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Un regard américain sur les contextes de l’assassinat d’un professeur

24 octobre 2020

Ce post n’a pas pour but de parler directement de l’agression meurtrière dont a été victime Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie tué et décapité le 16 octobre alors qu’il venait de quitter son lieu de travail et rentrait chez lui. Il n’a pas non plus pour but de discuter des motivations de l’assassin qui a expliqué sur les réseaux sociaux vouloir punir l’État français qui se moquerait du prophète de l’Islam.

Il n’a pas non plus pour objet de discuter du statut de la représentation du prophète dans la religion musulmane. Pour deux raisons. La première est que les représentations réalisées par les dessinateurs de Charlie Hebdo sont injurieuses et donc inadmissibles pour les tenants de la religion musulmane quelle que soit leur position relativement aux représentations imagées du prophète. La deuxième, c’est la plus importante, est que dans cette tragédie, la religion en tant que telle, dans ses contenus, ses prescriptions ou proscriptions est un non sujet, est hors sujet pour être plus précis.

Ce qui ne signifie pas que les vidéos imbéciles qui dénonçaient publiquement le professeur, décrit comme un vulgaire voyou et divulguant son lieu de travail et son identité par dessus le marché, n’ont pas joué de rôle dans la mort du professeur. Le tueur cherchait une cible, elle lui a ainsi été offerte.

L’objet de ce post est de présenter un point de vue étranger sur l’assassinat, plus exactement le contexte dans lequel il a eu lieu et le contexte qu’il a créé. Et ce point de vue étranger est des plus instructifs même si on ne peut pas dire que la presse étrangère s’est beaucoup intéressée à l’assassinat de Samuel Paty,. Cette relative indifférence contraste évidemment avec l’émotion et l’indignation suscitées, c’est bien compréhensible, par ce crime en France où il est qualifié d’attentat islamiste.

La presse américaine, par exemple, a été peu diserte. Peut-être parce que de l’autre côté de l’Atlantique on ne comprend pas comment il peut être possible à un enseignant de montrer à des élèves des caricatures moquant un personnage central d’une religion? Ou qu’on est déjà assez occupé avec la campagne présidentielle? Ou les deux à la fois?

Des journalistes ont cependant produit des articles tel Matt Bradley pour  NBC, un grand network américain.

 Matt Bradley est basé à Londres. N’empêche qu’en quelques lignes il nous livre des éléments qui devraient faire rougir de honte pas mal de journalistes français soi-disant biberonnés à la laïcité.

Ainsi le journaliste américain relève que la laïcité, dont il donne rapidement une définition juste, est une notion au départ « progressiste » dont se sont ensuite emparés les conservateurs qui lui ont donné un autre sens.

Bradley date cette évolution du grand échec des tenants de la laïcité, échec qu’il fait remonter à l’incapacité du gouvernement d’union de la gauche à créer le grand service public unifié d’éducation face aux réactions massives des partisans de l’enseignement privé confessionnel, c’est-à-dire catholique. La contestation du projet de loi du ministre de l’éducation Alain Savary au début des années 1980 avait été ouvertement soutenue par les évêques dont Jean-Marie Lustiger mais aussi par des politiciens aussi connus que Jacques Chirac, Valery Giscard d’Estaing et Simone Veil. Avaient suivi la démission d’Alain Savary et celle de Pierre Mauroy, alors premier ministre.

A partir de là, la Laïcité scolaire n’a cessé de reculer. Ainsi Jack Lang a accordé en 1992-1993 la même formation aux maîtres du privé que celle de ceux de l’enseignement public; il a aussi accepté la revalorisation du forfait d’externat de ces écoles confessionnelles.

L’abrogation de la loi Falloux par François Bayrou a supprimé le plafonnement des aides des collectivités locales aux écoles privées.

Une des dernières entorses à la laïcité de l’enseignement est due à M. Blanquer avec la scolarité obligatoire à partir de trois ans qui oblige les communes à accroître de manière considérable les subventions aux écoles maternelles privées.

Tout ça pendant que l’Alsace Moselle reste sous le régime concordataire, donc non laïque.

Les ennemis de la laïcité, pour le coup, sont plutôt ceux qui en parlent tout le temps et prétendent la défendre. Une espèce de gri-gri qu’on agite à la face de ceux qu’on n’aime pas avec d’autres gri-gris comme République, Liberté etc.

La France a adopté depuis longtemps la laïcité. Après cette décapitation, servira-t-elle à opprimer?

«La nouvelle ‘laïcité’ … est devenue un outil pour viser des personnes que nous considérons comme les ennemis de notre culture», déclare le professeur Raphaël Liogier.

par Matt Bradley, NBC News (USA) 22 octobre 2020 traduit de l’anglais par Djazaïri

CONFLANS-SAINTE-HONORINE, France – Des dizaines d’adolescents se tenaient debout émus dans les rues sombres et humides près après la sortie de l’école et avoir appris ce qui aurait dû être impensable: un réfugié tchétchène avait décapité leur professeur pour avoir montré aux élèves des caricatures du prophète Mahomet.

Le collège du Bois-d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine rebaptisé « Samuel  Paty » ?
Le collège Bois d’Aulne où enseignait Samuel Paty

Parmi eux, Martial Lusiela, 15 ans, qui se dit consterné par le meurtre mais ajoute qu’il avait averti son professeur, Samuel Paty , que rien de bon ne sortirait du fait de montrer les images.

« Ce n’est pas le genre de caricature que vous devriez montrer aux élèves, car il y a des musulmans dans la classe », avait dit Martial à Paty à l’époque. « Nous sommes dans un établissement » laïque « . Cela pourrait entraîner des problèmes. »

Martial avait peut-être pensé que la laïcité – la laïcité appliquée par l’État en France – signifiait que son professeur aurait dû éviter de telles discussions religieuses polarisantes. Mais dans les jours qui ont suivi le meurtre, les politiciens français ont eu l’interprétation inverse, présentant la laïcité comme justification à la fois de l’action de l’enseignant et d’une répression radicale de la minorité musulmane de France.

Pendant plus d’un siècle, la «laïcité», qui visait à séparer l’État français de l’influence de l’Église catholique romaine, fut considérée comme un pilier sacré au centre de la conscience libérale française. Mais certains théoriciens politiques disent que sa signification a été récemment corrompue et transformée en arme par la droite politique.

« La nouvelle laïcité … ce n’est plus un principe juridique et philosophique », déclare le philosophe et sociologue Raphaël Liogier, professeur à Sciences Po Aix-en-Provence. « C’est devenu un outil pour cibler les personnes que nous considérons comme les ennemis de notre culture. »

L’hommage officiel du gouvernement à Paty fut un spectacle solennel organisé mercredi soir dans la cour d’honneur de l’Université de la Sorbonne. Le cercueil de Paty a été introduit dans la cérémonie sur l’air de «One» de U2 – la première de plusieurs chansons pop douces-amères jouées parmi les élégies, les poèmes et les prières récités par la famille, les amis et les collègues du professeur assassiné.

Certains des membres les plus importants du gouvernement français siégeaient aux premiers rangs: le président français Emmanuel Macron a rendu un hommage émouvant à Paty – un mélange de gratitude pour le professeur assassiné, de défi face à la violence et, encore une fois, de fidélité à la laïcité.

«Nous défendrons la liberté que vous avez si bien enseignée et nous augmenterons la laïcité», a déclaré Macron. «Nous n’abandonnerons pas les caricatures, les dessins, même si d’autres reculent. Nous offrirons toutes les chances que la République doit à toute sa jeunesse sans aucune discrimination.  Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons la laïcité, nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent »

Les politiciens et les commentateurs de toutes tendances ont immédiatement qualifié le meurtre de Paty d’attaque contre la laïcité française. Ce point de vue a envahi les ondes et les journaux français, devenant un cri de ralliement pour réprimer l’extrémisme islamique, même si elle (la laïcité) visait visait à l’origine à éloigner l’État le plus possible des affaires religieuses. (Les musulmans qui sont une importante minorité en France, représentent un peu moins de 10% de la population, selon le Pew Research Center.)

Les talk-shows télévisés ont animé des heures de débats sur le thème de la laïcité. Les chroniqueurs de journaux ont disserté longuement sur «l’attaque contre la laïcité» par «l’islam radical». Dans une interview sur BFM TV, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a vanté la laïcité tout en critiquant la vente séparée d’aliments halal dans les supermarchés présentée comme un ferment de séparatisme religieux.

« La laïcité, l’épine dorsale de la république, a été visée par cet acte ignoble », a déclaré le Premier ministre Jean Castex à un groupe d’enseignants le lendemain de l’attaque.

Macron, qui a longtemps défendu les droits des minorités, a récemment adopté une ligne plus dure.

« Les islamistes ne dormiront pas tranquille en France », a-t-il déclaré après la décapitation.

Dur avec le terrorisme ou cadeau aux xénophobes?

L’invocation répétée de la laïcité a permis à Macron de faire valoir un lien de nature politique entre l’attentat terroriste et ses récentes propositions législatives visant à renforcer le caractère laïque de l’Etat face au «séparatisme islamiste» perçu. Beaucoup à gauche voient cela comme de la complaisance de Macron à l’égard de la droite xénophobe juste avant les élections de l’année prochaine.

Macron a présenté la loi, qui doit être votée l’année prochaine, quelques jours seulement avant l’assassinat du professeur. Si elle est adoptée, elle donnerait à l’État un pouvoir considérable pour dissoudre les organisations religieuses, les associations et les écoles qui sont censés répandre une idéologie extrémiste. Cela conduirait au genre de contrôle politique sur les institutions religieuses qui, historiquement, aurait été un impensable pour les défenseurs de la laïcité.

Lundi, la police a ciblé des personnes figurant sur des listes de surveillance terroriste et des organisations qui avaient exprimé leur soutien à la décapitation, fermé plusieurs associations d’entraide musulmanes et menacé d’expulser des islamistes connus, dont beaucoup sont déjà en prison. Darmanin a même proposé de dissoudre le Collectif contre l’islamophobie en France, une organisation non gouvernementale qui lutte contre les attaques contre les musulmans

Le gouvernement a justifié la répression en affirmant qu’elle était non seulement nécessaire mais qu’elle aurait dû intervenir plus tôt. La France est toujours sous le choc d’une série d’attentats terroristes horribles, dont les attentats contre Charlie Hebdo et le Bataclan en 2015, qui ont fait près de 200 morts. Le procès des personnes soupçonnées d’avoir aidé les assassins se poursuit, et le gouvernement a continué à surveiller les menaces de radicaux islamiques visant des personnes et des lieux associés à Charlie Hebdo.

Début octobre, deux personnes avaient été blessées quand un jeune homme qui affirmait défendre l’Islam les avait attaquées à l’arme blanche devant les anciens locaux de Charlie Hebdo.

Les différentes significations de la laïcité ont suivi l’évolution des angoisses et des préoccupations de la société française. Le concept est souvent attribué à la loi française de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, qui a défini la compréhension moderne de la laïcité, même si le mot n’est jamais mentionné dans le texte.

À l’époque, la loi était considérée comme un frein au pouvoir de l’Église catholique sur le gouvernement. Et pendant la majeure partie du siècle suivant, la laïcité a été considérée comme une cause progressiste de gauche qui allait encore plus loin que le premier amendement des États-Unis.

Le concept contraste quelque peu avec la «liberté de religion» aux États-Unis. En France, toute référence à la religion dans la vie publique et politique peut aboutir à une mise à l’écart voire à une action en justice.

Le laïcité concerne tout le monde, des plus modestes fonctionnaires aux élus. Les professeurs de l’enseignement public et les postiers n’ont pas le droit de porter le hijab islamique ou de grandes croix, tandis que la politicienne de droite Christine Boutin s’est retrouvée politiquement marginalisée après avoir brandi une Bible lors de son discours contre les organisations de défense des droits des homosexuels à l’Assemblée nationale en 1998.

Mais le changement de définition a commencé dans les années 1980, lorsque la droite catholique a réussi à mettre en échec les tentatives du gouvernement socialiste français de mettre fin au financement public des écoles catholiques au nom de la laïcité.

La conception de gauche ayant été vaincue, elle a été facilement réinvestie par une nouvelle génération d’hommes politiques populistes de droite au début des années 2000, déclare Éric Fassin, professeur de sociologie à l’Université Paris 8 St-Denis.

« Le mot » laïcité « avait un sens, et la défaite politique de ce type de laïcité l’a rendu disponible pour quelque chose d’entièrement différent », dit-il.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et la vague d’attentats terroristes en France en 2015, observent Fassin et Liogier, la laïcité vise désormais presque entièrement à nettoyer la société des immigrés et de l’islam.

La « nouvelle laïcité » pervertit un idéal libéral français fondateur tout en l’utilisant pour ostraciser une minorité vulnérable,déclare Fassin, ce qui, selon lui, est exactement ce que veulent les terroristes islamistes.

« Les terroristes veulent un monde en noir et blanc. Ils ne veulent pas d’une zone grise », dit-il. « Ils veulent que tous les musulmans aient le sentiment de devoir prendre parti. Et de le faire en prenant parti contre l’Occident.»

Traduction de l’article du New Yorker: « Comment le scandale Tariq Ramadan a fait dérailler le mouvement #Balancetonporc en France »

2 décembre 2017

L’affaire Harvey Weinstein a amené une certaine libération de la parole aux Etats Unis chez des femmes, comédiennes, journalistes etc., qui ont été victimes d’abus sexuels, allant de la main aux fesses au viol caractérisé, de la part d’hommes puissants, producteurs, présentateurs TV, politiciens et même acteurs.

Cette libération de la parole a traversé l’Atlantique pour s’inviter en France mais, du fait de la personnalité d’un des hommes ciblés par une puis plusieurs accusations, le débat public a rapidement dérivé de l’oppression exercée sur des femmes par des hommes puissants, le plus souvent avec la complaisance du système politico-médiatique, vers la stigmatisation d’une oppression de la gent féminine qui serait une spécificité de l’Islam.

L’accusé en question est évidemment Tariq Ramadan, bête noire de la droite traditionnelle mais aussi de la gauche laïcarde qu’incarnent des personnalités comme Caroline Fourest et manuel Valls.

Cette dérive est analysée de manière précise par Adam Shatz dans un article qui a rencontré un écho certain chez ceux qui, tout en admettant évidemment que M. Ramadan soit sanctionné pénalement si les faits qui lui sont reprochés sont avérés, n’acceptent pas que les errements réels ou supposés de l’islamologue suisse soient l’occasion d’une accentuation de la campagne qui vise à stigmatiser la communauté musulmane française ou même au rejet de toute démarche venue de l’intérieur de l’Islam visant à mobiliser les membres d’une communauté en vue de l’exercice d’une citoyenneté respectueuse des lois du pays tout en vivant harmonieusement sa foi.

Je le dis d’autant plus aisément que, même si je ne suis pas du tout musulman pratiquant, je comprends parfaitement les enjeux considérables qu’a pointés mieux que beaucoup d’autres Tariq Ramadan. Adam Shatz rappelle à juste titre que ce qui a suscité la haine féroce que vouent des personnes comme Caroline Fourest à l’encontre de Tariq ramadan c’est qu’il a souligné la possibilité de concilier citoyenneté française et spiritualité musulmane sur la base du fait que l’Islam et la communauté musulmane, les Musulmans eux-mêmes, sont des données de la société française et non des éléments allogènes.

Or la représentation de l’Islam comme un phénomène allogène est ce qui permet à certains d’en parler en des termes qui scandaliseraient s’ils portaient sur une autre communauté religieuse et d’exiger, eux les « laïques », que cette religion se naturalise en quelque sorte.

Les accusations contre Tariq Ramadan, si elles correspondent à la réalité, et même si ce n’est pas le cas sans doute, risquent de porter un coup fatal à une approche qui, loin du prétendu double-discours dénoncé par Caroline Fourest, propose un socle minimal pour que tous les habitants de ce pays puissent cheminer ensemble quelles que soient leurs convictions religieuses.

Cette affaire a cependant permis aussi de constater de manière claire que Tariq Ramadan n’a pas que des amis parmi les Musulmans. Son discours est en effet jugé trop conservateur pour ceux qui prétendent concilier leur foi avec des valeurs de gauche, trop progressiste pour d’autres tel le fameux « Etat Islamique » pour qui M. Ramadan est un apostat.

J’ignore si M. Ramadan est coupable d’un ou plusieurs des crimes et délits dont on l’accuse. J’espère que non, mais la justice doit passer et si crime il y a il ne doit pas rester impuni.

Certes, M. Ramadan ne renvoie pas l’image d’un agresseur sadique mais c’est le propre de certains délinquants, sexuels ou autres, de renvoyer une image lisse et de garder un calme semble-t-il à toute épreuve tant que leur culpabilité n’a pas été démontrée. Et encore…

Comment le scandale Tariq Ramadan a fait dérailler le mouvement #Balancetonporc en France

par Adam Shatz, The New Yorker (USA) 29 novembre 2017 traduit de l’anglais par Djazaïri

Peu après la formation du mouvement #MeToo aux Etats Unis, en réaction au scandale Harvey Weinstein, « #Balancetonporc  » a surgi en France. L’effet en a été un coup sans précédent porté à ce que Sabrina Kassa  a appelé le « ventre patriarcal » d’un pays où le harcèlement et d’autres crimes sexuels ont souvent été dissimulés ou balayés par un discours gaulois sur le flirt et le libertinage.. En 2008, Dominique Strauss-Kahn, qui était le Président Directeur Général du Fonds Monétaire International (FMI), avait été l’objet d’une enquête interne du FMI suite à des allégations selon lesquelles il aurait contraint une subordonnée à avoir des relations sexuelles avec lui. Bien qu’il se soit excusé pour une « erreur de jugement », la presse française avait célébré en lui « le grand séducteur. » S’il n’avait pas été arrêté à New York en 2011 sur des accusations (qui seront ensuite abandonnées) d’avoir violé Nefissatou Diallo, une femme de chambre, dans la suite présidentielle de l’hôtel Sofitel, Strauss-Kahn, une personnalité influente du Parti Socialiste, aurait pu être élu président de la France en 2012.

Le mouvement #Balancetonporc a dénoncé des personnalités du monde des affaires, du divertissement et des médias, mais le scandale le plus médiatisé a été celui de Tariq Ramadan, un intellectuel et activiste musulman accusé de viol et d’abus sexuels par plusieurs femmes. (Ramadan nie toutes ces allégations) Ramadan est une figure controversée en France depuis plus d’une vingtaine d’années – une sorte écran projectif, ou de test de Rorschach pour les angoisses nationales autour de la « question musulmane ». Comme Strauss-Kahn, il a souvent été dépeint comme un séducteur, mais cette caractérisation n’était pas entendue comme un compliment : il est accusé depuis longtemps d’avoir dangereusement envoûté les jeunes membres de la population musulmane française, fragilisant ainsi leur acceptation es normes françaises, en particulier celles qui touchent à la laïcité, au genre et à la sexualité.

Né en 1962 en Suisse, Ramadan est le fils de Saïd Ramadan, un dirigeant exilé des Frères Musulmans qui était le gendre d’Hassan al-Banna, le fondateur de la confrérie. Tariq Ramadan, qui n’est pas membre des Frères Musulmans, est néanmoins un conservateur religieux – un « salafiste réformiste » selon ses propres termes – qui prêche depuis longtemps les vertus de la pudeur chez les femmes dans l’habillement et le comportement sexuel. (Son frère Hani Ramadan est connu pour son approbation de la lapidation des femmes adultères, sa haine des homosexuels et sa conviction que les attentats du 11 septembre étaient une conspiration occidentale)

Dans les années 1990, Tariq ramadan a attiré un public parmi les Musulmans français, aussi bien dans les banlieues que dans les classes moyennes. Son message était simple, révolutionnaire et électrisant : l’islam faisait déjà partie de la France, et donc les citoyens musulmans n’avaient nulle obligation de choisir entre leurs identités. Ils pouvaient pratiquer leur foi librement, même de façon stricte, et pourtant rester Français tant qu’ils respectaient les lois du pays. Les Musulmans français, soutenait-il, devaient dépasser leur « mentalité de victimes » et se prévaloir en même temps de leur foi et de leur francité. Dans le même temps, la France devrait reconnaître que l’islam est une religion française ; les citoyens musulmans n’ont guère besoin d' »assimilation » dans un pays qui est déjà le leur, une notion paternaliste enracinée dans l’histoire coloniale de la France. Il ne contestait pas la laïcité, la modalité française de la sécularisation, mais il affirmait qu’elle était appliquée de manière discriminatoire contre les Musulmans, en particulier en matière de port du foulard qui a été en définitive interdit dans les écoles publiques en 2004.

Ramadan, avec sa barbe élégamment taillée, ses vestes de sport et ses chemises ouvertes, offre une silhouette charismatique et plutôt lisse. (Il a sans doute l’inspiré le personnage de Mohamed Ben Abbes, le Musulman qui devient président de la France dans le roman de Michel Houellebecq  » Soumission. »)  Sorte de Bernard-Henri Lévy musulman, il semblait être aussi à l’aise avec le jargon de l’intellectualisme parisien qu’avec celui du Coran. Bien que n’étant pas de gauche, Ramadan a gagné le respect de certaines de ses personnalités les plus prestigieuses, dont Edwy Plenel, l’ancien rédacteur en chef du Monde et fondateur et rédacteur en chef de Mediapart ; Alain Gresh, l’ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique ; et le sociologue Edgar Morin. Lorsque Ramadan prenait la parole, des politiciens et des journalistes, des célébrités et des commerçants musulmans, des imams et des militants altermondialistes l’écoutaient. Au début des années 2000, il jonglait avec tant de publics que, comme l’avait dit l’expert de l’Islam Bernard Godard, un ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, il semblait être en même temps « partout ». . . et nulle part.

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Puis, en 2003, au sommet de son influence, la démarche de Ramadan pour se rapprocher de l’intelligentsia française a commencé à se déliter. Il avait d’abord provoqué un tollé avec un article accusant un groupe d’intellectuels « juifs » de renom – dont l’un n’était pas, en fait, juif – d’avoir abandonné les principes universalistes pour défendre les intérêts juifs et israéliens. L’indignation avait été encore plus forte quand, pendant un débat télévisé avec Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre de l’Intérieur, il avait déclaré être en faveur d’un « moratoire », mais pas d’une interdiction, de la lapidation des femmes en cas d’adultère. Ramadan avait dit clairement être personnellement opposé à cette pratique mais, en tant que théologien musulman avait-il expliqué, « Vous ne pouvez pas décider tout seul d’être progressiste sans les communautés, c’est trop facile. »

Dans « Frère Tariq », un livre publié en 2004, la journaliste Caroline Fourest avait dressé le portrait scabreux d’un Ramadan membre irréductible des Frères Musulmans qui « joue sur la faiblesse de la démocratie pour promouvoir un projet politique totalitaire ». Peu importe si Ramadan n’a pas fait mystère de ses convictions, même sur ce problème controversé de la lapidation : il pratiquait ce que Mme Fourest qualifiait de « double discours ». S’il plaidait pour le respect de la loi française à côté de l’observance de l’Islam, c’était une preuve supplémentaire de ses intentions malveillantes. Depuis lors, l’élite française en est venue à considérer Ramadan comme un danger, qui pousse les Musulmans marginalisés des banlieues agitées à l’islamisation et même vers le djihadisme. Ramadan a eu des difficultés à organiser des réunions publiques avec ceux qui le soutiennent en France ; sa tentative l’an dernier de demander la citoyenneté française (sa femme est de nationalité française) a échoué. En 2009, il a pris une chaire à Oxford – financée par l’émirat du Qatar à travers une de ses fondations – et il passe maintenant beaucoup de temps à Doha où il dirige un centre de droit et d’éthique islamiques subventionné par le gouvernement. Ces temps-ci, ses interlocuteurs ont plus de chance d’être des clercs orthodoxes que des intellectuels européens.  La plupart des Musulmans français se sont soit lassés de son culte de la personnalité un peu lourd, soit détournés de lui. Quant aux djihadistes de l’Etat Islamique (Daesh) avec lesquels certains théoriciens du complot de droite pensent qu’il est de mèche, ils l’ont condamné pour apostasie à cause de sa croyance en la démocratie.

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Caroline Fourest

Ramadan semblait sur le point de devenir un has-been-quoique avec deux millions de fans sur Facebook – quand, le 20 octobre, une musulmane de quarante ans nommée Henda Ayari l’a publiquement accusé, entre autres, de l’avoir violée dans une chambre d’hôtel à Paris en 2012. Mme Ayari, qui a depuis reçu des menaces de mort, est une ancienne salafiste qui a rompu avec l’Islam et est devenue une féministe engagée et laïque à la française. Elle est une sorte d’héroïne dans les cercles d’extrême-droite de la fachosphère, où l’islamophobie est un ticket d’entrée. (« Soit tu es voilé, soit tu es violée », a-t-elle dit sur la condition des femmes dans l’Islam.) Les affiliations politiques d’Ayari ont fait se froncer quelques sourcils, mais une semaine plus tard, une femme identifiée par le prénom « Christelle », une Française convertie à l’Islam, affirmait que Ramadan l’avait violée dans une chambre d’hôtel en 2009. Sept jours plus tard, de nouvelles accusations ont été portées, cette fois par trois anciennes étudiantes de Ramadan que ce dernier aurait violées quand elles étaient âgées entre quinze et dix-huit ans. Selon de nombreuses sources, les récits [d’agressions sexuelles] se multiplient.

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Henda Ayari avant (à droite) et après

Et pourtant, l’affaire Ramadan n’a jamais porté simplement sur le fait de savoir si Ramadan avait ou non commis les crimes dont il est accusé, ni même sur les souffrances qu’il aurait infligées à ses accusatrices. Ramadan, qui s’est mis en congé d’Oxford, dit être victime d’une campagne de diffamation. Ses plus proches partisans ont hurlé à la conspiration sioniste, une théorie reprise par Hani, son fondamentaliste de frère. Les adversaires de Ramadan dans l’establishment français ont vite fait de s’emparer de ces accusations comme d’une bonne occasion pour discréditer leurs propres détracteurs. Le 5 novembre, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre, sous la présidence de François Hollande, dénonçait les intellectuels qui dialoguaient avec Ramadan comme «complices» de ses crimes présumés. Valls, fils d’immigrants espagnols, est un laïciste intransigeant qui a contribué à introduire la démagogie antimusulmane, ainsi que des préjugés anti-Roms, dans le Parti Socialiste. (Il a présenté le concept même de l’islamophobie comme étant le «cheval de Troie» des salafistes.) En tant que Premier ministre, il a aidé à faire adopter les mesures d’urgence temporaires annoncées après les attentats terroristes de 2015, dont certaines ont été transcrites dans la loi. Et donc normalisées, sous le président Emmanuel Macron.

© MARTIN BUREAU / AFP

Manuel Valls est aujourd’hui un islamologue réputé

Valls n’avait jamais auparavant exprimé beaucoup d’inquiétude pour les victimes de crimes sexuels commis par des hommes puissants. En fait, il avait déploré la «cruauté insupportable» de l’arrestation de Strauss-Kahn à New York. (Quelques membres du Parti socialiste, dont Strauss-Kahn lui-même, ont prétendu avoir été victimes d’un complot orchestré par le président Sarkozy, qui voyait Strauss-Kahn comme une menace à sa réélection. Sarkozy a nié ces allégations). Mais début octobre, Valls a condamné les journalistes de Mediapart en tant que compagnons de route de gauche de l’Islam politique ; par la suite, il a insinué que Plenel avait délibérément caché ce qu’il savait des dépravations sexuelles de Ramadan. (Valls n’a proféré aucune accusation publique contre Bernard Godard, qui travaillait sous son autorité au ministère de l’Intérieur, ou Caroline Fourest, bien que tous deux aient admis avoir au courant des rumeurs sur les mauvais traitements infligés aux femmes par Ramadan.) Ce n’est peut-être pas une coïncidence si Plenel, le président de Mediapart», avait étrillé Valls dans son livre de 2014, «Pour les musulmans», une critique éloquente de l’islamophobie dans la vie publique française, inspirée par le « Pour les juifs » d’Emile Zola publié en 1896, une dénonciation de l’antisémitisme. En fait, Plenel a pris la responsabilité de publier un portrait en cinq parties de Ramadan, par Mathieu Magnaudeix, qui le dépeint comme un « show man » autoritaire et égoïste qui « construit sa renommée sur un mélange de mauvais buzz (contre l’élite) et une séduction digne des meilleurs télévangélistes

Plenel a insisté sur le fait qu’il n’avait rien su de l’inconduite de Ramadan, ajoutant que l’un des dossiers les plus complets sur ce que Mediapart a appelé le « système Ramadan » était paru dans Mediapart à peine une semaine après le scandale. Mais le magazine satirique français Charlie Hebdo a promptement recyclé les accusations de Valls contre Plenel. Depuis le massacre perpétré dans ses locaux, en janvier 2015, Charlie Hebdo a acquis une auréole de martyre, et  » Je Suis Charlie » est devenu une devise presque aussi sacrée que » liberté, égalité, fraternité « . En même temps, le magazine est devenu de plus en plus provocateur dans sa parodie de tout ce qui touche aux musulmans ou à l’islam. La couverture du numéro du 8 novembre comportait une grille de quatre caricatures de Plenel, sous le titre « affaire Ramadan, Mediapart révèle : » Nous ne savions pas.  » Dans les dessins, il couvre sa bouche, cache ses yeux et se bouche les oreilles, les trois singes qui ne parlent pas, ne voient pas, n’entendent pas le mal. (Charlie a également publié une couverture sur laquelle Ramadan se déclare le « sixième pilier de l’Islam », tandis qu’une énorme érection gonfle son pantalon.) En quelques semaines, l’affaire Ramadan s’est transformée en l’affaire Plenel-Valls- Charlie : un débattre qui porte moins sur Ramadan et son traitement des femmes que sur des intellectuels français, leurs relations avec Ramadan et leurs points de vue sur l’islam dans la société française.

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Philippe Val, ancien rédac chef de Charlie Hebdo, aurait appris par la police que son ami et collaborateur Patrick Font était un pédophile

Sur Twitter, Plenel a tourné en dérision la caricature comparée à une  » affiche rouge », par allusion à la fameuse affiche rouge placardée par les occupants allemands à Paris, en 1944, dans le cadre de leurs efforts pour dénigrer un groupe de résistants présenté comme une « conspiration étrangère contre la vie française.  » La première page de Charlie, soutenait-il, était le prolongement d’une » campagne générale « . . . de guerre contre les Musulmans « en France. En réponse, Laurent (Riss) Sourisseau, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, a accusé Plenel de « condamner Charlie à mort une seconde fois ». Accuser Charlie d’exciter la haine antimusulmane, comme l’a fait Plenel, c’est risquer d’être accusé d’incitation [à la haine raciale], comme Valls le savait sûrement quand, le 15 novembre, il déclara au sujet, de Mediapart : « Je veux qu’ils soient écartés du débat public ».

Pour beaucoup en France, la culpabilité présumée de Ramadan n’était pas tant la preuve de la prévalence d’un comportement misogyne en France, ni d’une trahison de ses obligations religieuses, mais la preuve en fait qu’il n’était pas différent des autres «obscurantistes islamiques» qui prêchaient la pudeur aux femmes tout en en tirant cruellement avantage, comme le soutenait Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale du Monde , dans une tribune pour le New York Times. Ce prisme a une histoire aussi vieille que le colonialisme français. Comme l’explique Joan Wallach Scott dans son nouveau livre, « Sex and Secularism », la représentation du patriarche musulman répressif et pourtant lubrique a longtemps servi à détourner l’attention de la discrimination subie par les femmes dans la société française, tout comme la prétendue « situation abjecte » des femmes musulmanes tenait lieu d' »‘antithèse de tout ce que » l’égalité « signifie en Occident. »

Ces dernières années, les Musulmans en France ont découvert qu’il ne suffit pas de respecter les lois françaises : pour appartenir vraiment à la France, ils doivent dénoncer les mauvais musulmans, rendre grâce à Charlie et autres démonstrations de loyauté, tout comme leurs ancêtres dans l’Afrique coloniale du Nord et de l’Ouest avaient appris à honorer «nos ancêtres, les Gaulois». Plus ils sont français, plus leur francité, leur capacité à «s’assimiler» semble être mise en question, ce qui a accentué leur sentiment d’aliénation. Les organisations et les institutions musulmanes se sont largement abstenues de commenter le scandale Tariq Ramadan – un silence qui, pour certains, vaut expression de solidarité avec un compatriote musulman longtemps dénigré en France. Les autres qui ont été invités à commenter publiquement l’affaire du Ramadan ont choisi de rester silencieux à cause de leur sentiment de malaise, ou peut-être d’irritation, d’être convoqués pour passer un autre test décisif pour prouver leur valeur en tant que citoyens, ou à cause de l' »islamisation » de l’affaire. Une affaire dans laquelle Ramadan est soit perçu comme la victime d’une conspiration antimusulmane, soit comme un symbole de la violence sexuelle musulmane.

Lallab, une association féministe musulmane, n’a jamais été invitée à commenter #balancetonporc, mais a immédiatement été soumise à la pression des médias pour répondre aux accusations contre Ramadan. C’était, a écrit une porte-parole, « comme si nous étions musulmanes avant d’être des femmes. . . Comme si nous avions seulement le droit légitime de dénoncer la violence commise par d’autres Musulmans. »

Un autre produit de cette aliénation historique fut la naissance, en 2005, du Parti des Indigènes de la République, un groupuscule composé en grande partie de militants originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest qui brandissent leur aliénation de la société française comme un titre de fierté. Le PIR considère les musulmans français et les autres personnes de couleur comme des citoyens colonisés à l’intérieur, d’éternels citoyens de seconde zone, et préconise une politique de séparatisme beaucoup plus radicale que le message d’inclusion de Ramadan. Houria Bouteldja, la porte-parole charismatique du Parti, a connu la notoriété ces dernières années pour sa défense des hommes musulmans accusés de violences sexuelles. Elle a fait valoir que, face à la «virilité alimentée par la testostérone chez les hommes indigènes», les femmes de couleur devraient rechercher son côté rédempteur, «la partie qui résiste à la domination coloniale», et rester avec leurs frères. Mais les nombreuses accusations portées contre « Frère Tariq » semblent avoir amené Bouteldja à faire une pause. Dans une déclaration laconique et inhabituellement mesurée sur Facebook, elle a mis en garde contre « l’instrumentalisation raciste de cette affaire » mais dit aussi que la justice devra décider « si les faits sont avérés et si Henda Ayari a été honnête dans sa démarche. »

Alors que la plupart des commentateurs de l’affaire Ramadan ont été – comme c’est souvent le cas avec les discussions sur l’islam, la laïcité et le terrorisme en France – blancs et masculins, certaines des idées les plus importantes sur le scandale viennent des féministes musulmanes qui sont consternés par les préjugés de Valls et de Charlie, et déçues par l’apparente indifférence de Bouteldja envers les victimes d’abus sexuels. Pour elles, le scandale exemplifie la nécessité d’une sorte d’«intersectionnalité» ou de compréhension de la nature imbriquée de l’oppression raciste et sexiste, qui fait partie du discours féministe aux États-Unis depuis la fin des années quatre-vingt. Comme l’écrit Souad Betka dans un essai publié dans le magazine en ligne Les Mots Sont Importants, «nous les féministes musulmanes refusons de sacrifier la lutte contre le sexisme et la violence patriarcale à celle contre le racisme. » «Depuis plus de cinq ans, de nombreuses militantes associatives musulmanes de mon entourage m’ont témoigné avoir été victimes d’insultes, de manipulation et de harcèlement sexuel de la part de cet homme» [Tariq Ramadan]. Mais les organisations antiracistes dans lesquels militaient ces femmes avaient choisi d’ignorer la violence sexuelle perpétrée par des hommes «indigènes» par crainte d’attiser l’islamophobie française. Il n’est dès lors pas surprenant que des femmes musulmanes comme Henda Ayari cherchent auprès d’écrivains comme «Caroline Fourest le soutien que d’autres, plus proches, tardent à leur apporter.». Pour une grande partie de la société française, écrit Betka : « un homme musulman est toujours plus qu’un homme. Il est l’arbre qui représente la forêt, faute de la cacher. Il est la forêt. »

Pour Manuel Valls et Charlie Hebdo, Ramadan représente la menace de la conquête islamique ; pour les partisans musulmans de Tariq Ramadan, il représente l’Oumma elle-même. Pour ceux qui sont coincé entre la manipulation raciste par Valls des crimes présumés de Ramadan et le déni des partisans de ce dernier, la position la plus radicale consiste à souligner le fait qu’il n’est qu’un homme.

Femmes de pouvoir mais invisibles et innommables pour le judaïsme ultra-orthodoxe

1 novembre 2016

Un article qui vaut petit rappel sur l’attitude extrême du judaïsme ultra-orthodoxe à l’égard de l’image de la femme qui ne peut même pas être représentée dans un journal. Et on ne parle pas ici de femmes en bikini…

D’ailleurs, souvent, elles ne peuvent pas même être nommées!

Les contorsions de la presse ultra-orthodoxe juive dans ses informations sur Hillary Clinton

Dans les principales publications ultra-orthodoxes, les femmes n’existent tout simplement pas

Par Lourdes Baeza, El Pais (Espagne) 1er novembre 2016 traduit de l’espagnol par Djazaïri

Informer sur les élections aux Etats Unis sans montrer une seule image de la candidate démocrate à la Maison Blanche, Hillary Clinton, ne semble pas être une tâche facile mais les publications ultra-orthodoxes israéliennes parviennent à le faire. De fait, elles suivent pratiquement au jour le jour la campagne présidentielle américaine depuis des mois non seulement sans publier une seule photo d’elle mais aussi sans mentionner son nom. On pourrait dire que si elle dépendait de ses propres sources d’informations, la majorité des Juifs les plus extrémistes pourraient croiser Hillary Clinton dans la rue sans la reconnaître.

Le code moral strict qui régit les principales publications haredies -ultra-orthodoxes- exigent qu’il en soit ainsi. Montrer des images de femme va à l’encontre de l’orthodoxie juive et viole le principe de pudeur en vigueur dans une grande partie de cette communauté ultra-religieuse qui représente déjà environ 11 % des 8,5 millions d’habitants qui peuplent Israël selon les derniers chiffres officiels. La solution consiste à parler d’elle en illustrant les informations avec des photographies de son concurrent, de la Maison Blanche ou même de son mari, Bill Clinton.

Aux Etats Unis, où sont également édités plusieurs journaux ultra-orthodoxes, cette catégorie de journaux peut surprendre à l’occasion et oser publier des images d’Hillary Clinton comme celle qu’a publiée en août dernier le magazine haredi Yated Ne’man, dont le siège se trouve à New York. Sur la photo, on voit seulement un bras de la candidate nord-américaine et son visage est opportunément dissimulé par le pupitre depuis lequel elle prononce un discours de campagne en Floride. Astuces ou audace – selon les points de vue – qui ne sont pas de mise en Israël.

Image de Clinton lors d'un rassemblement en Août qui a publié un environnement Haredi.

Portrait osé de Hillary Clinton dans la magazine newyorkais Yated Ne’man

Hamodia, le quotidien doyen de la presse israélienne ultra-orthodoxe n’a même pas publié d’images de Golda Meir, la première femme à devenir chef du gouvernement et qui fut premier ministre de l’Etat hébreu de 1969 à 1974. Pour Hamodia, il n’y a pas d’exceptions. Ni à l’époque, ni maintenant. L’an dernier, quand fut connue la photo officielle des membres du cabinet actuel de Netanyahou, Hamodia avait choisi de ne l’inclure dans aucune de ses éditions parce qu’y figuraient trois femmes ministres : celle des sports et de la culture, Miri Regev; celle de la justice, Ayelet Shakef et celle des affaires sociales, Gila Gamliel.

Hamodia s’était limité à publier la liste des ministres en omettant les noms des femmes membres du cabinet et ne se référant à elles que par la dénomination de leur portefeuille. Dans le même cas, d’autres publications haredies israéliennes connues comme Behadrei Haredimm – dont la rédaction se trouve à Bnei Brak, une des villes israéliennes peuplées en majorité d’ultra-orthodoxes – avaient préféré se servir de Photoshop pour effacer les visages des femmes ministres. « Nous ne montrons pas des photos de femmes par respect pour nos lecteurs et pour la tradition. Peu importe qui elles sont. Même si Mme Clinton est élue président, sa photo n’apparaîtra jamais dans notre magazine, » assure Meni Schwartz, rédacteur en chef de Behadrei Haredim.

Une pratique également habituelle chez Ha Meyaser, la troisième des principales publications ultra-orthodoxes du pays et qui a été fondée par un député de la Knesset – le parlement d’Israël – membre du parti religieux Union de la Torah. Ha Meyaser s’était fait connaître internationalement parce qu’en janvier 2015, dans la photo de la marche solidaire qui avait vu nombre de dirigeants politiques mondiaux défiler dans les rues de Paris pour protester contre les attentats contre l’hebdomadaire français Charlie-Hebdo, la rédaction avait carrément refabriqué une photo pour ses lecteurs en éliminant de la photo originale toutes les femmes qui y étaient présentes. Parmi elles, la chancelière allemande Angela Merkel et la maire de Paris Anne Hidalgo.

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Anne Hidalgo,à l’extrême gauche de la photo, Angela Merkel et Federica Mogherini (chef de la diplomatie de l’UE) entre Mahmoud Abbas et le roi de Jordanie ont été effacées de la photo publiée dans le journal ultra-orthodoxe

Il existe des publications ultra-orthodoxes comme Kikar Hashabbat qu mettent des photos de femmes sous réserve qu’elles respectent certaines normes de pudeur au niveau de l’habillement. Mais ce sont des exceptions et elles sont moins populaires chez les ultra-orthodoxes que Hamodia, Behadrei Haredim ou Ha Meyaser. « Je ne pense pas que le fait que Hillary Clinton soit élue à la présidence des Etats Unis y change quoi que ce soit. »

« Ils ont empêché pendant des années les femmes de faire partie de leurs listes de candidats à la Knesset. Dans certains domaines, nous pouvons changer les choses mais pas dans celui des moyens de communication, » reconnaît le rabbin Uri Regev qui dirige l’organisation Hiddush de promotion du pluralisme religieux.

Charlie Hebdo, Russell Brand et la journaliste qui ne sait pas reconnaître le langage de l’oppression

14 janvier 2015

Un humoriste français a été placé en garde à vue et fait l’objet de poursuites judiciaires parce qu’il a dit quelque chose comme « Je me sens Charlie Coulibaly ».

On pensait que le gouvernement français avait touché le fond en matière de discrédit, mais apparemment quand on continue à creuser, la progression vers le bas continue.

Jusqu’à l’abîme ?

En tout cas, il est un pays où une personnalité du monde de la culture (ou du show-business si vous voulez) peut se permettre de dire les choses avec une grande netteté.

Ce pays, c’est la Grande Bretagne, un pays qui n’est ni républicain, ni laïque.

Outre Manche, un certain Russell Brand, un de ces énergumènes multi-talents qu’on peut trouver en Angleterre, s’est fendu d’une vidéo YouTube dans laquelle il attaque une présentatrice de la chaîne télévisée américaine Fox News dont le discours est un appel à la haine et à la guerre.

Russell Brand

Russell Brand

Russell Brand attaque ce discours avec une intelligence, logique et une hauteur que ne désavouerait pas l’humoriste qui se sentait un peu Charlie et un peu Coulibaly.

Malheureusement, la vidéo de Russell Brand n’est pas sous-titrée. C’est peut-être mieux ainsi parce qu’elle pourrait lui valoir des ennuis judiciaires d’il s’aventurait à venir en France.

Russell Brand compare une présentatrice de Fox News aux assassins de Charlie Hebdo

Le comédien devenu militant diffuse une charge contre Fox, affirmant que les Etats Unis et les extrémistes islamistes étaient tous deux des « maniaques violents qui assassinent des gens ».

Par Helen Nianias, The Independent (UK) 14 janvier 2015 traduit de l’anglais par Djazaïri

Russell Brand diffuse une charge contre la présentatrice de Fox News « Judge Jeanine » et affirme qu’elle promeut « la même énergie » et est « aussi nocive » que les meurtriers de Paris.

En réponse à une attaque virulente sur les extrémistes musulmans dans laquelle « Judge Jeanine », une présentatrice de bulletin d’information sur Fox News exhortait les Etats Unis à « les bombarder, et à les bombarder encore », Brand a déclaré : « C’est la même énergie… c’est la même énergie que celle des meurtriers. Jugement, haine, certitude quant à votre propre position, condamnation, le langage de la guerre. »

La charge de Brand contre la présentatrice, dont le vrai nom est Jeanine Pirro, a été diffusée sur la chaîne YouTube The Trews, et il a appelle « l’humanité » à « arrêter de durcir les séparations et les frontières entre nous. »

Quand Pirro a dit que les seules personnes qui pouvaient empêcher de nouvelles agressions comme celle contre Charlie Hebdo étaient les Musulmans eux-mêmes, Brand affirme aussi que la présentatrice du journal télévisé qui est d’origine libanaise est « au moins un peu d’origine afro-américaine… ne sait-elle pas reconnaître le langage [de l’oppression] ?

Dans sa vidéo, Brand considère que les tueurs de Paris étaient des « maniaques violents qui assassinent des gens, » et il décrit les Etats Unis comme des « maniaques violents financés par l’Etat qui assassinent les gens depuis le ciel un peu partout au Pakistan et en Irak. »

Il dit : « Nous devons voir au delà des différences et du camouflage de l’identité et du langage et reconnaître la haine pour ce qu’elle est. »

Brand affirme de la diatribe de Pirro : « C’est évidemment très drôle, mais d’un autre côté elle a quelque chose de toxique parce que Fox News, comme chacun sait, est la propriété de Rupert Murdoch… ce n’est pas exactement le grand-père raciste dont vous pensez : ‘Oh, c’est juste un grand-père, il est d’un autre temps’ – c’est différent si votre grand-père possède un groupe de médias qui pèse des milliards de dollars et détient des investissements dans des compagnies du secteur de l’énergie qui tireront profit de nouvelles actions militaires à l’étranger et s’il a besoin de de la déshumanisation et de la haine des Musulmans pour que ça continue.

« Le terrorisme est quelque chose de mal, c’est mal de tuer des gens, mais cela doit concerner TOUS les types de terrorisme – qui peut définit ce qu’est le terrorisme ? Qui peut décider que la violence est nécessaire ? »

Il ajoute : « Le droit à la liberté d’expression est important, mais il n’est pas plus important que dire ‘nous sommes tous des êtres humains, trouvons des solutions ensemble.’ Ce qu’elle [Pirro] est en train de f aire, même si c’est à l’évidence pas aussi violent, sanglant ou aussi terrible, est tout aussi néfaste parce que c’est insidieux et que ça touche un large public, et elle agit pour le compte de personnes qui ont leurs propres idéologies et que ça a des conséquences. »

Philip Roth s’attaque au tabou auquel ne touchera pas Charlie Hebdo

19 septembre 2012

Charlie Hebdo vient de publier de nouvelles caricatures représentant le prophète de l’Islam. Je ne vais pas gloser longtemps là-dessus parce que si de nombreux clients sont tombés dans le panneau en se ruant, dit-on, dans les kiosques pour s’en procurer un exemplaire, les commentateurs portent cette fois un jugement plus mitigé sur la politique éditoriale de ce magazine . J’écoutais en effet tout à l’heure sur France Info une petite brochette de commentateurs évoquer un coup marketing dénué de l’esprit de responsabilité qui doit caractériser la profession journalistique.

Mais Charlie Hebdo aurait tort de se gêner vu que c’est si facile de taper sur les Musulmans en France, une «communauté» [selon moi il n’y a pas ou pas encore de communauté musulmane], encore fortement marquée par l’appartenance au prolétariat voire par la pauvreté , objet du discours politique mais non représentée politiquement.

Le magazine a mis la barre très bas. Pour montrer son courage, je lui propose de mettre la barre très haut et de s’attaquer avec virulence et détermination aux véritables tabous de cette société, par exemple l’holocauste, l’Etat prétendu juif ou encore le rôle des dirigeants Juifs Français pendant l’occupation et sous le régime de Vichy (parce qu’il y avait les Juifs résistants avec de Gaulle et dans les maquis mais il y avait aussi les autres).

C’est pas demain la veille, parce que Charlie-Hebdo se retrouverait cloué au pilori et rapidement privé de ressources financières.

Un Juif américain aborde un sujet tabou : Israël

Par Matthew Hays, The Globe & Mail (Canada) 25 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Phillip Roth an parle comme d’un des moments les plus marquants de son enfance. C’était en 1978, et le cinéphile de 12 ans a regardait la cérémonie de remise des Oscars à la télévision quand VanessaRedgrave a dénoncé les «voyous sionistes» tout en acceptant son Oscar pour le meilleur second rôle féminin.

«Ce discours a eu un impact énorme sur moi», dit Roth, un cinéaste basé à Los Angeles (qui n’a pas de rapport avec le romancier du même nom). « C’était probablement la première fois que je réalisais qu’il y avait des gens, pas seulement des terroristes, qui étaient vraiment critiques  à l’égard d’Israël. » Le discours mémorable de Redgrave avait été accueilli par des huées et des sifflements lors de la cérémonie, et sa co- vedette dans Julia, Jane Fonda, avait reçu une standing ovation.

Philip B. Roth

Roth, qui a grandi dans une famille juive à Los Angeles, explique que les questions qui entourent la relation de la communauté juive américaine à Israël continuent de le fasciner – l’une d’entre elles en particulier. « Les Juifs américains ne sont pas vraiment autorisés à dire quoi que ce soit de critique sur Israël », soutient-il. « Si vous regardez la presse israélienne, il ya un débat vigoureux, qui se poursuit sans interruption. Les Israéliens sont autorisés à être très critiques envers Israël. Les Américains, semble-t-il, ne le sont pas. Parmi mes amis et ma famille, je pouvais trouver des gens qui étaient très ouverts sur tous les sujets imaginables, sauf quand on touchait à Israël et au Moyen-Orient. « 

Roth d’ajouter, «Quand le sujet arrivait sur Israël, c’était presque comme si la discussion était coupée. »

Ce constat a incité Roth à réaliser son propre documentaire à la première personne sur ce sujet ; le résultat est un mélange grisant de considérations personnelles et politiques. Les Confessions d’un Juif Honteux, qui sort en première mondiale ce weekend au Festival Mondial du Film de Montréal et traite de l’itinéraire de Roth dans sa confrontation avec l’écheveau complexe de liens personnels, historiques et politiques que la diaspora juive possède avec l’Etat d’Israël.

Rorh a interviewé un grand nombre de personnes pour son documentaire – de sa propre grand-mère à Phyllis Chesler, auteure du livre The New Anti-Semitism, dans lequel elle avertit de la montée inquiétante du préjugé antijuif au début du 21ème siècle. Les résultats sont fascinants et Roth prend soin de donner longuement la parole à ceux avec qui il est en désaccord.

Il reconnaît que certains l’ont critiqué pour avoir entrepris un tel projet. «Je suis un homosexuel qui enseigne le yoga à des apprenants tout nus à Los Angeles. Je ne suis jamais allé au Moyen Orient. Mais j’ai vraiment aimé l’idée que quelqu’un comme moi, qui n’a rien d’un spécialiste, puisse se pencher sur ces questions et les poser très franchement. Après tout, deux tiers des Juifs Américains ne sont jamais allés en Israël. Mais si nous nous interrogeons sur les relations et le soutien de notre gouvernement à Israël, nous sommes taxés de [Juifs] honteux.»

Au cours de ses recherches pour Confessions d’un Juif Honteux – qu’il appelle le fruit de «cinq ans de travail de l’amour» – il s’est découvert des affinités particulières avec une des personnalités historiques dont il retrace l’histoire. «Hannah Arendt, elle-même survivante des camps nazis [Hannah Arendt n’a jamais séjourné dans un camp nazi, note de Djazaïri], avait écrit des textes assez critiques du sionisme après le jugement d’Adolf Eichmann. Elle avait été alors accusée d’être une juive honteuse simplement parce qu’elle soutenait que la vision initiale du sionisme s’était égarée.

Vers la fin du film, Roth se retrouve plaidant pour une version de la solution controversée à un seul Etat dans lequel Israéliens et Palestiniens vivraient dans le même pays, avec une personne, un vote. Une des personnes qu’il interviewe conteste fermement cette idée en affirmant qu’un tel système signifierait un «suicide national pour Israël. »

Roth soutient que, «Tant que vous avez autant de colonies juives en Cisjoordanie, tant que vous donnez aux Russes et aux Américains et à d’autres immigrants autant d’incitations financières pour vivre là-bas, et tant que vous avez des palestiniens condamnés à la pauvreté qui vivent à côté d’eux, je pense que vous devez accorder à ces Palestiniens le même accès à la citoyenneté, mais si vous ne le faites pas, alors c’est vraiment comme l’apartheid.»

Et il concède qu’il y a une certaine ironie de voir Confessions of a Self-Hating Jew projeté en première mondiale au Canada où le gouvernement conservateur s’est avéré être un chaud partisan d’Israël.

«Je ne prétends pas que les sionistes vont entrer dans la salle de cinéma et que leur mentalité sera changée par mon film», dit Roth. « Mais nous devons en parler. Ces politiques de construction de nouvelles colonies en Cisjordanie: sont-elles vraiment dans l’intérêt d’Israël? N’ont-elles pas tout simplement créé une situation impossible?


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