réussite. Quant à l’action différente qui aurait pu être menée, j’aimerais bien que mon gouvernement me dise exactement comment il définit nos intérêts nationaux – pas en termes moralisateurs – et pourquoi il a accusé tous ceux qui soutenaient Bachar de le faire pour des raisons sectaires, important ainsi dans notre pays les divisions sectaires de la Syrie, puis de l’Irak et du Liban.

Qu’est-ce qui motive le gouvernement ?

Les Sunnites vont arriver au pouvoir ; parmi les Sunnites, les Frères Musulmans seront la force prédominante. Avec la Tunisie et l’Egypte, il y aura des gouvernements de la même famille politique tout autour de nous à l’exception de l’Irak. Je sais qu’ils protestent quand on leur reproche leurs politiques sectaires, mais c’est ainsi que leurs politiques sont lues ailleurs dans le monde.

Une politique étrangère ne peut pas reposer sur des motivations idéologiques ou sectaires ; si c’est le cas, vous commettrez certainement des erreurs.

Quelles seront les conséquences de la crise syrienne sur la question kurde ?

Elle enhardit le PKK (le Parti des Travailleurs du Kurdisan, illégal). En termes historique, ce qui se passe est le démantèlement d’un ordre régional qui a été créé sur les décombres de l’Empire Ottoman, principalement par la Grande Bretagne et la France.

Cet ordre était fondé sur la suprématie incontestée des Arabes Sunnites. Ce que nous voyons, c’est l’effondrement de cet ordre et la création d’un ordre nouveau. En termes historiques, l’arrangement (franco-anglais) de 1918 – 1922 n’avait pas reconnu à la très importante population kurde son droit à l’autodétermination. Cette fois-ci, il semble que les Kurdes vont être les gagnants du nouvel ordre en train de se former. Il y a environ 30 millions de Kurdes répartis sur quatre pays ; dans une période de renouveau du nationalisme partout, ceci est une conséquence politique de la dissolution du nouvel ordre régional.

Le meilleur atout du gouvernement consistait à porter sur la situation le regard qui s’imposait ; c’est-à-dire un regard en termes historiques. Le gouvernement n’a pas accordé crédit aux théories du complot. L’ironie veut que si vous regardez les choses d’un point de vue historique, le fait que les Kurdes ont désormais voix au chapitre sur leur destin fait aussi partie du processus historique. Il montre aussi à quel point la Turquie, gouvernement inclus, a commis une erreur en ne réglant pas son propre problème kurde et en marginalisant complètement le PKK. Même si la question kurde est résolue, le PKK pourrait continuer ses actes de violence qui sont ce dont il se nourrit.

Comme nous avons nos propres lignes de faille ethniques et sectaires à prendre en considération, ce gouvernement aurait dû être plus prudent – tant dans sondiscours que dans sa politique.

Qui est Soli Özel?

Soli Özel est éditorialiste pour le quotidien Habertürk, où il est aussi rédacteur en chef de la rubrique politique étrangère.

Il fait partie actuellement de l’équipe professorale de l’université Kadir Has à Istanbul.

Il a un diplôme de master spécialisé sur le Moyen Orient obtenu à la John Hopkins University’s School of Advanced International Studies. Il a publié de nombreux articles dans des journaux étrangers et dans des revues universitaires. Il a récemment co-écrit : ”Turkey: Model, order-setter or trade partner,” publié par l’Istituto Affairi Internazionali et le German Marshall Fund.

Son article “Turkey in the face of Eurosclerosis” pour le German Marshall Fund sera publié le mois prochain

Retour de bâton de la crise syrienne en Turquie?

5 août 2012

Je ne l’ai peut-être pas précisé, mais je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce qui est dit dans les articles que je vous propose. Leur valeur porte le plus souvent pour moi sur un point particulier mais j’aime proposer des traductions intégrales autant que faire se peut pour enrichir la réflexion.

Par exemple, l’article du New York Times traduit ci-dessous semble confondre Alaouites et Alevis, deux sectes qui tout en étant apparentées ne se confondent pas.

Cet article vaut surtout en ce qu’il signale une montée de tension confessionnelle en Turquie. Si les tensions préexistaient à la crise syrienne, cette dernière n’a fait que les aiguiser au point que certains en viennent à craindre de graves conséquences sur les relations entre citoyens Turcs de diverses appartenances.

J’avais déjà évoqué les appréhensions des Alevis en les considérant comme un signe de plus de l’imprudence du gouvernement turc sur le dossier syrien avec des conséquences qui pourraient être un de ces fameux retours de bâton dont parle Pepe Escobar

Il en va des Alevis/Alaouites exactement comme des Kurdes auxquels Ankara reconnaît une quasi indépendance en Irak, tout en refusant l’autonomie des Kurdes de Syrie et en continuant sa chasse aux militants Kurdes en Turquie et au-delà.

Tiens, les Kurdes, peut-être une des raisons de l’alignement d’Ankara sur Washington ; on apprend en effet que le Congrès des Etats Unis vient de commencer l’examen d’une résolution anti-PKK (PKK = Parti des Travailleurs du Kurdistan). Cette résolution précise que le PKK est un ennemi de la Turquie et des Etats Unis. Un texte semblable a été présenté au Sénat, nous dit-on, sous l’impulsion du sénateur (indépendant) Joe Lieberman. Ce Lieberman n’est peut-être pas apparenté à son Avigdor Lieberman, le ministre des affaires étrangères de Tel Aviv, mais ils sont aussi ultrasionistes l’un que l’autre.

Alors que la guerre en Syrie devient confuse, l’agitation sectaire gagne la Turquie

par Jeffrey Gettleman, New York Times (USA) 4 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

ANTAKYA, Turquie – A 1h du matin, dimanche dernier, dans le bourg agricole de Surgu,  à environ six heures d’ici, une foule s’était formée devant la porte de la famille Evli.

Le malaise couvait depuis plusieurs jours, depuis que la famille Evli avait  chassé un tambour qui venait réveiller les gens un peu avant l’aube d’une nouvelle journée de Ramadan. Les Evlis sont des Alaouites, une secte minoritaire de l’islam historiquement persécutée, qui est aussi la secte des dirigeants Syriens affrontés à une insurrection. De nombreux Alaouites ne suivent pas des traditions musulmanes comme jeûner pendant le mois de Ramadan.

La foule a commencé à lancer des insultes. Puis des pierres.

«Mort aux Alaouites !» criaient-ils. «Nous allons tous vous bruler !»

Puis quelqu’un a tiré avec une arme à feu.

«Ils étaient là pour nous tuer,» affirme Servet Evli qui s’était caché dans da chambre avec sa femme enceinte et sa fille terrifiée, toutes deux si effrayées qu’elle avaient uriné dans leurs vêtements.

Avec la guerre civile en Syrie qui dégénère en affrontement sectaire sanglant entre les troupes du gouvernement à dominante alaouite et la majorité musulmane sunnite, les tensions s’accroissent de l’autre côté de la frontière entre la minorité alaouite de Turquie et la majorité sunnite de ce pays.

De nombreux Alaouites Turcs, une population estimée entre 15 et 20 millions qui forme une des plus importantes minorités du pays, semblent être résolument derrière l’homme fort menacé de Syrie, Bachar al-Assad, tandis que le gouvernement turc et de nombreux Sunnites soutiennent les rebelles.

Les Alouites craignent que la violence sectaire diffuse à travers la frontière. Déjà, les camps de réfugiés bondés et étouffants installés le long de la frontière deviennent rapidement des marmites où bouillonnent les sentiments anti-alaouites.

 «S’il en vient un par ici, nous le tuerons,» affirme Mehmed Aziz, 28 ans, un réfugié Syrien dans un camp de Ceylanpinar, en passant un doigt en travers de sa gorge.

Lui et ses amis sont sunnites et tous ont manifesté bruyamment de joie à la pensée d’exercer vengeance contre les Alaouites.

De nombreux Alaouites, particulièrement en Turquie orientale où les Alaouites tendent à être arabophones et sont étroitement liés aux Alaouites de Syrie ; soupçonnent d’énormes enjeux géopolitiques, et les spécialistes des relations internationales disent qu’ils n’ont peut-être pas tort. Le gouvernement turc est dirigé par un parti islamiste qui essaye lentement mais clairement de mettre plus de religion, l’Islam sunnite en particulier, dans la sphère publique, tournant le dos à des dizaines d’années d’un système politique délibérément laïque. Les Alaouites d’ici trouvent profondément troublant, et assez hypocrite, de voir la Turquie faire équipe avec l’Arabie Saoudite, un des pays les plus répressifs au monde, et le Qatar, une monarchie religieuse, deux pays sunnites, pour apporter la démocratie en Syrie.

Les Alaouites relèvent le nombre croissant de djihadistes étrangers qui affluent en Turquie, en chemin pour la guerre sainte sur les champs de bataille syriens. Beaucoup de djihadistes ont l’idée bien arrêtée de transformer la Syrie, qui sous la direction de la famille Assad a été un des pays les plus laïcisés du Moyen Orient, en Etat purement islamiste.

«Est-ce que vous croyez vraiment que ces gars vont construire une démocratie ? » demande Refik Eryilmaz, un député Alaouire au parlement turc. «Les Américains font une énorme erreur. Ils aident la Turquie à combattre Assad, mais ils sont en train de créer d’autres Talibans.»

Les officiels Américains ont récemment révélé qu’un petit groupe d’agents de la CIA travaillait le long de la frontière syro-turque avec leurs homologues Turcs, pour sélectionner les rebelles qui recevront des armes. Les officiels Américains ont reconnu des inquiétudes sur l’attraction que pourrait exercer la Syrie pour des djihadistes, mais ils pensent que les combattants étrangers ne représentent encore qu’une toute petite partie de la résistance syrienne.

Ali Carkoglu, professeur de relations internationales à l’université Koc d’Istanbul, explique que le gouvernement turc recourt de plus en plus à un langage sectaire et essaye de jouer le rôle du « grand frère sunnite» dans la région. Comme en Syrie, la population turque est majoritairement sunnite.

Les Alaouites de Turquie craignent d e devenir des cibles faciles. Historiquement, ils ont été vus avec suspicion dans tout e Moyen Orient par les Musulmans orthodoxes et souvent rejetés comme infidèles. La secte alaouite est née au 9ème siècle et mélange ensemble des croyances religieuses, dont la réincarnation, issues de religions différentes.

Beaucoup d’Alaouites ne vont même pas à la mosquée ; ils tendent à faire leurs dévotions à la maison ou dans un temple alaouite qui s’es vu refuser le même soutien financier que celui qui est attribué aux mosquées sunnites. Beaucoup d e femmes Alaouites ne se voilent pas le visage  et ne se couvrent même pas les cheveux. Les villes où ils dominent dans l’est de la Turquie, où les jeunes femmes portent des débardeurs et des jeans serrés, semblent totalement différentes des villes religieuses sunnites à seulement quelques heures, où on peut avoir du mal à voir seulement une femme en public.

«Nous sommes plus modérés,» explique Turhan Sat, un Alaouite Turc qui travaille dans une station service à Bridgeport dans le Connecticut et qui était en vacances en Turquie. Il sirtait unthé l’autre jour sue la place publique ombragée de Samandag, une ville majoritairement alaouite non loin de la frontière avec la Syrie.

«Nous sommes tous avec Assad,» dit-il.

Pas bien loin, dans la ville majoritairement alaouite de Harbiye, il y a un nouvel article qui se vend tellement bien qu’il ne semble pas pouvoir rester sur les étagères des commerces : des tapisseries bon marché avec le portrait de M. Assad.

«Tout le monde en veut,» déclare Selahattin Eroglu, un vendeur qui vient tout juste d’écouler son dernier article. «Les gens d’ici aiment Assad.»

Ce sentiment est peut-être en partie de l’autoprotection. Les rebelles Syriens cachent à peine une violente antipathie sectaire. Khaldoun al-Rajab, un officier de l’Armée Syrienne Libre [rebelle], dit avoir vu deux Alaouites en voiture tourner dans la mauvaise direction à Homs et se retrouver dans un quartier sunnite. «Bien sûr, ils ont été arrêtés et tués par les rebelles,» dit-il.

Peu de gens en Turquie imaginent une telle folie se déclencher de si tôt dans leur pays, où le contrôle [policier] est strict et qui a échappé pour l’essentiel à la violence sectaire.

Mais la foule menaçante devant la maison des Evli à Surgu a rappelé à beaucoup d’Alaouites la mort de plus de 30 Alaouites qui avaient été brûlés vifs en 1993 par un groupe d’islamistes dans la ville turque de Sivas.

C’est seulement après que des agents de police aient rassuré la foule en lui disant que la famille Evli allait déménager, ce que les Evlis ignoraient, que les gens se sont dispersés.

Quoique les Evlis soient aussi Kurdes, un autre groupe minoritaire en Turquie, ce qui a peut-être contribué aux sentiments de haine contre eux, Songul Canpolat, directrice d’une fondation alaouite en Turquie affirme que «L’idée que les Turcs Alaouites devraient être éliminés gagne du terrain.»

Les officiels gouvernementaux Turcs rejettent tout partipris contre les Alaouites, expliquant qu’ils ont fait un surcroît d’efforts  pour être « attentifs et sensibles aux craintes des Alaouites.»

«Bien sûr, nous ne prétendons pas que tous les problèmes sont résolus, » déclare Egemen Bagis, ministre des relations avec l’Union Européenne.

Il y a quelques mois, M. Eryilmaz, le député qui appartient à un parti d’opposition, était allé voir M. Assad à Damas. Il avait dit que M. Assad était en fait assez détendu et que tout le conflit portait en réalité sur la religion.

 «Ce qui se passe en Syrie est le volet syrien d’un projet international,» avait-il dit, avec le gouvernement turc qui s’est aligné sur l’Arabie Saoudite et le Qatar pour rendre cette région du monde plus «radicale» religieusement.

Il était assis dans un café d’Antakya, une ville frontière avec une importante population alaouite, et il piochait dans un plateau de baklavas pendant ces heures ensoleillées de l’après-midi, quand les musulmans qui observent le Ramadan font habituellement le jeûne.

«Voyez mon peuple,» dit-il en souriant, ouvrant grand les bras comme pour envelopper des familles qui mangent des glaces et un jeune couple s’étreignant sur un banc public. «Mon peuple est libre.»

Sebnem Arsu contributed reporting from Antakya, and Hwaida Saad from Beirut, Lebanon.

La Syrie et les dangereux fantasmes de la diplomatie turque

29 avril 2012

J’avais déjà écrit que l’action du gouvernement turc en Syrie ne fait pas l’unanimité en Turquie et qu’elle inquiète la communauté Alevi, au moins une partie de la communauté arabe de Turquie et le principal parti d’opposition, le Parti Populaire Républicain (CHP).

L’article que je vous propose fait le point sur les motivations de l’opposition turque, cette dernière rappelant opportunément quelques règles élementaires de droit que les autorités turques, mais aussi françaises ou britanniques s’empressent d’enfreindre quand elles estiment que c’est leur intérêt.

Sauf que le CHP n’est pas du tout sûr que l’intérêt de la Turquie soit de prendre parti activement pour la sédition et la guerre civile en Syrie.

Parce que la Turquie en payera forcément le prix que ce soit par une entrée en guerre ou autrement. Il faut quand même rappeler que, contrairement à la Turquie, ni la France, ni la Grande Bretagne ou les Etats Unis n’ont de frontière avec la Syrie.

Dans sa critique de la politique étrangère actuelle du gouvernement turc, le responsable du CHP n’attire cependant pas directement l’attention sur le point qui est peut-être le plus lourd de menaces pour la stabilité régionale. Je veux parler de l’immixtion récente du gouvernement d’Ankara dans les affaires intérieures irakiennes en nouant une sorte de relation d’Etat à Etat avec le Kurdistan irakien.

Ce que le gouvernement turc refuserait de manière catégorique pour son propre Kurdistan !

On a presque l’impression que le gouvernement turc a reçu mandat de l’OTAN pour attiser le feu dans la région.

Quand je pense qu’il y a quelques mois encore, on espérait du rôle modérateur d’une Turquie entraînant par son dynamisme toute une région en même temps qu’elle aurait pu exercer des pressions sur le régime sioniste afin non seulement de lever le blocus de Gaza mais d’avancer vers une solution négociée !

Le rôle de la Turquie au Moyen-Orient « un fantasme dangereux« 

Par  İpek Yezdaniipek,  Hürriyet (Turquie)28 avril 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Faruk Loğoğlu , vice président du Parti Populaire Républicain (CHP), la  principale force d’opposition, a vivement critiqué le ministre Turc des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu pour ses propos sur le rôle pionnier de la Turquie dans le nouveau Moyen orient, les qualifiant  de «fantasme dangereux.»

“Ca me fait seulement sourire. Je l’interprète comme un fantasme. Je n’y trouverais rien à redire si c’était un fantasme inoffensif, mais c’est un fantasme dangereux. Quand le ministre Turc des affaires étrangères, qui est incapable de conduire la politique étrangère de la Turquie,  dit que ‘nous allons être pionniers du changement au Moyen orient, »  il manque de respect aux nations arabes, a déclaré Loğoğlu à la presse le 27  avril. Le CHP organise une conférence internationale baptisée :

 «Saisons du changement : la marche des peuples arabes vers la liberté et la démocratie » les 28 et 29 avril à Istanbul. Les vide présidents du CHP, Loğoğlu and Gürsel Tekin, ont organisé une conférence de presse à Istanbul avant la conférence. Loğoğlu, un ambassadeur à la retraite, a critique sévèrement l’approche des affaires régionales par le parti au pouvoir.

«Ils doivent d’abord gérer la propre politique étrangère de la Turquie. Nous sommes hostiles à l’Arménie, nous avons des jours difficiles avec l’Iran et l’Irak, nous sommes au bord de la guerre avec la Syrie, nous échangeons des menaces avec Israël et nous menaçons la partie grecque de Chypre. Qu’est-ce qui est correct dans cette ligne de la politique étrangère ? »

Loğoğlu a aussi critiqué le gouvernement pour l’accueil en Turquie de l’Armée Syrienne Libre (ASL) d’opposition, affirmant qu’il était contraire au droit et aux règlements internationaux. « La Turquie a pris parti dès le premier jour dans l’affaire syrienne. Le gouvernement turxc a directement exclu le régime et s’est rangé du côté non seulement de personnalités politiques de l’opposition, mais aussi des chefs militaires de l’opposition. Faciliter l’action de l’aile militaire de l’opposition qui cherche à détruire le régime d’un pays est contraire au droit et aux règlements internationaux, » a déclaré Loğoğlu. Le parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir, entraîne la Turquie vers la guerre, a affirmé Loğoğlu. « Ce n’est pas à la Turquie d’attiser les conflits en Syrie en prenant parti. L’attitude du gouvernement [de l’AKP] est mauvaise. Elle est aussi contraire à de bonnes relations de voisinages, » a ajouté Loğoğlu.

Les Alevis de Turquie contre la politique syrienne de leur gouvernement

17 avril 2012

Je vous disais dans un post précédent que l’aventurisme en Syrie n’était pas sans risque pour les équilibres internes de la Turquie.

Soner Cagaptay donne à ce sujet un point de vue plus informé que le mien. S’il relève les problèmes posés par la présence d’une communauté arabo-turque forte de 1,5 millions d’âmes, dont un tiers d’Alaouites, qui se concentrent dans les régions limitrophes de la Syrie, il insiste beaucoup sur les Alevis.

A la différence des Alaouites ; les Alevis sont de souche turque et constitueraient entre 10 et 15 % de la population turque, c’est—dire qu’ils seraient au minimum 7,5 millions, ce qui fait quand même du monde.

Or, nous explique Soner Cagaptay, les Alevis sont une communauté très attachée à l’héritage kémaliste et se méfient du parti AKP au pouvoir qui comporte, selon eux, une tendance sunnite sectaire dont ils ont eu à souffrir par le passé.

De ce fait, les Alevis seraient très réticents devant les orientations de la politique du gouvernement actuel en Syrie dont ils craignent qu’elle traduise surtout un combat sectaire ou plus simplement qu’elle encourage un tel combat en Syrie.

D’autant que les Alevis perçoivent les Alaouites comme une minorité sœur, ce que l’auteur de l’article conteste au motif qu’Alevis et Alaouites ne sont liés ni ethniquement (les premiers sont des Turcs et les deuxièmes des Arabes), ni religieusement.

Le premier argument ne fait guère sens dans la mesure où ce qui définit Alevis et Alaouites n’est pas leur ethnicité, mais bien leur appartenance confessionnelle. Le deuxième est à peine moins problématique puisque le mot « alevi » n’est pas autre chose que le mot arabe «alaoui» prononcé à la turque, le ou de l’arabe étant transformé en v comme dans le prénom Vahid [par exemple Vahid Halilhodžić] au lieu de [Abdel] Ouahid.

Et de fait, si Alevis Turcs et Alaouites Syriens n’ont pas exactement la même conception religieuse, ils s’inscrivent tous deux dans une tradition qui les apparente au chiisme et ils sont certainement plus proches les uns des autres qu’ils ne le sont du chiisme iranien par exemple.

Mais le fond du problème n’est cependant pas religieux, mais purement politique et c’est bien ainsi que le comprennent les Alevis et le principal parti d’opposition en Turquie.

Pour finir, notez la conclusion étrange du rédacteur de l’article qui pense pouvoir résoudre les contradictions internes à la Turquie en aggravant l’interventionnisme de son pays en Syrie par sa proposition d’une démarche qui signifierait tout simplement une guerre totale entre la Turquie et la Syrie !

Les divisions sectaires syriennes vont-elles se propager à la Turquie?

par Soner Cagaptay, New Republic (USA) 14 avril 2012 traduit de l’arabe par Djazaïri

Si le conflit en Syrie devait évoluer en affrontements Sunnites contre Alaouites, les Alevis Turcs pourraient se retrouver en position de s’opposer activement à toute intervention organisée par leur gouvernement.

Les observateurs de la crise humanitaire qui s’aggrave en Syrie sont de plus en plus préoccupés par la perspective de voir le conflit dériver vers une lute sectaire, et à juste raison: le régime Assad jouit d’un soutien massif auprès de la minorité alaouite de Syrie, tandis que la majorité sunnite du pays est à la pointe de la rébellion contre Assad. Mais le conflit porte un autre risque. Il pourrait exciter des tensions sectaires en Turquie qui pourraient, à leur tour, compliquer toute intervention internationale contre le régime Assad.

La principale pierre d’achoppement est le groupe Alevi, une ramification syncrétique et très sécularisée de l’islam qui existe en Turquie et qui s’est souvent définie comme une minorité persécutée par la majorité sunnite du pays.

Si le conflit en Syrie devait voir les Sunnites se dresser contre les Alaouites, les Alevis Turcs pourraient bien se trouver en empathie avec la minorité alaouite de Syrie et, par extension, avec le régime Assad. Plus encore : ils pourraient s’opposer activement à toute intervention organisée par leur propre gouvernement.

Leur attitude est enracinée en partie dans l’histoire politique de la Turquie. Le Parti de la Justice et du développement (AKP) au pouvoir, s’il s’est éloigné de ses racines islamistes dures pour se rapprocher de la plupart des secteurs de la société turque, n’a néanmoins pas réussi à obtenir beaucoup de soutien auprès des Alevis qui constituent 10 à 15 % des 75 millions de citoyens Turcs. A la différence de l’AKP, les Alaouites tendent à s’aligner que la vision laïque du fondateur de la Turquie, Kemal Ataturk, et sont favorables à une stricte séparation de la religion et de la politique. Et un conflit sectaire pendant les années 1970, qui avait vu des attaques sunnites contre des communautés alevis, a laissé en héritage un sentiment de méfiance entre Alevis et Sunnites.

Les relations se sont améliorées récemment, mais si Ankara devait intervenir en Syrie contre le régime Assad, certains dans la communauté Alevi pourraient être enclins à y voir une nouvelle « attaque sunnite » contre une minorité sœur. Cette probabilité est encore renforcée par le fait que nombreux Alevis sont convaincus d’être semblables aux Alaouites, alors qu’ils n’ont pas liés ethniquement ou religieusement (les Alaouites sont des Arabes et les Alevis sont des Turcs). Il n’est pas rare de rencontrer des Alevis qui, par manque d’éducation religieuse, considèrent qu’Alaouite est simplement un autre nom pour Alevi).

Il existe déjà des signes de divergence entre la position de l’AKP sur la Syrie et la façon dont les Alevis Turcs perçoivent le conflit. Dans un entretien accordé le 9 avril au Wall Street Journal, Selahattin Ozel, président de la fédération des associations Alevis en Turquie, a déclaré, «En tant qu’Alevis Turcs, nous ne soutenons pas un régime inhumain et antidémocratique [en Syrie], mais nous ne comprenons pas pourquoi le premier ministre [Turc] est devenu soudain l’ennemi du gouvernement syrien.»

La plupart des Alevis Turcs sont favorable au Parti Populaire républicain (CHP) d’opposition, qui a critiqué la politique de l’AKP qui consiste à entrer en confrontation avec le régime Assad. Il se trouve que l’actuel leader du CHP, Kemal Kilicdaroglu, est un Alevi et que, dans sa critique à l’égard de la position sur la Syrie de ce dernier, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a fait des insinuations de sectarisme. « N’oubliez pas que la religion d’une certaine personne, » a déclaré Erdogan à ce sujet, « est la religion de son ami.»

Il y a par ailleurs un autre motif d’inquiétudes pour Ankara quant à un risque de débordement des tensions sectaires: plus de 500 000 Arabes Alaouites vivent en Turquie – majoritairement dans la province de Hatay dont la ville principale est Antakya [Antioche] – et près d’un million d’Arabes Sunnites vivent dans le sud de la Turquie. Si le conflit en Syrie devient plus sectaire, il pourrait avoir un écho par delà la frontière chez les Arabes de Turquie, aussi bien Sunnites qu’Alaouites.

J’ai visité récemment Antakya où la Turquie a créé des camps pour héberger les réfugiés qui fuient la répression en Syrie. Sur place, j’ai pu voir une manifestation d’Arabes Alaouites Turcs qui scandaient des slogans hostiles à l’AKP et favorables à Assad. Les commerçants Aalouites de cette ville vendent et exposent fièrement des accessoires pro-Assad. Dans le même temps, la communauté Arabe Sunnite d’Antakya s’active à organiser l’aide au soulèvement anti-Assad et acheminer en contrebande  des fournitures en Syrie.

Compte tenu de tous ces éléments, il semble vraiment possible que la perspective d’une agitation sectaire dans le pays puisse lier les mains de la Turquie dans sa définition d’une politique à l’égard de la Syrie. Ceci dit, c’est un problème qu’Ankara peut encore éviter. A cet effet, il serait essentiel que la Turquie soit capable d’apaiser les inquiétudes de ceux pour qui l’approche du gouvernement en Syrie vise à servir des intérêts sectaires étroits. Pour commencer, le gouvernement devrait arrêter sa propre rhétorique qui joue sur le sectarisme, et tendre expressément la main au CHP et aux Turcs Alevis, pour les informer de la nature humanitaire de sa politique syrienne. Ankara devrait aussi envisager de se tourner vers les Alaouites Syriens pour leur signifier clairement que de hauts responsables Alaouites du régime qui feraient défection auraient la possibilité de trouver refuge en Turquie.

Il y autre chose que la Turquie peut faire. La Turquie a débattu de la mise en place d’un corridor humanitaire qui permettrait à la communauté internationale d’apporter de l’aide aux civils en Syrie. Ankara devrait plaider avec force pour ouvrir le premier corridor de la Turquie vers le cœur de la Syrie alaouite ou dans la ville multiethnique de Lattaquié. Ce qui signalerait l’intention de la Turquie de protéger tous les Syriens. Un tel corridor ne serait pas seulement un pont entre Ankara et les Alaouites, mais peut-être aussi entre les Sunnites Turcs et les Alevis. Et in pourrait permettre de réduire l’opposition interne à une intervention.

Soner Cagaptay est directeur du Turkish Research Program au Washington Institute.


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