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Les néocons ont du mal à faire le deuil de leur rêve d’éliminer Bachar al-Assad

26 décembre 2017

Chacun se souvient certainement que, pendant les premières années du conflit en Syrie, les appels à la destitution du président syrien, voire sa mise à mort, définissaient ce qui devait être un préalable au règlement de la crise.

Sur le terrain, les jours du régime syrien semblaient en effet comptés. Pourtant le régime et son armée (constituée essentiellement de conscrits) ont fait preuve d’une remarquable résilience, d’abord en adaptant leur stratégie à la réalité du rapport de forces puis en s’appuyant sur de solides alliances qui l’ont aidé à faire basculer la situation sur le terrain. Aux côtés de l’armée syrienne, on a vu intervenir le Hezbollah libanais, l’Iran et enfin la Russie. L’intervention russe a été décisive non seulement au plan militaire mais aussi au plan diplomatique en renvoyant au statut de chimère le souhait occidental d’une élimination du pouvoir en place à Damas.

Certains Occidentaux pensent cependant encore que leur projet initial de destruction du pouvoir syrien est seulement différé dans le temps comme on a pu le comprendre, et comme le président syrien l’a compris, des propos de M. Macron lors de son interview du 17 décembre avec Laurent Delahousse sur France 2. De fait, les Occidentaux continuent à s’exprimer publiquement comme s’ils étaient les principaux acteurs, voire les seuls, de la défaite de Daesh en Syrie.

La mythologie diplomatique occidentale veut en effet que le gouvernement syrien n’a pas combattu le prétendu Etat Islamique voire même qu’il l’a parrainé.

C’est cette mythologie élaborée par des think-tanks essentiellement américains qui est dénoncée dans l’article que je vous propose. Ces think-tanks, tout en se parant de noms qui fleurent bon un académisme de bon aloi, produisent pourtant un savoir particulier en ce sens qu’il a pour but premier d’inciter des gouvernements à entreprendre certaines actions (belliqueuses) et qu’il ne s’appuie pas sur les méthodes et les travaux des chercheurs spécialisés dans les domaines de la science politique et des relations internationales.

Si on prête attention à cette tribune libre signée par deux universitaires, on comprend parfaitement que, au moins jusqu’à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, les Etats Unis donnaient la priorité non à la lutte contre Daesh mais à celle contre le gouvernement syrien dont la défaite était le préalable à l’élimination de Daesh.

Tribune libre: Les experts avaient tort à propos d’Assad et de l’État islamique. Comme d’habitude, ils ne veulent pas l’admettre

Par Max Abrahms et John Glaser, The Los Angeles Times (USA) 10 décembre 2017 traduit de l’anglais par Djazaïri

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John Glaser et Max Abrahms

L’Eta Islamique n’est plus que l’ombre de lui-même. En 2014, l’organisation extrémiste semblait avoir fait des avancées substantielles dans son projet avoué de constitution d’un Califat. Il comptait des dizaines de milliers de combattants et exerçait un contrôle sur un territoire à peu près aussi vaste que la Corée du Sud. Sous la plupart des aspects, l’Etat Islamique s’est effondré dans son bastion syrien ainsi qu’en Irak. Comme un ancien combattant étranger [de Daesh] le reconnaissait récemment, « C’est terminé ; il n’y a plus de Daesh. »

Le démantèlement de l’Etat Islamique doit choquer le chœur des journalistes et des experts qui ont passé des années à soutenir avec insistance qu’un tel résultat ne pourrait jamais être obtenu sans au préalable renverser le régime de Bachar Assad – qui est, bien sûr, toujours en place. Toute une troupe de faiseurs d’opinion ont pendant longtemps affirmé que l’Etat Islamique en Syrie allait prospérer en Syrie tant qu’Assad serait au pouvoir parce que l’Armée Arabe Syrienne faisait partie de la même maladie.

John Bolton, ancien ambassadeur auprès des Nations Unies sous George W. Bush, affirmait dans le New York Times que « défaire l’Etat Islamique » n’est « ni faisable ni souhaitable » si Assad reste au pouvoir. S’exprimant dans le Wall Street Journal, les Sénateurs John McCain et Lindsey Graham prétendaient que « défaire l’Etat Islamique impose aussi de vaincre Bachar Assad. » Kenneth Pollack de la Brookings Institution prescrivait une politique de « construction d’une nouvelle armée de l’opposition syrienne capable de vaincre à la fois le Président Bachar al-Assad et les islamistes les plus militants. » De la même manière, Max Boot, qui collabore au Los Angeles Times, soutenait que vaincre l’Etat Islamique était futile sauf si les Etats Unis agissaient aussi pour déposer le « régime alaouite à Damas ». Comme d’autres marchands de changement de régime, il argumentait en faveur d’une zone d’exclusion aérienne à travers le pays pour faciliter les frappes aériennes contre le régime Assad tout en renforçant l’aide aux soi-disant rebelles modérés.

D’éminents spécialistes de la Syrie avaient aussi prétendu qu’Assad soutenait, et même parrainait l’Etat Islamique. Michael Weiss de CNN déclarait qu’Assad et le président russe Vladimir Poutine ne combattraient pas l’État islamique et que la Syrie et la Russie étaient la «force aérienne non déclarée» de l’organisation terroriste. Son co-auteur, Hassan Hassan ,  affirmait que le régime syrien n’a jamais combattu [État islamique] auparavant. »

Pendant un moment, partout où l’on regardait, les médias colportaient le même discours. Le Daily Beast présentait les combattants de l’État Islamique comme des «sbires d’Assad». Le New York Times promouvait l’idée que les «forces d’Assad aidaient» l’État islamique en « non seulement évitant » l’organisation terroriste « mais en essayant activement de renforcer ses positions ». Time Magazine répétait comme un perroquet la ligne pro-changement de régime selon laquelle « Bachar Assad ne combattra pas l’Etat Islamique. »

Mais ces arguments en vogue ont été, pour dire les choses gentiment, réfutés empiriquement [dans les faits].

Le dossier en faveur d’un changement de régime à Damas rappelait celui concocté pour Bagdad en 2003 : les interventionnistes avaient joué sur les peurs des Américains en prétendant que les dirigeants irakiens étaient de mèche avec les djihadistes salafistes (la tendance ultra-conservatrice au sein de l’Islam sunnite). Les preuves qu’Assad parrainait l’Etat Islamique était à peu près aussi solide que celle démontrant que Saddam Hussein soutenait al Qaïda.

Comme l’a relevé le spécialiste de la Syrie Aymenn Jawad Al-Tamimi en février 2014, l’Etat islamique « a des antécédents de combat contre le régime sur plusieurs fronts, y compris la zone de Cheikh Saïd dans la province d’Alep, la base aérienne militaire de Kuweiris (où une offensive est en cours sous la direction du bataillon muhajireen Suqur al-Izz, en coordination avec le Bataillon Vert, l’État islamique et Jabhat al-Nusra, à Nubl et Zahara ,  la base aérienne de la brigade 17 dans la province de Raqqa, l’aéroport militaire de Tabqa,  Qalamoun ,à Sayyida Zainab, et Sakhna dans le désert de Homs, la région de Qamishli et la province de Lattaquié. En plus de ces lieux, il faut aussi se souvenir du rôle décisif [de l’État islamique] dans la prise de la base aérienne de Mannagh . « 

L’idée que Assad « ne combattra pas l’Etat Islamique a toujours été fausse. L’idée que « défaire l’Etat Islamique impose aussi de vaincre Bachar Assad » était également fausse. Il devrait sembler évident aujourd’hui que l’Armée Arabe Syrienne a joué un rôle dans la dégradation de l’Etat Islamique en Syrie – pas seule évidemment, mais avec ses partenaires iranien et russe, sans même parler de l’impressionnante coalition emmenée par les Etats Unis. Contrairement aux attentes des experts, la disparition du groupe était inversement liée au pouvoir d’Assad. La fortune de l’État islamique diminuait à mesure que son influence [du gouvernement syrien] sur le pays augmentait.

Tout aussi contraire aux prédictions des analystes, l’organisation terroriste a implosé juste après que le soutien extérieur aux rebelles « modérés » s’est tari. L’affaiblissement des rebelles a été un revers majeur pour l’État islamique, car Assad pouvait finalement concentrer sa puissance de feu l’organisation terroriste. En outre, moins d’envois d’armes sur le théâtre des opérations signifiait moins d’armes tombées entre les mains des djihadistes salafistes.

Il est donc étrange que nous n’ayons pas entendu ces nombreux experts reconnaître leurs erreurs; ils ne sont pas pressés de faire acte de contrition pour avoir presque forcé au lancement d’une autre mission de changement de régime basée sur la base d’analyses discréditées.

Feu le bon sens commun était non seulement en opposition avec le constat empirique, mais complètement détachée des apports de la science politique. À quelques exceptions près, les chercheurs en relations internationales ont semblé se contenter de rester en retrait et de regarder les experts des think tanks faire l’analyse quotidienne de la situation en Syrie tout en ignorant les drapeaux rouges qui parsèment le domaine de la recherche.

Certaines des meilleures recherches en sciences politiques au cours des deux dernières décennies ont montré que les militants sont moins susceptibles d’émerger en réponse à des griefs politiques que des conditions propices à leur organisation. Pour l’État islamique, le « modèle d’opportunité » du terrorisme était toujours un meilleur ajustement que le «modèle des revendications». Après tout, c’est une organisation qui s’est établie dans le désert, loin de l’armée syrienne; a attaqué des cibles faciles comme les Yazidis qui n’ont jamais opprimé la population sunnite; et a implanté des branches dans des pays connus non pour leur gouvernement anti-sunnite, mais pour l’absence d’un gouvernement qui fonctionne.

Comme en Irak, une décennie plus tôt, un changement de régime en Syrie aurait créé le vide absolu de pouvoir qui aurait permis à l’État islamique de prospérer.

En outre, l’idée qu’injecter des armes et des combattants en Syrie amènerait à une réduction des troubles en Syrie est en réalité en contradiction avec tout ce que la recherche a établi. La littérature sur les conflits montre clairement qu’un soutien extérieur à l’opposition tend à exacerber et à étendre les guerres civiles qui, habituellement, ne se résorbent pas par des accords e partage de pouvoir entre des parties combattantes égales mais quand un camp – en général celui qui est déjà au pouvoir – parvient à dominer.

Le paradigme réaliste nous rappelle que les Etats Unis n’ont pas besoin de partager la même idéologie qu’un acteur international détestable pour accepter de travailler avec lui contre un ennemi commun. Avec sa sensibilité aux dépenses financières excessives et aux retours de bâton, le Réalisme souligne aussi les dangers des interventions militaires pour mettre en place des gouvernements à à travers le monde.

Même si le califat de l’Etat Islamique n’est plus, la guerre d’Assad contre les terroristes en Syrie continue. Espérons que les analyses à venir de ce conflit éviteront le genre de plaidoyers idéologiques anti-empiriques qui ont contribué à l’ascension d’al Qaïda en Irak et puis de l’Etat Islamique

Max Abrahms est professeur de sciences politiques à la Northeastern University et membre du Council on Foreign Relations. John Glaser est directeur des études de politique étrangère à l’Institut Cato.

Sur la Syrie, l’opinion publique américaine préfère Vladimir Poutine à Hillary Clinton et Barack Obama

3 novembre 2016

On a ici un sondeur déçu par le résultat d’une enquête réalisée par son institut. En effet, alors même que le souhait profond de cet universitaire est que l’opinion publique américaine mette dans un même sac le président syrien Bachar al-Assad et Daesh, il se trouve la dite opinion publique, même exposée aux arguments classiques de l’impérialisme, préfèrent placer en tête de ses priorités la défaite de Daesh.

Et pire encore, cette opinion publique américaine aimerait que son gouvernement se rapproche de celui de la Russie pour une lutte plus efficace.

Le sondage est fait par un institut universitaire, ce qui a sans doute empêché l’auteur de ce papier d’en manipuler les résultats.

Les Américains détestent plus l’Etat Islamique que Poutine ou Assad. Voici comment sont structurées leurs préférences politiques

par Shibley Telhami, The Washington Post (USA) 1er novembre 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

Même si l’élection présidentielle aux Etats Unis n’a guère porté sur de réelles questions politiques, le conflit en Syrie et la lutte contre l’Etat Islamique ont figuré parmi les problèmes politiques sensibles souvent débattus pendant l’année écoulée par Donald Trump et Hillary Clinton. Si tous deux ont souligné la menace que représente l’Etat Islamique, ils ont divergé sur la manière concrète de lui faire face.

Une nouvelle enquête d’opinion sur les questions sensibles [critical issues] de l’Université du Maryland – conduite par Nielsen Scarborough auprès d’un échantillon représentatif au niveau national de 1528 électeurs inscrits avec une marge d’erreur de 2,5 % – apporte un éclairage nouveau sur la façon dont l’opinion publique américaine se positionne sur ces questions. Il s’avère que les Américains souhaitent mettre de côté les divergences avec la Russie pour unir les efforts contre l’Etat Islamique (ISIS dans l’enquête). Ce qui ne signifie pas que les Américains ont confiance en la Russie ou qu’ils aiment son président, Vladimir Poutine. En fait, les Américains n’aiment pas Poutine: les Démocrates l’identifient dans une réponse à une question ouverte comme étant la personne la plus détestée parmi les responsables politiques qu’ils soient américains ou étrangers tandis que les Républicains le considèrent comme la quatrième personnalité la plus détestée, tout près de Kim Jong Un mais loin derrière leurs cibles intérieures que sont le Président Obama et Mme Clinton.

Nommez SVP un dirigeant national ou étranger que vous détestez (répondants démocrates en bleu, républicains en rouge)

En dépit de l’expression de cette animosité à l’égard de Poutine, l’opinion américaine est encline à mettre de côté les différences avec la Russie pour affronter l’Etat Islamique, malgré même le fait que Moscou travaille aussi avec les opposants aux Etats Unis que sont le régime syrien du président Bachar al-Assad, le Hezbollah et l’Iran. Et alors que les Américains continuent à exprimer des réserves quant à une extension de l’engagement militaire US en Syrie, l’électorat de Trump exprime des vues beaucoup plus bellicistes non seulement par rapport à l’électorat de Clinton mais aussi par rapport aux déclarations de Trump.

Commençons par les attitudes à l’égard des relations avec la Russie sur la Syrie. Les Américains, quelles que soient leurs tendances partisanes sont d’accord sur une question : le degré auquel ils voudraient voir une plus grande coopération russo-américaine. Pour deux tiers des personnes interrogées, le niveau actuel de coopération est plus faible que celui qu’elles souhaiteraient, c’est le cas de 72 % des républicains et de 65 % des démocrates.

Dans l’ensemble, comment décririez vous le niveau actuel de la coopération russo-américaine dans le conflit syrien (les barres tout en bas correspondent à ceux qui la jugent insuffisante)

Après avoir rappelé aux personnes interrogées le fait que les Etats Unis et la Russie soutiennent des camps opposés dans le conflit syrien même si les deux pays veulent vaincre l’Etat islamique, nous avons demandé aux personnes quelle était la meilleure façon de vaincre l’Etat Islamique. Quelque 60 % – dont 2/3 des républicains et une majorité des Démocrates – ont indiqué préférer que soient mises de côté les divergences avec la Russie pour se concentrer sur la lutte contre l’Etat Islamique.

Quelle est selon vous la meilleure façon pour l’Amérique de combattre Daesh?

A l’évidence, un des facteurs qui sous-tend ces attitudes est le fait que l’opinion a identifié depuis des mois, dès novembre 2014,l’Etat Islamique comme étant la principale menace pour les intérêts américains. En fait, dans la présente enquête, la lutte contre l’Etat Islamique supplante même l’immigration et le déficit commercial comme priorité pour l’opinion américaine. Quand on leur a demandé de choisir leurs plus grandes priorités parmi un certain nombre de problèmes qui comprenaient la montée en puissance de la Chine et l’affirmation russe, la lutte contre l’Etat Islamique est arrivée en tête avec 53 % des répondants l’identifiant comme une de leurs deux plus grandes priorités.

Parmi les problèmes suivants, lesquels devraient être les plus grandes priorités des Etats Unis?

Cet accent mis par l’opinion publique sur la menace de l’Etat Islamique prime sur toutes les autres préoccupations, même celles qui portent sur l’assurance [retrouvée] de la Russie. Il devance aussi les inquiétudes du public relativement à Assad. Il est bien sûr possible que le public américain, distrait par sa campagne présidentielle, n’ait pas accordé suffisamment d’attention aux informations sur les bombardements de la Russie et di gouvernement syrien qui ont tué beaucoup de civils et détruit des hôpitaux. Il est aussi peu probable qu’une grande partie du public ait été informé des arguments selon lesquels Assad avait un intérêt à l’ascension de l’Etat Islamique afin de détourner les énergies locales et internationales qui se seraient, sinon, concentrées sut son éviction. Mais la crise syrienne dure depuis plusieurs années et les informations des médias américains se sont concentrées sur les atrocités et les réfugiés bien avant le début de la campagne électorale. Beaucoup d’Américains ont une aversion profonde pour Assad (il est classé sixième sur la liste des personnalités les plus détestées) et veulent voir un changement de régime en Syrie. Dans une question qui portait spécifiquement sur ce sur quoi ils aimeraient que les Etats Unis se concentrent en Syrie, 35 % des répondants disent qu’ils considèrent comme une priorité la défaite et la fin du régime Assad. Cependant 52 % considèrent que vaincre l’Etat Islamique est la première priorité contre seulement 2 % pour qui l’éviction d’Assad est la principale priorité.

Quel devrait être le premier objectif de l’engagement militaire américain en Syrie? (1 % des républicains et 3 % des Démocrates pensent que l’éviction d’Assad devrait être le premier objectif).

La préférence pour une coopération avec la Russie peut être aussi vue comme un choix entre deux mauvaises alternatives. Deux tiers des répondants craignent de donner un soutien militaire significatif aux rebelles syriens qui peuvent avoir dans leurs rangs des éléments islamistes autres que ceux de l’Etat Islamique ou d’al Qaïda. Même avoir présenté aux répondants une série d’arguments classiques pour ou contre l’envoi d’une importante force militaire terrestre américaine pour aider à vaincre l’Etat Islamique, 63 % des Américains restent opposés à une telle mesure.

Etes-vous favorable au déploiement d’importantes forces terrestres américaines en Syrie et en Irak pour combattre Daesh?

S’il existe un dossier solide pour soutenir que lutter contre Assad ou contrer la politique étrangère russe  devrait être au moins aussi important que combattre l’Etat Islamique – ou que la menace de l’Etat Islamique est peut-être exagérée compte tenu des autres priorités des Etats Unis dans le monde – cette enquête montre que les Américains ne l’ont pas entendu. Pour l’instant, confronter l’Etat Islamique l’emporte sur tout le reste, y compris l’hostilité à l’égard de Poutine et Assad.

Shibley Telhami est professeur titulaire de la chaire Sadate et directeur de Critical Issues Poll à l’université du Maryland Critical Issues Poll. Il est professeur associé à la Brookings Institution.

Pour les Etats Unis, Alep est la bataille que l’armée syrienne ne doit pas gagner

26 mai 2016

On lit assez rarement des analyses produites par des spécialistes russes des questions de politique internationale ou de défense. Raison de plus pour traduire cet article qui fait utilement le point sur la situation politique et militaire en Syrie.

Si le parti pris est clairement orienté en faveur des autorités russes et du gouvernement syrien, il me semble que l’article brosse néanmoins un tableau exact de la situation et des perspectives pour la Syrie.

On le reconnaîtra d’autant plus aisément qu’on aura compris que ce qui se passe en Syrie n’est pas l’affrontement entre une affreuse dictature (qu’on pense que le régime en place soit ou pas une affreuse dictature selon qu’on est pro régime ou pas) et des partisans de la démocratie. Et que les Etats Unis n’ont pas pour projet d’installer à Damas un gouvernement respectueux du droit.

L’importance de la bataille d’Alep

Par Alexander Kuznetsov, Strategic Culture (Russie) 25 mai 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

De rudes combats se poursuivent à Alep. Après la violation de l’accord de cessez-le-feu par l’opposition armée, les forces gouvernementales syriennes ont lancé une offensive pour encercler entièrement et prendre le contrôle complet de la partie occidentale de la ville qui est aux mains des militants.

Les forces anti-gouvernementales bombardent régulièrement les civils dans les quartiers chrétiens d’Alep et dans le district Cheikh Maqsoud qui est peuplé de Kurdes. Un résultat de cette nouvelle phase de la campagne militaire a été l’accroissement de l’influence des organisations djihadistes, en particulier du Jabhat al-Nosra. C’est cette organisation et ses alliés que la Turquie et les Etats Unis essayent de faire passer pour « l’opposition modérée » qui est supposée capable de vaincre l’Etat Islamique (Daesh). Mais quand on en vient à leurs méthodes pour éliminer leurs adversaires politiques et les Chrétiens, ces organisations islamiques radicales sont indiscernables.

Cheikh Maqsoud

Quartier Cheikh Maqsoud à Alep

Le leader d’al-Qaïda exhorte les militants “modérés” et “extrémistes” à s’unir.

On doit remarquer qu’encore une autre organisation djihadiste est apparue en Syrie en mars-avril de l’an dernier. Elle est connue sous l’appellation de Djeich al-Fatah. Cette organisation réunit Ahrar al-Cham et Jound al-Aqsa en plus du Jabhat al-Nosra. La plupart des experts considèrent Ahrar al-Cham comme étant une organisation salafiste-djihadiste du même type que le Jabhat al-Nosra qui a été inscrit par le Conseil de Sécurité de l’ONU dans sa liste d’organisations terroristes.

En 2015 , l’ancien chef de Ahrar al-Sham, Hassan Abboud, décrivait ainsi ses différences avec l’État Islamique: « La démocratie est une épée que ‘Occident tient au dessus dles autres nations. Elle est un moyen pour que seulement quelques personnes puissent contrôler une nation. Conformément à la charia, il y a plusieurs façons de choisir un dirigeant. Dans une monarchie, le successeur hérite de son titre. Dans d’autres sociétés qui observent les règles de la charia, le dirigeant est choisi par les hommes les plus sages et les plus respectables après consultation du peuple. Toutes ces méthodes sont légitimes. Nous reconnaissons que, idéalement, il devrait y avoir un calife et ses esclaves. Nos différences avec l’État islamique concernent des questions de forme, pas de substance. La proclamation du califat était prématurée et n’a pas été suivie par l’accomplissement de toutes les procédures institutionnelles ».

L’ancien leader de Ahrar al-Cham considère que contrer la “menace chiite” est la plus importante tâche à accomplir actuellement. Il affirme que « la faucille chiite est brandie autour de la Oumma islamique. Cette faucille safavide perse est l’obstacle principal à la restauration de sa gloire [de la Oumma] ». Le mot « faucille » doit bien entendu être entendu comme le « croisant chiite » – la coalition formée par l’Iran avec la Syrie et le Hezbollah. Cet intéressant adjectif « safavide » renvoie à l’Iran. L’Islam chiite devint la religion officielle de l’Iran sous la dynastie safavide (1506-1721), et les salafistes utilisent souvent ce terme quand ils parlent de l’Iran contemporain.

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Ayman al – Zawahiri

En attendant, Ayman al-Zawahiri, le chef de l’organisation terroriste Al-Qaïda, dont le Jabhat al-Nosra fait partie, a lancé un appel à tous les opposants au gouvernement syrien légitime pour leur demander de consolider leur unité face à l’offensive de l’armée gouvernementale syrienne dans le secteur d’Alep. «Soit vous vous unissez, soit vous mourrez », a déclaré le chef terroriste qui a salué le rôle du Jabhat al-Nosra et a farouchement critiqué le cessez- le –feu en Syrie. Le chef d’Al-Qaïda a exigé que les «vrais musulmans» de tous les pays concentrent leurs efforts sur le djihad en Syrie. Il affirme que «si les Moudjahidin ne s’unissent pas, c’est la défaite des mains des croisés russes et occidentaux qui les attend».

Hamza ben Laden, le fils d’Oussama ben Laden âgé de 23 ans, s’est lui-même allié au leader d’al Qaïda pour soutenir le Jabhat al-Nosra. Il affirme que « la Oumma islamique doit se concentrer sur le djihad en Syrie et resserrer les rangs en laissant derrière les désaccords du moment. »

La pseudo guerre de la Turquie contre l’Etat Islamique

Après ces événements, Ankara est devenu soudain méfiant à l’égard de l’Etat islamique en expansion dans le nord de la Syrie. Erdogan a non seulement annoncé son intention d’éliminer les miliciens de l’Etat Islamique du côté syrien de la frontière, mais il a également refusé d’écarter l’éventualité d’une participation des forces terrestres turques à des opérations localisées contre ce groupe terroriste. Le 6 Avril, une compagnie combattante composée de factions armées de Turkmènes syriens financés par les services de renseignement turcs, associée à plusieurs unités de Salafistes, a pris la ville d’al-Rai aux rebelles Etat islamique et menacé d’avancer vers Azaz, avant d’être repoussés le 11 avril par les djihadistes. Cela était compréhensible : les militants de Daesh prennent leur combat au sérieux – quand ils vont au combat, ils ne bluffent pas.

The Azaz corridor is closed-MKH

Le corridor d’Azaz, vital pour le Jabhat al Nosra a été coupé par l’armée syrienne

Selon les informations fournies par le journaliste turc Burak Bekdil, après que Ankara  a officiellement rejoint la coalition anti-terroriste, le flux d’armes et d’explosifs qui passent par la Turquie vers les régions contrôlées par Daesh n’a non seulement  pas diminué, mais a même augmenté. L’an dernier, 2.500 tonnes de nitrate d’ammonium, 456 tonnes de nitrate de potasse, et 75 tonnes de poudre d’aluminium sont passées de la Turquie dans des régions sous contrôle terroriste. Tous ces ingrédients servent à fabriquer des engins explosifs artisanaux.

En dépit d’une série d’actions terroristes perpétrées par des partisans de l’Etat Islamique en Turquie, un tribunal turc a libéré le 24 mars sept membres de Daesh, dont un cadre militaire. Une telle clémence aboutit à des changements irréversibles dans la société turque. Selon des enquêtes d’opinion, près de 10 % des citoyens turcs (soit près de huit millions de personnes) ont une image positive de l’Etat Islamique et ne le considèrent pas comme une organisation terroriste. C’est une quasi garantie que le flux de nouveaux combattants  venant de Turquie pour intégrer les rangs de Daesh va se maintenir.

Qu’est-ce qui a précipité ce changement de comportement de la Turquie – un pays qui encore récemment était considéré comme le parrain officieux de l’Etat Islamique? En tout premier lieu, les Unités de Protection du Peuple Kurde en Syrie (YPG), qui entretiennent des liens étroits avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ont récemment démontré leur capacité à remporter des succès militaires contre l’Etat Islamique. Deuxièmement, après les coups sévères infligés par l’aviation militaire russe, l’entente de la famille Erdogan avec Daesh pour le commerce du pétrole syrien n’est plus aussi profitable qu’elle l’était avant. Tout cela oblige Ankara à revenir sur sa cooperation avec l’Etat Islamique et à opérer un changement en travaillant avec le Jabhat al-Nosra et les organisations qui lui sont alliées.

Le changement de tactique d’Ankara à l’égard de la Syrie a l’entier soutien de Washington. La récente livraison par les Etats Unis à la Turquie de systemes de roquettes d’artillerie ultra-mobiles fait résonner le signal d’alarme. Ces systems sont capables de tirer des missiles à 90 kilomètres à l’intérieur du territoire syrien. Dans son interview du 10 mai dernier avec la correspondante de CNN Christiane Amanpour, le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a averti la Russie de gros problems à venir si elle continuait à soutenir l’offensive du gouvernement syrien à Alep. Il observait que « la Russie a un intérêt à ne pas se retrouver enlisée des années en Syrie…  [et] devenir la cible de l’ensemble du monde Sunnite et d’avoir tous les djihadistes de la region cherchant à attaquer la Russie. »

Les Etats Unis sont prêts faire tout ce qu’il faut pour empêcher le gouvernement de Bachar al-Assad de se renforcer. Si les troupes gouvernementales obtiennent une victoire militaire dans la région d’Alep, environ 90 % du territoire syrien serait sous le contrôle du gouvernement légitime. Et ça ne fait pas partie des plans de l’Occident. Alors John Kerry menace de fixer une date butoir en août 2016 pour que la Russie aide à la formation d’un gouvernement de transition en Syrie, en affirmant que dans le cas contraire, les livraisons d’armes américaines commenceront à affluer dans les rangs de « l’opposition modérée. » Nous savons fort bien ce à quoi ressemble une « période de transition » à la mode américaine – nous l’avons vu en Irak et en Libye. Cette période a commencé en Irak après l’occupation américaine en 2003 et se poursuit à ce jour, accompagnée d’explosions incessantes à Bagdad, d’une corruption chronique et d’une guerre civile dans les provinces du nord du pays. En Libye, la « période de transition » s’est terminée par l’effondrement de l’Etat. Et c’est ce futur que les Etats Unis ont à l’esprit pour la Syrie. Les bons vieux plans n’ont pas changé.

Syrie: Jeffrey Sachs balance tout (ou presque)

17 février 2016

L’article que je vous propose est signé Jeffrey Sachs. Jeffrey Sachs n’est pas exactement n’importe qui: c’est un universitaire de renom qui dirige un institut à la Columbia University (New York) et est consultant auprès du Secrétaire Général des Nations Unies.

Eh bien dans cet article Jeffrey Sachs balance tout sur la Syrie. Dans le meilleur esprit complotiste, il pointe le rôle des services secrets américains dès le début de la crise en Syrie et il souligne l’obstination de la diplomatie américaine, de Hillary Clinton en particulier, à empêcher tout règlement politique qui ne passerait pas par le préalable d’une reddition du président Bachar al-Assad quitte à aggraver et à prolonger l’effusion de sang.

Jeffrey Sachs

Il est , je pense, une des premières signatures dans la presse grand public américaine à relever le rôle de l’entité sioniste dans la situation en Syrie et le partenariat entre cette même entité et deux puissances régionales qu’il qualifie de « sunnites », la Turquie et l’Arabie Saoudite.

Hillary Clinton et le bain de sang en Syrie

par Jeffrey Sachs, The Huffington Post (USA) 14 février 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

Pendant le débat de Milwaukee [avec Bernie Sanders] , Hillary Clinton s’est flattée de son rôle dans une récente résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour un cessez-le-feu en Syrie:

Mais je voudrais ajouter ceci. Vous le savez, le Conseil de Sécurité a finalement adopté une résolution. Au coeur de cette résolution se trouve un accord que j’avais négocié en juin 2012 à Genève qui prônait un cessez-le-feu et la marche vers une solution politique en essayant d’amener les parties prenantes en Syrie  à se parler.

C’est là le genre de déclarations compulsivement trompeuses qui rendent Clinton inapte à la fonction présidentielle. Le rôle de Mme Clinton en Syrie a été de contribuer à provoquer et à prolonger le bain de sang en Syrie, pas d’y mettre un terme.

En 2012, Mme Clinton était l’obstacle, pas la solution, à un cessez-e-feu qui était négocié par l’envoyé spécial de l’ONU Kofi Annan. C’est l’intransigeance des Etats Unis – l’intrnsigeance de Mme Clinton – qui avait abouti à l’échec des démarches pour la paix de M. Annan au printemps 2012, un fait bien connu des diplomates. En dépit de l’insinuation de Mme Clinton pendant le débat de Milwaukee, il n’y eut (évidemment) pas de cessez-le-feu en 2012, mais seulement une escalade dans le carnage. Mme Clinton porte une lourde responsabilité pour le carnage qui a causé la mort de 250 000 Syriens et en a déplacé plus de dix millions.

Comme tout observateur averti l’a bien compris, la guerre en Syrie n’avait pas tellement rapport avec Bachar al-Assad, ni même avec la Syrie. C’est surtout une guerre par procuration avec l’Iran.Et le bain de sang n’en est que plus tragique et malheureux pour cette raison.

L’Arabie Saoudite et la Turquie, les principales puissances sunnites au Moyen Orient perçoivent l’Iran, la grande puissance chiite, comme un concurrent en termes d’influence et de pouvoir dans la région. La droite israélienne voit l’Iran comme un ennemi implacable qui contrôle le Hezbollah, une organisation militante chiite qui opère au Liban, un Etat limitrophe d’Israël. C’est pourquoi la Turquie l’ Arabie Saoudite et Israël ont tous  réclamé l’élimination de l’influende iranienne en Syrie.

Cette idée est d’une naïveté incroyable. L’Iran est présent en tant que puissance régionale depuis longtemps – en fait depuis près de 2700 ans. Et l’Islam chiite ne va pas disparaître comme par enchantement. Il n’ y  a auun moyen, et aucune raison, de « vaincre » l’Iran. Lespuissances régionales doivent forger un équilibre géopolitique qui reconnaît les tôles mutuels et d’équiliration des pays arabes du Golfe d el’Iran et de la Turquie. Et la droite israélienne est naïve et profondment ignorante de l’histoire pour regarder l’Iran comme son ennemi implacable, particulièrement quand cette façon de voir erronée pousse Israël à se ranger du côté des djihadistes sunnites.

Pourtant Mme Clinton n’a pas suivi cette voie. Elle a au contraire rejoint l’Arabie Saoudite la Turquie et le droite israélienne pour essayer d’isoler et même de vaincre l’Iran. En 2010, elle avait encouragé des négociations secrètes entre Israël et la Syrie pour essayer de soustraire la Syrie à l’influence de l’Iran. Ces discussions avaient échoué. Alors la CIA et Mme Clinton avaient poussé avec succès en faveur d’un Plan B: renverser Assad

Quand les troubles du Printemps Arabe ont éclaté début 2011, la CIA et le font anti-iranien constitué par la Turquie, l’Arabie Saoudite et Israël y virent une opportunité pour renverser rapidement Assad et de s’assurer ainsi une victoire géopolitique. Mme Clinton se fit la principale promotrice de l’entreprise menée par la CIA pour un changemet de régime en Syrie.

Début 2011 la Turquie et l’Arabie Saoudite mirent à profit des protestations locales contre Assad pour essayer de fomenter les conditions de son éviction. Vers le printemps 2011, la CIA et les alliés des États Unis organisaient une insurrection armée contre le régime. Le 18 août 2011, le gouvernement des États Unis rendait publique sa position: »Assad doit partir. »

Depuis, et jusqu’au récent et fragile accord de cessez-le-feu au Conseil de Sécurité de l’ONU, les États Unis ont refusé d’accepter tout cessez-le-feu tant qu’Assad n’était pas écarté du pouvoir. La politique américaine – sous Clinton et jusqu’à récemment – a été celle du changement de régime d’abord et du cessez-le-feu ensuite. Après tout, ce ne sont que des Syriens qui meurent. Les efforts de paix d’Annan avaient été sabotés par l’exigence inflexible des États Unis pour qu’un changement de régime contrôlé par les USA précède ou au moins accompagne un cessez-le-feu. Comme l’avait observé en août 202 la rédaction de The Nation [hebdomadaire progressiste américain]::

L’exigence par les États Unis d’un départ d’Assad et de l’imposition de sanctions avant même que débutent des négociations sérieuses, tout comme le refus d’inclure l’Iran dans le processus condamnaient la mission [d’Annan].

Clinton n’a pas été un acteur mineur dans la crise syrienne. Son représentant diplomatique à Benghazi, Chris Stevens, avait été assassiné alors qu’il s’occupait d’une opération de la CIA pour expédier des armes lourdes libyennes en Syrie. Clinton elle-même a été à la pointe de l’organisation des soi-disant « Amis de la Syrie » pour soutenir l’insurrection dirigée par la CIA.

La politique américaine a été un échec massif et terrible. Assad n’est pas parti, et il n’a pas été vaincu. la Russie est venue l’aider, l’Iran est venu l’aider. Les mercenaires envoyés pour le renverser étaient eux-mêmes des djihadistes extrémistes avec leurs propres agendas? Le chaos a ouvert la voie à l’Etat Islamique, bâti avec des officiers de l’armée irakienne mécontents (exclus de l’armée par les États Unis en 2003) des armes américaines et avec le soutien considérable de fonds saoudiens. Si la vérité devait être entièrement connue, les nombreux scandales associé rivaliseraient certainement avec le Watergate dans leurs ébranlement des fondations de la classe dirigeante des États Unis.

L’arrogance des États Unis dans cette approche semble ne connaître aucune limite. Le procédé du changement de régime fomenté par la CIA est si profondément inscrit comme un instrument « normal » de la politique étrangère américaine qu’elle est à peine remarquée par l’opinion publique ou les médias aux États Unis. Renverser le gouvernement d’un autre pays est contraire à la charte de l’ONU et au droit international. Mais a-t-on besoin de telles subtilités entre amis?

L’instrument [la déposition d’Assad] de la politique étrangère des États Unis n’a pas été seulement en violation flagrante du droit international mais a aussi été un échec massif et répété. Au lieu d’un coup d’état rapide et décisif pour résoudre un problème de politique étrangère, chaque changement de régime ourdi par la CIA a été, presque inévitablement, le prélude à un bain de sang. Comment pouvait-il en être autrement? Les autres sociétés n’aiment pas que leur pays soit manipulé par des opérations secrètes des États Unis.

Écarter un dirigeant, même quand l’opération est un « succès » ne résout aucun des problèmes géopolitiques sous-jacents, et encore moins les problèmes de nature écologique, sociale ou économique. Un coup d’état invite à la guerre civile, du genre de celles qui secouent aujourd’hui l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie. Il invite une réaction internationale hostile, comme celle de la Russie en appui à son allié syrien pour faire face aux opérations dirigées par la CIA. Nous en sommes au point où la somme des malheurs causés par es opérations secrètes de la CIA peut littéralement remplir des volumes. Sera-t-on dès lors surpris de voir Mme Clinton reconnaître en Henry Kissinger un mentor et un guide?

Et où en sont les médias de l’establishment  dans cette débâcle? Le New York Times a fini par parler d’une partie de cette histoire le mois dernier en présentant la connexion entre la CIA et l’Arabie Saoudite, dans laquelle l’argent saoudien sert à payer les opérations de la CIA afin de contourner le Congrès et le peuple américain. Après cette première publication, il n’y a pas eu de suite. Pourtant le financement saoudien d’opérations de la CIA est fondamentalement le même procédé que celui utilisé par Ronald Reagan et Peter North dans le scandale Iran-Contra des années 1980 (avec des ventes d’armes à l’Iran utilisées pour financer des opérations secrètes de la CIA en Amérique Centrale sans le consentement ou la supervision du peuple américain).

Mme Clinton elle-même n’a jamais montré la moindre réserve ou le moindre scrupule à mettre en oeuvre cet instrument de la politique étrangère américaine. A son actif en matière de soutien enthousiaste à des changements de régime sous l’impulsion des Etats Unis, on inclura (liste non exhaustive) le bombardement de Belgrade en 1999 l’invasion de l’Afghanistan en 2001 la guerre contre l’Irak en 2003, le coup de force au Honduras en 2009, l’assassinat du Libyen Mouammar Kadhafi en 2011 et l’insurrection contre Assad coordonnée par la CIA de 2011 à ce jour.

         Libye octobre 2011 -Pour  une Hillary Clinton radieuse, c’est comme si                                   Mouammar Kadhafi était déjà mort

Il faut un grand leadership présidentiel pour résister aux malheureuses aventures de la CIA. Les présidents finissent par s’entendre avec les entreprises du secteur de la défense, les généraux et les cadres de la CIA. Ils se protègent ainsi des attaques venues de la droite extrémiste dure. Ils réussissent en exaltant la puissance militaire des États Unis, pas en la contenant. Beaucoup d’historiens pensent que JFK [John Fitzgerald Kennedy] a été assassiné suite à ses ouvertures de paix en direction de l’Union Soviétique des ouvertures qu’il avait faites contre les objections d’une opposition de droite tenante d’une ligne dure au sein de la CIA et d’autres secteurs de l’appareil d’état américain.

Hillary Clinton n’a jamais fait montre d’un iota de courage, ou même de compréhension , dans la confrontation avec la CIA. Elle a été un inlassable partisan de la CIA et  jubilait à montrer sa fermeté en soutenant chacune de ses opérations malavisées. Les échecs sont bien sûr constamment dissimulés à notre vue. Clinton est un danger pour la paix mondiale. Elle doit répondre de beaucoup de choses en ce qui concerne le désastre en Syrie.

Jeffrey Sachs est le Directeur de l’Earth Institute (Institut de la Terre) à la Columbia University

Robert Ford, celui qui voulait armer les « rebelles » en Syrie, reconnaît maintenant qu’ils ne représentent rien

19 février 2015

Dans la famille Ford, on connaît le cinéaste John Ford (un pseudonyme en réalité), l’acteur Harrisson Ford et le critique de cinéma Charles Ford.

Un nom qui semble prédestiner à exercer une activité en rapport avec le cinéma !

Et quand on n’est pas dans le cinéma spectacle, on joue aux cow-boys et aux Indiens pour de vrai en poussant à la guerre civile, ce qu’a fait avec entrain et ténacité l’ancien ambassadeur des États Unis en Syrie, un certain Robert Ford.

Robert Ford a un petit quelque chose de George W. Bush

Robert Ford a un petit quelque chose de George W. Bush

Robert Ford était en poste à Damas au moment où les premiers troubles ont agité la Syrie, Plutôt que de se contenter de rendre compte à son gouvernement de l’évolution de la situation quitte à rappeler aux autorités locales comment les États Unis concevaient un règlement politique de la crise, Robert Ford s’est immédiatement attelé à attiser les tensions et à bien faire comprendre qu’un révolution à la libyenne trouverait un entier soutien à Washington.

C’est exactement ce qui s’est passé et comme en Libye, la France et le Royaume Uni étaient chargés de jouer les utilités en tant qu’avant-garde de la communauté internationale.

Mais outre le fait que la leçon libyenne a parfaitement été retenue par le gouvernement syrien mais aussi par le gouvernement russe, les références idéologiques et les méthodes des « rebelles » n’ont pas tardé à renforcer le soutien populaire au pouvoir syrien.

L’idéologie et les méthodes sont les mêmes que celles des prétendus rebelles libyens mais comme en Libye, le régime syrien n’aurait pu être abattu que grâce à une intervention étrangère directe. Or cette dernière n’a pas été possible parce que l’armée gouvernementale ne s’est pas effondrée mais est restée au contraire motivée, et parce que la Russie comme l’Iran ont clairement fait connaître leur ferme opposition à une telle entreprise.

Les temps ont bien changé depuis 2011 et la fameuse opposition démocratique syrienne apparaît pour ce qu’elle est une nébuleuse de clients des pétromonarchies qui sont motivés surtout pas l’appât du gain. De fait, les pétromonarchies ont été très généreuses et leurs clients leur en donnent pour leur argent en matière de pillages, de destructions et de têtes coupées.

Aujourd’hui Robert Ford ne soutient plus la dotation en armes de l’opposition syrienne . Il n’a cependant pas renoncé à ses beaux projets pour la Syrie puisqu’il recommande l’envoi de soldats, pas nécessairement américains, précise-t-il.

On verra ce qu’il en sera étant donné que le parti de la guerre à Washington cherche maintenant à prendre prétexte de la force de l’Etat Islamique en Irak et au Levant pour demander une action militaire directe.

Les gens informés savent pourtant que les milices de la mouvance d’al Qaïda (et Daesh a été un moment affilié à cette organisation) ont joué un rôle prédominant très tôt dans l’histoire de la crise syrienne

Après avoir été un de ses principaux promoteurs, l’ex-ambassadeur des Etats Unis n’est plus favorable à l’armement des rebelles

par Hannah Allam, McClatchy Washington Bureau 18 février 2015 traduit de l’anglais par Djazaïri

Washington – Robert Ford a toujours été un des plus chauds partisans des rebelles syriens à Washington, se démenant à l’intérieur d’une administration réticente en faveur de l’armement de rebelles modérés triés sur le volet pour combattre le régime brutal de Bachar Assad.

Ces dernières semaines, cependant, Ford, l’ancien ambassadeur des États Unis en Syrie qui avait fait la une quand il avait quitté le service de l’Etat il y a un an en critiquant sévèrement la politique de l’administration Obama, a renoncé à son appel à fournir des armes aux rebelles. Il est au contraire devenu de plus en plus critique à leur égard, les considérant comme incohérents et indignes de confiance parce qu’ils collaborent avec les djihadistes.

Cette volte-face qui fait murmurer parmi les spécialistes de politique étrangère et les personnalités de l’opposition syrienne à Washington, est un signe supplémentaire que l’option des rebelles soi-disant modérés a fait long feu et que le choix en Syrie se réduit au régime contre les extrémistes dans une guerre qui a tué plus de 200 000 personnes et en a déplacé des millions.

Dans la foulée de réunions avec les dirigeants rebelles en Turquie, Ford a expliqué dans une interview cette semaine pourquoi sa position a évolué: Sans un commandement central fort ou même d’entente entre les acteurs régionaux pour désigner le Front al Nosra Front affilié à al Qaida comme un ennemi, dit-il, les modérés auront peu de chances de devenir une force viable, que ce soit contre Assad ou contre les extrémistes. Il a estimé la fraction restante de modérés parmi les rebelles à moins de 20 000 hommes. Ils sont incapables d’attaquer et, en ce moment, ils sont «surtout dans des batailles défensives ».

Pour faire court : ça n’a aucun intérêt d’envoyer de l’aide au camp du perdant.

« Nous devons faire face à la réalité telle qu’elle est», a déclaré Ford, qui collabore maintenant avec le Middle East Institute à Washington. «Les gens que nous avons soutenus n’ont pas été assez forts pour tenir leur terrain contre le Front al Nosra. »

Le ton de Ford sonne aujourd’hui comme celui d’une personne différente de l’optimiste qui, il y a seulement six mois, écrivait un essai de politique étrangère qui commençait ainsi: « Ne croyez pas tout ce que vous lisez dans les médias: Les rebelles modérés de la Syrie ne sont pas finis. Ils ont gagné du terrain dans plusieurs parties du pays et ont rompu publiquement à la fois avec la filiale d’Al-Qaïda qui opère sur place et avec les djihadistes de l’Etat islamique « .

Maintenant,pourtant, dans les tables rondes et dans ses conférences, Ford accuse les rebelles de collaborer avec le Front al Nosra, la branche d’al-Qaïda en Syrie que les USA ont déclaré organisation terroriste depuis plus de deux ans. Il dit que les luttes intestines de l’opposition se sont aggravées et il déplore le fait que des organisations extrémistes dominent désormais dans la plupart des territoires qui échappent au contrôle du régime syrien.

Ford affirme que le problème tient en partie à ce que que trop de rebelles – et leurs parrains en Turquie et au Qatar – ont insisté pour dire que le front al Nosra était une force anti-Assad indigène, alors qu’en fait c’était une branche d’Al-Qaïda dont l’idéologie était pratiquement indiscernable de celle de l’État islamique. L’administration Obama a déjà eu toute une série de déconvenues concernant des fournitures données aux rebelles qui se sont retrouvées entre les mains d’organisations désignées comme terroristes par les États Unis.

« Le front al Nosra est tout aussi dangereux, et pourtant ils prétendent que ce sont des gens biens, ils sont Syriens, » déclare Ford. « Le deuxième problème est que notre matériel a échoué chez eux. »

En même temps que ses appels à armer les rebelles se faisaient de plus en plus fables, Ford s’exprimait plus vigoureusement sur les relations entre les rebelles et le front al Nosra, chose que les officiels américains avaient préféré ignorer, du moins publiquement.

Lors d’un séminaire le mois dernier en présence d’un public auquel participaient des figures importantes de l’opposition syrienne avec lesquels il avait travaillé pendant des années, Ford a commencé par un préambule d’avertissement que ce qu’il allait dire était « ne serait pas populaire» parmi la partie de l’assistance appartenant à l’opposition syrienne.

Il s’est ensuite lancé dans un acte d’accusation des rebelles modérés, leur disant sans ménagement qu’ils pouvaient oublier l’aide extérieure aussi longtemps que ils continueraient à collaborer avec le front al Nosra. Il a laissé entendre que les responsables américains qui les soutenaient s’étaient lassés de devoir les couvrir auprès de l’administration et d’une opinion publique américaine qui sont sceptiques quant à une implication plus grande des États-Unis en Syrie.

« Pendant longtemps, nous avons détourné le regard pendant que le Front al Nosra et les groupes armés sur le terrain, dont certains reçoivent de l’aide de notre part, coordonnaient leurs opérations militaires contre le régime », a déclaré Ford. « Je pense que ces jours où nous regardions ailleurs sont terminés. »

La plupart des membres de l’auditoire étaient familiers avec l’historique de Ford sur le dossier syrien, et ils avaient été visiblement surpris de ces paroles de remontrances; ils le connaissaient comme un défenseur acharné des rebelles, quelqu’un qui avait mis fin à une longue carrière diplomatique il y a un an ce mois-ci avec des propos acerbes sur le refus de l’administration Obama de les armer. Ford est souvent décrit comme le premier haut fonctionnaire à s’être exprimé aussi ouvertement contre la politique américaine envers la Syrie; la Maison Blanche est toujours furieuse contre sa décision de passer outre le devoir de réserve.

Ford n’a pas assoupli sa position sur la responsabilité des États Unis dans la catastrophe syrienne – il présente toujours la politique américaine comme un « immense ratage » et «un échec singulier » – mais maintenant, il n’épargne pas aux rebelles leur part de responsabilité. Il n’est guère patient devant l’argument selon lequel ils étaient forcés de collaborer avec le front al Nosra et d’autres partenaires infréquentables à cause des promesses d’assistance non tenues par l’Occident. Il faut qu’on s’accorde, dit-il, sur le fait que al Qaïda est hors-jeu comme partenaire.

« Il devient impossible d’aligner une opposition efficace quand personne n’est d’accord sur qui ou quoi est l’ennemi, » dit-il.

Ford considère que la dernière approche américaine consistant à laisser tomber l’ancien modèle de rébellion pour construire une nouvelle force paramilitaire triée sur le volet pour se concentrer sur la lutte contre l’Etat islamique était vouée à l’échec ; les rebelles syriens sont plus motivés par la destitution d’Assad que par le combat contre les extrémistes pour le compte de l’Occident, et il y a bien trop peu de combattants pour prendre le projet au sérieux.

« L’effectif [de combattants] est encore trop réduit, » dit-il. « Que feront-ils avec 5 000 hommes ? Ou même avec 10 000 dans un an ? Qu’est-ce que ça pourra faire ? »

Le régime Assad veut de présenter lui-même comme une alternative [à al Qaïda et à Daesh], mais Ford explique que l’armée syrienne a été très affaiblie et qu’il est douteux que le régime puisse mener une campagne victorieuse contre les extrémistes. Et puis il y a les retombées politiques et morales qui découleraient d’une détente des relatiosns de l’Amérique avec un homme que des dirigeants américains décrivent depuis 2011 comme un boucher qui a perdu toute légitimité à gouverner.

Ford affirme que le moment est venu pour les dirigeants américains et leurs alliés d’avoir une discussion sérieuse sur l’envoi de « troupes sur le terrain, » tout en ajoutant aussitôt que ces combattants ne doivent pas être forcément américains. Il considère que seule une force terrestre professionnelle peut débarrasser la Syrie des djihadistes.

Et toute action parallèle pour bâtir un mouvement rebelle local devrait se faire de manière rationnelle à travers un commandement central et un canal hiérarchique syrien, dit-il. Les partenaires internationaux, déclare Ford, doivent renoncer au cadre de fonctionnement « insensé » actuel dans lequel chaque puissance régionale financent dans l’anarchie un écheveau d’organisations clientes qui, dit-il, serait du plus haut comique si les conséquences n’en étaient pas si tragiques.

Et si cette démarche ne peut pas être mise en place, déclare l’homme connu pour plaider en faveur d’une plus grande implication des États Unis, « alors nous n’avons plus qu’à nous retirer et dire que nous ne pouvons rien faire pour la Syrie. »

Bûchers en Syrie, bûchers en Amérique. Barbarie en Orient, civilisation en Occident

9 février 2015

Mon commentaire après cet article riche de sens.

Ceci est le corps calciné de Jesse Washington et des hommes blancs de Waco – pas Daesh – l’ont brûlé vif

par Bill Moyers, Raw Story (USA) 7 février 2015 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ils l’ont fait brûler vif dans une cage de fer, et tandis qu’il criait et se tordait dans les affres de l’enfer, sa mort pour eux n’était qu’un jeu.

Le bûcher et la cage de fer où était enfermé Jesse Washington

Le bûcher et la cage de fer où était enfermé Jesse Washington

Après avoir écouté les bulletins d’information l’un après l’autre condamner à juste titre l’assassinat barbare de ce pilote de l’armée de l’air jordanienne tombé entre la mains sanglantes de l’EIIL, je ne pouvais trouver le sommeil. Mon esprit s’évertuait à ressasser le passé pour essayer de retrouver une photo dont je me souvenais vaguement et que j’avais vue il y a longtemps de cela dans les archives d’une bibliothèque universitaire au Texas.

Soudain, vers deux heurs du matin, l’image s’est reformée dans mon cerveau. Je suis descendu pour aller à mon ordinateur et j’ai tapé les mots clefs : « Waco, Texasn Lynchage. »

Effectivement, elle était là : le cadavre carbonisé d’un jeune homme noir attaché à un arbre au tronc boursouflé au cœur de la Bible Belt du Texas. Non loin du corps brûlé, on peut voir de jeunes hommes blancs souriants et satisfaits, dans un état apparent de jubilation à être assis aux premières loges d’un carnaval de mort. L’un d’entre eux avait envoyé une photo comme carte postale à la maison : « C’est le barbecue qu’on a fait la nuit dernière. Je suis à gauche sur la photo avec la marque de la croix. Votre fils, Joe. »

La victime se nommait Jesse Washington. C’était en 1916, l’Amérique allait bientôt entrer en guerre en Europe « pour rendre le monde plus sûr pour la démocratie. » Mon père avait 12 ans, ma mère 8. Je suis né 18 ans après, à une époque, comme je devais l’apprendre, où les Blancs du coin parlaient encore de l’exécution de Washington comme si elle avait eu lieu la veille. Ce n’était pas l’Europe médiévale. Pas l’Inquisition. Pas un hérétique envoyé au bûcher par une autorité ecclésiastique dans l’Ancien Monde. C’était au Texas, et les hommes blancs sur la photo étaient des fermiers, des ouvriers, des commerçants, certains d’entre eux étant des membres respectables des églises locales à Waco et ses environs.

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Voici la photo. Regardez bien le corps raidi de Washington attaché à l’arbre. Il avait été condamné à mort pour le meurtre d’une femme blanche. Aucun témoins n’avais vu le crime ; il aurait avoué mais la véracité des allégations n’a jamais été vérifiée. Le grand jury n’avait mis que quelques minutes pour rendre un verdict de culpabilité, mais il n’y eut ni appel, ni réexamen, pas de prison [en attendant l’exécution de la sentence, NdT]. Au lieu de tout ça, la foule présente à l’audience le traîna dehors, le plaqua au sol et lui coupa les testicules. Un bûcher fut rapidement installé et mis à feu. Deux heures durant, Jesse Washington – vivant – fut levé et abaissé au-desus des flammes. Encore, encore et encore. Les officiels de la ville et la police se tenaient là, approbateurs. Selon certaines estimations, la foule grossit jusqu’à atteindre 15 000 personnes. On se moquait, on applaudissait et on riait. Les journalistes avaient rapporté entendre des « cris de joie. »

Quand les flammes s’éteignirent, le corps de Washington fut taillé en pièces qui furent vendues comme souvenirs. La fête était finie.

Bien des années plus tard, alors jeune homme, je m’étais rendu à l’université Baylor de Waco, souvent considérée comme le Vatican baptiste du Texas. On m’y avait proposé un poste d’enseignement. Je m’étais assis un moment à la bibliothèque Armstrong Browning de la faculté, une des plus belles des Etats Unis qui contient non seulement les oeuvres de Robert et Elizabeth Barrett Browning, les fameux poètes victoriens, mais aussi des vitraux, des colonnes de marbre et des plafonds élégants qui rappellent l’intérieur somptueux de la bibliothèque Laurentienne construite par Michel-Ange à Florence.

Assis là, je trouvais difficile de concilier la beauté et la quiétude de ce sanctuaire avec la photo que m’avait montré auparavant un homme nommé Harry Provence, responsable de la publication du journal local. En la voyant, je réalisais qu’au moment où le jeune Jesse Washington était soumis à la torture, des étudiants du même âge que lui, certains se préparant à une carrière ecclésiastique, venaient juste de terminer leur semestre de printemps. En 1905, quand un autre homme noir fut lynché à Waco, le président de l’université Baylor prit la tête du mouvement contre le lynchage. Mais d’horribles souvenirs continuaient à diviser la ville.

Jesse Washington n’était qu’un cas parmi d’autres d’hommes noirs qui connurent une mort horrible des mains d’escadrons de la morts blancs. Entre 1882 et 1968 – 1968 ! – il y a eu 4 743 cas répertoriés de lynchage aux Etats Unis. Environ le quart des lynchés étaient des Blancs dont beaucoup avaient été tués pour avoir sympathisé avec les populations noires. Mon père, qui était né en 1964 près de Paris (Texas) avait gardé dans un tiroir cette photo de journal datant de l’époque de son enfance quand des milliers de personnes s’étaient rassemblées comme pour un pique nique et festoyer devant le spectacle d’un homme noir torturé et pendu en plein centre ville. Au cours d’un voyage à la recherche de nos racines bien des années plus tard, mon père s’étrangla et se tut quand nous nous trouvâmes près de l’endroit ou cela s’était passé.

Oui, il avait été difficile de retourner dormir la nuit où nous avons appris la nouvelle de l’horrible fin du pilote jordanien. Maudit soit l’EIIL ! avais-je pensé. Mais après coup, je ne pouvais que songer que nos propres barbares n’avaient pas à attendre à une quelconque frontière. Ils étaient de chez nous. Eduqués ici. Dans la religion. Nos voisins, nos amis et notre parentèle. Des gens comme nous.

L’exécution/assassinat par l’Etat Islamique en Irak et au Levant (Daesh) d’un pilote de l’armée de l’air jordanienne brûlé vif dans une cage de fer a suscité une indignation tout à fait compréhensible.

Pourtant, que le pilote ait réellement ou pas été brûlé vif et mis à mort dans les conditions que donne à voir la vidéo, cette exécution date de debut janvier peu après l’échec d’une tentative de raid héliporté pour le tirer des griffes de ses geôliers.

Muad al-Kasasbeh, le pilote de l'armée jordanienne capturé et exécuté par l'EIIL

Muad al-Kasasbeh, le pilote de l’armée jordanienne capturé et exécuté par l’EIIL

Le moment de la diffusion de cette vidéo a évidemment été décidé en fonction de l’agenda des néoconservateurs qui veillent au maintien et à l’aggravation du chaos dans la région.

A l’indignation de la populace un peu partout, c’est-à-dire des gens comme vous et moi, s’est bien entendu jointe celle des grands de ce monde qui n’ont pas eu de mots assez durs pour condamner la sauvagerie de Daesh, rappelant ainsi opportunément qu’eux-mêmes se considéraient incarner la civilisation.

Les condamnations les plus fermes sont souvent venues de ceux-là mêmes qui ne sont pas sans affinité avec les types qui, aux Etats Unis, lynchaient des gens parce qu’ils n’avaient pas la bonne couleur de peau. Et qui continuent à le faire le plus souvent impunément sous couvert de leur activité de policier.

Alors oui, l’EIIL est une organisation brutale qui ne fait pas de quartier et se livre à des exactions aux dépens des civils qui sont du mauvais côté, que ce soit par leurs affinités politiques ou leurs appartenances religieuses. Mais il faut admettre qu’on en a ajouté dans l’horreur de leurs agissements, ce qui tend à laisser les réactions morales supplanter le raisonnement et l’analyse politiques.

Ce sont des procédés de ce genre qui ont été utilisés contre l’Irak de Saddam Hussein, la Yougoslavie de Slobodan Milosevic, la Libye de Mouammar Kadhafi et la Syrie de Bachar al-Assad.

Même si ces images d’horreur peuvent être jugées utiles par ceux qui sont favorables au régime syrien, il faut se souvenir que la propagande aura vite fait de les remplacer par d’autres images d’horreur qui les feront oublier et qu’on imputera alors au régime syrien si les néo conservateurs jugent le moment venu d’en terminer avec le gouvernement syrien.

Il faut comprendre que l’EIIL agit dans le cadre d’une volonté de remodelage du Proche Orient qui passe par la dislocation de certains Etats et c’est pour ça que les Etats Unis ont laissé prospérer cette organisation dont le fer de lance est constitué de combattants étrangers venus d’un pays allié de l’OTAN comme l’Arabie Saoudite ou via ce pays membre de l’OTAN qu’est la Turquie.

Bien sûr Daesh n’est pas un simple instrument qui obéirait au doigt et à l’oeil à ses maîtres, il faut plutôt le comparer à un fauve dont on gère au mieux l’agressivité en la tournant vers ses propres ennemis et qu’on fouette et punit quand il en vient à s’en prendre à vos amis.

c’est exactement ce qui s’est passé avec l’EIIl sur lequel Washington comptait pour faire tomber le gouvernement de Nouri al-Maliki mais qui a commis la faute d’attaquer dans le Kurdistan irakien, une zone que Washington a souhaité sanctuariser.

Aujourd’hui on nous parle de la nécessité impérieuse d’une intervention de troupes terrestres pour défaire les milices de l’EIIL. On pense en effet que le terrain psychologique est bien mûr après tous ces horribles crimes perpétrés par les extrémistes de l’Etat Islamique.

Il va de soi qu’une telle intervention aurait en réalité pour finalité d’abattre le régime syrien qu’aucune force terroriste n’a réussi à réduire. Et demain, les miliciens de Daesh se transformeraient comme par enchantement en combattants de la liberté.

Le pouvoir syrien repose sur une base majoritairement musulmane sunnite

4 novembre 2014

Un article intéressant sur la situation en Syrie qui relève en passant ce fait important (et évident) que les Musulmans sunnites sont la principale assise du pouvoir de Bachar al-Assad.

La Syrie d’Assad, amputée, malmenée – mais intraitable.

Par Diaa Hadid, The Big Story (Associated Press) 2 novembre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Tartous, Syrie – Les hommes d’affaires syriens repartent de zéro après la destruction de leurs magasins et de leurs usines. Des familles qui ont perdu leurs maisons peinent à louer de nouveaux logements et à joindre les deux bouts. Le long des autoroutes qui s’étirent à travers les zones contrôlées par le gouvernement se trouvent les ruines de villes auparavant contrôlées par la rébellion et aujourd’hui parsemées de points de contrôle.

La Syrie sous contrôle gouvernemental est tronquée dans ses dimensions, malmenée et appauvrie. Mais elle fait face, soulignant la manière dont le président syrien Bachar al-Assad s’est accroché au pouvoir malgré une rébellion armée qui essaye de le déboulonner depuis près de quatre ans.

Des visites la semaine dernière dans la capitale Damas et dans la région côtière de Tartous, un bastion du soutien au gouvernement, montrent à quel point les Syriens se sont adaptés à la vie dans ce pays tronqué. Les immeubles administratifs sont entourés d’épaisses barrières peintes en rouge, noir et blanc, les couleurs du drapeau syrien. Les portraits d’Assad sont partout :en soldat, en homme d’affaires et en père de famille.

Après des années de reculs et d’avancées, le régime gouverne Damas et une bande de territoire à l’ouest de la région de la côté méditerranéenne dans laquelle se trouvent les plus grandes villes de Syrie ainsi que certaines zones au sud de la Capitale. Les rebelles tiennent quelques banlieues dans la campagne qui entoure Damas et des parties du nord-ouest. L’État Islamique extrémiste a imposé son pouvoir sur un territoire qui recouvre un tiers de la Syrie et de l’Irak voisin.

La guerre est toujours présente. Le bruit persistant des bombardements dans les zones proches tenues par les rebelles est le fond sonore de Damas.

Les checkpoints sont omniprésents sur les routes, souvent des abris en béton ornés de posters d’Assad découpés en forme de cœur. Les soldats se reposent sur une literie usée.

« Auriez-vous une cigarette, monsieur ? » demande optimiste un soldat à un chauffeur.

Les milices locales pro-gouvernementales veillent aussi sur les villes et les quartiers, apportant leur aide à une armée d’Assad dont les forces sont tendues.

Des hommes moustachus armés de fusils d’assaut sautent dans des voitures à l’entrée qu quartier historique de Bab Touma à Damas. Ce quartier majoritairement chrétien est une des cibles favorites des tirs de mortiers en provenance du quartier voisin de Khobar tenu par les rebelles. Les militants anti-Assad accusent certaines milices pro-Assad d’être plus brutales que les soldats et affirment qu’elles exigent des pots de vin et qu’elles volent des voitures.

Quand on quitte Damas, le revêtement de l’autoroute est bon, comme cette partie de la route fraîchement goudronnée. Non loin, se trouvent les ruines de la ville de Nabak dont les habitants s’étaient révoltés contre Assad au début du soulèvement. Le jaune de la grande roue du parc de loisirs de Nabak est délavé.

On lit sur un graffiti non loin, « Assad pour l’éternité. » Un autre proclame : « Je t’aime Lulu ».

Carte politique de l'Irak et de la Syrie aujourd'hui (attention, de vastes zones désertiques sont attribuées à une des parties, ce qui n'a guère de sens)

Carte politique de l’Irak et de la Syrie aujourd’hui (attention, de vastes zones désertiques sont attribuées à une des parties, ce qui n’a guère de sens)

On ne sait pas avec précision combien de Syriens vivent dans les zones respectivement contrôlées par le gouvernement et par les rebelles, étant donné le bouleversement démographique dans un pays où près de la moitié de la population a fui son domicile. Des zones auparavant dominées par des minorités fidèles à Assad, comme la région littorale de Tartous, majoritairement alaouite, ont vu la typologie de leur population changer avec l’accueil de quelque 350 000 personnes déplacées, en majorité des Musulmans sunnites.

Cela aura en définitive un effet à long terme : il sera difficile au régime d’Assad de se tailler un bastion alaouite comme certains de ses détracteurs l’accusent de le faire – ce que les responsables du gouvernement contestent.

Cela met aussi en lumière le fait que les Sunnites, qui sont le groupe confessionnel majoritaire dans le pays, forment la principale assise du pouvoir d’Assad, alors même que la rébellion est dominée par des Sunnites. Les minorités, comme les Alaouites, les Chiites et les Chrétiens soutiennent généralement le gouvernement ou sont restées neutres.

Parmi les déplacés, se trouvent un prédicateur musulman, Mustafa Shihi et sa femme, Faten Shaar qui ont fuit vers une ville de la province de Tartous après que des rebelles ont incendié leur usine pharmaceutique. Sobhi explique que les rebelles de sa ville d’origine, Alep au nord du pays, l’ont puni parce que son fils Majed était dans l’armée. Majed a été tué en mars de l’année dernière.

L’autre fils de Sobhi vent maintenant des sandwiches devant une université locale. Les biens de cette famille de la classe moyenne-supérieure ont été détruits dans la guerre, mais ils sont sains et saufs à Tartous, déclare Sobhi.

« Nous devons être comme une seule main, » dit-il assis à côté de son épouse sur un mince matelas posé sur le sol,l’unique mobilier de l’appartement. Un grand portrait de son fils tué en uniforme de l’armée et un autre faisant l’éloge d’Assad sont fixés au mur.

Parmi les déplacés, figurent des commerçants sunnites d’Alep, qui était le poumon économique du pays. Certains ont ré-ouvert leurs entreprises à Tartous mais à une échelle réduite.

Tartous: manifestation de soutien au président Assad (2011)

Tartous: manifestation de soutien au président Assad (2011)

Mohammed Jallad, un fabricant de fours, a fui quand les combats se sont intensifiés dans son quartier à Alep. Sa maison et son entreprise ont été détruites dans les bombardements.

Un prêt lui a permis de rouvrir une affaire à Tartous, partageant un espace d’activité industrielle avec quatre autres Alépins. Il dort dans un coin au dessus de ses fours pour économiser de l’argent.

Le prix de location de son local commercial a triplé en deux ans avec l’augmentation de la demande par des personnes déplacées. Alors qu’il faisait travailler 15 ouvriers à Alep, il n’en emploie plus que deux.

Jallad dit qu’il ne veut pas fuir à l’étranger, par crainte de subir le sort des quelque 3 millions de réfugiés syriens qui vivent en majorité dans des conditions misérables.

« Je voulais travailler, alors où aurais-je pu aller ? La situation à l’étranger est humiliante, » dit-il.

En luttant pour s’en sortir, les Syriens se sont adaptés à la réalité.

Taghrid, brodeuse à Damas, dit avoir envoyé son fils en âge d’être incorporé dans l’armée en Égypte pour éviter la conscription, ce que beaucoup de familles ont fait.

« Puisse Dieu le protéger, » dit-elle devant la grande mosquée des Omeyyades à Damas. Elle n’a donné que son prénom par crainte de mettre son fils en danger.

Les services de l’État existent toujours, quoique de manière décousue. Les travailleurs touchent leurs salaires même si la monnaie locale se déprécie. Il y a toujours de l’électricité même si les coupures de courant sont la routine. Les soins restent gratuits quoique les habitants disent que l’attente est longue car des médecins abandonnent leur poste.

« Le gouvernement syrien tient et se cramponne à l’unité et à l’intégrité territoriale de la Syrie. Et c’est pour nous une affaire sacrée, » affirme la conseillère d’Assad Bouthaina Shaaban.

La vie suit son cours pour les Syriens riches. Cafés et restaurants sont à moitié remplis, leurs propriétaires arguant du fait que la reprise des études par les jeunes a réduit leur affluence. Des hommes d’affaires ont ouvert un centre de loisirs et un centre commercial à Damas et un centre commercial sur sept étages à Tartous.

Au centre commercial Malki à Damas, une pancarte annonce une compétition de selfies. Dans le centre commercial presque vide de Tartous, l’investisseur Ali Naddeh fume une pipe à eau et dit que les boutiques vont bientôt ouvrir.

« C’est une époque d’opportunités, » dit-il.

Kobane, une étape du plan de Washington pour détruire le régime syrien

20 octobre 2014

Ce qui se passe en ce moment en Syrie est d’une complexité inouïe tant les forces en présence sont nombreuses et les intérêts, même entre alliés ou présumés tels, contradictoires.

Les Etats Unis, on le sait, bombardent les positions de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou EI, Daesh) dans le secteur de Kobane (Ayn al-Arab) ville kurde que cette organisation assiège et ailleurs en Syrie, détruisant au passage des infrastructures économiques qui permettent aux civils de survivre.

Le régime syrien aurait consenti à ces frappes.. A mon avis, il n’avait guère le choix et il doit s’estimer bien heureux de ne pas être ciblé directement par les attaques aériennes américaines.

J’écris directement parce que je considère qu’en dernière analyse, derrière l’EIIL, c’est le gouvernement syrien qui est visé.

C’est ce que je suggérais dans un précédent post en observant que l’affaiblissement et l’élimination de l’EIIL n’était pour les Etats Unis que le prélude à une nouvelle phase de la guerre anti-Assad menée par Washington, une phase qui passe par le recrutement d’une armée de mercenaires.

Et aussi par un retournement d’alliances pour les Kurdes de Syrie qui étaient alliés jusqu’à présent avec le régime syrien.

On comprend mieux maintenant pourquoi les bombardements menés par l’aviation américaine sur les forces de l’EIIl à Kobane ont été dans un premier temps marqués par une efficacité plus que douteuse : l’EIIL a été en quelque sorte l’instrument des Etats Unis pour persuader les Kurdes syriens de revoir leur position.

Le largage par les Américains d’armes destinées aux miliciens du PYD semble confirmer le repositionnement des Kurdes dans une nouvelle phase de la stratégie américaine de lutte contre le régime syrien. Tout comme l’adoption par les USA et l’UE de nouvelles sanctions contre les régime syrien

Il va sans dire que tout cela n’augure rien de bon, ni pour la Syrie, ni pour la région à laquelle les Etats Unis et leurs alliés occidentaux semblent prêts à faire subir des années de violence et de chaos.

Qui sortira vainqueur de Kobane (‘Ayn-al-‘Arab) ?

The Angry Arab, 19 octobre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ali, le correspondant en chef d’Angry Arab en Turquie m’a envoyé ce commentaire :

« Kobane : un coup gagnant pour les Etats Unis. Personne n’a encore attiré l’attention sur ce fait évident, mais à la vérité, qu’int gagné l’Etat Islamique (EI, Daesh) , la Turquie ou les Kurdes syriens avec l’attaque surprise de l’EI sur Kobane. A part que les Etats Unis ont fait avancer leur agenda politique sous le mot d’ordre d’Obama qui est « d’affaiblir et de détruire l’EI »…

Premièrement, l’EI n’obtiendra rien s’il s’empare complètement de la ville kurde assiégée. Kobane n’a pas d’intérêt stratégique si on la compare avec d’autres objectifs potentiels pour l’EI avant qu’il se lance dans la campagne contre Kobane le 15 septembre : le premier objectif potentiel était à l’évidence la ville d’Azaz, une ville frontalière avec la Turquie située au nord d’Alep et qui a eu un rôle crucial pour l’approvisionnement d’autres groupes armés actifs dans la Syrie du nord. L’EI était à la porte d’Azaz.

frontière syrie-turquie

Le second objectif potentiel était l’aéroport de Deir ezZor qui a été une base très importante pour le ravitaillement des troupes de l’armée syrienne présentes dans la ville assiégée. L’EI a lancé des attaques pour prendre cet aéroport mais avec de faibles effectifs comparées à l’attaque contre Kobane. Le troisième objectif potentiel était Hasakah au nord où les Kurdes contrôlent des puis de pétrole avec l’aide de facto de l’armée syrienne présente dans la ville. Kobane n’a pas de puits de pétrole, n’est pas une route logistique et l’EI contrôle déjà deux points de passage frontaliers dans la région. Il s’agit de Jarablus, à quelques kilomètres à l’ouest de Kobane et de Tall Abiad à l’est. Mais comme on le sait, l’EI a attaqué Kobane avec au moins 3 000 hommes avec un soutien d’artillerie, des tanks, des véhicules blindés, das canons anti-aériens montés sur des pick-ups. Et à cause de la résistance des miliciens kurdes du PYG et des frappes aériennes américaines, , l’EI payera un prix très élevé pour une ville sans importance particulière même s’il s’en empare complètement.

L'aéroport de Deir Ezzor a un usage mixte, civil et militaire

L’aéroport de Deir Ezzor a un usage mixte, civil et militaire

Deuxièmement, qu’a obtenu la Turquie quand on voit que les organes de presse occidentaux sont pleins de commentaires affirmant que la Turquie était derrière l’attaque de l’EI sur Kobane ? Erdogan est maintenant portraituré comme le ‘monstre derrière l’EI’ et un soulèvement kurde frappe soudain la Turquie et menace le soi-disant processus de paix. Et maintenant, le PYD de Syrie qui est affilié au PKK est en contact direct avec Washington, ce qui doit être un cauchemar pour Ankara.

Troisièmement, les Kurdes syriens qu se considèrent eux-mêmes comme « vainqueurs » étant donné que les Etats Unis les ont reconnus voient Kobane, la capitale de leur province de Rojava, tomber en ruines tandis que la majorité des civils ont fui vers la Turquie.

Les Etats Unis sont le seul gagnant, que vous le vouliez ou non… En effet, avec Kobane ils légitimisent leur opération contre l’EI aux niveaux international et régional, ils trouvent un ‘partenaire’ absolument stratégique avec les Kurdes de Turquie, et ils savent pouvoir librement dicter leur position au PYD… Avant l’offensive sur Kobane, Reuters avait révélé que les Etats Unis envisageaient d’armer les organisations kurdes de Syrie à la condition préalable qu’ils « rompent leur alliance avec Assad ». Et cette exigence n’est bien sûr pas nouvelle car, ainsi que l’a révélé Foreign Policy, Washington poussait les Kurdes en ce sens depuis plus de deux ans.

Maintenant, les rêves des Etats Unis se réalisent grâce à l’EI. Le résultat des discussions entre le PYD et les Etats Unis reste encore imprécis, mais alors que les Etats Unis accentuent leur campagne aérienne contre les cibles de l’EI dans et autour de Kobane, la chose évidente est que ce que les Etats Unis ont mis sur la table a été accepté, au moins en partie, par la délégation du PYD. Notez que juste après ces discussions directes, le leader du PYD Saleh Muslim s’est rendu au Kurdistan irakien et a participé à une réunion avec Barzani et avec des politiciens kurdes syriens soutenus par Barzani. Lors de cette réunion, le PYD a promis un « partage de pouvoir » avec les groupes soutenus par Barzani pour l’administration de Rojava.

Donc, selon mon opinion, la victoire des Kurdes sur l’EI avec l’aide des Etats Unis ne pourra que décevoir les espoirs des gens de gauche pour les droits des peuples du Moyen Orient.

PS : notez que l’hypocrisie sans limites des médias grand public. Premièrement, la ville de Salamiyya située dans l’est de la province de Hama est attaquée par l’EI mais il n’y a pas un seul reportage sur la situation dans cette ville. L’envoyé spécial de l’ONU dit que ‘Kobane pourrait être un autre Srebrenica’ mais qu’est-ce qui nous attend si l’EI prend cette ville qui est pleine de « kouffar’ (mécréants, la population de la ville est constituée d’Alaouites, de Chiites, d’Ismaéliens et de Duodécimains). Deuxièmement, c n’est pas la première attaque de l’EI sur des zones à peuplement kurde. L’EI et ses alliés de l’époque – considérés comme des modérés – avaient attaqué des villes kurdes en 2013, mais les femmes combattantes kurdes n’ont pas fait les unes, ou personne ne parlait du rôle de la Turquie. Les médias parlaient au contraire de « l’alliance cachée entre Assad et les Kurdes de Syrie. »

Scandale dans le scandale en Turquie: la police protège al Qaïda!

28 décembre 2013

Le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan a fait beaucoup pour contribuer à la chute du régime syrien. Or, non seulement ce régime est toujours en place, avec Bachar al-Assad à sa tête, mais il a engrangé et continue à engranger des gains substantiels aussi bien sur le terrain politique que sur le terrain militaire.

Tandis que le pouvoir du premier ministre turc est en train de vaciller, ébranlé par un scandale politico-financier de grande ampleur qui a déjà entraîné la démission de trois ministres et un profond remaniement du gouvernement.

En admettant qu’il ne soit pas contraint à remettre sa démission, on voit mal, dans ces conditions, comment M. Erdogan pourrait briguer un mandat présidentiel lors des élections de 2014 d’autant, nous dit-on, que le mouvement religieux de Fethullah Gülen est entré en opposition ouverte contre lui (Gülen avait contribué à la victoire électorale d’Erdogan).

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Recep Tayyip Erdogan et Fethullah Gülen

Le scandale ne se limite cependant pas à des affaires strictement turques mais concerne aussi l’action du gouvernement AKP (Parti de la Justice et du Développement) dans la Syrie voisine. En effet, parmi les personnes recherchées par la justice, on compte deux ressortissants Arabes présentés comme membres d’al Qaïda, c’est-à-dire en réalité des services secrets saoudiens.

Ces deux personnages sont actuellement en fuite, une fuite qui a été permise par une police dirigée désormais par des fidèles du gouvernement et qui se permet de ne pas appliquer les ordres des magistrats.

Yusuf Al Qadi et Osama Khoutub ne menaient pas une existence clandestine en Turquie où ils avaient au contraire l’oreille de hauts responsables politiques .

Il fallait bien ça pour organiser le transit de ces milliers de combattants européens vers le champ de bataille syrien.

Des suspects membres d’al Qaïda fuient après le blocage par le gouvernement turc d’une descente de police

Eaman (Turquie) 26 décembre 2013traduit de l’anglais par Djazaïri

Selon des informations, Yusuf Al Qadi et Osama Khoutub qui sont liés à al Qaïda et figurent parmi les suspects dans une importante affaire de corruption, auraient fui la Turquie après que le Parti de la Justice et du Développement (AKP au pouvoir) a bloqué une descente de police mercredi, le police d’Istanbul ayant refusé d’exécuter les ordres donnés par des magistrats afin d’arrêter plusieurs suspects dans le second volet de l’enquête,

Le bureau du procureur d’Istanbul a ordonné l’arrestation de 30 suspects, dont un certain nombre de parlementaires et d’hommes d’affaires, Le département de police d’Istanbul qui a connu unevaste purge au niveau de ses officiers supérieurs la semaine dernière, ne s’est cependant pas conformé aux instructions.

Les informations de presse laissent entendre que quand la liste des 30 suspects a été révélée aux médias mercredi, certains des suspects ont pris des mesures de précaution pour éviter de laisser des éléments à charge contre eux en cas de descente de police chez eux où dans leurs bureaux.

Et certains suspects ont fui la Turquie, dont les agents d’al Qaïda pour la Turquie, Al Qadi et Khoutub, après que le gouvernement a bloqué l’enquête par le truchement de chefs de la police récemment nommés qui ont refusé de se conformer à la décision de justice.

Le procureur Muammer Akkaş, qui conduisait la deuxième phase de l’enquête, a été dessaisi du dossier. «L’ensemble de mes collègues et l’opinion publique devraient savoir qu’on m’a empêché en tant que procureur d’effectuer l’enquête, » a expliqué jeudi le procureur dans une déclaration, ajoutant qu’une entrave à l’action judiciaire a été exercée aussi bien par le bureau du procureur général que par la police, donnant ainsi l’occasion aux suspects de détruire les preuves.

Akkaş a déclaré que malgré la délivrance de mandats d’arrêt et de perquisition à l’encontre des suspects et leur transmission mercredi matin aux services de police d’Istanbul, ces derniers n’ont pas respecté ses ordres.

«En n’appliquant pas les décisions de justice, les chefs de la police ont commis un délit. Une occasion a été offerte aux suspects de prendre des dispositions, de fuir ou d’altérer des éléments à charge,» a-t-il dit.

 Les avoirs en Turquie de l’homme d’affaires saoudien Al Qadi ont été gelés après sa désignation comme financier du terrorisme international. Des articles de presse observent que le suspect d’appartenance à al Qaïda est autorisé à entrer librement en Turquie et a accès à des diplomates et à des responsables sécuritaires de haut niveau, comme le sous-secrétaire des services de renseignements (MİT) Hakan Fidan.

Selon des allégations, l’ancien ministre de la justice Sadullah Fergin, qui a quitté son poste mercredi suite à un important remaniement ministériel, avait demandé au procureur général de fermer le dossier.

L’opposition syrienne achète son lait en Libye et ses armes… où ça au fait?

1 novembre 2013

On savait que de prétendus «djihadistes» sont venus de divers pays d’Europe pour faire le coup de feu en Syrie et participer ainsi à la tentative de renverser le pouvoir de Bachar al-Assad.

On n’avait par contre pour l’instant eu aucune information sur l’organisation non étatique en Europe d’un trafic d’armes  à destination de ceux qui combattent l’armée gouvernementale.

Eh bien c’est chose faite et ce n’est personne d’autre qu’un imam dont le rôle a été mis en évidence.

Cet imam est un Suédois d’origine syrienne et n’est nullement un marginal mais quelqu’un qui a pignon sur rue dans son pays d’adoption.

Et l’organisation qui a servi de paravent à ses opérations d’achat et de transfert d’armes est une association à but humanitaire, la Commission pour la Protection des Civils.

Le plus beau est que ces opérations de type militaire conduites à partir du sol d’un pays européen, membre de l’UE, n’avaient pas de caractère vraiment secret, ainsi que l’observe un spécialiste de ces questions.

On notera la défense plutôt molle de l’actuel président de cette association qui prétend que son organisation n’a pas acheté d’armes en Libye mais du… lait.

C’est normal, la production de lait en Libye s’élevait à 224 000 tonnes en 2009 (dont près de 30 % de lait de brebis) contre 2 974 000 tonnes pour la Suède (100 % lait de vache).

Production mondiale de lait

Production mondiale de lait

On note une fois de plus le sens logique remarquable qui caractérise les prétendus rebelles en Syrie.

Un imam Suédois achemine clandestinement des armes en Syrie

The Local (Suède) 31 octobre 2013

Un imam Suédois a acheminé clandestinement de grandes quantités d’armes destinées aux rebelles en Syrie, un délit passible de quatre ans de prison.

Des sources ont déclaré à Sveriges Radio (SR) que l’homme d’origine syrienne était l’un des principaux fournisseurs d’armes ses rebelles et qu’il livrait des armes depuis 18 mois dans ce pays déchiré par la guerre civile.

Selon SR, le fournisseur d’armes présumé qui se nomme Haytham Rahmeh aurait acheté des armes principalement en Libye, mais aurait aussi fait des achats en Bosnie-Herzégovine. Les armes ont ensuite été transportés à travers la Turquie puis livrées aux rebelles en Syrie.

Haytham Rahmeh est membre du Conseil National Syrien

Haytham Rahmeh est membre du Conseil National Syrien

Raphaël Lefèvre, un chercheur de l’Université de Cambridge qui a interviewé Rahmeh, a déclaré sur SR que Rahmeh a été souvent vu auprès de l’opposition syrienne et ne s’est pas caché d’envoyer des armes aux rebelles via une organisation appelée Commission pour la Protection des Civils.

« L’envoi d’armes en Syrie par cette organisation n’est pas un secret », a dit Lefèvre sur SR.

Rahmeh a officié pendant plusieurs années en tant qu’imam à la mosquée de Stockholm qui se trouve près de Medborgarplatsen, en centre ville. Il a aussi été président le l’organisation européenne des imams avant de tourner son attention vers l’assistance aux rebelles Syriens.

Thomas Tjäder, un expert en matière de sécurité à l’Agence Suédoise pour la Non Prolifération et le Contrôle des Exportations (Inspektionen för strategiska produkter – ISP) a expliqué que la contrebande d’armes en Syrie était une infraction à la réglementation suédoise sur le contrôle des armes et était passible d’une peine pouvant aller jusqu’à quatre ans de prison.

La loi s’applique à tous les citoyens Suédois ainsi qu’aux étrangers en séjour régulier, que les armes aient transité par la Suède ou pas, a déclaré Tjäder sur SR. L’embargo de l’Union Européenne sur les armes pour la Syrie implique de veiller à son application au niveau des Etats, a-t-il expliqué, voulant dire ainsi que c’était à la Suède d’enquêter sur d’éventuelles infractions.

Nazir Hakim, président de la Commission pour la Protection des Civils a confirmé que Rahmeh avait collecté des fonds pour l’organisation et qu’une partie de l’argent avait servi à acheter des armes. Il a cependant affirmé que les armes avaient été achetées en Syrie et non importées de Libye.

«Nous avons acheté deux cargaisons de lait en Libye» a-t-il dit sur SR.

SR a cependant cité plusieurs sources qui affirment que l’organisation a importé des armes de Libye.


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