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L’armée turque parie sur la défaite des milices kurdes en Syrie

6 octobre 2014

Le blogueur de Moon of Alabama suit avec attention les situations de crise et à cet effet il recourt essentiellement à des informations disponibles au grand public qu’il recoupe ainsi qu’à des informations « privées »qui remontent du terrain.

Il fait le point sur la situation militaire en Irak et en Syrie en apportant des éléments qui donnent à réfléchir.

La situation en Irak et en Syrie

Moon of Alabama, 5 octobre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Un état de la situation à partir de sources d’informations publiques et privées

Dans le nord-est de la Syrie, près de la frontière avec la Turquie, des combattants de l’Etat Islamique (EI) assiègent les combattants kurdes du YPG. Jusqu’à cet après-midi, les médias présents en Turquie pouvaient regarder juste de l’autre côté de la frontière et voir les blindés de l’EI encercler la ville de Kobane. Malgré ces cibles très visibles et facilement identifiables, il n’y a eu aucune frappe aérienne américaine pour contrer l ‘offensive de l’EI et l’armée turque a gardé la frontière fermée.

Ayn al-Arab (Kobane) prise en étau entre l'armée turque et les milices de l'Etat Islamique (Daesh)

Ayn al-Arab (Kobane) prise en étau entre l’armée turque et les milices de l’Etat Islamique (Daesh)

Un obus de mortier, très probablement tiré par l’Etat Islamique, a touché une maison du côté turc. L’armée a alors déclaré le secteur zone interdite et a commencé à évacuer le village. Il y a quelques mois, quand quelque mortier tiré par l’armée syrienne s’égarait de l’autre côté de la frontière et tombait dans des champs de légumes en Turquie, les Turcs ripostaient par des tirs d’artillerie. Il n’y a pas eu de réaction de ce genre quand le mortier de l’EI a frappé aujourd’hui.

Les médias présents dans la zone ont reçu l’ordre de partir et alors qu’ils s’en allaient, les vans qui transportaient les équipes de la BBC et de CNN se sont fait tirer dessus à coup e grenades lacrymogènes par les forces de sécurité turques. Deux vans ont eu leurs fenêtres arrières brisées avec des grenades lacrymogènes entrant dans les véhicules. Les Turcs n’avaient à l’évidence pas envie que les gens puissent savoir ce qui se passe en ce moment à Kobane. Ce soir, les médias kurdes ont rapporté des échanges de tirs à l’intérieur de la ville.

En Irak, l’EI a attaqué aujourd’hui la ville de Ramadi, capitale de la province d’Anbar, dont ils s’est saisi en grande partie. Les forces de sécurité irakiennes auraient quitté la ville.

L’EI contrôle désormais l’axe Hit, Ramadi, Fallojah et l’autoroute 1 entre Bagdad et la Jordanie et l’autoroute 12 entre Bagdad et la Syrie. La seule ville d’importance qui reste entre la zone contrôlée par l’EI à l’ouest e Bagdad et l’Aéroport International de Bagdad est Abou Ghraib où une présence significative de l’EI a déjà été signalée. Si l’EI était en capacité d’utiliser une partie de l’artillerie dont il s’est déjà emparée, il pourrait fermer l’aéroport et ainsi rendre très compliquée toute évacuation des personnels US.

Les Etats Unis ont engagé aujourd’hui des hélicoptères d’assaut AH-64 Apache pour attaquer les positions de l’EI à Ramadi et à Hit. Ce genre d’hélicoptère est vulnérable aux tirs venant du sol et n’auraient pas été utilisés sauf nécessité extrême. Les Apaches sont stationnés sur l’aéroport de Bagdad dans le seul but d’en assurer la protection.

Des mercenaires de l’Armée Syrienne Libre payés par les USA ont pris une position de l’armée syrienne à al-Hurrah, à mi-chemin entre la frontière jordanienne et le sud de Damas. Ils venaient de l’ouest où ils ont pris position avec le Jabhat al-Nosra près de la ligne de démarcation avec Israël sur les hauteurs du Golan où ils sont protégés par l’artillerie israélienne. Des vidéos les montrent utilisant une quantité de missiles TOW livrés par les USA.

lance missile Tow manipulé par un milicien du Harakat Hazm, un groupe djihadiste agréé par Washington

lance missile Tow manipulé par un milicien du Harakat Hazm, un groupe djihadiste agréé par Washington

Un groupe de combattants de Jabhat al-Nosra venant de la région du Golan a essayé d’attaquer une position du Hezbollah dans l’est du Liban. Il est tombé dans une embuscade et a perdu quelque 30 combattants.

Au nord d’Alep, l’armée syrienne a presque refermé le cercle autour de la ville et les insurgés qui ont occupé certaines parties d’Alep seront bientôt sous un siège rigoureux.

Un grand nombre de combattants d’Ahrar al-Sham de la province d’Alep ont aujourd’hui fait allégeance à l’Etat Islamique qui sera bientôt la seule force antigouvernementale dans la ville.

L’Etat Islamique en Irak et au Levant fruit d’une erreur stratégique des Etats Unis?

25 août 2014

Intéressant cet article qui attire l’attention sur les liens entre les organisations « djihadistes » qui font beaucoup parler d’elles en ce moment, notamment en Irak, et les appareils politico-militaires des principales puissances occidentales, c’est-à-dire les Etats Unis, la Grande Bretagne et bien sûr la France (la France UMP comme la France PS faut-il préciser).
L’auteur de l’article, une universitaire, pense que les accointances entre le gouvernement  des Etats Unis et les organisations comme le Front al Nosra sont des erreurs qui viennent répéter d’autres erreurs du même type commises en Libye et en Afghanistan.

Je ne sais pas vous, mais je ne crois pas qu’on se trouve présentement devant des « erreurs » stratégiques parce que je vois mal des officiers du Pentagone répéter en un laps de temps très court des erreurs dont les militaires américains sur le terrain ont eu à payer le prix pour des gains stratégiques finalement minimes (la dislocation de l’URSS ne s’est effectivement pas jouée en Afghanistan mais sur le terrain économique et la rébellion des républiques d’Europe orientale, Pologne en tête).

Si ces prétendues erreurs sont répétées, c’est qu’elles satisfont à une démarche autre que celle qui est affichée par le gouvernement des Etats Unis. Et cette démarche est celle des néoconservateurs dont Robert Parry a montré la persistance de l’influence dans l’administration Obama.
Ces néoconservateurs, qui peuvent être Démocrates ou Républicains, sont avant tout motivés par ce qu’ils jugent être l’intérêt de l’entité sioniste. Pour eux, cet intérêt réside avant tout dans l’affaiblissement des dernières structures ou régimes politiques qui représentent un obstacle à la domination sioniste dans la région.

Les structures et régimes dont nous parlons ici sont le Hezbollah libanais, la Syrie baathiste et la république islamique d’Iran.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la situation en Irak dont le gouvernement de Nouri al-Maliki était un allié très proche du régime iranien, la démission de ce dernier ayant ne l’oublions pas été posée comme préalable à toute assistance par les autorités américaines. Dans l’hypothèse de la confirmation d’un dégel entre Washington et Téhéran, l’Etat Islamique en Irak et au Levant est l’instrument qui pourrait permettre d’annuler en partie le gain stratégique de l’Iran en sortant l’Irak de sa sphère d’influence.

Les terroristes qui nous combattent en ce moment ? Nous venons juste de finir de les entraîner.

Non, l’ennemi de notre ennemi n’est pas notre ami.
par Souad Mekhennet, The Washington Post (USA) 18 août 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Souad Mekhennet

      Souad Mekhennet

Souad Mekhennet, co-auteure de “The Eternal Nazi,” est professeur auxiliaire à Harvard, John Hopkins et au Geneva Centre for Security policy.

Au cours des dernières années, le président Obama, ses amis européens, et même certains alliés du Moyen-Orient, ont soutenu des «groupes rebelles» en Libye et en Syrie. Certains de ces groupes ont reçu une formation, un soutien financier et militaire pour renverser Mouammar Kadhafi et combattre Bachar al Assad. C’est une stratégie qui suit le vieil adage, « L’ennemi de mon ennemi est mon ami», et elle a été l’approche des Etats Unis et de leurs alliés depuis des décennies quand il fallait décider de soutenir des organisations et des mouvements d’opposition.

Le problème est qu’elle n’est pas fiable du tout – et souvent pire que d’autres stratégies. Chaque année on voit de nouveaux cas de retour de flamme avec cette approche. L’échec le plus flagrant et le plus connu est celui de l’Afghanistan où certaines des organisations entraînées (et équipées) pour combattre l’armée soviétique sont par la suite devenues résolument hostiles à l’Occident. Dans cet environnement, al Qaïda avait prospéré et établi les camps où les auteurs des attentats du 11 septembre avaient été préparés. Pourtant, au lieu de tirer des leçons de leurs erreurs, les Etats Unis persistent à les répéter.

Washington et ses alliés ont aidé des organisations dont les membres avaient dès le départ des idées anti-américaines ou anti-occidentales ou qui avaient été attirés par ces idéees dans le temps du combat. Selon des entretiens réalisés avec des membres d’organisations militantes, comme l’Etat Islamique en Irak et le Front al Nosra en Syrie (qui est affilié à al Qaïda), c’est exactement ce qui s’est passé avec certains des combattants en Libye et même avec des factions de l’Armée Syrienne Libre (ASL).

« Dans l’Est de la Syrie, il n’y a plus d’Armée Syrienne Libre. Tous ceux qui étaient dans l’Armée Syrienne Libre [dans cette région] ont rejoint l’État islamique « , dit Abu Yusaf, un haut cadre militaire de l’Etat islamique, qui a fait l’objet d’un article d’Anthony Faiola la semaine dernière dans le Washington Post.

L’Etat Islamique est jusqu’à présent celui qui a le mieux réussi, contrôlant les principaux champs pétroliers et gaziers en Syrie. Il a aussi amassé beaucoup d’argent, d’or (pris dans les banques des zones sous son contrôle) et d’armes au cours de ses combats contre les armées syrienne et irakienne ; « Quand l’armée irakienne a fui Mossoul et d’autres zones, elle a laissé derrière elle le bon matériel que les Américains lui avaient donné, » explique Abu Yusaf.

« De l’Etat Islamique à l’armée du Mahdi, on voit des organisations qui ne sont à la base pas de nos amies mais qui montent en puissance parce que nous avons mal géré les situations, » affirme un haut responsable américain des services de sécurité qui s’est exprimé sous condition d’anonymat.

Certains officiels de services de renseignements arabes et européens ont aussi expprimé leurs inquiétudes et leur frustration à propose de ce qu’ils qualifient d’erreurs commises par les Etats Unis dans la gestion des soulèvements dans les Etats arabes. « Nous avons été tr-s vite informés de l’utilisation par des organisations extrémistes du vide laissé par le Printemps arabe, et du fait que cerains de ceux que les Etats Unis et leurs alliés avaient entraînés pour combattre pour la ‘démocratie’ en Libye et en Syrie avaient un agenda djihadiste – – et avaient déjà rejoint ou rejoindraient par la suite le Front al Nosra ou l’Etat Islamique, » déclarait un haut responsable arabe du renseignement dans une récente interview. Il affirmait que ses homologues américains lui disaient souvent des choses comme, « Nous savons que vous avez raison, mais notre président et ses conseillers à Washington n’y croient pas. » Ces organisations, disent des officiels de services de sécurité occidentaux, sont des menaces non seulement pour le Moyen Orient mais aussi pour les Etats Unis et l’Europe, où ils ont des membres et des sympathisants.

Les dires des officiels ont été corroborés par des membres de l’Etat Islamique au Moyen Orient et hors du Moyen Orient, dont par Abu Yusaf, le responsable militaire. Dans plusieurs entretiens conduits ces deux derniers mois, ils ont décrit comment l’insécurité pendant le Printemps Arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser la stratégie occidentale –consistant à soutenir et à entraîner des organisations qui combattent les dictateurs – dans leur propre intérêt. « Il y avait [aussi]… quelques Britanniques et Américains qui nous entraînaient pendant le Printemps Arabe en Libye, » dit un homme qui se désigne lui-même sous le nom d’Abu Saleh et qui n’a accepté d’être interviewé qu’à condition que son identité reste secrète.

Abu Saleh, originaire d’une ville près de Benghazi, affirme que lui et un groupe d’autres Libyens ont reçu un entraînement et un soutien de la part des armées et des services secrets de la France, de la Grande Bretagne et des Etats Unis – avant de rejoindre le Front al Nosra ou l’Etat Islamique. Des sources militaires arabes et occidentales interrogées pour cet article ont confirmé les dires d’Abu Saleh sur « l’entraînement » et « l’équipement » fournis aux rebelles en Libye pendant les combats contre le régime de Kadhafi.

Abu Saleh a quitté la Libye en 2012 pour la Turquie et s’est ensuite rendu en Syrie. « D’abord, j’ai combattu dans les rangs de ce qu’on appelle ‘Armée Syrienne Libre’ mais je suis ensuite passé avec al Nosra. Et j’ai déjà pris la décision de rejoindre l’Etat Islamique quand mes blessures seront guéries, » déclare cet homme de 28 ans depuis un hôpital en Turquie où il reçoit des soins médicaux. Il a été blessé au cours d’une bataille avec l’armée syrienne, dit-il, et a été amené en Turquie sous de faux papiers. « Certains des Syriens qu’ils [les Occidentaux] ont entraîné ont rejoint l’Etat Islamique, d’autres le Front al Nosra, » dit-il en souriant. Il ajoute, « Quelques fois, je plaisante à la cantonade en disant que je suis un combattant fabriqué par l’Amérique. »

Pendant longtemps, des Etats arabes et occidentaux ont soutenu l’Armée Syrienne Libre non seulement avec de la formation mais aussi avec des armes et d’autres matériels. Le commandant de l’Etat Islamique, Abu Yusaf, ajoute que les membres de l’Armée Syrienne Libre qui avaient reçu un entraînement – par des officiers d’armées arabes, des armées turque et américaine dans une base américaine dans le sud de la Turquie – ont maintenant rejoint l’Etat Islamique. « Maintenant, beaucoup des membres de l’ASL que l’Occident avait entraînés rejoignent nos rangs, » dit-il en souriant.

Ces militants se préparent pour le moment où les gouvernements occidentaux agiront. « Nous savons que les Etats Unis s’en prendront à l’Etat Islamique à un moment donné, et nous y sommes prêts. Mais ils ne devraient pas sous-estimer la réponse qu’ils recevront, » déclare un sympathisant de l’Etat Islamique en Europe qui se présente sous le nom d’Abu Farouk. Il ajoute que le « soutien inconditionnel » des Etats Unis pour le gouvernement du premier ministre sortant Nouri al Maliki qui, dit-il, a opprimé les Irakiens sunnites, et les « cajoleries » de l’Amérique à l’égard de l’Iran, qui est majoritairement chiite, ont fait de l’Etat Islamique une alternative plus attractive pour certains sunnites mécontents de ce deux poids deux mesures.

« Grâce au Printemps Arabe et à l’Occident qui combat tous ces dirigeants pour nous, nous avons eu assez de temps pour nous développer et recruter au Moyen Orient, en Europe et aux Etats Unis, » déclare Abu Farouk. Il sourit et observée une pause de quelques secondes. « En fait, nous devrions dire, merci M. le président. »

La Syrie et la stratégie saoudienne d’embrasement régional

26 octobre 2013

Dans l’article que je vous propose, Vijay Prashad essaye de situer les développements de la situation en Syrie dans leur contexte régional en insistant sur le rôle de l’Arabie Saoudite.

Selon lui, les milices se l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) sont désormais en position absolument dominante dans les rangs de l’opposition armée au régime syrien.

Si la situation militaire est pour l’instant relativement figée entre l’opposition armée d’une part et les forces gouvernementales d’autre part, cela ne signifie pas que les choses ne peuvent pas bouger.

Cette impasse ne saurait en effet durer éternellement et deux chemins semblent possibles pour en sortir, chacun d’entre eux ayant des implications différentes.

Le premier chemin est celui de la négociation sous les auspices de l’ONU entre les autorités en place et le(s) opposition(s). C’est le chemin que semble commander la sagesse même si on sait qu’il faudra du temps avant qu’une telle négociation aboutisse, en admettant cependant qu’elle commence puisque si le gouvernement syrien souffle le chaud et le froid sur cette question, l’opposition regroupée dans la Coalition au nom à rallonge (qu’on appellera CNS par commodité) se fait tirer l’oreille et fixe un préalable inacceptable pour les autorités de Damas, à savoir la démission du président Bachar al-Assad.

Le deuxième chemin est celui de l’aggravation de la guerre par son extension à l’Irak et au Liban.

C’est ce chemin qu’a choisi l’EIIL en accord semble-t-il avec l’Arabie Saoudite (ou à son instigation. Et l’EIIL a déjà entrepris de concrétiser cette option stratégique par des actions militaires visant à s’assurer le contrôle de la route Bagdad – Beyrouth, ce qui lui permettrait de faire circuler dans de bonnes conditions armes et combattants dans les deux sens.

Les choix de l’EIIL ont parfaitement été compris par l’armée syrienne qui entend au contraire s’assurer le contrôle complet de la frontière avec le Liban tandis que l’armée irakienne a pour l’instant mis en échec la tentative de l’EIIL de prendre le contrôle du segment irakien de la route Bagdad – Beyrouth.

L’inclusion de l’Irak dans la guerre livrée par l’EIIL est déjà chose faite tandis que celle du Liban devrait bientôt commencer, les signes avant coureurs en étant les affrontements à Tripoli et dans les villages libanais frontaliers avec la Syrie.

Le corridor d’al Qaïda à travers la Syrie

par Vijay Prashad, The Hidu (Inde) 25 octobre 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ce n’est plus l’Armée Syrienne Libre, mais l’Etat islamique d’Irak et du Levant (EIIL) qui constitue une menace sérieuse pour le régime d’Assad

Mardi soir, des kamikazes et des hommes armés ont attaqué des points de contrôle irakiens le long de la route N°11, qui relie Bagdad à la Syrie via Ramadi. Ils ont déclenché des explosions au poste de contrôle de Routba ainsi qu’à d’autres checkpoints un peu à l’ouest de Ramadi. Trente-sept personnes ont été tuées dans ces attaques, en majorité des membres des services de sécurité. La route N°11 est la route du sud de l’Irak vers la Syrie. L’autre route qui relie Bagdad à la Syrie est l’autoroute N°12, qui passe au nord de Ramadi dans les villes de Anan et Rawah, le long de l’Euphrate et dans la ville syrienne de Raqqa. La semaine dernière, des combattants de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) ont attaqué les villes de Anan et Rawah, détruisant un pont et essayant de détruire des pylônes électriques. L’armée irakienne a pu contrer l’attaque de l’EIIL sur Rawa, et a ainsi déjoué la tentative de l’EIIL de s’emparer des villes qui lui auraient permis de contrôler l’autoroute N°12. Le vice-Premier ministre Saleh Iraq al-Mutlaq a déclaré que l’attaque de la semaine dernière était une «tentative désespérée d’al-Qaïda [EIIL] pour s’implanter en Irak. » Il semble probable que l’EIIL a décidé d’essayer de prendre le contrôle de l’autoroute N°11 après que son attaque sur la route N°12 a été repoussée.

route syrie

La route qui relie l’Irak au Liban via Raqqa est partiellement sous contrôle de l’EIIL

Le mois dernier, l’EIIL a obtenu des succès remarquables. Son opération, baptisée Elimination de l’Impureté, a expulsé ou absorbé les unités de l’Armée Syrienne Libre tout au long du flanc nord de la Syrie. La ville d’Azaz à la frontière syro-turque est aux mains de l’EIIl depuis un mois. A partir d’avril, l’EIIL a commencé à attirer à lui toutes les factiosn salafistes plus petites, dont le Jabhat al Nosra (non sans heurts) et des éléments d’Ahrar el Cham (dont le chef Abou Obeida al’Binnishi avait été tué par l’EIIL en septembre). Un nouveau rapport de l’International Crisis Group daté du 17 octobre observe que l’EIIL est désormais «l’organisation la plus puissante dans le nord et l’est de la Syrie et profitait de son contrôle sur les champs pétroliers.» L’analyste Aymenn Jawad al-Tamimi affirme que l’EIIL ne peut être délogé de ses places fortes dans le nord et l’est de la Syrie par aucune coalition de l’ASL et de ses alliés. De fait, dans les derniers mois, l’EIIL a gravement affaibli le potentiel militaire de l’ASL, après avoir tué en juillet Kamal Hamami, un de ses plus importants chefs de bataillons, et avoir attiré à lui nombre de ses combattants locaux. L’Armée Syrienne Libre ne représente plus une véritable menace pour le gouvernement syrien.

Une situation déplorable

La principale voix séculière du soulèvement en Syrie, Yassin al Haj Saleh, qui vivait dans la clandestinité dans son pays pendant la guerre civile, s’est enfui à l’étranger le 12 octobre. Dans sa lettre ouverte, «Adieu à la Syrie, pour un certain temps», M. Saleh écrit que sa ville d’origine, Raqqa, est passée sous le contrôle des «spectres qui hantaient notre enfance, les ogres.» La situation à Raqqa, écrit M. Saleh, est déplorable. C’était dur de voir «des étrangers l’opprimer et tenir en main le destin de sa population, confisquant les biens publics, détruisant une statue d’Haroun al-Rachid ou profanant une église, arrêtant des gens qui disparaissent ensuite dans leurs prisons.

Le départ de Syrie de M. Saleh indique que les choses ont empiré par rapport à l’été dernier quand le chercheur Yasser Munif s’était rendu dans le nord du pays et avait constaté qu’à Raqqa, «les gens sont de plus en plus critiques à l’égard de l’EIIL et d’al-Nosra.» Il semble que cet espace laissé à la critique interne de l’EIIL est manitenant plus restreint. Les affiches qui promeuvent les vues de l’EIIL abondent à Raqqa, laissant entendre une mise en sourdine des rivalités entre les diverses factions islamistes. Comme l’observe el-Tamimi, dans les manifestations publiques les bannières de l’EIIL et du jabhatal Nosra flottaient côte à côte.

En juillet 2013, l’EIIL avait organisé une évasion massive à la prison irakienne d’Abou Ghraib, libérant 500 détenus. L’EIIL avait eu recours à des voitures piégées, des kamikazes et des miliciens pour cette opération. L’EIIl avait ensuite dirigé ces combattants vers la frontière irako-syrienne dans le but d’essayer de prendre le contrôle des points de passage frontaliers dans le cadre de leur projet d’établir un corridor pour relier Ramadi en Irak à Tripoli dans le nord Liban (un affrontement dans cette ville a causé la mort d’un garçon de13 ans le 23 octobre). Les attaques de la nuit du 22 octobre s’inscrivaient dans ce scénario.

L’EIIL et sa forme de radicalisme sont un produit du financement de la rébellion par le Qatar et l’Arabie Saoudite. L’argent des Arabes du Golfe ainsi que des combattants étrangers et un groupe de combattants Syriens motivés ont donné l’avantage à l’EIIL. Dans le même temps, tandis que l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite a permis à leur client de dominer les autres rebelles sur le champ de bataille, l’influence de ces deux monarchies a empêché l’unification des rangs et le développement d’un agenda par les dirigeants de la rébellion. En trois ans, la Coalition Nationale des Forces Syriennes Révolutionnaires et d’Opposition (CNS) a été incapable de formuler un programme clair pour la Syrie. Cette absence [de programme] n’est pas dû à un manque d’imagination, mais à la subordination du CNS aux rivalités mesquines entre ses bienfaiteurs Arabes du Golfe. Le CNS s’était mis lui même dans l’impasse quand il avait en fin de compte laissé faire une révolution de palais pour écarter Mo’az al-Khatib de son poste [de leader du CNS]. Après d’intenses luttes intestines, le CNS avait finalement désigné Ahmad Saleh Touma en qualité de premier ministre. Ghassan Hitto avait démissionné car on le voyait comme trop proche du Qatar dont l’étoile commençait à pâlir. Le président actuel est Ahmad Jarba, qui a des liens étroits avec la monarchie saoudienne. Vers la fin septembre, les islamistes ont rejeté le CNS. Abdul Qader Saleh, le chef de la Brigade Tawhid [unicité de Dieu] d’Alep, a fait savoir qu’ils [les islamistes] envisageaient de former une alliance islamique (al-tahaluf al-islami). Le chercheur Aron Lund considère que les islamistes ne sont pas allés au delà d’une simple proposition. La marque des rivalités entre Arabes du Golfe traverse profondément la coalition.

L’agenda saoudien

Malgré les gains obtenus par l’EIIL dans le nord de la Syrie, l’agenda de l’Arabie Saoudite pour la Syrie est bloqué. En l’absence d’intervention militaire étrangère, l’EIIL sera incapable de renverser le régime en place à Damas. – c’est une des raisons pour lesquelles l’EIIL a décidé de s’emparer des postes frontaliers (avec l’Irak, la Turquie et le Liban). Une confrontation dangereuse va probablement avoir lieu dans la région de la Ghouta occidentale près de Damas, mais elle ne débouchera sur aucun gain stratégique significatif pour quiconque. Ce sera un bain de sang sans résultat substantiel, comme une bonne partie de ce qui se passe maintenant dans cette guerre. Incapable d’avancer dans le centre du pays, l’EIIL revendique les marges de la Syrie. L’Arabie Saoudite s’attendait à ce que les Etats Unis bombardent la Syrie en septembre, ce qui aurait affaibli le pouvoir d’Assad et permis à ses clients de prendre le pouvoir (l’Arabie Saoudite est aussi déçue par l’acceptation par les Etats Unis de l’ouverture iranienne pour des discussions). La route de Damas semblant fermée, l’EIIL s’est adonné avec plus de force à la violence nihiliste dans les régions qu’il contrôle – pas vraiment le résultat espéré par l’Arabie Saoudite. C’est la raison pour laquelle le Prince Bandar bin Sultan, qui assure la liaison avec les rebelles, a parlé de réévaluer la relation de l’Arabie Saoudite avec les USA, et c’est aussi la raison qui a conduit l’Arabie Saoudite à refuser d’occuper le siège qu’elle venait tout juste d’obtenir au Conseil de Sécurité de l’ONU. L’Arabie Saoudite avait soutenu les Talibans dans les années 1990 avec l’idée que ce mouvement modérerait son idéologie avec le temps. Il n’en fut rien. Il semble que la monarchie veuille faire encore le même pari, en dépit d’un précédent défavorable.

Le type de violence qui a éclaté la nuit du 22 octobre est devenue chose courante en Irak, avec plusieurs milliers de morts cette année (presque 500 rien que pour ce mois). La guerre en Syrie, bloquée dans une impasse douloureuse, s’est déplacée vers l’Irak, un pays déjà affligé par la guerre et la dévastation dans son histoire récente. Ici, les «visages qui se durcissent sous un masque de tristesse» comme l’écrit le poète Syrien Adonis, regardent les civilisations s’effondrer pour de vulgaires desseins géopolitiques. L’ombre d’al Qaïda s’installe sur l’Irak et la Syrie, durcissant encore plus les traits des Syriens et des Irakiens ordinaires. Le moment du lancement d’une offensive générale de l’EIIL au Liban se rapproche nécessairement ainsi que le donnent à penser les affrontements à Tripoli et dans les villes frontalières. Les discussions pour un cessez-le-feu et les négociations à Genève sont fort éloignées dans la désolation qui est venue envelopper les routes qui relient Beyrouth à Bagdad, un trajet qui aurait pu être fait assez tranquillement il y a un siècle mais qui connaît aujourd’hui la tourmente des fusils et de la frustration.

(Vijay Prashad est titulaire de la chaire Edward Saïd à l’Université Américaine de Beyrouth, Liban)

Turquie: le retour de flamme d’une politique syrienne désastreuse

30 juillet 2013

Recep Tayyip Erdogan brigue le poste de président de la république turque, une ambition somme toute justifiée pour quelqu’un qui ne passe pas inaperçu sur la scène internationale.

A son actif, on considère généralement qu’il a placé l’économie de son pays sur de bons rails et mis en route un processus qui devrait aboutir à la paix avec les rebelles kurdes.

Il estime aussi avoir posé la Turquie en exemple de démocratie dont pourraient s’inspirer d’autres pays musulmans, notamment ceux qui ont été concernés par le fameux «printemps» arabe. Et c’est sa position sur les évènements dans la Syrie voisine qui est supposée démontrer la profondeur de l’engagement d’Erdogan en faveur de la démocratie dans les pays arabes : accueil de réfugiés syriens, soutien à la direction politique de l’opposition syrienne, bases de repli en territoire turc pour les milices syriennes, facilités pour l’entraînement et le renseignement.

Côté passif, si on veut bien considérer qu’une fois élu un chef de l’Etat doit incarner une figure rassembleuse, son bilan sera lourdement grevé par la mobilisation d’une partie importante de l’opinion déclenchée par un projet de construction d’un centre commercial sur un des rares espaces verts d’Istanbul, la capitale économique et culturelle du pays.

Je ne vais pas parler du bilan économique du gouvernement Erdogan. Il faut par contre souligner que les acquis de sa politique aussi bien avec les Kurdes qu’avec la Syrie ne tarderont sans doute pas à apparaître pour ce qu’ils sont en réalité : des échecs cuisants qui ne seront pas sans conséquences en Turquie même.

Pour comprendre ce que je veux dire, il suffit de parcourir Hürriyet, un journal turc indépendant du pouvoir qui nous propose ce titre aujourd’hui (traduit de l’anglais par Djazaïri) :

Les soldats turcs tirent des grenades lacrymogènes sur 2 000 contrebandiers à la frontière syrienne

 

Les soldats turcs ont tire des coups de semonce et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser une foule d’environ 2 000 contrebandiers qui essayaient d’entrer en Turquie depuis le territoire syrien,  a déclaré l’armée turque aujourd’hui.

Selon un communiqué écrit de l’état-major, des militaires ont lancé des avertissements au groupe [de contrebandiers] aussi bien en arabe qu’en turc, cependant le groupe a refusé de se disperser près de la ville frontalière d’Oğulpınar, dans la province méridionale du Hatay. 

Dans le même temps, un groupe de 350 muletiers dans un autre secteur à proximité ont jeté des pierres sur lés véhicules de patrouille de l’armée avant que les soldats tirent en l’air, a indiqué l’armée. La déclaration précise aussi qu’il n’y a pas eu de victimes. 

Cet incident est intervenu au lendemain de l’annonce par l’armée turque de l’utilisation par des soldats de gaz lacrymogènes pour disperser un groupe d’environ 1 000 contrebandiers également près de la ville frontalière d’ Oğulpınar.

Une réunion d’urgence pour évaluer les derniers développements à la frontière avec la Syrie se tiendra aujourd’hui au bureau du premier ministre à Ankara, rapporte le quotidien Hürriyet sur son site web.

La réunion sera présidée par le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan. Le chef d’état major, le général Necdet Özel, qui doit rencontrer Erdoğan à 16h30 participera aussi à la réunion, indique le journal.

2 000 contrebandiers! Autant dire que les autorités turques ne maîtrisent plus grand chose à leur frontière sud-est et que la situation devient de plus en plus problématique, une évolution dont la responsabilité incombe entièrement au pouvoir turc.

Parce que, avant de  s’allier avec la France, la Grande Bretagne et les Etats Unis pour attiser les flammes en Syrie, Recep Tayyip Erdogan et son ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu auraient dû réfléchir au fait que leurs « amis»  occidentaux sont protégés des conséquences immédiates de la crise syrienne par le simple fait qu’ils en sont éloignés par des milliers de kilomètres.

Erdogan et Davutoglu se sont en effet comportés comme quelqu’ un  qui attise le feu dans la maison de son voisin sans imaginer un seul instant qu’il accroît le risque que ce feu se propage dans sa propre maison !

Et le problème que vit aujourd’hui la Turquie à sa frontière sud-est risque de perdurer, quelle que soit l’issue du conflit en Syrie, que le régime en place l’emporte ou non :

C’est de fait un Etat dans l’Etat qui s’est constitué au Hatay sous les auspices d’un gouvernement turc qui aura sans doute bien du mal à faire rentrer dans sa boîte le «diable» qu’il a encouragé à combattre les autorités du pays voisin.

Ce «diable» ignore les frontières et pour lui, le Hatay fait partie de la Syrie [ou d’un Etat musulman à créer] et c’est là un point où il est d’accord avec Bachar al-Assad.

Mais à la différence de Bachar al-Assad, les takfiristes et autres «djihadistes» vont faire, et font déjà, comme si la frontière n’existait plus.

Si cette situation n’est déjà pas reluisante telle quelle, elle risque de s’envenimer aussi bien en cas de victoire que de défaite des «rebelles.»

En effet, en cas de victoire les rebelles parvenus au pouvoir à Damas (ou à Alep) revendiqueront officiellement la province du Hatay. En cas de défaite, ils seront contraints de refluer en masse dans la province où ils animeront une guérilla cette fois hostile au gouvernement turc.

Du côté de la question kurde, après une vague d’optimisme que je qualifierais de béat, les problèmes reviennent en force et passent aussi par la Syrie où les Kurdes essayent d’affirmer leur autonomie et semblent avoir repris le dessus sur les forces syriennes d’opposition armée, c’est-à-dire les divers mouvements djihadistes-salafistes-takfiristes dont une partie est affiliée à l’Armée Syrienne Libre (ASL) , ce qui ne laisse pas d’inquiéter le gouvernement turc ainsi qu’on peur le lire aussi dans l’édition de ce jour de Hürriyet  (traduit de l’anglais par Djazaïri): 

Le vice premier ministre Bülent Arınç a appelé les organisations kurdes en Syrie à ne pas se ranger du côté du régime d’al-Assad

 

Le vice premier ministre Bülent Arınç a appelé les organisations kurdes en Syrie à ne pas se ranger du côté du régime d’al-Assad et les a exhortés à soutenir l’opposition.

 Arınç a dit que le régime syrien cherchait à exploiter les Kurdes et d’autres groups de lé region du nord pour  s’en server de carte contre la Turquie. «Quand Assad s’en ira, et qu’un régime démocratique sera établi avec un parlement et des élections, alors tout le monde sera également représenté,» a déclaré Arınç  le 29 juillet sur TRT, une chaîne de télévision publique.

“Tout ce que nous demandons à la formation là-bas [les Kurdes du nord syrien] est de ne pas coopérer avec al-Assad. Devenez membres de l’opposition et n’essayez pas de prendre le contrôle [du territoire] par fait accompli [en français dans le texte] ,» a-t-i ajouté. 

 «Votre présence et des droits à une citoyenneté égale seront reconnus et une constitution sera rédigée après al-Assad. Si vous rangez du côté de l’opposition, vous éviterez de vous charger des péchés du régime,» a-t-il dit. 

Des responsables turcs ont rencontré la semaine dernière le chef du Parti de l’Union Démocratique (PYD), Saleh Muslim, et ils ont fait part de leurs vives préoccupations au sujet du «fait accompli» qui impose de facto une région kurde autonome dans le nord syrien.  

Il faut reconnaître qu’il est assez piquant, et même drôle, de voir un éminent dirigeant politique turc promettre joie et félicité aux Kurdes en Syrie quand on sait ce qu’il en est des Kurdes en Turquie.

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          Bülent Arınç

C’est que Bülent Arınç ne comprend pas, ou feint de ne pas comprendre, que les Kurdes ont un projet national. Et qu’en contribuant à affaiblir le pouvoir de Damas, le gouvernement turc a ouvert de nouvelles perspectives au mouvement national kurde à l’échelle de toute la région du Moyen Orient. 

C’est cette occultation ou non perception de l’aspect national de la question kurde qu’aborde Nuray Mert dans l’édition du 29 juillet de Hürriyet. Elle traite cette question avec les précautions de langage en vigueur quand on s’exprime sur la question kurde en Turquie et qu’on ne veut pas perdre son emploi ou être déféré devant les tribunaux. 

Le ‘fait national’ kurde

Par Nuray Mert, Hürriyet 29 juillet 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

 

Le principal problème dans la vie politique turque par rapport aux Kurdes, c’est que les “Turcs” ne peuvent en aucun cas admettre la perspective de voir les Kurdes se gouverner eux-mêmes. Les Turcs en général, et le gouvernement actuel en particulier, résistent à l’idée d’un « sentiment national » kurde et point final. Les Kurdes sont peut-être attardés mais le problème kurde est un «problème national» et cette réalité doit d’abord être reconnue. Sinon, les politiques de la Turquie concernant les Kurdes à l’intérieur et à l’échelle régionale ne déboucheront sur rien de positif. 

Récemment, ce sont les Kurdes de Syrie et leur Parti de l’Union Démocratique (PYD) qui est devenue la cible de la controverse. Au tout début, il y a un an, la Turquie avait réagi très sévèrement quand le PYD avait déclaré une sorte d’autonomie dans les régions kurdes. Même si la Turquie a adouci son discours contre les Kurdes de Syrie du nord et leur PYD, l’idée fondamentale selon laquelle les Kurdes ne devraient constituer aucune entité politique n’a pas changé.

Fait assez intéressant, la Turquie n’avait pas exprimé d’inquiétude quand les postes frontaliers avaient été conquis par les organisations islamistes radicales, mais s’est alarmée de la prise de ces positions par le PYD. Réagissant aux affrontements en cours entre les organisations islamistes radicales et le PYD le long de la frontière syrienne , le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu a présenté plusieurs exigences aux Kurdes syriens. Premièrement, ils ne doivent pas coopérer avec le régime. Deuxièmement, ils ne devraient pas constituer une entité de facto sur des bases ethniques ou sectaires,» a-t-il dit. En fait, pour l’instant, les Kurdes se sont arrangés sur la base de leurs propres décisions politiques pour éviter de collaborer avec le régime ; il semble donc qu’on n’a pas à leur faire la leçon sur ce point. Ensuite, les Kurdes luttent pour leurs droits et libertés en tant qu’entité politique qui se définit elle-même plus comme une nation que comme une ethnie. Enfin, ils n’ont pas l’air de rechercher une assistance de la Turquie pour définir leurs propres politiques, mais ils demandent simplement des relations amicales. Ce qui n’empêche pas la Turquie de ne pas renoncer à dire aux Kurdes ce qu’ils doivent faire.

Les Kurdes appellent maintenant à une conférence à Arbil pour mettre l’accent sur la «cause nationale» et «l’unité nationale.»  Ce sera la dernière de quatre conférences à se tenir dans le cadre du «processus de paix» et c’est Abdulah Öcalan qui l’avait proposée.  L’appel a été lancé au nom de trois dirigeants kurdes – Jalal Talabani, Masoud Barzani et Öcalan. Le PYD et le PKK seront représentés à la conférence en qualité de partis kurdes. En bref, ce sera une «conférence nationale» à part entière et la Turquie ne semble pas l’avoir compris. En fait, cette conférence va être le point d’orgue du «processus de paix» depuis qu’Öcalan a réussi é élever ce processus au niveau national [de la nation kurde, NdT]. Par ailleurs, la question des Kurdes de Syrie sera reconnue comme une parie de la «question nationale.» La Turquie devrait reconnaître ces faits, le plus tôt sera le mieux, au lieu de se bercer d’illusions avec sa politique futile de manipulations des acteurs politiques kurdes.

Hélas, sans même parler de reconnaître les faits, le processus de paix reste géré comme un jeu pour gagner du temps jusqu’aux élections. Le gouvernement considère encore le traitement de la question kurde comme un problème de citoyenneté égale, de quelques droits culturels et de gestes de courtoisie. C’est pourquoi le premier ministre et le gouvernement continuent avec insistance à exprimer une attitude très condescendante à l’égard des Kurdes et présentent le processus de paix comme un geste bienveillant de la part des Turcs et de leur gouvernement. Tant que le gouvernement et en fait, nous tous Turcs , refuserons d’admettre le fait que la question kurde est une question nationale [i.e. relative à la nation kurde], nous ne serons pas capables d’avancer.

A vrai dire, je ne suis pas pour le séparatisme kurde et les Kurdes ne semblent pas être pour non plus [ceci est le passage obligé pour ne pas perdre son emploi ou pour ne pas être traduit en justice, note de Djazaïri]. Il est parfaitement compréhensible que les Turcs désirent vivre dans les mêmes frontières que les Kurdes, mais c’est quelque chose qui vient encore s’opposer à leur appartenance nationale.

Nuray Mert est journaliste et maître de conférences à l’université d’Istanbul. Elle est dans le collimateur du premier ministre turc qui n’apprécie guère ses écrits, ce qui lui a coûté un emploi d’éditorialiste au journal Milliyet et l’animation d’une émission politique à la télévision. 

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Nuray Mert

On peut dire que Nuray Mert met les pieds dans le plat et met carrément en doute le sérieux politique du processus de paix engagé par les autorités d’Ankara avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). 

Je partageais ces doutes  depuis le début, compte tenu  d’abord du fait que l’accord sur le processus de paix a été obtenu avec un Abdullah Öcalan prisonnier, ce qui n’est pas une démarche très saine d’autant que ce prisonnier n’a pas été libéré depuis. 

Une autre invitation au scepticisme tient au fait que le vocabulaire des autorités turques pour désigner les miliciens kurdes n’a pas changé et qu’il est toujours question de terroristes.

Comme on vient de le voir, ce scepticisme se lit ouvertement aujourd’hui dans la presse turque et il est lié, comme on l’a vu également aux évolutions sur le terrain en Syrie 

Et aujourd’hui, c’est Abdullah Öcalan en personne qui  vient donner du grain à moudre aux sceptiques :

Öcalan, le leader du PKK emprisonné menace d’abandonner le processus de paix, affirme sa soeur.

ISTANBUL – Doğan News Agency Hürriyet, 30 juillet 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri 

 

Le chef emprisonné du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK illégal) Abdullah Öcalan, affirme qu’il quittera le processus de paix s’il continue à être sur «cette voie,» selon sa sœur Fatma qui s’est adressée à la presse suite à une visite [rendue à son frère] sur l’île d’Imrali [où il est détenu].

 

Öcalan a dit à sa soeur et à son oncle Süleyman Arslan qu’il « abandonnera si le processus de paix continue sur cette voie » et qu’il se «retirerait, et observerait simplement.»

Questionné sur ce qui gênait le leader du PKK incarcéré dans le processus, Fatma a dit aux journalistes qu’il était «gêné par le fait qu’il y avait une non paix.»

 

«Il est las de la prison maintenant. Ce n’est pas comme ça que ça devrait se passer,» a déclaré Fatma, ajoutant qu’ils avaient vécu un moment difficile à supporter «ce lieu clos» pendant une demi-heure où le dirigeant condamné doit purger sa peine.

Fatma a refusé d’entrer plus avant dans les détails de la conversation, observant que c’était “d’ordre familial”

Une demande de conférence de presse par öcalan a été rejetée par le gouvernement actuel pour des raisons d’ordre «juridique» selon le vice premier ministre Bülent Arınç.

Öcalan avait exprimé son souhait d’organiser un point de presse depuis sa prison sur l’île d’Imrali, exhortant le gouvernement à progresser plus vite vers l’étape suivante du processus de paix et d’avancer les discussions sur les réformes au 21 juillet, selon une déclaration rendue publique par le Parti de la Paix et de la Démocratie (BDP).

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Imrali est une île qui se trouve dans la mer de Marmara

 

Syrie: au tour des rebelles de faire défection

25 juillet 2013

Je vous propose en traduction intégrale un article dont des extraits sont déjà disponibles sur internet, chez Allain Jules par exemple.

Cet article expose une démarche importante du gouvernement syrien qui consiste à encourager les défections parmi les membres des groupes de combattants rebelles.

Grosso modo, c’est un dispositif qui ressemble à celui de la «concorde civile» qui a contribué à l’arrêt presque complet des hostilités en Algérie. Il rappelle aussi la « paix des braves» que le général de Gaulle avait proposée aux moudjahidine de l’Armée de Libération Nationale (ALN).

La «concorde civile » a fonctionné en Algérie, non sans grincement de dents, tandis que l’offre gaullienne n’avait rencontré pratiquement aucun écho.

C’est que la valeur de ce dispositif ne lui est pas entièrement intrinsèque mais dépend beaucoup de la situation militaire et politique sur le terrain.

La « paix des braves » avait trouvé en face d’elle un FLN et une ALN unis sur une ligne politique claire assise sur un large soutien populaire.

La « concorde civile » avait permis d’éponger des maquis disparates (dont certains étaient sans doute des contre maquis), sans objectif politique précis, si ce n’est réaliste dans le contexte plus général d’une population lasse des tueries et des destructions. Par ailleurs, sans être vraiment devenu démocratique, le système politique est resté ouvert au multipartisme, certains partis ayant même accepté de composer avec le pouvoir en place. A quoi il faut ajouter que la hausse des prix des hydrocarbures a permis de donner satisfaction à une partie de la base sociale de l’ex Front Islamique du Salut… Gare à une éventuelle future chute des prix des hydrocarbures, vu que le pays vit encore largement sur le mode rentier.

La situation syrienne est assez proche de celle de la guerre civile en Algérie, à la différence près que les forces rebelles ont adopté une stratégie de prise de contrôle des villes, et même des grandes villes là où l’opposition armée en Algérie était surtout active dans les campagnes.

C’est cette stratégie de contrôle des zones urbanisées qui a donné son caractère spectaculaire au conflit syrien avec ces images de villes en partie détruites.

Cette stratégie nous informe au demeurant sur la nature des principaux acteurs proprement syriens de l’opposition armée : tout simplement d’anciens militaires de carrière dont le projet s’inscrit certes en opposition avec le régime en place mais sur un principe qui n’est pas différent d’autres épisodes plus anciens de défections, parfois dans le cercle familial même de l’actuel chef de l’Etat.  Ce qui a changé, c’est le contexte régional qui leur a ouvert des perspectives inespérées (le fameux « printemps » arabe).

Ces gens là n’on bien sûr aucun projet démocratique.

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Ahmed Jarba, Le chef de la coalition syrienne qui vient d’être reçu à Paris et ce prince saoudien ont deux points communs: ils sont démocrates et polygames

Leurs fantassins sont par contre des citoyens Syriens, Les relations de ces derniers avec le commandement de l’Armée Syrienne Libre (ASL) restent cependant lâches et leurs motivations comme leurs affiliations peuvent varier, parfois en fonction de qui paye, soit que ces fantassins combattent pour l’argent, soit plus simplement qu’ils ont des familles à nourrir.

Ce sont ces combattants qui sont les plus susceptibles de céder à la tentation de l’offre d’amnistie gouvernementale. Parce que, si on en croit l’article, certains d’entre eux considèreraient non seulement que la bataille est perdue mais que le sens du combat actuel ne correspond pas du tout à ce qui les avait motivés au début.

En tout cas, c’est avec ce levier de l’amnistie que l’armée syrienne a pu obtenir la reddition d’une bonne partie des combattants assiégés dans al Qusayr. Et c’est aussi pour cette raison que la bataille d’al Qusayr n’a pas tourné à la boucherie que d’aucuns prédisaient.

La stratégie de «concorde»» rencontre cependant en Syrie des obstacles qui n’existaient pas dans la guerre civile en Algérie : la présence de nombreux combattants étrangers, dans l’encadrement notamment ainsi que l’afflux d’argent et d’armes venus aussi de l’étranger. Ce soutien matériel et le soutien politique de la part de puissances importantes, aussi bien dans le monde que dans la région entretiennent en effet l’espoir des dictateurs de substitution 

Ce qui semble à peu près clair, c’est que le rôle de l’ASL sur le terrain est maintenant assez réduit et que même son allégeance à la direction politique (la coalition au nom à rallonge) est pour le moins sujette à caution tandis que le noyau dur et efficace de la «rébellion» syrienne est constitué d’organisations «islamistes»les combattants étrangers continuent d’affluer.  

Des rebelles syriens passent dans le camp du gouvernement

Par Ruth Sherlock, The Daily Telegraph (UK) 24 juillet 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Beyrouth: Des centaines d’hommes qui avaient pris les armes contre le président Bachar al-Assad font de nouveau défection pour repasser du côté du gouvernement.

Déçus par la tournure islamiste prise par la «révolution» en Syrie, épuisés après plus de deux années de conflit et ayant le sentiment d’être en train de perdre, un nombre croissant de rebelles acceptent une amnistie négociée offerte par le régime d’Assad.

Dans le même temps, les familles des combattants qui se retirent du combat ont entamé discrètement leur retour dans le territoire contrôlé par le gouvernement, considérée comme un endroit sûr pour vivre tandis que le régime continue une offensive militaire intense contre les zones tenues par les rebelles.

Cette évolution est un signe d’une plus grande confiance en lui du régime, qui a mis en place ce qu’il appelle un «ministère de la réconciliation » avec pour tâche de donner la possibilité à d’anciens opposants de revenir du côté du gouvernement.

Ali Haider, le ministre chargé de ce dossier, a déclaré: «Notre message est:« Si vous voulez vraiment défendre le peuple syrien, déposez vos armes et venez défendre la Syrie dans le droit chemin, à travers le dialogue. « 

M. Haider, qui a une réputation de modéré au sein du régime, a mis en place un système dans lequel les combattants de l’opposition déposent leurs armes en échange d’un sauf conduit vers des zones tenues par le gouvernement.

Les combattants rebelles reconnaissent en privé être au courant de l’offre d’amnistie, et que certains hommes ont choisi de l’accepter, même si ils disent que les effectifs concernés ne représentent encore qu’une petite proportion de ceux qui luttent contre le gouvernement.

 «Je me suis battu pour la révolution, mais maintenant je pense que nous avons perdu ce pour quoi nous nous battions »,  déclare Mohammed, un rebelle musulman modéré de la ville septentrionale de Raqqa qui a refusé de donner son nom de famille. « Maintenant les extrémistes contrôlent ma ville. Ma famille a déménagé vers la zone gouvernementale, car notre ville est trop dangereuse. Assad est terrible, mais l’alternative est pire. »

La prévalence des groupes islamistes extrémistes dans les zones tenues par les rebelles, en particulier dans le nord, a amené certains combattants de l’opposition à «abandonner» leur cause.

Ziad Abu Jabal est originaire de l’un des villages de la province de Homs dont les habitants ont récemment convenu de cesser de combattre le régime. «Quand nous avons rejoint les manifestations, nous voulions avoir plus de droits droits », dit-il.. « Après avoir vu la destruction et la puissance des djihadistes, nous sommes arrivés à un accord avec le gouvernement. »

M. Haider  dit avoir assisté à une cérémonie mardi après-midi au cours de laquelle 180 combattants de l’opposition ont rejoint les forces de police du gouvernement, d’où ils avaient fait auparavant défection.

Bien qu’il n’ait pas été possible de vérifier cette affirmation, lorsque le Daily Telegraph de Londres avait  visité le siège du ministère de la réconciliation à Damas le bureau était bondé de membres de familles de rebelles qui combattent dans la banlieue de la ville qui affirmaient que leurs hommes voulaient rentrer.

Un négociateur du ministère, qui n’a donné comme nom que  Ahmed, était en train d’organiser la défection d’un commandant rebelle et de 10 de ses hommes dans le secteur de la Ghouta.

 «Il nous a fallu trois mois de négociations et ceci a valeur de test », a-t-il dit. « Si tout se passe bien, le commandant dit que 50 autres suivront. »

Il a décrit les mesures prises pour permettre le retour des combattants prêts à déposer les armes. Tout d’abord, dit-il, un négociateur doit traverser la ligne de front pour une réunion dans le territoire tenu par les rebelles. «Nous devons espérer que le commandant rebelle ordonne à ses tireurs embusqués de ne pas nous tirer dessus.»

Les transfuges potentiels reçoivent des documents qui leur permettent de passer les contrôles de l’armée syrienne avant de rejoindre un lieu sûr en attendant que les officiels puissent faire retirer leurs noms des listes de personnes recherchées tenues par les administrations plus dures que sont le ministère de la défense et les services de renseignements.

Les rebelles «ne s’étaient pas engagés pour appartenir aux organisations islamistes extrémistes qui ont maintenant gagné en influence,» dit-il. «Ils veulent maintenant retourner à une vue normale.»

Dans les jours qui avaient précédé la prise de la ville de Qusayr le mois dernier, le Daily Telegraph avait vu des médiateurs à la frontière libanaise travailler avec l’armée syrienne pour obtenir une amnistie pour les combattants qui acceptaient de se rendre.

Le téléphone sonnait avec les appels désespérés des parents des rebelles. «Ces mères savent que c’est la dernière chance pour leurs fils. S’ils ne déposent pas les armes maintenant, ils mourront parce qu’ils sont en train de perdre la bataille,» affirme Ali Fayez Uwad, le médiateur.

Propagande sur la Syrie: nouvelle variation sur les gentils et les méchants

14 juillet 2013

On ne sait pas trop comment va évoluer le conflit en Syrie. Certes, les forces gouvernementales semblent avoir repris la main sur le terrain et infliger de sérieux revers aux forces d’opposition.

Et sur le plan politique intérieur, Bachar al-Assad vient de montrer qu’il avait les coudées franches puisqu’il a a été en capacité de faire d’importants changements de personnel dans les parti Baath, le parti auquel son pouvoir est adossé.

Enfin, certains de ses ennemis jurés sont en grande difficulté, comme le premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan voire même ont été éliminés de la scène politique comme l’émir du Qatar où le président Egyptien Mohamed Morsi.

syrie

Ceci dit, les Etats Unis et l’Arabie Saoudite n’ont pas renoncé à nuire à la Syrie et Barack Obama vient même d’annoncer que Washington respecterait son engagement de livrer des armes à l’opposition syrienne.

Pour surmonter les réticences exprimées par une partie de la classe politique aux Etats Unis, le discours public sur la Syrie été rectifié et les armes promises sont destinées aux rebelles modérés qu’on sait maintenant bien identifier puisqu’ils s’affrontent par les armes avec les « extrémistes ».

Comme le relève Moon of Alabama, ces affrontements relèvent plus de querelles locales que de divergences sur le fond.

Syrie: les insurgés « modérés”

Moon Of Alabama (USA) 13 juillet 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Il est bien connu que les insurgés syriens ont reçu, avec l’aide des Etats Unis, de nombreuses nouvelles armes provenant de divers pays arabes:

Salim Idriss, chef du commandement militaire de l’Armée Syrienne Libre (ASL) a déclaré que les nouvelles armes ont permis à l’armée rebelle de «détruire plus de 90 véhicules blindés du régime syrien. »

Mais même ces nouvelles armes ne sont pas assez pour eux. Avec leurs soutiens arabes et «occidentaux», ils  continuent à faire pression pour plus d’armes. Obama semble être prêt à livrer plus d’armes :

Le président Barack Obama a dit vendredi au roi d’Arabie Saoudite  qu’il s’est engagé à apporter le soutien des Etats Unis aux rebelles syriens qui attendent les livraisons d’armes légères qui ont été bloquées à Washington.

Le Congrès a bloqué pour l’instant toute livraison officielle d’armes américaines. Pour amener certains leaders parlementaires à changer d’opinion, la guerre en Syrie doit maintenant être redéfinie. Sur la partie gauche de la scène, voici venir maintenant le «rebelle modéré.» Au lieu de demander des armes pour combattre le «dictateur sanguinaire », le «rebelle modéré» demandera désormais des armes pour combattre les «dangereux terroristes » qui ont été ses partenaires depuis le début.

Nous lisons en effet maintenant que les Talibans pakistanais montent une succursale en Syrie et on peut voir certains insurgés lever un gigantesque “drapeau Taliban” blanc à la frontière syro-turque. Soudain, nous avons de plus en plus d’informations sur les conflits entre les insurgés «modérés» et les «terroristes» :

Kamal Hamami, le commandant de l’Armée Syrienne Libre tués jeudi dans la province côtière de Lattaquié, sortait juste d’une réunion avec d’autres membres de l’organisation sur l’approvisionnement en armes.

La semaine dernière, des membres de l’Etat Islamique ont été accusés d’avoir décapité deux combattants de l’Armée Syrienne Libre et d’avoir laissé leurs têtes coupées à côté d’une poubelle dans un square de Dana, une ville tenue par les rebelles dans la province d’Idlib près de la frontière turque. Une attaque qui était intervenue après des affrontements qui avaient éclaté lors d’une manifestation contre l’Etat islamique, causant  la mort de 13 personnes.

Récemment, un combattant de la région, Abou al-Haytham,a affirmé que la dispute entre rebelles a commencé quant un combattant étranger membre de l’Etat Islamique a violé un garçon – « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase» dit-il – et les officiers de l’Armée Syrienne Libre s’étaient plaints.

Au moins quelques unes de ces histoires sont fausses. Mais elles vont servir pour une nouvelle poussée en vue d’armer les insurgés «modérés.»

Mais on a quelques raisons de douter que quelques affrontements localisés entre quelques factions motivées par le pillage témoignent d’une fracture importante entre les diverses organisations d’insurgés :

En dépit de frictions plus nombreuses, les factions modérées et les groupes djihadistes continuent à se coordonner sur le terrain, observe Charles Lister, analyste au IHS Jane’s Terrorism and Insurgency Center. Il  affirme que cela ne va sans doute pas changer même si l’ASL peut exploiter l’assassinat pour en tirer un bénéfice politique.

“Les forces modérées pourraient s’en servir de sorte à montrer à l’occident qu’elles sont disposées à rompre les relations avec les djihadistes afin d’obtenir plus d’aide occidentale,” dit-il.  «La réalité est très différente pour les officiers sur le terrain.»

Ces groupes travaillent ensemble depuis le début de l’insurrection.  Si les Syriens étaient en majorité plus modérés au début, il y avait quand même des extrémistes religieux qui baptisaient leurs bataillons du nom de guerriers sunnites historiques. Leurs différences avec les djihadistes étrangers qui combattent en Syrie sont moindres qu’avec la population syrienne en général. Le type tristement célèbre qui a été filmé en train de manger le poumon d’un soldat Syrien mort ? Un combattant local «modéré » de l’Armée Syrienne Libre. Est-il supposé recevoir plus d’armes parce qu’il affronte aussi d’autres djihadistes par rapport à sa part du butin ?

Laisser entendre qu’il y a les «bons» insurgés «modérés » est un procédé cousu de fil blanc. S’il existe  des différences idéologiques entre les diverses organisations, elles sont de l’ordre de la nuance. Par ailleurs, tout renforcement de l’armement de n’importe quel groupe d’insurgés donnera lieu à un renforcement de l’armement du régime et ne fera que coûter plus de vies et plus de sang.

Syrie: information de terrain et terrain de propagande

1 juillet 2013

Je vous livre ce papier de Patrick Cockburn à peu près tel quel. Cockburn attire notre attention sur l’information propagande en Syrie d’où qu’elle vienne, même s’il observe qu’à ce jeu les « rebelles » sont bien plus compétents que le pouvoir en place et bénéficient d’oreilles pour le moins complaisantes dans les médias occidentaux.

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Patrick Cockburn est un journaliste irlandais

Ce n’est pas que je n’aimerais pas commenter un peu plus cet article, mais je suis crevé du fait de mes activités professionnelles très denses en ce moment. J’ai d’ailleurs renoncé à traduire les quelques vers de Milton en fin d’article (traduire de la poésie est un exercice d’une difficulté redoutable).

La représentation du conflit par les medias internationaux est dangereusement imprécise

Regard sur le monde: Il est naïf de ne pas admettre que les deux parties sont capables de manipuler les faits pour servir leurs propres intérêts

Par Patrick Cockburn, The Independent (UK) 30 juin 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Chaque fois que je viens en Syrie, je suis frappé par la façon dont la situation sur le terrain diffère de la façon dont elle est dépeinte à l’étranger.  Les informations sur le conflit syrien  données par les médias étrangers sont certainement aussi inexactes et trompeuses que tout ce que nous avons vu depuis le début de la Première Guerre mondiale. Je suis incapable de penser à une autre guerre ou  une autre crise parmi celles que j’ai couvertes  dans laquelle des sources propagandistes, tendancieuses ou de seconde main ont été aussi facilement acceptées par les journalistes comme attestant de faits objectifs.

Une conséquence de ces distorsions est que les politiciens comme le consommateur ordinaire de journaux  et d’informations télévisées  n’ont jamais eu  ces deux dernières années une idée claire de ce qui se passe à l’intérieur de la Syrie. Pire encore, des plans à long terme sont basés sur ces idées fausses. Un rapport sur la Syrie publié la semaine dernière par l’International Crisis Group basé à Bruxelles, affirme que «une fois confiant en une victoire rapide, les alliés étrangers de l’opposition sont allés vers un paradigme dangereusement déconnecté de la réalité ».

Les slogans remplacent la politique: les rebelles sont représentés comme les gentils et les partisans du gouvernement comme les méchants ; si on lui donne plus d’armes, l’opposition peut soi-disant remporter une victoire décisive; soumis à une pression suffisante militaire, le président Bachar al-Assad acceptera  des négociations pour lesquelles une  des conditions préalables est la capitulationdu régime. Un des nombreux inconvénients de la rhétorique diabolisatrice à laquelle se sont adonnés  Susan Rice, nouvellement nommée conseillère à la sécurité nationale des USA, et William Hague, c’est qu’elle interdit des négociations sérieuses et un compromis avec le pouvoir en place à Damas. Et comme Assad contrôle la plus grande partie de la Syrie, Rice et Hague ont mis au point la recette pour une guerre sans fin tout en arguant de leur souci humanitaire pour la population syrienne.

Il est difficile de prouver la véracité ou la fausseté de toute généralisation sur la Syrie. Mais m’appuyant sur mon expérience de ce mois-ci , à voyager dans le centre de la Syrie entre Damas, Homs et la côte méditerranéenne, il est possible de montrer à quel point les informations dans les médias s’écartent nettement de la réalité sur le terrain. Ce n’est que par la compréhension et la prise en compte de l’équilibre réel des forces sur le terrain qu’on pourra arriver à un progrès quelconque vers une cessation de la violence.

Le mardi je suis allé à Tal Kalakh, une ville de 55.000 âmes, juste au nord de la frontière avec le Liban, qui était un bastion de l’opposition. Trois jours auparavant, les troupes gouvernementales ont repris la ville et 39 chefs de  l’Armée Syrienne Libre (ASL) avaient déposé les armes. Après avoir parlé avec des officiers de  armée syrienne, avec un transfuge de l’ASL et avec des habitants de la ville, il semblait évident qu’il n’y avait pas eu de passage instantané de la guerre à la paix [dans la ville]. C’était plutôt qu’il y avait eu une série de trêves et de cessez le feu arrangés par des notables de Tal Kalakh tout au long de l’année précédente.

Mais au moment même où je me trouvais dans la ville, Al Jazeera arabophone relatait des combats sur place entre l’armée syrienne et l’opposition. De la fumée était supposée s’élever au-dessus de Tal Kalakh comme les rebelles combattaient pour défendre leur place forte. Heureusement, cela apparaissait comme l’œuvre de l’imagination et, pendant les quelques heures que j’ai passées dans la ville, il n’y a pas eu de tirs, aucun signe que des combats avaient eu lieu et pas de fumée.

Bien sûr, toutes les parties dans une guerre prétendent qu’aucune position n’est perdue sans une défense héroïque contre un ennemi à la supériorité numérique écrasante. Mais un fait important a été occulté dans les comptes rendus dans les médias de ce qui s’est passé à Tal Kalakh: l’opposition en Syrie est fluide dans ses allégeances. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les 11 membres des soi-disant «Amis de la Syrie », qui se sont réunis à Doha la semaine dernière, veulent armer les rebelles qui ne sont pas des fondamentalistes islamiques, mais l’écart n’est pas si grand entre ces derniers et ceux qui ne sont pas liés à al-Qaïda. Un combattant du Front al-Nosra affilié a al Qaïda a expliqué avoir fait défection pour un groupe plus modéré parce qu’il ne pouvait pas combattre sans cigarettes. Les fondamentalistes paient plus et, compte tenu de l’extrême paupérisation de nombreuses familles syriennes, les rebelles seront toujours en mesure faire de nouvelles recrues. « L’argent a une part plus importante que l’idéologie», m’a dit un diplomate en poste à Damas.

Alors que j’étais à Homs, j’ai eu un exemple de la raison pour laquelle la version des événements par les rebelles est si souvent acceptée par les médias étrangers de préférence à celle du gouvernement syrien. Elle est peut-être biaisée en faveur des rebelles ; mais souvent il n’y a aucune version gouvernementale des événements, ce qui laisse un vide comblé par les rebelles. Par exemple, j’ai demandé à aller dans un hôpital militaire dans le quartier al-Waar de Homs et j’en ai obtenu la permission, sauf que quand je me suis rendu sur place, on m’a refusé l’entrée. Pourtant, des soldats blessés au combat contre les rebelles seraient probablement  des défenseurs éloquents et convaincants du camp gouvernemental (j’avais visité un hôpital militaire à Damas où j’avais pu parler avec des soldats blessés). Mais l’obsession du gouvernement pour le secret signifie que l’opposition aura toujours une longueur d’avance quand il s’agit de faire un plaidoyer convaincant.

Retour dans le quartier chrétien de la vieille ville de Damas, où je suis installé, il y a eu une explosion près de mon hôtel jeudi. Je suis allé sur les lieux et ce qui s’est passé ensuite montre que rien ne peut remplacer la déclaration d’un témoin oculaire impartial. La télévision d’Etat prétendait que c’était un attentat-suicide, visant peut-être  l’Eglise orthodoxe grecque ou un hôpital chiite qui est encore plus proche. Quatre personnes avaient été tuées.

Je pouvais voir une petite indentation dans le trottoir qui m’avait paru très semblable à l’impact d’un obus de mortier. Il y a avait un peu de sang à proximité immédiate, quoique à environ une dizaine de mètres de l’impact. Alors que j’étais en train de regarder dans les parages, un second obus de mortier s’est abattu sur le toit d’une maison, tuant une femme.

L’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), si souvent cité comme source par les journalistes étrangers, dira par la suite que ses propres investigations montraient que l’explosion avait été causée par une bombe laissée dans la rue.  En fait, pour une fois, il était possible de savoir avec certitude ce qui s’était passé, parce que l’hôpital chiite a une caméra de surveillance qui montre l’obus de mortier quelques fractions de secondes dans les airs juste avant de toucher le sol, puis la chemise blanche d’un passant qui a été tué par l’explosion. Ce qui venait de se produire était probablement un de ces habituels  bombardements  de mortier faits au hasard par les rebelles dans le quartier proche de Jobar.

Au milieu d’une guerre civile féroce, l’idée des journalistes selon laquelle l’une ou l’autre des parties au conflit, gouvernement ou rebelles, ne va pas  concocter ou manipuler des faites relève d’une crédulité intéressée. Pourtant, une bonne partie de la couverture de presse étrangère se fonde sur une telle hypothèse.

Le plan de la CIA et des Amis de la Syrie pour chercher en quelque sorte la fin de la guerre en augmentant la fourniture d’armes est également absurde. La guerre n’amènera que plus de guerre encore. Le sonner de John Milton, écrit pendant la guerre civile anglaise de 1648 en hommage au général parlementariste Sir Thomas Fairfax qui venait juste de s’emparer de Colchester, montre une plus profonde compréhension de ce à quoi ressemblent les guerres civiles que n’importe quoi qui a pu être dit par David Cameron ou William Hague. Il écrivait :

For what can war but endless war still breed?

Till truth and right from violence be freed,

And public faith clear’d from the shameful brand

Of public fraud. In vain doth valour bleed

While avarice and rapine share the land.

En Syrie, la propagande est une arme comme une autre

23 juin 2013

Et l’Occident en a la maîtrise la plus aboutie.

Un article paru hier dans le New York Times sous la plume de CJ Chivers évoque les armes venues de Libye qui équipent les «rebelles» en Syrie.

Cet article est repris par la presse française qui n’analyse cependant pas sa place dans le dispositif propagandiste que les puissances occidentales ont mis en marche depuis le début de la crise syrienne.

Ce que la presse ordinaire ne fait pas, le blog Moon of Alabama  le fait et expose la réalité de la machine de propagande simplement en mettant en relation le dernier article de CJ Chivers avec son reportage précédent transmis depuis la Syrie le 12 juin dernier, il n’y a pas même quinze jours.

Ce que montre Moon of Alabama est que le dernier article de Chivers contredit le précédent. En effet, dans l’article du 12 juin, le journaliste du New York Times parlait de rebelles réduits à fabriquer artisanalement eux-mêmes armes et munitions du fait de la rareté des approvisionnements en provenance des pays étrangers.

Une situation complètement inversée  dans l’article du 21 juin qui parle d’un effort multinational et complexe financé en partie par le Qatar pour acheminer en Syrie armes et munitions venues de Libye.

Or, dans le même article Chivers remarque que les armes libyennes ne constituent qu’une partie de l’arsenal des rebelles. Et que cet arsenal, loin d’être de nature artisanale comprend des canons sans recul et des missiles antichars évolués.

Cette mise au jour de la démarche propagandiste d’un quotidien américain réputé par Moon of Alabama demande, outre de la perspicacité, une qualité qui fait défaut dans ce monde où prime l’instantané en matière d’information : la mémoire.

Journalisme de propagande – L’échec de Kerry au Qatar

Moon of Alabama, 22 juin 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le 12 juin dernier, CJ Chivers du New York Times était en Syrie pour un reportage dans lequel il parlait d’ateliers qui fabriquent quelques munitions pour l’insurrection en Syrie qui est soutenue par l’étranger. L’article, à commencer par le titre, était une longue complainte sur la prétendue insuffisance d’armement pour ces pauvres tueurs. L’article était illustré par des photos des ateliers prises par  son complice Tyler Hicks.

 Privés d’armes, les rebelles Syriens les fabriquent eux-mêmes

« Tout le monde sait que nous n’avons pas les armes dont nous avons besoin pour nous défendre », déclare Abou Trad, un commandant du Front des Rebelles de Saraqib, peu de temps avant de permettre aux visiteurs d’entrer dans cet atelier de fabrication d’obus de mortier. « Mais nous avons la volonté, et nous avons de modestes moyens, et nous avons des outils. »

Les ateliers d’armement restent un élément important de la logistique de l’opposition car le flux des armes en provenance du monde arabe ne parvient pas à suivre la demande.

“Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’armes efficaces,” dit Khaled Muhammed Addibis, un commandant rebelle. «Des armes efficaces, rien d’autre.»

Quand Chivers a écrit ce qui précède, la ligne officielle de la propagande disait que les Etats Unis n’armaient pas activement les «rebelles» mais qu’Obama «résistait aux pressions pour ce faire» [armer les opposants]. C’était absurde et Chivers le savait. Alors même qu’il racontait son histoire sur ces pauvres «rebelles» qui devaient fabriquer des armes eux-mêmes parce qu’ils n’en recevaient pas par ailleurs, Chivers avait pu voir de nombreuses armes modernes venues de Libye et d’ailleurs et il savait que la CIA participait à leur distribution. Il n’en a jamais parlé, mais il a au contraire raconté les mensonges ci-dessus. Comment savons-nous qu’il a menti ? Eh bien, jetez juste un œil sur ce que Chivers écrit aujourd’hui :

Les informations recueillies en Syrie , ainsi que les données du contrôle aérien et des entretiens avec des membres des milices, des contrebandiers, des rebelles, des analystes et des officiels  dans plusieurs pays, dressent l’image  d’un effort multinational complexe et actif, financé en grande partie par le Qatar, pour transporter des armes en provenance de Libye aux combattants de l’opposition syrienne.

Si ce système semble réussir à acheminer des armes à travers de multiples frontières et à faire un tri parmi les organisations rebelles, une fois en Syrie, le flux d’armement se ramifie. Les combattants islamistes, dont certains sont alignés sur al Qaïda, ont l’argent pour acheter les stocks qui viennent d’arriver, et beaucoup de rebelles sont prêts à les vendre.

Mais les apports venus de Libye semblent représenter au moins une partie des armes antichars que nous avons vues dans le conflit ce printemps, dont des projectiles de fabrication belge pour des canons sans recul M40 et certains des missiles guidés Konkurs-M  de fabrication russe qui ont détruit des blindés syriens ces derniers mois.

Système antichar Konkurs

Système antichar Konkurs

La présence de munitions venant de l’ancien arsenal de Kadhafi est aisément visible.

Fin mai dernier, le New York Times a trouvé des caisses, des gaines de stockage et des douilles de munitions antichars en provenance de Libye et en possession d’ Ahfad al-Rasul, une importante organisation combattante affiliée au Conseil Suprême Militaire.

Alors qu’ils écrivaient sur des insurgés “privés d’armes”, Chivers et son photographe Hicks avaient en réalité vu les canons sans recul, les missiles guides et quantités de caisses de munitions venues de Libye. Mais à ce moment là, le thème officiel de la propagande était ces «pauvres rebelles sous-armés » et Chivers avait obligeamment suivi cette ligne.

Quad de l'armée chinoise équipé d'un canon sans recul

Quad de l’armée chinoise équipé d’un canon sans recul

Ce thème de la propagande avait pour but de créer un certain soutien dans l’opinion à une escalade de la guerre en mettant encore plus d’armes entre les mains des rebelles. L’histoire des «rebelles privés d’armes» était fausse et Chivers le savait depuis la «fin du mois de mai» lors de son séjour en Syrie.

Comme souvent, ainsi qu’on le constate ici, les journalistes sont incités, ou obligés silencieusement, à coller à la ligne officielle livrée par la Maison Blanche. Les rares fois où le New York Times va contre la propagande américaine officielle sont juste un moyen de diversion pour entretenir l’image d’une presse libre.

Les onze pays qui forment le groupe des amis pour la destruction de la Syrie se sont réunis aujourd’hui au Qatar. Avant le commencement de la réunion, le Secrétaire d’Etat Kerry avait prévu d’unifier la distribution des armes via le Général Idriss , le chef de l’Armée Syrienne Libre contrôlée par la CIA pour mettre un tant soit peu les djihadistes à l’écart du flot d’armement :

Les opposants Arabes et Occidentaux à Bachar al-Assad se sont réunis au Qatar ce samedi pour renforcer la coordination de leur soutien aux rebelles qui luttent pour renverser le président Syrien.

Les ministres de onze pays, dont les Etats Unis, des puissances européennes et régionales musulmanes Sunnites, ont tenu des discussions qui, selon les Etats Unis, devraient engager les participants à acheminer toute l’aide via le Conseil Militaire Suprême soutenu par l’Occident, dont Washington espère qu’il pourra compenser la rapide montée en puissance des forces rebelles djihadistes.

Cette démarche a été jugée nécessaire parce que l’Arabie Saoudite tout comme le Qatar distribuaient librement des armes aux différentes organisations terroristes takfiristes :

Deux sources du Golfe ont indiqué à Reuters que l’Arabie Saoudite, qui a joué un rôle de chef de file parmi les opposants Arabes à Assad, a aussi accéléré la livraison d’armes sophistiquées aux rebelles.

“Il y a eu ces dernières semaines des arrivages supplémentaires d’armes sophistiquées. Ils en reçoivent plus fréquemment ,»  déclare une source sans donner de détails. Une autre source du Golfe parle de ces armes comme de fournitures de nature à «potentiellement faire pencher la balance.»

Avant la réunion d’aujourd’hui, le Qatar a essayé de placer les takfiristes qu’il soutient sous  l’égide nominale de l’Armée Syrienne Libre :

L’Armée Syrienne Libre a proposé aux puissantes organisations rebelles islamistes une part des nouvelles armes sophistiquées si elles s’unifient sous la bannière de l’ASL.

 «Idriss a proposé de soutenir les factions islamistes en partageant les armes qu’il s’attend à recevoir si elles rejoignent une alliance avec l’ASL et acceptent certaines conditions, » a déclaré hier le rebelle basé à Damas.

Il a également déclaré qu’une délégation  du Qatar était présente – la seule présence non syrienne à cette réunion [à Ankara jeudi dernier]. Cela a surpris les participants mais était sans doute en lien avec la réunion des soutiens de l’opposition, connus sous l’appellation d’Amis de la Syrie, qui doit se tenir à Doha aujourd’hui

 La conférence de Doha est maintenant terminée et Kerry a [encore] échoué :

Les ministres des onze principaux pays qui forment le groupe des Amis de la Syrie s’est mis d’accord «pour fournir urgemment tout le matériel et l’équipement nécessaires pour l’opposition sur le terrain, chaque pays le faisant à sa propre manière,  afin de la mettre en capacité de contrer les brutales attaques du régime et de ses alliés.»

“Chaque pays a sa propre manière” signifie que Kerry a échoué – complètement – à unifier le flux d’armement. Il semble alors que le Qatar et l’Arabie Saoudite continueront à livrer des armes au Jabhat al-Nosra et aux autres organisations terroristes takfiristes en Syrie.

Cette désunion devrait amener l’administration Obama à admettre que ses arguments pour donner des armes aux “bons rebelles” pour en priver les takfiristes ne marchera pas. Le Qatar et l’Arabie Saoudite continuant à fournir ces armes «à leur propre manière», les takfiristes resteront la plus forte composante de l’insurrection.

Compte tenu de l’afflux de nouvelles armes, l’armée syrienne devrait probablement stopper son offensive en cours et rester sur la défensive en attendant de définir de nouvelles tactiques contre ces armes. Des chars avançant à découvert ou restant immobiles à des checkpoints sont des cibles faciles et ne pourront pas échapper à des attaques menées avec des Konkurs-M, des Kornets [le Kornet un missile russe] ou d’autres armes antichars modernes. Il est possible de les contrer mais cela nécessite du temps pour se préparer et se former. Entretemps, les importants transports d’armes peuvent être surveillés et attaqués par surprise et détruits dans des raids éclair.

PS : je le dis à l’intention d’un certain crétin sioniste (pléonasme) : Moon of Alabama est le titre d’une chanson écrite en anglais par Bertolt Brecht et mise en musique par Kurt Weill.

Moon of Alabama a été interprétée par de nombreux artistes dont les Doors, Nina Simone, Dalida où, comme on le voit dans la vidéo ci-dessous, David Bowie.

La Syrie victime de l’amour wahhabite

20 mai 2013

Ce n’est pas un sujet vraiment abordé par la presse française. C’est sans doute pour cette raison qu’on n’entend pas ces féministes officielles, si promptes à plaider le droit des femmes en Afghanistan ou même en Russie (cas des ‘pussy riot’) pour justifier l’ingérence étrangère.

Or, dans les difficultés que subissent les Syriens, il y a ce drame particulier que vivent des jeunes filles poussées par la misère à épouser de riches ressortissants des pays du Golfe, toujours beaucoup plus âgés qu’elles, voire franchement vieux.

Il s’agit d’une forme d’exploitation qu’on peut assimiler à de la prostitution même si elle se fait en principe avec le consentement des jeunes filles et de leurs familles et avec l’imprimatur de « religieux » dûment stipendiés.

Et pourquoi n’en parle-t-on pas ?

Simplement parce que ces agissements ne sont pas du fait du gouvernement syrien, ni même des horribles shabiha, ces miliciens pro Assad à côté desquels les membres de la SS font figure de doux agneaux, mais de réseaux qui agissent parmi les réfugiés Syriens pour une clientèle qui vient de ces pays qui s’impatientent de voir la démocratie fleurir en Syrie.

En attendant, ces mécènes cueillent d’autres fleurs…

 

Adolescentes vendues, les oubliées de l’exil syrien

Dans la misère, des familles de réfugiés en Jordanie marient leurs filles pour de l’argent à de riches Saoudiens

Ces mariages qui impliquent des filles mineures se terminent généralement rapidement par un divorce

Par David Alandete à Ammán, El Pais (Espagne) 19 mai 2013 traduit de l’espagnol par Djazaïri 

Dégoûtée et sans le vouloir en réalité Rim s’est mariée à l’âge de 16 ans le 6 février avec un Saoudien de 70 ans qui avait versé un peu d’argent à sa famille pour le mariage. Entre les larmes, son seul soulagement était que son mari se lasserait bientôt d’elle, et la répudierait en demandant le divorce. C’est qui s’est passé, après deux mois de vie commune. L’annulation du mariage est tombée par téléphone, et elle n’a même pas eu besoin d’être présente. Elle est rentrée libre auprès de sa famille. Mais pas pour longtemps. Elle est maintenant demandée par un autre Saoudien,  de 47 ans celui là qui est prêt aussi  à payer. Elle espère répéter ce cycle, ne voulant pas être mariée à des hommes très âgés. Mais elle le fait, dit-elle, avec résignation, pour que sa famille puisse payer le loyer et acheter de la nourriture. Ce sont des réfugiés Syriens en Jordanie, après avoir fui une guerre qui dure depuis plus de deux ans et a déplacé 1,5 millions de personnes . Beaucoup d’entre eux sont dans la misère. 

La Jordanie est le pays qui accueille le plus de réfugiés Syriens, 532 000. Parmi eux, 382 400 vivent hors des camps de réfugiés, hôtes gênants dans un pays qui a ses propres problèmes économiques et est incapable de les absorber et de les intégrer dans sa société. La Jordanie ne peut pas leur donner de permis de travail parce que le chômage dans le pays atteint déjà les 12,8 %. En situation de nécessité, de nombreuses familles syriennes se sont retrouvées poussées à des pratiques qui seraient considérées dans les pays occidentaux comme proches de la traite des mineurs ou de la prostitution. Et même si dans des cas comme celui de Rim il existe un acte de mariage, délivré par un religieux, qui dans certains cas peut être valable du point de vue religieux, cet acte n’a aucune valeur juridique pour les autorités jordaniennes. 

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Les réfugiés Syriens se répartissent pour l’essentiel sur le territoire de la Grande Syrie

«Mon ex-mari ne me plaisait pas, je ne le nie pas,» dit Rim qui préfère ne pas faire connaître son nom de famille. Couverte du voile islamique, elle semble beaucoup plus jeune qu’elle ne le dit. Elle espère un jour retourner en Syrie et se marier avec son cousin, un jeune de 22 ans qui vit à Homs. «J’ai dû me sacrifier pour aider ma famille. Mon frère est petit, il a besoin de nourriture infantile et de couches.» Elle assure que son ex-mari l’a bien traitée pendant les six premières semaines de leur mariage. «Il disait qu’il m’aimait, que nous étions mariés pour toujours,» se souvient-elle sans cacher son dégoût. Puis elle a refusé d’obéir à certaines de ses demandes sexuelles. «Alors il s’est lassé. Il a commencé à me crier après. Il me frappait. Finalement, il a appelé ma famille pour qu’elle me reprenne et il est reparti en Arabie Saoudite, à Djeddah,» dit-elle. Pour le divorce, il a rencontré le religieux et tous deux ont informé Rim par téléphone qu’elle était libre. 

Le cas de Rim n’est pas exceptionnel à Amman. C’est par une de ses connaissances qui avait connu le sort qu’elle était allée trouver la marieuse qui a arrangé son mariage. Sa famiile avait besoin d’argent, et vite. En Syrie, son père avait rejoint l’Armée Syrienne Libre (ASL) pour lutter contre le régime de bachar al-Assad, mais il a été blessé. Il y a neuf mois, après la destruction de leur maison dans une attaque, il a décidé de quitter Homs où il habitait pour aller en Jordanie avec sa femme et ses quatre enfants de deux à seize ans. L’x mari de Rim avait promis à la famille 2 000 dinars (2 200 euros) pour se marier avec elle, mais il n’a finalement payé que la moitié.

 «C’est très triste. Je n’aurais jamais imaginé devoir faire ça. Ce n’est pas ce que je voulais pour ma fille,» dit la mère, Qamar, âgée de 36 ans. «Je veux toujours qu’elle épouse son cousin, qu’elle ait de véritables noces avec une robe blanche. Mais la vie ici est misérable. Nous devons de l’argent au propriétaire et au supermarché. Nous ne pouvons pas travailler. C’est douloureux. Chaque nuit, son père et moi, nous pleurons. Ça fait deux semaines maintenant que nous songeons à rentrer en Syrie, mais ça nous fait peur.» Qamar a essayé de gagner un peu d’argent en préparant et en vendant de la nourriture chez elle, mais elle dit que ce commerce ne marche pas parce qu’elle doit s’occuper de son mari et du plus petit de ses enfants. A ce jour, Rim est la seule source de revenus pour la maisonnée. 

Il y a déjà 1,5 million de personnes déplacées par le conflit syrien [sans compter les déplacés de l’intérieur, NdT]. La Jordanie est le pays qui a accueilli le plus de réfugiés mais la pression sociale de cette diaspora menace d’ébranler le pays. En Jordanie, l’âge légal du mariage est à 18 ans..

Dans le jargon des marieuses, les riches époux du Golfe Persique sont appelés des «donateurs .» C’est ainsi qu’en parle Hala Ali, 27 ans, elle aussi réfugiés Syrienne à Amman. Divorcée et mère de trois enfants, elle touche 50 dinars pour présenter les jeunes filles aux «donateurs.» Si finalement il y a mariage, elle empoche 400 dinars. Variable selon l’âge et le physique, le prix que touche une famille pour une épouse vierge peut aller jusqu’à 7 000 dinars. Les divorcées se dévaluent dans ce marché et atteignent au maximum 4 000 dinars.

«Les ‘donateurs’ disent qu’ils veulent aider la population syrienne et ils offrent de l’argent. Ce qu’ils exigent, c’est une fiancée, [‘novia’ qu’on peut aussi traduire par petite amie]» dit sarcastiquement cette marieuse.  Elle soutient qu’en Syrie, il est possible et même normal de marier des filles à partir de 13 ans avec l’accord de la famille ou du tribunal. «Ces filles se marient  avec un acte de mariage et ne deviennent  donc pas des prostituées. Elles obtiennent ainsi de l’argent et payent le loyer,» dit-elle. Mais ces mariages se font en Jordanie où l’âge légal est de 18 ans. Et les parties contractantes savent que le divorce est juste au tournant. « Qu’est-ce- que j’en sais ? Ce n’est pas de ma responsabilité. Je mets en contact l’épouse et l’époux. Et ce n’est pas légal ? Si les deux parties sont consentantes ! Et d’ailleurs, est-ce que c’est légal ce qui nous est arrivé en Syrie ?» 

Les autorités jordaniennes sont récemment allées devant le Conseil de Sécurité de l’ONU pour exposer le problème que posent ces réfugiés à sa population de 6,1 millions d’âmes. Ils apportent avec eux des problèmes de santé publique, comme de nouvelles poussées de tuberculose et, comme dans le cas présenté, les pratiques répréhensibles et gênantes. « Dans de telles situations en Jordanie, quelqu’un doit déposer plainte pour que l’Etat puisse agir,» explique Anmar Al Hmoud, coordonnateur du comité spécial du gouvernement jordanien pour les réfugiés Syriens. «Ce dont on a vraiment besoin ici, c’est d’une solution pacifique au conflit en Syrie pour que ces gens puissent finalement regagner leurs foyers,» ajoute-t-il.

Cette solution semble cependant s’éloigner de plus en plus chaque jour, avec des informations sur la violence et la mort qui arrivent chaque jour de Homs et du reste de la Syrie. En deux ans et deux mois de guerre, on compté déjà plus de 80 000 morts. Le pays est saigné par les affrontements et l’exode massif. «Cela ne se terminera que si Bachar tombe,» déclare Qamar, la mère de Rim. «Nous rentrerons alors dans notre pays même si c’est pour vivre dans les décombres» 

Pour Jeremy Salt, une seule option en Syrie: la victoire de l’armée et du gouvernement syriens

19 mai 2013

On connaît Jeremy Salt sur ce blog. Salt a la particularité d’être un universitaire américain, spécialiste du Moyen Orient, qui enseigne dans une université turque !

Son point de vue sur la Syrie est donc particulièrement autorisé.

Quand je dis point de vue, je ne parle pas d’opinions alimentées par les informations très partielles ou déformées et la conception qu’on a du bien et du mal. Pas besoin d’avoir fait des études pour ça, et ce mode de construction de l’opinion est précisément le pain quotidien des propagandistes et des politiciens habiles à manipuler les foules.

Un vrai point de vue est d’abord un point de vue informé qui est le résultat d’une mise en relation pertinente des informations importantes, c’est-à-dire qui définit l’objet sur lequel porte le point de vue parce que cet objet n’est pas un donné à priori.

Pour Jeremy Salt, sauf évènement imprévu, le conflit syrien tire vers sa fin.

Il tire à sa fin militairement par la victoire qui se dessine de l’armée gouvernementale.

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Samedi 19 mai l’armée syrienne a investi le centre d’al Qussayr

Il tire aussi à sa fin politiquement du fait de l’implosion de l’opposition d’une part et du choix fait par les Etats Unis d’une sortie de crise négociée avec la Russie.

Cette crise syrienne aura permis de voir quelles sont les puissances qui comptent en ce moment sur la scène internationale avec le retour prévisible de la Russie au premier plan et l’irruption de la Chine.

Si les Etats Unis restent, c’est évident, un acteur majeur (le plus important) on aura par contre pu constater la vanité de puissances comme la France ou la Grande Bretagne qui, peinant à suivre les orientations de leur maître de Washington, sont soit en retard, soit en avance d’un retournement de veste. Ainsi de cette dernière sortie du gouvernement français qui prétend interdire à l’Iran de participer aux négociations sur la Syrie.

Pathétique de la part d’un gouvernement français qui a longtemps cru qu’il pourrait procéder en Syrie comme il l’a fait en Libye alors qu’il n’aurait rien pu faire en Libye (et a Mali non plus) sans le soutien politique et militaire des Etats Unis.

Un gouvernement français qui n’a cessé de mettre de l’huile sur le feu en Syrie alors que les autorités iraniennes ont pris soin d’ouvrir leurs portes à toutes les parties.

 

La crise syrienne: L’Option

By Jeremy Salt à Ankara, The Palestine Chronicle 18 mai 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Alors que toutes les options sont censées être toujours sur la table, Barack Obama s’éloigne clairement de l’éventualité d’une implication plus profonde en Syrie maintenant qu’il est évident que rien,  à part une intervention  militaire directe, ne fera tomber le régime de Damas. Au cours des derniers mois seulement, les groupes armés ont perdu des milliers d’hommes. Même si  le conflit va perdurer un certain temps encore, l’armée syrienne est en train de réduire progressivement l’insurrection.

Ceux qui sont derrière cette aventure sont en plein désarroi. Comme le Conseil national syrien avant elle, la Coalition nationale syrienne a implosé. Muadh al Khatib [ex chef de la coalition] est maintenant une voix en marge. Ghassan Hitto [en passe d’être limogé] est la seule personne au monde à être premier ministre d’un comité. Ces personnes sont une cause complètement perdue.

Dans le monde réel, et non pas le monde des illusions, on est horrifié par la vidéo qui montre un chef «rebelle» arracher  le coeur du corps d’un soldat mort et  mordre dedans. Ou peut-être étaient-ce les poumons ou le foie. Si les médias semblent hésiter là-dessus, ils semblent considérer important assez important de savoir de quel organe il s’agit exactement. Loin de nier cet acte sanguinaire, son auteur l’a revendiqué avant de se vanter de la façon dont il avait découpé en morceaux le corps de shabiha [shabiha : désignation habituelle des milices pro gouvernementales] faits prisonniers.

Le cannibalisme semble être une première mais sinon, il n’y a pas grand chose que les psychopathes des groups armés n’ont pas encore fait en Syrie. Mais peut-être ne doit-on pas appeler  psychopathes les gens qui font ce genre de choses ? Ce sont après tout exactement le genre de personnes qu’il faut pour faire une guerre aussi sauvage. La soi-disant Armée Syrienne Libre (ASL)a dit qu’elle  allait rechercher l’homme qui a découpé le cœur du soldat. Très bien. Elle pourrait aussi partir à la recherche des égorgeurs et des ‘rebelles’ qui ont décapité des gens.

Elle pourrait aussi traquer les homes qui ont tué des fonctionnaires avant de balancer leurs corps du tout du bureau de poste à Al Bab. Elle pourrait pourchasser leurs frères d’armes qui ont visé délibérément des civils avec des voitures piégées. Elle pourrait aussi traquer les assassins de l’imam et des 50 fidèles de la mosquée de Damas et elle pourrait pourchasser tous les violeurs et tous les ravisseurs, dont les Tchétchènes qui ont enlevé deux évêques  qui restent détenus à Alep tandis que les dirigeants Chrétiens des gouvernements occidentaux regardent ailleurs. Dans cette traque de tous les individus qui ont sali sa glorieuse réputation, l’ASL n’aura pas à aller chercher bien loin parce que beaucoup d’entre eux viennent de ses propres rangs. Ce ne sont pas les preuves qui manquent. Les médias regorgent de séquences vidéos sanguinolentes à la gloire des hauts faits de ces hommes qui sont fiers de leur bravoure et veulent la donner à voir au monde. Ce sont ces gens que le Qatar et l’Arabie Saoudite ont armés et financés pour prendre le contrôle de la Syrie.

Telle est la réalité derrière le récit bidon qu’ont refilé les médias pendant les deux dernières années. Les médias ont régurgité tous les mensonges et toutes les exagérations des ‘activistes’ et du soi-disant Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), selon qui la chute du ‘régime’ syrien était imminente et toutes les atrocités étaient du fait de l’armée syrienne. A l’exception de quelques reportages récemment publiés par Robert Fisk, pratiquement aucun média grand public n’a rapporté les combats vus de la perspective du gouvernement syrien et de son armée. Les journalistes passaient les frontières avec les groupes armés et rapportaient uniquement leur version des événements. C’est comme compter sur les journalistes ‘embedded’ avec l’armée des Etats Unis pour avoir un récit fiable de ce qui se passait en Irak. Et, encore comme en Irak, la même propagande se répète au sujet des armes chimiques.

La réalité devait finalement l’emporter. Ce n’est pas le ‘régime’ ou l’armé qui sont sur le point de s’effondrer mais l’insurrection. Seule une intervention militaire directe peut la sauver et, au vu des succès de l’armée syrienne et du ferme soutien apporté par la Russie au gouvernement syrien, elle est extrêmement improbable. Obama est exhorté à ‘faire plus’ mais il ne semble guère montrer d’inclination à se laisser aspirer plus avant dans ce bourbier. Les autres ne feront rien sans les Etats Unis à leur tête. L’Allemagne est opposée à une implication et l’Autriche a déclaré que fournir des armes aux ‘rebelles’, ce que la Grande Bretagne voulait faire, quand l’embargo de l’UE arrivera à terme le 31 mai, serait une violation du droit international.

Cette semaine, les projecteurs se sont tournés vers le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avec son voyage à Washington pour discuter de la Syrie avec Barack Obama. La Turquie a joué un rôle central dans l’évolution du conflit syrien. L’Arabie saoudite, le Qatar et la Libye ont fourni l’argent et les armes, mais c’est la Turquie qui a ouvert son territoire à la mobilisation des hommes armés qui passent la frontière pour faire tomber le «régime». Erdogan n’a pas reculé d’un pouce de la position qu’il a prise contre Bachar al Assad il ya plus de deux ans. Le seul cas démontré d’une attaque à l’arme chimique à été celle faite avec un mélange à base de chlore placé dans une ogive et tiré sur un barrage de l’armée syrienne à Khan al Assal, tuant un certain nombre de soldats et de civils. Erdogan, cependant, maintient que c’est l’armée syrienne qui a utilisé des armes chimiques et, ce faisant, a franchi la ligne rouge tracée par Obama. »Interrogé peu avant son départ pour Washington pour savoir s’il soutiendrait la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, il a répondu:« Nous dirions oui tout de suite ».

La semaine dernière, des voitures bourrées de plus d’une tonne de C4 et de TNT ont explosé dans la ville frontalière de Reyhanli dans la province de Hatay. Au moins 51 personnes ont été tuées. Les destructions ont été énormes. L’immeuble de la mairie et des dizaines de commerces ont été rasés. Dans les heurs qui ont suivi l’attentat, des voitures immatriculées en Syrie ont été détruites et des réfugiés Syriens ont été attaqués par des habitants fous de rage. Tout en s’affairant autour des décombres, ils maudissaient Erdogan. Cet attentat atroce suivait un modus operandi familier aux Syriens : une bombe explose suivie d’autres une fois que les gens se sont rassemblés atour du lieu de la première, ce qui permet de maximiser nombre de victimes.

En dépit des accusations du gouvernement turc pour qui l’attentat est l’oeuvre d’une organisation terroriste collaborant avec les services secrets syriens, seuls les groups armés ou un des gouvernements qui les soutient pouvait avoir un mobile evident de commettre ce crime. L’armée syrienne est en train d’écraser l’insurrection, le conseil des «traîtres» basé à Doha a implosé et les Russes et les Américains se sont assis pour discuter. L’attentat était clairement conçu pour attirer la Turquie à entrer directement dans le conflit de l’autre côté de la frontière. 

L’attentat de Reyhanli est intervenu une semaine après qu’Israël a lancé une série d’attaques aériennes sauvages contre la Syrie. Ce n’était pas une frappe avec un seul missile. Deux attaques en trois jours, qui ont duré des heurs avec un largage massif de bombes sur la périphérie de Damas, ce qui donne à penser que le but était de provoquer une riposte syrienne, ouvrant la voie à une guerre générale dans laquelle l’Iran pourrait être attaqué. Israël a prétendu que la cible était un chargement de missiles destiné au Hezbollah, mais alors qu’un centre de recherche militaire et une usine alimentaires de l’armée été touchés, rien n’indique que des missiles auraient été détruits. Ces attaques se sont avérée par la suite avoir été un échec politique et stratégique. Poutine a passé un savon à Netanyahou et l’a puni en fournissant ou en menaçant de fournir à la Syrie des missiles anti-aériens évolués de type S300. On peut mesurer l’arrogance d’Israël à son insistance pour dire qu’il lancerait d’autres attaques si nécessaire et qu’il détruirait le régime syrien s’il osait riposter.

Obama subit en ce moment aux Etats Unis des pressions pour “faire plus”. A Washington, les mêmes personnes qui appelaient à la guerre contre l’Irak appellent maintenant à un élargissement du conflit en Syrie. Le Sénateur Bob Menendez, un chaud partisan d’Israël, comme presque tous les élus au Congrès, a introduit un projet de loi pour que l’administration Obama fournisse des armes aux ‘rebelles’ (comme si ce elle ne le faisait pas déjà secrètement ou par son soutien aux livraisons d’armes effectuées par le Qatar et l’Arabie Saoudite).L’ancien rédacteur en chef du New York Times Bill Keller qui soutenait la guerre en Irak veut aussi que les Etats Unis arment les ‘rebelles’  et ‘défendent les civils qui sont massacrés dans leurs maisons’ en Syrie. Il ne parle bien entendu pas des civils qui ont été massacrés par les groupes armés.

Le Washington Post a été force de reconnaître que l’armée syrienne est en train de gagner cette guerre mais reste déconcerté par la tournure défavorable des évènements. ‘Que se passera-t-il si les USA n’interviennent pas en Syrie ?’ demande-t-il avant de donner les réponses. La Syrie se fracturera selon des lignes sectaires, avec le Jabhat al-Nosra contrôlant le nord et les ‘résidus du régime’ contrôlant des bandes de territoire à l’ouest. La guerre sectaire s’étendra à l’Irak – comme si elle n’était pas déjà une des conséquences de l’intervention américaine – et au Liban. Les armes chimiques seraient un des enjeux, ‘forçant probablement à  une nouvelle intervention israélienne pour empêcher leur acquisition par le Hezbollah ou al Qaïda.’. Si les Etats Unis n’interviennent pas pour empêcher tout ça, la Turquie et l’Arabie Saoudite ‘pourraient conclure que les Etats Unis ne sont plus un allié fiable.’

Il existe une autre réponse plus plausible à la question sur “ce qui va arriver”.  Cette réponse est que l’armée syrienne finira par expulser du pays les ‘rebelles’ survivants et que Bachar al-Assad en sortira plus populaire que jamais parce qu’il aura vaincu la plus grande menace de son histoire pour l’Etat syrien. Des élections se tiendront en 2014 et il sera élu président avec 75 % des suffrages. C’est du moins ce que prédit la CIA.

Erdogan est venu à Washington pour avertir lui aussi Obama de ‘faire plus’, mais il est clair que le président US ne veut pas faire grand-chose de plus. Les médias turcs ont rapporté qu’Obama a dit qu’Assad «doit partir» mais ce n’est pas ce qu’il a dit. Obama a choisi ses mots avec soin. Dans sa conférence de presse avec Erdogan, il n’a pas dit qu’Assad ‘doit partir’ mais que «he needs to go» et que « he ‘needs ‘to tranfer power to a transitional body. (transférer le pouvoir à une autorité de transition) [effectivement on traduirait de la même façon ‘he must’ et ‘he needs’ par ‘il doit’ alors qu’il existe une nuance intraduisible me semble-t-il]. La différence est des plus importantes. A titre personnel, Obama ne voudra pas terminer sa présidence englué dans une guerre ingagnable et impopulaire, une guerre qui pourrait en outre rapidement évoluer d’une crise régionale vers une crise mondiale.

Un sondage récemment conduit par Pew montre que le peuple américain en a assez des guerres au Moyen Orient et les discussions entre Kerry et Lavrov indiquent que cette fois, après avoir permis à l’accord de Genève de juillet 2012 de tomber à plat, les Etats Unis sont sérieux dans la recherche d’une sortie négociée de la crise même si d’autres [pays] ne le sont pas [sérieux]. S’il existe un danger de déraillement de la position des Etats Unis, il viendra plus probablement des rangs de leurs amis et alliés.

 

– Jeremy Salt est professeur associé d’histoire et de politique du Moyen Orient à l’université Bilkent d’Ankara en Turquie. 


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