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Propagande sur la Syrie: nouvelle variation sur les gentils et les méchants

14 juillet 2013

On ne sait pas trop comment va évoluer le conflit en Syrie. Certes, les forces gouvernementales semblent avoir repris la main sur le terrain et infliger de sérieux revers aux forces d’opposition.

Et sur le plan politique intérieur, Bachar al-Assad vient de montrer qu’il avait les coudées franches puisqu’il a a été en capacité de faire d’importants changements de personnel dans les parti Baath, le parti auquel son pouvoir est adossé.

Enfin, certains de ses ennemis jurés sont en grande difficulté, comme le premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan voire même ont été éliminés de la scène politique comme l’émir du Qatar où le président Egyptien Mohamed Morsi.

syrie

Ceci dit, les Etats Unis et l’Arabie Saoudite n’ont pas renoncé à nuire à la Syrie et Barack Obama vient même d’annoncer que Washington respecterait son engagement de livrer des armes à l’opposition syrienne.

Pour surmonter les réticences exprimées par une partie de la classe politique aux Etats Unis, le discours public sur la Syrie été rectifié et les armes promises sont destinées aux rebelles modérés qu’on sait maintenant bien identifier puisqu’ils s’affrontent par les armes avec les « extrémistes ».

Comme le relève Moon of Alabama, ces affrontements relèvent plus de querelles locales que de divergences sur le fond.

Syrie: les insurgés « modérés”

Moon Of Alabama (USA) 13 juillet 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Il est bien connu que les insurgés syriens ont reçu, avec l’aide des Etats Unis, de nombreuses nouvelles armes provenant de divers pays arabes:

Salim Idriss, chef du commandement militaire de l’Armée Syrienne Libre (ASL) a déclaré que les nouvelles armes ont permis à l’armée rebelle de «détruire plus de 90 véhicules blindés du régime syrien. »

Mais même ces nouvelles armes ne sont pas assez pour eux. Avec leurs soutiens arabes et «occidentaux», ils  continuent à faire pression pour plus d’armes. Obama semble être prêt à livrer plus d’armes :

Le président Barack Obama a dit vendredi au roi d’Arabie Saoudite  qu’il s’est engagé à apporter le soutien des Etats Unis aux rebelles syriens qui attendent les livraisons d’armes légères qui ont été bloquées à Washington.

Le Congrès a bloqué pour l’instant toute livraison officielle d’armes américaines. Pour amener certains leaders parlementaires à changer d’opinion, la guerre en Syrie doit maintenant être redéfinie. Sur la partie gauche de la scène, voici venir maintenant le «rebelle modéré.» Au lieu de demander des armes pour combattre le «dictateur sanguinaire », le «rebelle modéré» demandera désormais des armes pour combattre les «dangereux terroristes » qui ont été ses partenaires depuis le début.

Nous lisons en effet maintenant que les Talibans pakistanais montent une succursale en Syrie et on peut voir certains insurgés lever un gigantesque “drapeau Taliban” blanc à la frontière syro-turque. Soudain, nous avons de plus en plus d’informations sur les conflits entre les insurgés «modérés» et les «terroristes» :

Kamal Hamami, le commandant de l’Armée Syrienne Libre tués jeudi dans la province côtière de Lattaquié, sortait juste d’une réunion avec d’autres membres de l’organisation sur l’approvisionnement en armes.

La semaine dernière, des membres de l’Etat Islamique ont été accusés d’avoir décapité deux combattants de l’Armée Syrienne Libre et d’avoir laissé leurs têtes coupées à côté d’une poubelle dans un square de Dana, une ville tenue par les rebelles dans la province d’Idlib près de la frontière turque. Une attaque qui était intervenue après des affrontements qui avaient éclaté lors d’une manifestation contre l’Etat islamique, causant  la mort de 13 personnes.

Récemment, un combattant de la région, Abou al-Haytham,a affirmé que la dispute entre rebelles a commencé quant un combattant étranger membre de l’Etat Islamique a violé un garçon – « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase» dit-il – et les officiers de l’Armée Syrienne Libre s’étaient plaints.

Au moins quelques unes de ces histoires sont fausses. Mais elles vont servir pour une nouvelle poussée en vue d’armer les insurgés «modérés.»

Mais on a quelques raisons de douter que quelques affrontements localisés entre quelques factions motivées par le pillage témoignent d’une fracture importante entre les diverses organisations d’insurgés :

En dépit de frictions plus nombreuses, les factions modérées et les groupes djihadistes continuent à se coordonner sur le terrain, observe Charles Lister, analyste au IHS Jane’s Terrorism and Insurgency Center. Il  affirme que cela ne va sans doute pas changer même si l’ASL peut exploiter l’assassinat pour en tirer un bénéfice politique.

“Les forces modérées pourraient s’en servir de sorte à montrer à l’occident qu’elles sont disposées à rompre les relations avec les djihadistes afin d’obtenir plus d’aide occidentale,” dit-il.  «La réalité est très différente pour les officiers sur le terrain.»

Ces groupes travaillent ensemble depuis le début de l’insurrection.  Si les Syriens étaient en majorité plus modérés au début, il y avait quand même des extrémistes religieux qui baptisaient leurs bataillons du nom de guerriers sunnites historiques. Leurs différences avec les djihadistes étrangers qui combattent en Syrie sont moindres qu’avec la population syrienne en général. Le type tristement célèbre qui a été filmé en train de manger le poumon d’un soldat Syrien mort ? Un combattant local «modéré » de l’Armée Syrienne Libre. Est-il supposé recevoir plus d’armes parce qu’il affronte aussi d’autres djihadistes par rapport à sa part du butin ?

Laisser entendre qu’il y a les «bons» insurgés «modérés » est un procédé cousu de fil blanc. S’il existe  des différences idéologiques entre les diverses organisations, elles sont de l’ordre de la nuance. Par ailleurs, tout renforcement de l’armement de n’importe quel groupe d’insurgés donnera lieu à un renforcement de l’armement du régime et ne fera que coûter plus de vies et plus de sang.

Les réfugiés Syriens fuient-ils tous la violence du régime?

26 juillet 2012

Il s’en faut de beaucoup en réalité.

Un article du Spiegel allemand qui, s’il n’a sans doute pas grande valeur en termes d’analyse politique, nous rappelle que tous les réfugiés qui quittent la Syrie ne le font pas par crainte des forces gouvernementales. On avait vu par exemple que les Irakiens fuient la Syrie sous la pression des forces d’opposition au régime de Damas. De la même manière, le Spiegel nous parle de ces chrétiens qui fuient également la marche en avant de la démocratie, à Qusayr notamment. Et puis on a tous ces réfugiés qui fuient simplement la situation dangereuse que connaît leur pays.

Incidemment, nous apprenons que d’autres réfugiés sont tout simplement les membres des familles de ceux qui ont pris les armes contre le gouvernement de leur pays et qui ne se gênent pas pour menacer ou tuer leurs compatriotes qui ne sont pas de la bonne confession ou couleur politique. Leur parenté étant en sécurité, ils se sentent effectivement libres de se livrer à leurs exactions.

D’ailleurs ces combattants eux-mêmes sont qualifiés de réfugiés ! C’est dire à quel point la crise syrienne permet à la presse occidentale de donner libre cours à ses abus de langage.

Pour information, c’est plus d’un million de réfugiés que la Syrie accueillait sur son sol au début cette crise. Des réfugiés essentiellement Irakiens qui avaient fui la terreur imposée par George W. Bush et d’autres grands démocrates occidentaux comme Tony Blair. Mais bon Dieu, vous savez pas que la terre d’asile c’est la France ?

A comparer aux 112 000 réfugiés Syriens à l’étranger décomptés par l’ONU (et non les centaines de milliers comme l’indique l’article).

Sur la question des réfugiés Syriens, je me permets de vous renvoyer à un précédent post qui est plus que jamais d’actualité.

Je souhaite bien entendu que tous ces réfugiés puissent rentrer chez eux en toute sécurité, chose qui dépend avant tout malheureusement des pétromonarchies et de l’OTAN.

Pour finir cette introduction à l’article, quand je parle de la valeur limitée de l’article en termes d’analyse politique, je veux simplement dire qu’il semble ignorer la place capitale des chrétiens d’orient dans l’idée moderne de nation arabe. Une idée dont le régime de Damas, avec tous ses défauts il est vrai, est sans doute la dernière incarnation. C’est pour cette raison aussi que les monarchies démocratiques du Golfe ont décidé de l’éliminer.

Les Chrétiens fuient les rebelles extrémistes en Syrie

par Ulrike Putz à Qa, Liban

Der Spiegel (Allemagne) 25 juillet 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Des milliers de Syriens fuient vers le Liban voisin – pas tous par peur du régime Assad. La minorité chrétienne du pays souffre sous les coups des attaques menées par les troupes rebelles. Dans la vallée de la Bekaa dans l’est du Liban, les familles chrétiennes ont trouvé un refuge temporaire, mais elles sont encore terrifiées.

On nous a averti maintes fois que la famille Khouri (nom d’emprunt) n’accepterait pas de parler. »Ils ne diront pas un mot – ils sont trop effrayés,» nous avait prédit le maire de Qa, un petite bourg du nord-est du Liban où les Khouris se sont installés. « Ils n’ouvriront pas même la porte aux journalistes,» avait dit une autre personne qui était entrée en contact avec la famille pour une organisation non gouvernementale.

D’une manière ou d’une autre, l’interview a quand même pu être organisée en fin de compte. Réservées et hésitantes, les femmes ont relaté ce qui était arrivé à leurs maris, frères et neveux dans leur ville de Qusayr en Syrie. Ils ont été assassinés par des combattants rebelles syriens, disent les femmes – assassinés parce qu’ils étaient chrétiens, des gens qui, aux yeux des combattants de la liberté islamistes radicaux, n’ont pas de place dans la nouvelle Syrie.

En un an et demi, depuis le début du soulèvement contre Bachar al-Assad, le président autoritaire de la Syrie, des centaines de milliers de Syriens ont fui leurs domiciles pour chercher refuge à l’étranger. A l’intérieur du pays, les nations Unies estiment à 1 million le nombre de personnes qui sont parties de chez elles pour fuir la violence et se retrouvent maintenant déplacées à l’intérieur du pays. La majorité a probablement fui pour échapper à la brutalité des soldats d’Assad. En effet, comme c’est le cas depuis le début de la guerre civile syrienne, la plupart des violences sont toujours commises par l’armée, les services secrets et des groupes de voyous aux ordres de l’Etat.

Avec la poursuite des combats cependant, les rebelles ont aussi commis des excès. Et certaines factions qui composent le patchwork de groupes disparates qui forment l’Armée Syrienne Libre se sont radicalisées à un rythme très rapide dans les derniers mois. Certains sont même influencées par des djihadistes étrangers qui sont venus en Libye pour leur prodiguer leurs conseils. C’est du moins ce que rapportent les témoignages sur le terrain à Qusayr où de rudes combats ont fait rage pendant des mois. Le contrôle de la ville a changé de mains à plusieurs reprises ; passant parfois entre celles du régime et parfois entre celles des rebelles. En ce moment, ce sont les combattants de l’Armée Syrienne Libre qui ont la haute main, e t ils ont fait de cette ville de 40 000 habitants un endroit où la minorité chrétienne du pays ne se sent plus en sécurité.

Campagnes contre les Chrétiens

«Il y a toujours eu des chrétiens à Qusayr – ils étaient environ 10 000 avant la guerre [civile], » explique Lila, la matriarche du clan Khouri. Présentement, 11 membres du clan se partagent deux pièces. Il y a la grand-mère, le grand-père, trois filles, un mari et cinq enfants. «En dépit du fait que beaucoup de nos époux travaillaient dans la fonction publique, ça se passait plutôt bien avec les rebelles pendant les premiers mois de l’insurrection. Les rebelles laissaient les chrétiens tranquilles. De leur côté, les chrétiens prenaient soin de préserver leur neutralité dans l’esclade des combats. Mais la situation a commencé à se détériorer l’été dernier, raconte Lila, baissant un peu plus la voix avant de garder le silence.

 «Nous avons trop peur pour parler,» explique sa fille Rim, avant de trouver le courage de poursuivre. «l’été dernier, des salafistes sont venus à Qusayr, des étrangers. Ils ont monté les rebelles locaux contre nous, » dit-elle. Bientôt, une campagne ouvertement contre les chrétiens de Qusayr a pris forme. «Ils disaient dans les sermons du vendredi dans les mosquées que c’était un devoir sacré que de nous expulser, » dit-elle. «Nous étions constamment accusés de travailler pour le régime. Et les chrétiens devaient souvent graisser la patte  des djihadistes pour éviter d’être tués.»

La grand-mère, Leila, fait le signe de la croix. «Quiconque croit en cette crois souffre,» dit-elle.

Des Djihadistes Etrangers au Combat à Qusayr

Il n’est pas possible de corroborer de manière indépendante le récit des Khouris, mais l’essentiel des informations est cohérent avec ce qu’on sait déjà. Le 20 avril, Abdel Ghani Jawhar a involontairement apporté la preuve que des djihadistes étrangers participent aux combats à Qusayr. Jawhar, un ressortissant libanais qui était un des chefs de l’organisation terroriste Fatah al islam, avait péri dans la ville syrienne ce jour là. Spécialiste des explosifs, Jawhar se trouvait à Qusayr pour former les rebelles à la fabrication de bombes et il une bombe qu’il était en train d’assembler avait explosé accidentellement. Jusqu’à sa mort, Jawhar avait été l’homme le plus recherché au Liban où il était mis en cause pour la mort de 200 personnes. Les autorités libanaises ont confirmé sa mort en Syrie. Le fait que les rebelles aient coopéré avec un homme comme Jawhar a éveillé des craintes de coir après sa mort les rangs insurgés de plus en plus infiltrés par des acteurs du terrorisme international.

La décision des Khouris de fuir la Syrie est en partie attribuable aux menaces quasi quotidiennes qu’ils commençaient à recevoir, tout comme les autres chrétiens de la ville. Elle résulte aussi cependant du fait que les combats dans la ville sot tout simplement devenus insupportables. «Les bombes tombaient au beau milieu de notre quartier. Nous sommes incapables de dire d’où venaient les tirs – des rebelles ou de l’armée, » déclare un membre de la famille. Pendant une pause dans les tirs, un jour d’hiver glacial, la famille a fini par partir. «Nous nous sommes procurés une voiture et nous avons roulé vers le Liban. Le trajet n’est que de 45 minutes.»

Le mari de Rim avait aussi fui avec eux. Son destin fut scellé quand il repartit en voiture pour Qusayr, le 9 février. Il possédait une supérette dans la ville et il voulait rentrer pour ramener de la nourriture à sa famille en exil. Sa famille ne sait ce qui lui est arrivé par ce que leur en ont raconté des parents et amis qui sont restés à Quasyr. «Il a été stoppé à un checkpoint rebelle près de la bolangerie gérée par l’Etat, »explique Rim. «les rebelles savaient qu’il était chrétien. Ils l’ont emmené et puis ils ont jeté son corps devant la porte de la maison de ses parents quatre ou cinq heures après.»

La grand-mère Leila se signe à nouveau. Il n’y a pas que son gendre qui a été tué. Son frère et deux de ses neveux ont aussi été tués. «Ils ont tué par balles un de mes neveux, un pharmacien, dans son appartement parce qu’il soutenait le régime,» dit-elle.

Peur de ses Compatriotes Syriens

32 familles chrétiennes ont trouvé refuge et asile à Qa, qui se trouve à seulement 12 kilomètres de la frontière syrienne. Quoique la ville soit aussi chrétienne et veille sur ceux qui ont fui les rebelles pour cette raison, n’empêche pas les Khouris et les autres victimes comme eux de vivre dans un état de permanent de peur.  La première raison en est qu’ils peuvent entendre le grondement assourdi des tirs d’artillerie dans la Syrie toute proche. Le bruit diffuse bien au-delà de la frontière et sert de rappel constant de ce qui se passe dans leur pays. Le jour de l’interview, on pouvait voir une colonne de fumée s’élever derrière au-dessus de la chaîne de montagne à côté. La veille, un obus avait touché une station service du coté syrien de la frontière provoquant un incendie qui n’est toujours pas terminé. Il y a quatre semaines, les Khouris ont appris que leur maison avait été détruite après avoit été frappée par une roquette

Mais ce dont la famille a le plus peur, c’est de ses propres compatriotes Syriens. En tant que ville frontalière, Qa est un pôle d’attraction pour deux types de réfugiés, explique Mansour Saad. «Vous avez d’un côté les chrétiens qui fuient les rebelles,» dit-il. Et puis vous avez les réfugiés qui appartiennent aux familles des hommes qui combattent dans des rangs de l’ASL. Ces deux groupes antagonistes s’affrontent parfois dans leur exil libanais.»

«Il y a beaucoup de tension entre eux, » observe Saad. «Nous faisons de notre mieux pour maintenir les deux groupes séparés.»

Comme de nombreux chrétiens Libanais et Syriens, Saad est aussi un partisan du régime d’Assad. En tant que minorité religieuse au Moyen Orient, les Chrétiens n’ont guère d’autre choix que de s’aligner avec un homme fort qui peut les protéger, déclare Saad. «Les rebelles n’ont pas réussi à me convaincre qu’ils luttaient pour plus de démocratie, » affirme le maire.

Et si on peut franchement se des poser des questions sur le régime syrien, par exemple sur le fait « qu’il n’y a assurément pas de liberté d’expression en Syrie,» il considère que les rebelles ne sont pas mieux. Il y a avait peut-être des objectifs louables au début du soulèvement, mais l’insurrection a depuis été détournée par les islamistes, soutient le maire. «Et nous savons quel genre de musulmans a pris la tête de la rébellion : ceux qui voudraient ramener la population à l’âge de pierre.»

* Les noms des personnes citées ont été changés afin de protéger l’identité des personnes interviewées.

Syrie: quand on s’occupe du « jour d’après, » on s’occupe pas du « jour d’avant »

21 juillet 2012

Je vous propose un article qui a été signalé par plusieurs sources, dont Angry Arab et un commentateur sur le site InfoSyrie (favorable au gouvernement syrien).

Il vient en fait utilement illustrer (s’il en était besoin) l’article très documenté de Charlie Skelton sur la gestion d’une partie de l’opposition syrienne par les Etats Unis et leurs habituels associés, la Grande Bretagne et la France.

L’organisme dont il est question ici, l’U.S. Institute for Peace (USIP), s’intéresse à l’organisation institutionnelle de la Syrie le ‘jour d’après’.

Et non, le ‘jour d’après’ n’est pas celui qui suit une catastrophe, nucléaire ou climatique comme on  pu en voir sur les écrans.

Parce que le ‘jour d’après’ c’est le lendemain de la chute du régime baathiste, ce qui, du point de vue américain, serait tout sauf une catastrophe.

A lie cet article de Foreign Policy, on a presque le sentiment d’être devant des gens qui font un travail innocent et cherchent à rendre un service désintéressé. Voyez-vous, ils rendent même compte de leurs travaux à l’ONU et à la Ligue Arabe.

Le gouvernement syrien n’y est cependant pas convié. Et pour cause. Depuis quand un Etat souverain, démocratique ou non, confie-t-il sa destinée à une officine qui dépend directement d’ ‘un gouvernement étranger.

Et on croit comprendre que certains acteurs politiques ne participent pas non plus aux discussions. C’est semble-t-il le cas des Frères Musulmans et d’autres organisations qui ne sont pas « mainstream » sans qu’on sache exactement ce qui est entendu par là.

Peut-être l’opposition patriotique qui a toujours refusé de pactiser avec la France, la Grande Bretagne et les Etats Unis ? En tout cas l’article laisse clairement apparaître qu’une partie de l’opposition est hostile aux manigances de l’USIP.

Le responsable de cette officine, Steven Heydemann insiste sur le fait qu’elle ne travaille pas sur les modalités d’éviction du pouvoir en place. Du moins pas directement.

De toute façon, nous précise-t-il, si son organisation travaille sur le ‘jour d’après’, d’autres travaillent sur le ‘jour d’avant.’

 C’est ce qu’on appelle la division du travail, le taylorisme appliqué à la chirurgie sociopolitique.

Au cœur de l’effort discret pour organiser une Syrie post-Assad

par Josh Rogin, The Cable – Foreign Policy (USA) 20 juillet 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ces six derniers mois, quarante hauts responsables des diverses organisations de l’opposition syrienne se sont réunis discrètement sous la tutelle de l’U.S. Institute for Peace (USIP) pour étudier les modalités de mise en place d’un gouvernement post-Assad.

Ce projet, qui l’implique pas directement des officiels du gouvernement des Etats Unis mais a été partiellement financé par le Département d’Etat, a vu sa pertinence s’accroître ce mois-ci avec le déchaînement d’une violence incontrôlée en Syrie et l’éloignement de la perspective d’une transition politique pacifique. Le responsable du projet, Steven Heydemann de l’USIP, un universitaire spécialiste de la Syrie, a présenté le plan à des officiels de l’administration Obama ainsi qu’à des officiels d’autres pays, y compris en marge de la réunion des Amis Syrie à Istanbul le mois dernier.

Le projet est baptisé «Le jour d’après : Soutenir une transition démocratique en Syrie.» Heydemann a parlé en détail du projet pour la première fois dans un entretien accordé à The Cable. Il a décrit l’action de l’USIP comme consistant à « travailler dans un rôle d’appui à un groupe important d’organisations d’opposition pour définir une Syrie post-Assad.»

Les leaders d’opposition impliqués dans le projet de l’USIP se réunissent depuis janvier et informent de leurs travaux la Ligue Arabe, le groupe des Amis de la Syrie, l’équipe de l’envoyé spécial de l’ONU Kofi Annan et le Conseil national Syrien d’opposition.

Les efforts du groupe se concentrent sur la mise au point de plans concrets pour ce qui suivra immédiatement après l’effondrement du régime, pour atténuer les risques d’un chaos bureaucratique, sécuritaire et économique. Le projet a aussi identifié certaines choses qui peuvent être faites à l’avance pour préparer une Syrie post-Assad.

«Nous avons organisé le projet par des approches systématiques, y compris pour la réforme du secteur de la sécurité,» explique Heydemann. Nous avons apporté un appui technique aux opposants Syriens qui participent à notre projet, et les Syriens ont identifié des priorités pour des choses qui doivent être mises en œuvre maintenant.»

Il souligne que le rôle de l’USIP est principalement un rôle de facilitation et de coordination. «Les Syriens sont beaucoup à l’initiative là-dessus,» dit-il.

Dans les semaines à venir, l’USIP a l’intention de publier un rapport sur le projet qui fera fonctionde document de stratégie à l’usage du nouveau gouvernement. La phase suivante est la mise sur pied d’un réseau de soutien «pour commencer à appliquer ces recommandations au sujet des choses qui doivent se produire maintenant,» explique Heydemann.

En plus de la réforme du secteur de la sécurité, le groupe a abouti à un plan de réforme du secteur de la justice et à un cadre de travail pour le rôle de l’opposition armée dans la Syrie post-Assad. L’idée est de préserver ces structures de l’Etat syrien qui peuvent être maintenues le temps de préparer des réformes dans les secteurs qui ne peuvent pas attendre. A titre d’exemple, une bonne partie du système judiciaire syrien pourrait être conservé.

Le groupe a mis au point quelques propositions innovantes pour rendre moins chaotique la transition post-Assad. Un exemple cité par Heydemann était l’idée de brigades mobiles de contrôle judiciaire qui pourraient être déployées afin d’examiner rapidement et de libérer les détenus prisonniers du régime après sa chute.

Le projet a également essayé d’identifier les personnels du régime qui pourraient jouer un rôle utile dans  la phase suivant immédiatement la chute d’Assad.

«Les Syriens qui travaillent à ce projet comprennent très bien qu’une transition ne consiste pas à effacer l’ensemble du cadre juridique et politique de la Syrie,» observe Heydemann. «Nous avons appris quantité de choses par les participants de sorte que nous pouvons vraiment commencer un travail de sélection très grossier.» ­[de ce qui doit subsister].

Le projet conduit par l’ISIP a soigneusement évité de travailler à l’éviction du pouvoir du régime d’Assad.

«Nous avons tout à fait intentionnellement laissé de côté toute contribution directe au renversement du régime d’Assad, » déclare Heydemann. «Notre projet s’intitule ‘le jour d’après.’ Il y a d’autres groupes qui travaillent sur le jour d’avant.»

Le projet a été financé par le Département d’Etat, mais il a aussi reçu des subventions du ministère suisse des affaires étrangères ainsi que d’ONG de Norvège et des Pays-bas. L’USIP est partenaire de l’Institut Allemand des relations Internationales, c’est pourquoi toutes nos réunions se sont tenues à Berlin.

L’absence d’officiels de l’administration Obama à ces réunions, même en tant qu’observateurs, était délibérée.

 «C’est une situation où un rôle trop visible des Etats Unis aurait été extrêmement contre-productif. Il aurait donné au régime d’Assad et à [certains] des éléments de l’opposition une excuse pour délégitimer le processus,» explique Heydemann.

Il dit aussi qu’aucune des organisations qui s’écartent des courants dominants de l’opposition n’a de relations avec le projet, bien que les participants supposent que les islamistes seront une composante significative de tout nouvel ordre politique syrien.

L’idée n’est pas de prédire si, comment et quand le régime d’Assad pourrait tomber, mais plutôt de faire autant que possible, le plus discrètement possible, pour se préparer à toute éventualité.

« L’effondrement du régime pose un ensemble de défis ; une transition négociée en pose d’autres. Même si nous ne sommes pas certains qu’une transition va se produire, il serait profondément irresponsable de ne pas se préparer à une transition, » déclare Heydemann. «Nous donnons à l’opposition une opportunité pour qu’elle fasse la démonstration de sa capacité à entreprendre ce travail, ce qui est déjà très important.»

Le plan contre la Syrie date de 1957

18 février 2012

Le plan contre la Syrie qui est mis à exécution en ce moment a été défini dans son principe en 1957. Son application tient bien entendu compte des circonstances, notamment du fameux « printemps arabe » ou du fait que les puissances occidentales se sentent aujourd’hui obligées d’invoquer des considérations humanitaires, ce qui n’était pas le cas à une époque pas si lointaine. Et que M. Sarkozy se sent l’âme d’un révolutionnaire (on aura tout vu).

Que ceux qui joignent leurs voix aux régimes occidentaux qui réclament da tête de Bachar al-Assad se demandent une seconde depuis quand les Etats occidentaux veulent du bien aux Arabes ?

Ah oui, peut-être depuis Lawrence d’Arabie et la révolte arabe qui aboutira d’un côté à l’émancipation de certains pays arabes de la domination ottomane et de l’autre aux accords Sykes-Picot qui se traduiront par le mandat français sur la Syrie (Syrie + Liban) et le mandat britannique sur la Palestine avec le résultat que nous connaissons.

S’il y a des gens qui ne tirent aucune leçon de l’histoire, c’st bien nous malheureusement.

L’article que je vous propose a été publié en … 2003 !

Mcmillan avait soutenu un projet d’assassinat en Syrie

Des documents montrent que la Maison Blanche et le 10 Downing Street avaient comploté un projet d’invasion motive par le pétrole

Par Ben Fenton, The Guardian (UK) 27 septembre 2003 traduit de l’anglais par Djazaïri

Près de 50 ans avant l’invasion de l’Irak, la Grande Bretagne et les Etats Unis avaient secrètement envisagé un « changement de régime » dans un autre pays arabe qu’ils accusaient de répandre la terreur et de menacer l’approvisionnement pétrolier de l’Occident, en élaborant un plan d’invasion de la Syrie et d’assassinat de ses hauts dirigeants.

Des documents découverts récemment montrent comment en 1957, Harold Mcmillan et le président Dwight Eisenhower avaient approuvé un plan du MI6 et de la CIA consistant à mettre en scène de pseudo incidents frontaliers comme prétexte pour une invasion de la Syrie par ses voisins pro-occidentaux, puis pour « éliminer » le triumvirat le triumvirat le plus influent à Damas.

Les plans, discutés avec une franchise effroyable ont été découverts dans les archives privées de Duncan Sandys, le ministre de la défense sous Mcmillan, par Matthew Jones, un maître de conférences en histoire à Royal Holloway, université de Londres.

Même si les historiens savent que les services secrets avaient cherché à renverser le régime syrien à l’automne 1957, c’est la première fois qu’un document est découvert qui montre que l’assassinat des trois plus hauts dirigeants était au Cœur du projet. Le document mis au point par un groupe de travail de haut niveau et top secret qui s’était réuni à Washington en 1957 ne laissait aucun doute à Mcmillan et le président Eisenhower quant à la nécessité d’assassiner les principaux dirigeants à Damas.

On lit dans une partie du “plan préféré » : « Afin de faciliter l’action des forces de libération, de réduire les possibilités pour l’armée syrienne d’organiser et de diriger ses actions militaires, de limiter au minimum pertes et destructions, et pour obtenir le résultat souhaité dans le laps de temps le plus court possible, un effort particulier doit être fait pour éliminer certaines personnes qui sont aux postes clefs. Leur élimination devrait être réalisée dès le début de l’insurrection et de l’intervention et à la lumière des circonstances du moment.»

Le document approuvé par Londres et Washington désignait trois hommes : Abd al-Hamid Sarraj, chef du renseignement militaire syrien; Afif al-Bizri, chef d’état major, et Khalid Bakdash, dirigeant du Parti Communiste Syrien.

Pour un premier ministre dont l’accession au pouvoir s’était largement faite sur le dos de la désastreuse et grotesque expédition de Suez juste une année avant, M. Mcmillan était remarquablement belliqueux. Il décrivait [ce plan] dans son journal comme «un rapport des plus formidables.»  Le secret avait été très grand, Mcmillan avait ordonné même les chefs de l’état major britannique n’en soient pas informés à cause de leur tendance à «bavarder.»

L’inquiétude au sujet des positions de plus en plus antioccidentales et pro soviétiques de la Syrie était devenue forte à Downing Street et à la Maison Blanche depuis la déposition en 1954 du régime militaire conservateur du colonel Adib Chichakli par une alliance du parti Baath avec des politiciens du parti communiste et leurs alliés dans l’armée syrienne.

A la pointe de l’appel au passage à l’action, se trouvait le chef de la CIA pour le Moyen Orient, Kermit Roosevelt, petit fils de l’ancien président Theodore Roosevelt. Il avait identifié le colonel Sarraj, le général al-Bizri et M. Bakdash comme l’incarnation du pouvoir réel derrière un président de façade. Le triumvirat s’était encore plus rapproché de l’orbite de Nikita Khroutchev après la désastreuse tentative franco-britannique, en collusion avec Israël, d’annuler la nationalisation du canal de Suez.

En 1957, malgré l’opposition américaine à l’opération de Suez, le président Eisenhower avait considéré ne pas pouvoir ignorer plus longtemps le risqué de voir la Syrie devenir pour Moscou un foyer d’expansion du communisme dans tout le Moyen Orient. Lui et Mcmillan craignaient que la Syrie déstabilise ses voisins pro-occidentaux en exportant le terrorisme et en encourageant les dissidences internes.  Plus important encore, la Syrie avait aussi le contrôle d’une des principales routes du pétrole au Moyen orient, l’oléoduc qui reliait les champs pétroliers de l’Irak pro-occidental à la Turquie.

Le “plan préféré” ajoute: “Dès qu’une décision politique sera prise de déclencher des troubles intérieurs en Syrie, la CIA est prête et le SIS [MI6] tentera de monter des incidents comme de petites opérations de sabotage et des coups de main en Syrie dans le cadre d’une collaboration avec certains individus.

“Les deux services [CIA et MI6] devront se consulter, le cas échéant, pour éviter tout doublon ou interférence avec les activités de l’autre… Les incidents ne devraient pas être concentrés à Damas, l’opération ne devrait pas avoir une ampleur exagérée ; et dans la mesure du possible, il faudrait veiller à éviter que les dirigeants les plus importants du régime syrien prennent des mesures supplémentaires pour leur protection personnelle.»

Sabotages

Le rapport indique que dès que le niveau nécessaire de peur aura été créé, des incidents et des heurts frontaliers seraient mis en scène pour donner un prétexte pour une intervention militaire irakienne et jordanienne. Il faut « faire apparaître la Syrie comme à l’origine de complots, de sabotages et d’actes de violence dirigés contre des gouvernements voisins, » explique le rapport. « La CIA et le SIS devraient se servir de leurs moyens dans les domaines psychologique et action pour faire monter la tension.» Ce qui voulait dire des opérations en Jordanie, en Irak et au Liban sous la forme de « sabotages, conspirations internes et diverses activités musclées » qu’on reprocherait à Damas.

Le plan appelait à financer un “Comité de la Syrie Libre,” et à armer les « factions politiques avec des moyens paramilitaires ou d’autres moyens de faire émerger des forces» à l’intérieur de la Syrie. La CIA et le MI6 susciteraient des soulèvements internes, par exemple chez les Druzes au sud, aideraient à la libération des prisonniers politiques détenus dans la prison de Mezze et mettraient en mouvement les Frères Musulmans à Damas.

Les auteurs du plan envisageaient de remplacer le régime du parti Baath/Communiste par un autre qui serait fermement antisoviétique, mais ils concédaient qu’il ne serait pas populaire et « aurait besoin de s’appuyer d’abord sur des mesures répressives et l’exercice arbitraire du pouvoir.»

Le plan n’a jamais servi, principalement parce que les voisins arabes de la Syrie n’ont pas pu être persuadés de passer à l’action et qu’une attaque qui serait venue de la seule Turquie était considérée comme inacceptable. L’année suivante, les Baathistes se tournèrent contre leurs anciens alliés communistes et firent adhérer la Syrie à une fédération avec l’Egypte du colonel Nasser qui durera jusqu’n 1963.

Ce que pourrait (aurait pu?) être la voie vers le changement et la paix en Syrie

18 novembre 2011

Jonathan Steele est ce qu’on appelle un journaliste chevronné. C’est cependant dans une tribune libre qu’il livre son analyse de ce qui pourrait permettre une issue positive à la crise en Syrie.

Son propos est très clair et il rejoint les thèses que je vous avais présentées tantôt. Dans l’affaire syrienne, il est patent que les régimes occidentaux jouent un rôle de fermeture méthodique  de toutes les issues vers une solution pacifique et négociée et que leur but est une guerre civile.

Comme l’écrivait Ehsani sur Syria Comment, le schéma occidental passe par le constitution d’une zone sanctuarisée en territoire syrien à partir de laquelle une opposition armée pourrait agir à l’abri de représailles.

Un tel schéma serait sans doute insuffisant pour renverser le régime au pouvoir, mais suffisant pour l’affaiblir. Les puissances occidentales semblent cependant ne  pas toutes avoir le même agenda pour la Syrie. La France, ancienne puissance mandataire ne l’oublions pas, semble être la plus en pointe comme sur le dossier libyen

Les implications stratégiques ne sont cependant pas les mêmes ici car toute intervention militaire des occidentaux aurait des conséquences immédiates sur leur protégé, à savoir l’entité sioniste.

Ces conséquences seraient même à double détente. : tout d’abord une riposte militaire syrienne et sans doute libanaise sur le territoire de l’entité sioniste puis, en cas de changement de régime à Damas, l’arrivée au pouvoir de dirigeants partisans d’une escalade avec le régime sioniste, ou tout simplement incapables d’empêcher des actions de résistance aux frontières avec l’Etat voyou.

La seule solution pour éviter un tel scénario serait une intervention militaire massive, éclair avec occupation du territoire et élimination physique de l’encadrement baathiste de la société syrienne..

On voit mal l’ONU, (ou la Chine et la Russie)  donner son feu vert à quelque chose de ce genre et je n’imagine pas non plus quels pays pourraient se lancer dans une telle aventure qui, pour avoir une chance de succès, devrait impliquer la participation de l’armée turque et surtout celle de l’armée sioniste.

Pour cette dernière, il est vrai que ce serait de fait une occasion inespérée d’assouvir en partie son aspiration d’étendre son territoire du Nil jusqu’à l’Euphrate.

On peut essayer, avec Jonathan Steele, d’être optimiste et souhaiter la réussite des tentatives de médiation menées par la Russie mais aussi par l’Iran qui a également pris langue avec les opposants au pouvoir baathiste.

Ceci dit, le chemin vers la paix en Libye était encore plus clair grâce à une Union Africaine dont les efforts avaient été consciencieusement sabotés par le France et la Grande Bretagne. Et Alain Juppé a en ce moment des accents qui rappellent furieusement ceux qui étaient les siens dans l’affaire libyenne.

Ici, pas d’Union Africaine, seulement une Ligue Arabe discréditée.

 

La Syrie a besoin d’une médiation et non d’être précipitée dans une guerre civile

En suspendant un pays en crise, la ligue Arabe réduit les possibilités pour le régime Assad de négocier pacifiquement un virage dangereux.

Par Jonathan Steele, The Guardian (UK)17 novembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

La Syrie est au bord de la guerre civile et  la Ligue Arabe semble, de manière insensée, avoir décidé de pousser dans cette direction. Une perspective horrible au moment où le Qatar et l’Arabie Saoudite, les faucons du Golfe, sont rejoints par l’habituellement modéré roi Abdallah de Jordanie pour prendre parti en faveur des opposants au régime syrien d’Assad.

Alors que le bon sens enjoignait aux gouvernements arabes de chercher à servir de médiateurs entre le régime et ses opposants, ils ont au contraire choisi d’humilier les dirigeants de la Syrie en la suspendant de la Ligue Arabe.

Ce n’est pas un hasard si la minorité des membres de la Ligue Arabe qui a refusé de suivre cette décision comprend le Liban, l’Irak et l’Algérie. Ce sont trois pays arabes qui ont éprouvé eux-mêmes une grave violence sectaire et les horreurs de la guerre civile.  Le Liban et l’Irak en particulier, sont un intérêt direct à empêcher une effusion de sang à grande échelle en Syrie. Ils craignent à raison un énorme afflux de réfugiés à leurs frontières en cas de basculement de leur voisin dans la guerre civile.

Cette guerre a déjà commence. L’image d’un gouvernement abattant des manifestants désarmés, qui était vraie en mars et avril derniers, n’est plus d’actualité. La dénommée Armée Syrienne Libre ne dissimule plus le fait qu’elle combat et tue des membres de la police et des forces gouvernementales, et qu’elle opère depuis des bases à l’abri en dehors des frontières syriennes. Si elle monte en puissance, la guerre civile naissante prendra une tournure encore plus ouvertement sectaire avec le risque de pogroms contre des communautés rivales.

Les Sunnites modérés en Syrie sont préoccupés par le renforcement de la présence militante des Frères Musulmans et des salafistes qui se retrouvent en position dominante dans les rangs de l’opposition. Les grandes manifestations pro-gouvernementales à Alep et Damas la semaine dernière ne peuvent pas être simplement mises au compte de foules intimidées ou menacées de perdre leur emploi si elles ne descendent pas dans la rue pour le régime.

Dans le même temps, l’importante minorité chrétienne de Syrie est submergée par l’inquiétude,  craignant de subir le même sort que les Chrétiens Irakiens qui ont été contraints de fuir quand le sectarisme meurtrier a accentué la saillance de l’identité religieuse de chaque citoyen et a commencé à accabler également les non Musulmans. Dans le nord de la Syrie, les Kurdes sont aussi nerveux au sujet de leur avenir. En dépit du refus ancien et persistant par le régime de reconnaître leurs droits nationaux, la plupart d’entre eux craint encore plus les Frères Musulmans.

Le régime Assad a commis erreur sur erreur. Stupéfait par les premières manifestations du printemps dernier, il a recouru trop vite à la force. Il a empêché la présence de la presse étrangère et censuré sa propre presse et sa télévision, laissant ainsi le champ libre aux rumeurs, à l’exagération et aux distorsions de séquences vidéo diffusées au hasard sur YouTube. Ses offres de dialogue avec l’opposition ont été hésitantes et n’ont pas semblé sincères. Les attaques de ces derniers jours contre des ambassades arabes à Damas ont été stupides.

Le résultat en a été que la situation s’est de plus en plus polarisée. Le régime dénonce l’opposition basée à l’étranger, le Conseil National Syrien (CNS)) créé le mois dernier, comme étant une marionnette des gouvernements étrangers. De son côté, le CNS refuse de discuter avec le régime et insiste sur la nécessité du départ d’Assad. Il s’est lancé dans des appels à une zone d’exclusion aérienne et à une intervention étrangère sur le modèle libyen, qui sont autant d’incitations à la guerre civile. L’opposition de l’intérieur n’est pas allée aussi loin mais pourrait être poussée dans cette direction si la situation continue à se durcir.

La Syrie a aujourd’hui besoin d’une médiation internationale avant qu’il ne soit trop tard, avec un échéancier pour une transition démocratique qui comprendrait des garanties de statut pour toutes les minorités, dont pour les Alaouites à laquelle appartiennent les élites au pouvoir. Le risque d’une domination accompagnée d’une vengeance par la majorité sunnite est trop grand.

Exiger le départ de la famille Assad est contre-productif sauf si une amnistie est proposée. Pourquoi les Assad accepteraient-ils de céder le pouvoir pacifiquement au vu des précédents de Moubarak (emprisonnement et jugement) et de Kadhafi (lynchage) ?  Du moins, la Cour pénale Internationale n’est pas de la partie, ce qui aurait rendu la crise encore pire.

La réunion de la Ligue Arabe ce mercredi à Rabat a montré des signes que l’organisation commençait peut-être à avoir des doutes sur sa décision hâtive de suspendre la Syrie samedi dernier. La décision n’était pas conforme aux statuts de la Ligue qui prévoient que seul un sommet des chefs d’Etat arabes peut appeler à la suspension d’un membre, et que la décision doit être prise à l’unanimité. La Ligue Arabe vient de reporter l’application de la mesure. Elle a donné trois jours à la Syrie pour accepter des observateurs civils et militaires pour contrôler la situation sur le terrain. [cet aspect des démarches de la Ligue Arabe est présenté de manière biaisée  ou fort discrètepar vos journaux, NdT] 

Si cela devait devenir un effort sérieux de médiation, tant mieux. Le meilleur modèle est l’accord qui avait mis un terme à la guerre civile au Liban, obtenu après des discussions à Taef en Arabie Saoudite en 1989. Quoique négocié par les diverses parties  et groupements d’intérêts libanais, le parrainage et le soutien saoudiens avaient été importants.

L’éventualité que l’Arabie Saoudite joue un tel rôle aujourd’hui est fort douteuse. Ardemment soutenue par l’administration Obama, la monarchie semble pencher pour une stratégie anti-iranienne dans laquelle le renversement d’un régime syrien dominé par des Chites est conçu comme un coup indirect porté contre Téhérn. Les Saoudiens et les Américains coopèrent étroitement avec les forces sunnites de Saad Hariri à Beyrouth qui n’ont toujours pas digéré d’avoir perdu leur contrôle du gouvernement libanais ce printemps.

La Turquie avait tenté une médiation pendant l’été, mais sa démarche avait été taxée de duplicité par le régime Assad parce que la Turquie aidait en même temps l’opposition syrienne à s’organiser à Istanbul. Ecartelée ente son désir d’avoir de bonnes relations avec l’Iran voisin ainsi qu’avec les régimes sunnites arabes,  la Turquie  s’est rangée entièrement du côté anti-Assad. Les pressions des Etats Unis et l’accord renouvelé  de Washington pour fermer les yeux sur les incursions de l’armée turque contre les bases de la guérilla kurde dans le nord de l’Irak ont sans doute joué un rôle.

En théorie, l’ONU pourrait assurer une médiation, mais ses démarches pour négocier un arrêt de la guerre civile en Libye n’avaient eu aucun soutien de la part des membres occidentaux du Conseil de sécurité. Avec leur attitude anti-Assad et contre une amnistie, ils semblent tout aussi peu disposés à rechercher la paix en Syrie. Seule la Russie a eu la sagesse de soutenir le dialogue et d’adresser un message fort en ce sens quand des opposants Syriens avec la visite à Moscou d’opposants Syriens.

La Ligue Arabe peut encore désigner un groupe d’éminents Arabes indépendants pour entendre toutes les parties impliquées dans la crise syrienne et rechercher un nouveau «Taef.» Cette équipe devrait comprendre des membres Chiites et Sunnites. Mais la ligue Arabe doit d’abord repousser l’hystérie anti-iranienne que les USA, Israël et l’Arabie Saoudite excitent dans le Golfe. L’abîme d’une guerre civile totale en Syrie est beaucoup plus réel. Et il est très proche.

Vérité et mensonge en Syrie

11 octobre 2011

Jeremy Salt nous propose une analyse bien informée de ce qui se passe en Syrie. Et je souscris sans difficulté à son point de vue : le peuple syrien a le droit d’exiger et d’obtenir la démocratie mais ce même peuple doit prendre garde aux risques que certains font courir à son pays. Son texte est peut-être un peu léger sur les enjeux politiques régionaux, et là je pense moins à l’entité sioniste qu’à la Turquie, une question sur laquelle j’aurai peut-être l’occasion de revenir.

Il est vrai qu’on ne peut pas faire comme si les exemples irakien et libyen n’existaient pas et exiger de l’ONU des résolutions de plus en plus contraignantes qui ouvriront la voie à une intervention étrangère.

Aucune des puissances qui veulent s’immiscer dans les affaires syriennes n’a en fait le désir d’une Syrie forte et le régime qui sortirait dés décombres d’une Syrie en proie à la guerre civile et aux bombardements de l’OTAN (sans parler de l’entité sioniste qui profiterait de l’occasion) serait forcément un régime encore plus faible que celui imposé par le Baath.

Vous me direz, ce n’est pas un régime faible : voyez comme il réprime la population. Mais le niveau de répression de la population ne nous donne aucune indication sur la force du régime, seulement sur sa brutalité, et on constate que le gouvernement syrien n’a pas pu empêcher la constitution de bandes armées, ni leur approvisionnement en armes. Et comme le rappelle Jeremy Salt, des actes de guerre ont été commis dès le début par ces bandes armées et des actes de cruauté leur ont été imputés, aussi bien à l’encontre de policiers ou militaires que de civils ; comme on en impute aux forces gouvernementales.

La Syrie est à la veille d’un scénario à l’algérienne que le régime a pour l’instant cependant pu enrayer. Il ne pourra pas le faire très longtemps s’il n’y a pas d’ouverture politique de la part de l’opposition qui croit malheureusement encore que le Royaume Uni ou le Qatar et l’Arabie Saoudite veulent la démocratie en Syrie. Le CNT libyen vient d’ailleurs de reconnaître le Conseil national Syrien qu’il invite donc à lui emboîter la pas, un ballon d’essai lancé par les stratèges des services secrets britanniques et américains.

Je l’ai écrit précédemment, la Syrie n’est ni la Tunisie, ni l’Egypte. Dans ces deux derniers pays, les régimes étaient des alliés de l’Occident et les Etats Unis ont pu, tant bien que mal, gérer la chute de l’autocrate avec le filet de sécurité de la nomenklatura en place. Il y a et il y aura seulement une redistribution des cartes entre le centre et la périphérie de cette nomenklatura.

Les derniers événements en Egypte, avec ces manifestants Coptes assassinés par l’armée nous montrent la véritable nature, inchangée, du régime qui n’a d’ailleurs toujours pas rouvert de manière permanente la frontière avec Gaza.

En Syrie, les occidentaux n’ont pas ce genre de ressources sur place et ce sera donc le chaos et le bain de sang, peut-être pour des années.

Mais pas la démocratie…

Vérité et mensonge en Syrie

par Jeremy Salt, Palestine Chronicle (USA) 5 octobre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri 

Ankara – Avec une insurrection qui fonce vers la guerre civile en Syrie, il convient de mettre un frein à la propagande déversée par les grands médias occidentaux et acceptée sans réserves par beaucoup de gens qui devraient être mieux informés. Voici donc une série de positions à partir desquelles on peut discuter de ce qui se passe dans ce pays très important du Moyen Orient..

1. La Syrie est un Etat des mukhabarat (services de renseignements) depuis que le redouté Abd al Hamid ai Serraj a dirigé les services de renseignements, le deuxième bureau, dans les années 1950. Le régime autoritaire qui s’est mis en place à partir de la prise du pouvoir par Hafez el Assad en 1970 a écrasé impitoyablement toute dissidence. Selon les occasions, ce fut telle ou telle dissidence. L’omniprésence des mukhabarat est une des réalités déplaisantes de la vie en Syrie mais dans la mesure où ce pays est une cible privilégiée des assassinats ou de la subversion pratiqués par Israël et des services secrets occidentaux, et qu’il a aussi été attaqué militairement à plusieurs reprises, et qu’une grande portion de son territoire est occupée et que ses ennemis cherchent constamment des possibilités de l’abattre, on peut difficilement soutenir qu’il peut se passe de mukhabarrat.

2 Il est indubitable que la majorité des personnes qui manifestent en Syrie veulent une transition pacifique vers une forme démocratique de gouvernement. Il est également indubitable que des organisations armées qui  agissent à l’ombre des manifestations  ne sont pas intéressées par des réformes. Elles veulent la destruction du régime.

3 Il y a eu de très grandes manifestations se soutien au gouvernement. Il y a de la colère contre la violence des bandes armées et contre l’interférence de l’étranger et l’exploitation de la situation par des gouvernements et la presse à l’étranger. Aux yeux de nombreux Syriens, leur pays est à nouveau la cible d’un complot international.

4 Quelle que soit la véracité des accusations portées contre les forces de sécurité; les groups armés ont tué des centaines de policiers, de soldats et de civils, un total qui doit approcher le millier maintenant. Parmi les civils tués, se trouvent des professeurs d’université, des médecins et même, très récemment, le fils du Grand Mufti de la République. Les bandes armées ont massacré, pris en embuscade, assassiné, attaqué des édifices publics et saboté des voies ferrées.

5 Bachar al-Assad a une forte popularité personnelle. Même s’il siège au sommet du système, il est erroné de le qualifier de dictateur. C’est le système lui-même qui est le vrai dictateur. Ce pouvoir profondément enraciné en Syrie – retranché depuis cinquante ans – se situe dans l’establishment militaire et des services secrets et, à un moindre degré, dans les structures du parti. Ce sont les vraies sources de la résistance au changement. Les manifestations étaient une opportunité offerte que Bachar a saisie pour faire passer le message que le système devait changer.

6 Devant les manifestations à grande échelle du début d’année, le gouvernement a finalement élaboré un programme de réformes. Il a été rejeté d’un revers de main par l’opposition. A aucun moment, il n’a été question de tester la bonne foi du gouvernement.

7 L’affirmation selon laquelle l’opposition armée au gouvernement n’a commencé que récemment est un complet mensonge. Les assassinats de policiers, de soldats et de civils, souvent de manière très brutale, ont commencé pratiquement dès le début [des troubles].

8 les bandes armées sont bien équipées et bien organisées. D’importants chargements d’armes ont été introduits clandestinement depuis la Turquie et le Liban. Ils comprennent des fusils à pompe, des mitrailleuses, des Kalashnikovs, des lance roquettes, des grenades à main fabriquées en Israël et beaucoup d’autres explosifs. On n’a pas de certitude sur qui fournit ces armes, mais quelqu’un le fait et quelqu’un les paye. L’interrogatoire des membres des bandes armées capturés pointe dans le direction du mouvement Futur de Saad Hariri. Hariri est l’homme de paille des Etats Unis et de l’Arabie Saoudite et son influence dépasse de beaucoup les frontières du Liban.

9 L’opposition armée au régime semble être largement parrainée par l’organisation interdite des Frères Musulmans. En 1982, le gouvernement avait impitoyablement écrasé un soulèvement déclenché par les Frères Musulmans à Hama. Des milliers de personnes avaient péri et une partie de la ville avait été détruite. Les Frères Musulmans ont deux objectifs principaux : la destruction du régime baathiste et la destruction de l’Etat séculier pour le remplacer par un système islamique. La soif de vengeance de la confrérie est quasi palpable.

10 Les groupes armés ont un fort soutien de l’extérieur en plus de ceux que nous avons déjà évoqués. L’ancien vice premier ministre et ministre syrien des affaires étrangères, Abdelhalim Khaddam qui vit à Paris, fait campagne depuis des années pour faire chuter le gouvernement d’Assad. Il est financé à la fois par l’Union Européenne et par les Etats Unis. Parmi d’autres opposants exilés, Borhan Ghalioune, soutenu par le Qatar à la tête du ‘Conseil National’ créé à Istanbul, vit comme Abdelhalim Khaddam à Paris et comme ce dernier également, fait du lobbying contre le régime Assad en Europe et à Washington. Tout comme Muhammad Riyad al Shaqfa, le leader des Frères Musulmans en Syrie, il est ouvert à une ‘intervention humanitaire’ étrangère en Syrie sur le modèle libyen (d’autres sont contre). La promotion des exilés pour former un gouvernement alternatif rappelle la manière dont les Etats Unis se  sont servis des exilés Irakiens (le pseudo Congrès National Irakien) en prélude à l’invasion de l’Irak.

 11 La couverture de la situation en Libye et en Syrie par les media occidentaux a été consternante. L’intervention de l’OTAN en Libye a été la cause d’énormes destructions et de milliers de morts. Cette guerre, après l’invasion de l’Irak, est encire un autre grave crime devant le droit international commis par les gouvernements de la France, de la Grande Bretagne et des Etats Unis. La ville de Syrte a été bombardée jour et nuit pendant deux semaines sans que les media occidentaux s’intéressent le moins du monde aux lourdes pertes humaines et matérielles qui en ont forcément résulté. La presse occidentale n’a rien fait pour vérifier les informations en provenance de Syrte que le bombardement de bâtiments civils et la mort de centaines de personnes. La seule raison  est que l’horrible vérité pourrait bien faire capoter toute l’intervention de l’OTAN.

12 En Syrie, les mêmes medias ont adopté le même style d’information biaisée et de désinformation. Ils ont ignoré ou sont passés par-dessus les preuves sur les nombreux assassinats perpétrés par les bandes armées. Ils ont invité l’opinion à ne pas croire les déclarations du gouvernement et à croire celles des rebelles, souvent faites par la voix d’organisations des droits de l’homme sises aux Etats Unis et en Europe. De nombreux mensonges purs et simples ont été dits, comme on en a dit pour la Libye et comme on en avait dit avant l’agression contre l’Irak. Certains d’entre eux au moins ont été mis à nu. Des gens dont on disait qu’ils avaient été tués par les forces de sécurité étaient en fait bien vivants. Les frères de Zeineb al Husni affirmaient qu’elle avait été enlevée par les services de sécurité, assassinée et son corps démembré. Cette histoire épouvantable, diffusée par les chaînes Al Arabiyya et Al jazeera, entre autres organes d’informations, était complètement fausse. Elle est toujours vivante même si la tactique de la propagande est maintenant de prétendre que ce n’est pas vraiment elle mais un sosie. Al Jazeera, la BBC et le Guardian se sont distingués par leur appui aveugle à tout ce qui peut discréditer le gouvernement syrien. La même ligne a été adoptée par les media grand public des Etats Unis. Al Jazeera, en particulier, a perdu toute crédibilité en tant que source d’informations indépendante sur le monde arabe.

13 En cherchant à détruire le régime syrien, l’organisation des Frères Musulmans a un objectif commun avec les Etats Unis, Israël et l’Arabie Saoudite dont la paranoïa à propos de l’Islam chiite a atteint son paroxysme avec la contestation à Bahreïn. Wikileaks avait révélé à quel point l’Arabie Saoudite était impatiente de voir les USA attaquer l’Iran. Un objectif de rechange est la destruction de la relation stratégique ente l’Iran, le Hezbollah et la Syrie. Les Etats Unis et l’Arabie Saoudite peuvent avoir des raisons légèrement différentes de vouloir la destruction  du régime baathiste dominé par les Alaouites à Damas… mais ce qui importe est qu’ils veulent le détruire.

14 Les Etats Unis font tout ce qu’ils peuvent pour acculer la Syrie. Ils apportent un soutien financier aux dirigeants de l’opposition en exil. Ils on essayé (et pour l’instant échoué grâce à l’opposition de la Chine et de la Russie) d’introduire un vaste programme de sanctions via le Conseil de Sécurité de l’ONU. Il est hors de doute qu’ils essayeront encore et, en fonction de l’évolution de la situation, ils pourraient avec l’appui britannique et français présenter une résolution sur une zone d’exclusion aérienne ouvrant la voie à une attaque étrangère. La situation est fluide et il est certain que toutes sortes de plans d’urgence sont élaborés. La Maison Blanche et le Département d’Etat font des déclarations d’intimidation quotidiennement. Provoquant ouvertement le gouvernement syrien, l’ambassadeur des Etats Unis, accompagné de l’ambassadeur de France, se sont rendus à Hama avant les prières du vendredi. Compte tenu de tout ce que nous savons de leurs nombreuses  immixtions passées dans les affaires des pays du Moyen Orient, il est inimaginable que les Etats Unis et Israël, avec la Grande Bretagne et la France, puissent ne pas être impliquées dans cette contestation au delà-de ce que nous savons déjà de cette ingérence.

15  Alors qu’ils se concentrent sur la violence du régime syrien, les gouvernements des Etats Unis et d’Europe (particulièrement la Grande Bretagne) ont totalement ignore ma violence exercée contre le régime. Ne parlons bien sûr même pas de leur propre violence bien plus grande exercée en Libye, en Irak, en Afghanistan et ailleurs.  La Turquie a rejoint bien volontiers leur campagne, allant même plus loin qu’eux dans la confrontation avec le régime syrien. La politique régionale turque du ‘zéro problème’ s’est retournée dans la confusion. La Turquie a finalement apporté son appui à l’agression de l’OTAN contre la Libye après avoir d’abord freiné des quatre fers. Elle s’est mise à dos l’Iran par sa politique sur la Syrie et en acceptant, en dépit d’une forte opposition interne, d’accueillir sur son sol un système radar anti-missiles américain qui vise clairement l’Iran. Les Américains disent que les données collectées par le système seront partagées avec Israël qui a refusé de s’excuser pour l’attaque contre le Mavi Marmara, causant une crise des relations israélo-turques. La politique régionale turque est donc passée de « zéro problème »  à la quantité de problèmes avec Israël, la Syrie et l’Iran.

16 Alors que certains membres de l’opposition syrienne ont pris position contre une intervention étrangère, “l’Armée de la Syrie Libre” a déclaré que son objectif était la proclamation d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus du nord de la Syrie. Nous avons vu que l’application d’une zone d’exclusion aérienne en Libye s’est soldée par des destructions massives d’infrastructures, la mort de milliers de personnes et la porte ouverte à une nouvelle période de domination par l’Occident.

17 Si le régime syrien est abattu, les baathistes et les Alaouites seront pourchassés jusqu’au dernier. Dans un gouvernement dominé par les Frères Musulmans, le statut de la femme et celui des minorités pourraient connaître une forte régression.

18 A travers le Syria Accountability Act, et avec les sanctions que l’Union Européenne a imposées, les Etats Unis tentent depuis 20 ans de détruire le régime syrien. Le démantèlement des Etats arabes unitaires selon des lignes de fracture ethno-religieuses est un objectif qu’Israël cherche à atteindre depuis des dizaines d’années. Là où va Israël, les Etats Unis suivent tout naturellement. On peut voir les fruits de cette politique en Irak où un Etat indépendant de facto a été créé pour les Kurdes et où la constitution, rédigée par les Etats Unis, distingue les Irakiens en Kurdes, Sunnites, Chiites et Chrétiens, détruisant la logique intégratrice du nationalisme arabe. L’Irak n’a pas connu un moment de paix depuis l’entrée des Britanniques à Bagdad en 1917. En Syrie, les divisions ethno-religieuses (musulmans sunnites Arabes, musulmans sunnites Kurdes, Druzes, Alaouites, les diverses sectes chrétiennes) rendent de la même manière ce pays vulnérable à l’excitation de la discorde sectaire et à la désintégration finale de l’Etat arabe unifié dont les Français avaient essayé d’empêcher l’avènement dans les années 1920.

19 La destruction du pouvoir baathiste serait une victoire stratégique inestimable pour les Etats Unis et Israël. La clef de voûte de la relation stratégique ente l’Iran, la Syrie et le Hezbollah aura été détruite, laissant le Hezbollah isolé géographiquement, avec un gouvernement musulman sunnite hostile à sa porte. L’Iran et le Hezbollah se trouveraient plus exposés à une agression militaire par les Etats Unis et Israël. Hasard ou pas, le ‘printemps arabe’ tel qu’il s’est développé en Syrie a placé entre leurs mains un levier qui peut leur permettre d’atteindre leur objectif.

20 Il n’est pas forcément certain qu’un gouvernement dominé par les Frères musulmans en Egypte ou en Syrie serait hostile aux intérêts des Etas Unis. Voulant être perçu comme un membre respectable de la communauté internationale et un autre exemple d’Islam ‘modéré’, il est envisageable et certainement possible qu’u  gouvernement égyptien dominé par la confrérie accepterait de respecter le traité de paix avec Israël aussi longtemps qu’elle le pourrait (c’est-à-dire jusqu’une nouvelle attaque israélienne à grande échelle contre Gaza ou le Liban le rende absolument intenable).

21 Un gouvernement syrien dominé par les Frères Musulmans serait proche de l’Arabie Saoudite et hostile à l’Iran, au Hezbollah et aux Chiites Irakiens, particulièrement ceux qui sont liés à Moqtada al Sadr. Il soutiendrait verbalement la cause palestinienne et la libération du plateau du Golan, mais en pratique sa politique ne diffèrerait guère du régime qu’ils cherchent à renverser.

 22. Le peuple syrien a le doit d’exiger la démocratie et de l’obtenir, mais de cette manière et à ce prix? [et même à ce prix, il ne l’obtiendra pas, note de Djazaïri]. Même maintenant, un arrêt des tueries et la négociation sur une réforme politique sont certainement la vois à suivre, pas la violence qui risque d e déchirer le pays. Malheureusement, c’est la violence et non un règlement négocié qui a la préférence de beaucoup trop de personnes en Syrie et ce que trop de gouvernements étrangers, qui observent et attendent, veulent aussi. Aucune Syrien n’y gagnera en fin de compte, quoiqu’ils en pensent pour le moment. Leur pays est entraîné vers une guerre civile, peut-être une intervention étrangère et certainement le chaos ou une poursuite à plus grande échelle de ce que nous voyons en ce moment. Il n’y aura pas de rétablissement rapide si l’Etat s’effondre ou peut être abattu. Comme l’Irak, et probablement comme en Libye, si on considère la situation actuelle, la Syrie entrerait dans une période d’agitation sanglante qui pourrait durer des années. Comme l’Irak encore, elle serait exclue du jeu des Etats capables de se mobiliser pour les intérêts arabes, ce qui signifie bien sûr, tenir tête à Israël et aux Etats Unis.

23. En fin de compte, les intérêts de qui en sortiraient-ils gagnants?

Jeremy Salt est professeur associé d’histoire politique du Moyen orient à l’université Bikent d’Ankara. Il a enseigné auparavant à l’université du Bosphore d’Istanbul et à l’université de Melbourne dans les facultés d’étude du Moyen Oriens et de science politique. Le professeur Salt a écrit de nombreux articles sur les problèmes du Moyen orient et a été journaliste pour le quotidien australien The Aga lorsqu’il résidait à Melbourne.

Les ambiguïtés de la déclaration de l’ONU sur la Syrie

5 août 2011

Personne ne sait comment va évoluer la situation en Syrie, pas plus le régime syrien que les dirigeants auto-désignés de la « communauté internationale », ceux-là même qui font régner justice et paix en Libye, en Afghanistan, en Irak et en Somalie.

Bien sûr, la répression exercée par le gouvernement syrien contre une population qui aspire à plus de démocratie suscite l’indignation un peu partout et, bien entendu, chez ces mêmes policiers du vice et de la vertu.

Pas question cependant pour ces derniers de faire feu de tout bois afin de monter une expédition punitive ainsi qu’il a été fait contre la Libye où pourtant la répression exercée par le colonel Kadhafi n’avait certes ni l’ampleur, ni la brutalité de ce qui se passe en Syrie.

Les représentants auto-proclamés de la communauté internationale ont cependant accentué leurs efforts pour que l’ONU prenne position sur les événements en Syrie. Le résultat de ces efforts est une déclaration du Conseil de Sécurité à laquelle ont adhéré des pays comme la Russie ou l’Inde. L’adoption de cette déclaration a été saluée par les mêmes représentants auto-désignés de la communauté internationale mais on a quelque peine à comprendre pourquoi quand on lit cette anlalyse succinte et très précise de son contenu par David Bosco 

par David Bosco, Foreign Policy (USA), 3 août 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Lé déclaration sur la Syrie adoptée aujourd’hui par le Conseil de Sécurité est annoncée comme un signal tardi mais néanmoins très fort indiquant au régime syrien que la communauté internationale est bientôt à bout de patience avec le régime d’Assad. On peut la lire de cette manière. Le Conseil « condamne les nombreuses violations des droits de l’homme et l’usage de la force contre les civils par les autorités syriennes ». L’accord de la Chine, de la Russie et de l’Inde pour soutenir cette condamnation est important.

Mais la déclaration envoie également d’autres signaux. Elle avertit explicitement contre la perpétration d’attaques contre des institutions gouvernementales. Du point de vue du Conseil de Sécurité, une révolte à grande échelle du peuple syrien contre le gouvernement – un régime qui tue des contestataires depuis des semaines – n’est pas justifiée. La déclaration du Conseil insiste aussi pour dire que la « seule solution à la crise actuelle en Syrie passe par un processus politique inclusif conduit par les Syriens eux-mêmes. »

La signification évidente est qu’une intervention étrangère n’est pas une solution.Le Conseil accepte de reconnaître que le gouvernement d’Assad est allé trop loin. Mais il ne veut pas reconnaître le droit des Syriens à écarter par la force leurs dirigeants répressifs et il l’accepte pas le droit d’intervenants étrangers à les aider à le faire.

Pour apprécier le contenu de cette déclaration, il  faut quand même se souvenir que la Syrie ne fait pas précisément partie des pays alliés de l’Occident, des Etats Unis tout particulièrement. Les pays occidentaux, France et Etats Unis en tête ont tout fait pour obtenir le départ des troupes syriennes du Liban à la faveur d’une pseudo-enquête sur l’assassinat du premier ministre Libanais, Rafiq Hariri. C’était avant que « l’enquête », inexplicablement, s’oriente vers la responsabilité du Hezbollah ! Par ailleurs, la Syrie fait l’objet depuis longtemps de toute une série de sanctions unilatérales de la part des Etats Unis, sanctions qui ont plus rapport à la protection du sionisme qu’à celle des droits de la population syrienne.

Pourtant, cette ambiguïté relevée par David Bosco est celle-là même qui caractérise les relations entre les puissances occidentales et la Syrie. Bachar el-Assad n’était-il pas présent à Paris un certain 14 juillet pour assister au défilé sur les Champs-Elysées?  Si ce n’est pas une marque d’estime, qu’est-ce que c’est ? Et si on remonte un peu plus loin dans le temps, à l’époque de la première guerre du Golfe, on se souvient que l’armée syrienne se tenait aux côtés de celles des Etats Unis, de la France etc. dans l’opération militaire contre l’Irak.

Ce qui se joue en ce moment en Syrie est d’une importance politique et stratégique considérable, bien plus qu’en Libye où les conséquences de la guerre affligent surtout, outre les Libyens, ces Etats d’Afrique dont personne n’a cure en réalité. Alors que  le sort de la Syrie peut avoir un impact sur la paix ou la guerre dans une région d’une importance considérable en termes d’approvisionnement pétrolier, et que cette paix ou cette guerre pouvant mettre en cause le destin de l’entité sioniste si chère au cœur de tous ceux qui préfèrent voir les Juifs ailleurs que chez eux.

En fait personne ne souhaite un changement brutal de régime en Syrie qui verrait arriver au pouvoir des forces susceptibles de vouloir en découdre sérieusement à plus ou moins brève échéance avec le régime sioniste. Ce dernier se satisfait assez bien d’un régime baathiste de plus en plus faible qui n’est ni disposé, ni en capacité de faire la guerre à son belliqueux voisin. Les incursions et agressions répétées et impunies des forces aériennes sionistes au cœur du territoire syrien, et à Damas même l’ont amplement démontré.

Du point de vue occidental, l’objectif n’est bien entendu pas l’instauration de la démocratie en Syrie, pas plus que l’Occident n’avait cet objectif en Tunisie et en Egypte. Le problème étant que les Etats Unis ne disposent pas (pas encore ?) en Syrie des leviers leur permettant de limiter les dégâts comme ils ont pu le faire en Tunisie et en Egypte. Et ce que cherche l’Occident, Etats Unis en tête, c’est moins un changement de régime qu’une rupture de l’axe Damas-Hezbollah libanais et de l’axe Damas-Téhéran qui leur permettrait d’isoler l’Iran de manière décisive et de dominer complètement la région.

Des perspectives qui n’enchantent guère des pays comme la Russie mais surtout la Chine et l’Inde, ces deux derniers Etats dont les besoins énergétiques vont croissant se retrouveraient alors à la merci du bon vouloir des Etats Unis dans leur stratégie de développement et d’implantation au Proche Orient.

La phase 2 du « printemps » arabe

30 avril 2011

C’est le deuxième texte de Tariq Ali que je vous propose. C’est un plaisir d’autant que son analyse a l’intérêt de bien resituer les événements actuels en Libye et en Syrie dans leur contexte géopolitique.

 Si, en effet, un certain nombre d’observateurs en Occident ont feint d’éprouver une passion pour les révolutions arabes, cette passion ne s’est vraiment exprimée qu’une fois que ces révolutions ont pu être canalisées de façon à écarter, au moins provisoirement, la crainte que leur ont d’abord inspiré ces mouvements populaires.

Nous sommes, nous dit Tariq Ali, dans la phase 2 du « printemps arabe » : tentative d’endiguement en Tunisie et en Egypte, écrasement à Bahrein et peut-être au Yémen si le deal proposé par l’axe du bien (américano-saoudien) n’aboutit pas

Syrie et Libye connaissent des sorts un peu particuliers. En Libye, l’intervention enrobée dans des prétextes altruistes, .a comme visée de faire passer directement les ressources pétrolières et financières de ce pays sous contrôle occidental .Même si ces pays occidentaux, pour l’heure alliés dans la destruction de la Libye, s’avéreront rapidement concurrents pour le partage des dépouilles qui consistent en gisements de gaz et de pétrole. L’ardeur au combat des uns et des autres dépendant d’ailleurs du retour sur investissement que chacun escompte.

En Syrie, une intervention militaire étrangère est exclue. Tout d’abord parce que, même si elle est tout à fait « prenable », l’armée syrienne est tout de même un plus gros morceau que l’armée libyenne. Ensuite, parce que le contexte géopolitique ne s’y prête pas : le Turquie s’y opposerait sans doute activement et la voyoucratie sioniste ne pourrait sans doute pas être maintenue à l’écart de ce qui ressemblerait à un véritable séisme.

Car l’acteur sioniste doit forcément être inclus dans l’équation syrienne. Et, comme on l’a déjà dit ici, le régime sioniste se satisfait parfaitement du régime syrien dont l’activisme antisioniste ne va pas au-delà des rodomontades de principe et qui, sinon, est un adversaire prévisible. Prévisible et faible, ainsi que l’ont montré des raids de l’aviation sioniste effectués impunément en profondeur dans le territoire syrien, voire même au-dessus de Damas.

Maintenant, les Américains et les Occidentaux en général doivent se préparer à l’éventualité d’une disparition du régime baathiste en Syrie et c’est dans le cadre de cette préparation que s’inscrivent les toutes récentes annonces de sanctions par le gouvernement des Etats Unis. Ces annonces ne sont d’ailleurs qu’un infléchissement purement médiatique, le régime syrien faisant depuis des années l’objet de sanctions de la part des Etats Unis pour des raisons qui n’ont à voir qu’avec la sécurité de l’Etat sioniste, et rien d’autre.

Qui va remodeler le monde arabe: le peuple ou les Etats Unis?

La phase 1 du printemps arabe est terminée. La phase 2 – la tentative d’écraser ou de contenir d’authentiques mouvements populaires – a commencé.

Par Tariq Ali, The Guardian (UK) 29 avril 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

La mosaïque qui caractérise le paysage politique du monde arabe – des monarchies clientélistes, des dictatures nationalistes dégénérées et des stations service impériales qu’on appelle Etats du Golfe – a été le produit d’une intense expérience du colonialisme anglais et français. Cette période a été suivie, après la seconde guerre mondiale, par un processus complexe de transition impériale vers les Etats Unis. Le résultat en a été un nationalisme arabe radicalement anticolonialiste et l’expansionnisme sioniste dans le contexte plus large de la guerre froide.

Avec la fin de la guerre froide, Washington a pris en charge la région, d’abord par le truchement de potentats locaux puis au moyen de bases militaires et par l’occupation directe. La démocratie n’avait jamais été au programme, ce qui permettait aux Israéliens de se vanter d’être le seul rayon de lumière au cœur des ténèbres arabes. Comment tout cela a-t-il été affecté par l’intifada arabe qui a commence il y a quelques mois ?

En janvier, les rues arabes ont résonné de slogans qui ont réuni les masses toutes classes et conditions confondues : « Al-Sha’b yurid isquat al-nizam ! » – « Le peuple veut la chute du régime ! » Les images qui déferlaient de Tunis au Caire, de Sanaa à Bahreïn, sont celles de peuples arabes à nouveau debout. Le 14 janvier, alors que des foules de manifestants convergeaient vers le ministère de l’intérieur, le président Tunisien Ben Ali et sa famille s’enfuyaient en Arabie Saoudite. Le 11 février, le soulèvement national égyptien renversait la dictature d’Hosni Moubarak tandis que des rébellions de masse éclataient en Libye et au Yémen.

En Irak sous occupation, des manifestants ont protesté contre le régime de Maliki et, tout récemment, contre la présence se soldats et de bases des Etats Unis. La Jordanie a été secouée par des grèves d’ampleur nationale et une rébellion tribale. Les manifestations à Bahreïn ont évolué en appels au renversement de la monarchie, ce qui a effrayé les kleptocrates Saoudiens voisins et leurs parrains Occidentaux qui ne peuvent concevoir une Arabie Saoudite sans sultans. Au moment même où j’écris, en Syrie, l’appareil baathiste brutal et corrompu assiégé par son propre peuple lutte pour sa survie.

La détermination de ces soulèvements était double, économique – chômage de masse, hausse des prix, pénurie de produits de première nécessité – et politique : clientélisme, corruption, répression, torture. L’Egypte et l’Arabie Saoudite étaient les deux piliers essentiels de la stratégie des Etats Unis dans la région, ainsi que l’avait récemment confirmé le vice-président US Jo Biden, qui avait déclaré être plus préoccupé par l’Egypte que par la Libye. Le souci ici est Israël ; la crainte qu’un gouvernement démocratique incontrôlable [par les USA] puisse remettre en cause le traité de paix. Et Washington a, pour le moment, réussi à réorienter le processus politique vers un changement soigneusement orchestré, conduit par le ministre et le chef d’état-major de Moubarak, ce dernier étant particulièrement proche des Américains.

L’essentiel du personnel du régime est resté en place. Ses messages essentiels portent sur le besoin de stabilité et le retour au travail, de mettre un terme à la vague de grèves. De fiévreuses négociations se poursuivent en coulisses entre Washington et les Frères Musulmans. L’ancienne constitution légèrement amendée reste en vigueur et le modèle sud-américain de vastes mouvements sociaux qui produisent de nouvelles organisations politiques qui triomphent dans les élections est loin d’être reproduit dans le monde arabe, ne posant ainsi aucun défi sérieux, pour le moment, au statu quo économique.

Le mouvement de masse reste mobilisé en Tunisie et en Egypte, mais ne dispose pas d’instruments politiques qui reflètent la volonté générale. La première phase est terminée. La seconde, celle du reflux de ces mouvements, a commencé.

Les bombardements de la Libye par l’OTAN étaient une tentative de reprendre l’initiative « démocratique » après la déposition de ses dictateurs alliés en d’autres lieux. Ils ont fait empirer la situation. Le soi-disant empêchement d’un massacre a causé la mort de centaines de soldats, dont beaucoup ne combattaient que sous la contrainte, et a permis à l’horrible Mouammar Kadhafi de se faire passer pour un anti-impérialiste.

On doit dire ici que quelle que soit l’issue finale, le peuple libyen a perdu. Soit le pays sera partitionné entre un Etat dirigé par Kadhafi et un sordide protectorat pro-occidental dirigé par des hommes d’affaires triés sur le volet, soit l’Occident éliminera Kadhafi et contrôlera l’ensemble de la Libye et ses énormes réserves de pétrole. Cet étalage d’amour pour lé démocratie ne s’étend pas aux autres pays de la région.

On doit dire ici que, quelle que soit l’issue finale, le peuple libyen a perdu. Soit le pays sera partitionné entre un Etat dirigé par Kadhafi et un sordide protectorat pro-occidental dirigé par des hommes d’affaires triés sur le volet, soit l’Occident éliminera Kadhafi et contrôlera l’ensemble de la Libye et ses énormes réserves de pétrole. Cet étalage d’amour pour lé démocratie ne s’étend pas aux autres pays de la région.

A Bahrein, les Etats Unis ont donné leur feu vert à une intervention saoudienne pour écraser les démocrates de ce pays, au renforcement du sectarisme religieux, à la tenue de procès secrets et à la condamnation à mort de manifestants. Bahrein est aujourd’hui un camp de prisonniers, un mélange toxique de Guantanamo et d’Arabie Saoudite.

En Syrie, l’appareil sécuritaire dirigé par la famille Assad tue à volonté, mais sans être en capacité d’écraser le mouvement démocratique. L’opposition n’est pas sous le contrôle des islamistes : c’est une vaste coalition qui comprend toutes les couches sociales en dehors de la classe capitaliste qui reste fidèle au régime.

A la différence des autres pays arabes, de nombreux intellectuels Syriens sont restés dans leur pays, subissant prison et torture, et des socialistes laïques [secular] comme Riad Turk et de nombreux autres font partie de la direction clandestine à Damas et à Alep. Personne ne veut d’une intervention occidentale. Ils ne veulent pas une réédition de l’Irak ou de la Libye. Les Israéliens et les Etats Unis préfèreraient le maintien d’Assad, comme ils le souhaitaient pour Moubarak, mais les jeux ne sont pas encore faits.

 Au Yémen, le despote a tué des centaines de personnes, mais l’armée est maintenant divisée et les Américains et les Saoudiens tentent désespérément d’assembler une nouvelle coalition (comme en Egypte) – mais le mouvement populaire résiste à tout accord avec l’équipe au pouvoir.

Les Etats Unis sont confrontés à une évolution de l’environnement politique dans le monde arabe. Il est trop tôt pour prédire ce qui en résultera finalement, sauf à dire que les choses ne sont pas encore terminées.

Verls la guerre civile en Syrie?

26 avril 2011
Le 17 avril, j’écrivais à propos des troubles en Syrie que L’accroissement de la répression semble donc être la seule issue pour le régime.
Les événements ont confirmé cette analyse. Si Bachar Assad a sans doute été sincère dans sa volonté de proposer des réformes, il faut bien dire que pour beaucoup de gens en Syrie, notamment pour ceux qui manifestent, c’était trop peu et trop tard. Alors que c’était par contre certainement trop et trop tôt pour certaines factions à l’intérieur du régime.

Comme l’écrit Joshua Landis dans le texte que je vous propose, le régime syrien fait désormais face à une véritable agitation révolutionnaire, quel que soit le sens qu’on attribue à  ce mot. Car ici, révolutionnaire veut surtout dire que les contestataires demandent non seulement des réformes, mais que la première réforme qu’ils exigent, c’est le départ du président Assad mais aussi la fin du régime baathiste.
Les dirigeants Syriens ont fort bien compris que c’est maintenant une lutte à mort qui est engagée et c’est pourquoi la répression s’est durcie et fait désormais appel aux grands moyens, l’armée se déployant en certains endroits comme dans un pays occupé.

Bien malin qui saurait dire comment vont évoluer les choses en Syrie. Et d’abord, si Landis parle d’une opposition, j’ai personnellement quelque peine à penser qu’il s’agisse d’une opposition unie, d’accord non seulement sur les moyens mais sur les objectifs. D’ailleurs Landis, que la situation semble finalement rendre très hésitant, considère bien que la stratégie répressive gouvernementale vise, entre autres, à empêcher toute structuration efficace de l’opposition.

Landis pense que l’opposition au régime va rapidement basculer dans la lutte armée, et il en trouve des indices dans certains incidents qui ont effectivement vu les forces armées visées par des hommes armés. Où encore dans le fait que des manifestants s’arment de bric et de broc (avec des bâtons ou des outils) traduisant ainsi leur volonté de riposter à la violence policière.
Des armes semblent donc commencer à circuler en Syrie, en provenance d’Irak et peut-être du Liban. Les « révolutionnaires » Syriens pourront compter sur le soutien [des pays] du Golfe. Comme les révolutionnaires Libyens en quelque sorte.

Parce que si la plupart des manifestants ou contestataires du régime sont animés de nobles idéaux, il n’en va pas de même de tous ceux qui vont se saisir de leurs aspirations pour faire avancer leurs propres desseins, que ce soient des anciens membres du régime ou des clients des monarchies du Golfe.
Après la lutte finale, la lutte féodale, l’Internationale Wahhabite venant succéder à l’Internationale Communiste.
Peut-être la promesse d’une guerre civile longue et sanglante en Syrie ?

Répression de la révolte: l’opposition prendra-t-elle les armes?

Par Joshua Landis, Syria Comment (USA) 26 avril 2011
Bachar al-Assad est déterminé à mater la révolte syrienne, c’est pourquoi il a fait appel à l’armée et à ses blindés et procède maintenant à l’arrestation des réseaux de militants et de leaders de l’opposition que ses services de renseignements ont pu localiser.
Il y a un aspect “choc et effroi” dans cette opération. Les tanks ne sont à l’évidence pas utiles pour réprimer une rébellion urbaine, mais ils montrent la puissance de feu supérieure de l’Etat et la détermination du président. C’est une stratégie militaire classique – vite et fort. Dominer l’opposition  avant qu’elle ait la possibilité de se renforcer et de se structurer durablement en termes de commandement. C’est précisément ce que l’armée US avait essayé de faire en Irak. C’est ce qu’elle n’a pas fait en Libye, quand elle a permis aux forces de Kadhafi de se regrouper et de reprendre le contrôle de Tripoli et de l’ouest libyen après son état initial de faiblesse et de confusion.
Je ne pense pas que le régime parviendra à réduire l’opposition au silence. A la différence de l’opposition iranienne, qui a pu être muselée, l’opposition syrienne est plus révolutionnaire même si, peut-être, pas aussi nombreuse dans la capitale. Le mouvement Vert [en Iran] n’appelait pas à renverser le régime et à mettre fin à la république islamique, mais demandait seulement des réformes. L’opposition syrienne est révolutionnaire. Même s elle a commencé par appeler à des réformes, elle en est vite venue à exiger la fin du régime. Elle est convaincue qu’il est impossible de réformer le régime baathiste et que la Syrie doit partir sur de nouvelles bases. Elle veut la fin du régime baathiste, la fin de la dynastie Assad, la fin de la domination de la présidence et des forces de sécurité par la communauté religieuse alaouite, et la fin de la domination de l’économie par l’élite financière qui a recouru au népotisme, aux échanges entre initiés et à la corruption pour monopoliser  des pans entiers du commerce et de l’industrie. En bref, l’opposition abhorre la plupart des aspects du régime actuel et s’attelle à le déraciner. Elle est plus déterminée et révolutionnaire que ne l’était le mouvement Vert en Iran qu’Ahmadinedjad et Khamenei ont réussi à réprimer.
Il n’y a aucune raison pour qu’elle ne le fasse pas. Certains des dirigeants de l’opposition prônent des moyens pacifiques, mais cette approche ne fait pas l’unanimité. Nous avons déjà constaté le recours à la violence armée par l’opposition. A Banias, 9 soldats avaient été tués par des opposants armés alors que leur véhicule roulait sur l’autoroute principale en direction de la ville. A Jable, des manifestants s’étaient armés de bâtons, de pelles et d’autres armes [des armes de fortune, des outils… NdT]. Quoiqu’inutiles devant des armes à feu, ces armes montraient l’état d’esprit de la foule et sa volonté d’opposer sa propre violence à la violence d’Etat. Les autorités syriennes ont insisté dès le début pour dire que des éléments d’opposition avaient tiré sur des policiers et des soldats. Même si très peu d’informations de ce genre sont avérées, elles sous-entendent que l’opposition est prête à recourir à la force.
Face à la supériorité militaire de l’Etat et à sa volonté de recourir à la force, l’opposition sera elle-même contrainte de recourir à l’action armée. La direction de l’opposition a déjà pu introduire clandestinement des lots de téléphones satellitaires et de matériel électronique pour renforcer les militants à l’intérieur du pays. Faire passer des armes ne sera pas difficile. Le gouvernement syrien a déjà annoncé avoir intercepté plusieurs camions chargés d’armes en provenance d’Irak. Le Liban et l’Irak regorgent d’armes et les itinéraires de contrebande entre ces pays et la Syrie sont très fréquentés. Les pays du Golfe apporteront argent et soutien.
Des organisations militantes en Irak et ailleurs soutiennent depuis longtemps que la Syrie est un poste de pilotage du Moyen Orient et une cible adéquate pour la déstabilisation, etc.
Quelques questions d’un journaliste et mes réponses:

Journaliste: “Pensez-vous que les manifestants vont submerger la capitale ? Pensez-vous qu’ils doivent le  faire pour renverser Bachar ?  Les classes possédantes ont trop à perdre avec une instabilité prolongée, et l’opposition ne peut leur offrir aucun scénario convaincant pour une transition pacifique vers la démocratie ou un changement de régime. Elles craignent l’instabilité par-dessus tout, encore plus que la répression du régime.
Landis : L’opposition doit d’abord réussir à faire sortir dans la rue les classes moyennes et les classes moyennes supérieures.
Si l’armée et les classes moyennes restent fidèles au gouvernement, la bataille sera difficile pour l’opposition.
Une longue spirale descendante
Mais l’opposition n’a pas à faire descendre Alep et Damas dans les rues pour faire tomber le régime. S’ils peuvent faire  suffisamment pour paralyser l’économie syrienne – comme c’est le cas actuellement – le gouvernement tombera de lui-même. Si les entreprises s’arrêtent, si le tourisme s’effondre et si l’investissement étranger s’interrompt, les entreprises privées et les petits commerces feront faillite et les sources de revenus du gouvernement se tariront. A la fin, le régime ne pourra plus payer les salaires des fonctionnaires, et les services publics cesseront de fonctionner. A ce moment là, les classes moyennes abandonneront le régime. Ce sera une lente spirale descendante.
Journaliste: Compte tenu de la relative désorganisation de l’opposition  – et l’éventualité qu’elle prenne les armes – une vacance du pouvoir en cas de départ d’Assad ne risque-t-elle pas d’être très meurtrière ?
Landis : Oui

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