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Esclavagisme et système électoral aux Etats Unis

12 novembre 2016

Le droit constitutionnel est une discipline qui peut s’avérer intéressante et permettre de montrer quels intérêts sont cristallisés dans le texte législatif fondamental qu’est une constitution.

C’est seulement quand les rapports de force changent profondément que ce genre de texte évolue significativement ou est renouvelé complètement.

La Constitution américaine est pratiquement inchangé depuis sa rédaction au 18ème siècle par les Pères Fondateurs, ce qui donne à penser que les intérêts de l’époque restent bien représentés par ce texte, ou encore que d’autres intérêts qui ont émergés par la suite ont estimé que les lignes directrices tracées par lui leur permettent de défendre et de promouvoir leurs intérêts. Et donc que les rapports de domination contemporains sont dans leur essence de même nature que ceux qui avaient orienté la rédaction de la loi fondamentale.

L’article que je vous propose, sans aller vers ce genre de raisonnement, expose cependant un des principaux rapports de domination qui a justifié le système du Collège Electoral, ou des grands électeurs, souvent décrié, particulièrement au moment où ce système a permis à un Donald Trump légèrement distancé en nombre de voix de réunir plus de grands électeurs que sa rivale Hillary Clinton et donc de s’imposer dans la course à la présidence des Etats Unis.

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Deux  faits importants: une participation électorale en baisse et une légère avance pour Hillary Clinton en nombre de voix populaires

Une problématique à mettre en relation avec celle de l’hymne national des Etats Unis.

La raison troublante qui explique l’existence du Collège Electoral

Par Akhil Reed Amar, Time Magazine (USA)   8 novembre 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

Les pères fondateurs avaient quelque chose de particulier à l’esprit quand ils ont mis en place le système électoral présidentiel américain : l’esclavage

Alors que les Américains attendent la mise en route quadriennale de la course d’obstacles qu’on appelle maintenant le Collège Electoral, il est bon en premier lieu de se souvenir de la raison pour laquelle nous sommes dotés de cet étrange dispositif politique. Après tout, les gouverneurs des 50 Etats sont élus au suffrage universel direct ; pourquoi ne pas faire de même pour le gouverneur de tous les Etats, c’est-à-dire le président des Etats Unis ? Les bizarreries du système du Collège Electoral ont été mises en évidence cette semaine quand Donald Trump a remporté la présidentielle avec une majorité de grands électeurs alors même qu’il était légèrement devance par Hillary Clinton en nombre de suffrages populaires.

Certains disent que les pères fondateurs avaient préféré le Collège Electoral au suffrage universel direct afin d’équilibrer les intérêts des Etats peu et très peuplés. Mais les coupures les plus nettes aux Etats Unis n’ont jamais été entre les petits Etats et les grands, mais entre le nord et le sud, et entre les côtes et l’intérieur.

Un argument de l’époque des pères fondateurs en faveur du Collège Electoral découlait du fait que les Américains ordinaires à travers un territoire immense ne disposeraient pas de suffisamment d’informations pour choisir directement et avec discernement parmi les candidats à la présidentielle les plus en vue.

Cette objection pouvait être justifiée dans les années 1780, quand la vie était beaucoup plus locale. Mais l’émergence précoce de partis présidentiels nationaux la rendit obsolète en associant les candidats à la présidentielle à toute une série de candidats locaux et de plateformes nationales qui expliquaient aux électeurs les positions des candidats.

Même si les rédacteurs de la Constitution à Philadelphie n’avaient pas anticipé l’émergence d’un système de partis présidentiels nationaux, le 12ème amendement – proposé en 1803 et ratifié un an plus tard – était rédigé avec un tel système partisan à l’esprit, suite à l’élection de 1800 – 1801. Lors de cette élection, deux partis présidentiels rudimentaires – les Fédéralistes dirigés par John Adams et les Républicains de Thomas Jefferson – avaient pris forme et s’étaient affrontés. Jefferson l’avait finalement emporté, mais seulement après une longue crise provoquée par plusieurs lacunes dans la mécanique électorale des rédacteurs de la Constitution. En particulier, les électeurs républicains n’avaient aucune possibilité formelle de signifier qu’ils voulaient Jefferson comme président et Aaron Burr comme vice-président plutôt que l’inverse. Certains politiciens avaient alors essayé de profiter de la confusion qui en avait résulté.

C’est le 12ème amendement adopté en 1803 qui permit à chaque parti de désigner un candidat à la présidence et un autre candidat à la vice-présidence. Les modifications du processus électoral introduites par cet amendement transformèrent le cadre défini par les rédacteurs de la Constitution, permettant aux élections présidentielles ultérieures d’être ouvertement populistes et des affaires de partis présentant un ticket avec deux candidats. C’est le système du Collège Electoral prévu par le 12ème amendement, pas la Constitution de Philadelphie, qui demeure en place aujourd’hui. Si le manque d’informations du citoyen moyen avait pu être la véritable justification du Collège Electoral, ce problème était largement résolu vers 1800. Alors pourquoi tout ce dispositif du Collège Electoral n’avait-il pas été abandonné à l’époque ?

Les cours d’instruction civique qui portent sur le Collège Electoral mentionnent rarement le véritable démon qui a condamné le suffrage universel direct au niveau national en 1887 et 1803 : l’esclavage.

A la convention de Philadelphie, le Pennsylvanien visionnaire James Wilson proposa l’élection du président au suffrage universel direct. Mais l’habile Virginien James Madison avait répliqué qu’un tel système s’avérerait inacceptable pour le Sud : « La base électorale était beaucoup plus large dans les Etats du Nord que dans ceux du Sud; » et ces derniers pourraient se retrouver sans influence sur l’élection du fait de la présence de nombreux Noirs. » En d’autres termes, avec le suffrage universel direct, le Nord pèserait beaucoup plus que le Sud dont les nombreux esclaves (plus de 500 000 en tout) n’avaient évidemment pas le droit de vote. Mais le système du Collège Electoral- dont Madison avait proposé un prototype dans le même discours – permettait à chaque Etat du sud de compter sa population servile, avec cependant une réduction des deux cinquièmes – pour le calcul de sa part de représentants au niveau national.

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Les 13 colonies fondatrices des Etats Unis

La Virginie avait été la grande gagnante – c’était la Californie de l’époque des pères fondateurs – avec 12 sur le total des 91 votes alloués par la Constitution de Philadelphie, soit plus du quart des 46 voix nécessaires pour emporter l’élection au premier tour. Au recensement de 1800, l’Etat libre de Pennsylvanie de Wilson qui avait 10 % d’habitants libres de plus que la Virginie obtint cependant 20 % de grands électeurs de moins. Par un effet pervers, plus la Virginie (ou tout autre Etat esclavagiste) achetait ou entretenait, plus son poids électoral était important. Quand un Etat esclavagiste affranchissait des Noirs qui partaient ensuite pour le Nord, l’Etat courait le risque de perdre des grands électeurs.

Si l’avantage donné par ce système à l’esclavagisme n’était pas massivement évident au moment de la ratification de la Constitution, ce fait apparut rapidement. Pendant 32 des 36 premières années de la Constitution, la présidence fut occupée par un Blanc de Virginie propriétaire d’esclaves.

Le Sudiste Thomas Jefferson, par exemple, gagna l’élection de 1800-1801 contre le Nordiste John Adams dans une compétition où les électeurs supplémentaires qui résultaient de l’esclavagisme furent la marge décisive pour la victoire ; sans les grands électeurs supplémentaires attribués du fait de la population servile, les Etats majoritairement sudistes qui soutenaient Jefferson n’auraient pas suffi à lui donner une majorité. Comme de fins observateurs l’avaient remarqué à l’époque, Thomas Jefferson s’était métaphoriquement transporté dans les murs de l’exécutif à dos d’esclaves.

La compétition de 1796 entre Adams et Jefferson avait été marquée par une division encore plus nette entre les Etats du nord et ceux du sud. Donc, à l’époque du 12ème amendement qui bricolait avec le système du Collège Electoral au lieu de le démanteler, le biais pro-esclavagiste de ce système n’était déjà plus un secret. De fait, pendant les débats parlementaires autour de cet amendement fin 1803, le député au Congrès Samuel Thatcher avait déploré que « la représentation des esclaves ajoute treize membres à cette chambre du présent Congrès, et dix-huit grands électeurs pour le président et le vice-président à la prochaine élection. » Mais la protestation de Thatcher était restée sans effet. Une fois de plus, le Nord avait cédé au Sud en refusant de pousser pour une élection nationale au suffrage universel direct.

A la lumière de cette histoire plus complète (quoique moins flatteuse) du système du Collège Electoral à la fin du 18ème et au début du 19ème siècles, les Américains devraient se demander s’ils veulent conserver cette institution bizarre au 21ème siècle.

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Le professeur Akhil Reed Amar

Akhil Reed Amar enseigne le droit constitutionnel à l’université de Yale. Cet article se base sur son livre publié récemment, The Constitution Today.

L’hymne national des Etats Unis est aussi un hymne à l’esclavage

3 septembre 2016

L’affaire rencontre un certain écho en France, mais défraie carrément la chronique aux Etats Unis.

L’affaire en question est relative à un footballeur [football américain] professionnel de San Francisco qui refuse obstinément de se lever pendant qu’on joue l’hymne national de son pays.

Ce footballeur, Colin Kaepernick est un métis qui porte le nom de sa famille adoptive. En, refusant de se lever et de porter la main sur sa poitrine, il entend protester contre l’oppression et les violences policières que subit la communauté noire dans son pays.

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Colin Kaepernick, quarterback des San Francisco 49ers

Copieusement sifflé par une partie du public,(mais trouvant aussi du soutien), agoni d’insultes sur les réseaux sociaux, les choses en sont au point où  le syndicat des policiers qui assurent la sécurité pendant les matchs joués à San Francisco menace de boycotter le stade si le joueur n’est pas sanctionné.

Si Colin Kaepernick avance des raisons actuelles pour justifier le fait qu’il reste genou au sol pendant l’hymne national, une approche du texte et de l’histoire de l’hymne national américain pourrait bien donner une légitimité supplémentaire au comportement du footballeur qui va être imité par un de ses collègues.

Mahmoud Abdul-Rauf les avait précédés il y a une vingtaine d’années.

En complément de ce texte de Jon Schwarz, je vous suggère la lecture d’un article de Gerald Horne que j’avais traduit tantôt sur un aspect connexe de l’histoire des Etats Unis.

Colin Kaepernick est plus dans le vrai que vous : L’hymne national est une célébration de l’esclavage

Par Jon Schwarz, The Intercept (USA) 28 août 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

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Jon Schwarz a été un collaborateur du cinéaste Michael Moore

Avant un match amical vendredi, le quarterback des San Francisco 49ers Colin Kaepernick a refusé de se lever quand a été joué le « Star-Spangled banner », [la bannière étoilée] l’hymne national des Etats Unis. Quand il a expliqué pourquoi, il n’a fait référence qu’au temps présent : « Je ne vais pas me lever pour me montrer fier du drapeau d’un pays qui opprime la population noire et les populations de couleur…  Il y a des cadavres dans les rues et gens qui sont mis en congé rémunéré et qui s’en tirent facilement pour un meurtre. »

Comme on puait el prévoir, les réactions sur Tweeter ont été nulles, avec au moins un des fans des 49ers brûlant le maillot floqué au nom de Kaepernick.

Presque personne ne semble avoir conscience que même si les Etats Unis étaient un pays parfait aujourd’hui, il serait étrange d’attendre de joueurs afro-américains qu’ils se tiennent debout main sur la poitrine pour écouter « La bannière étoilée ».  Pourquoi ? Parce que ce chant fait littéralement l’apologie du meurtre des Afro-américains.

Peu de gens le savent parce qu’on ne chante que le premier couplet. Mais lisez la fin du troisième couplet et vous verrez pourquoi « La bannière étoilée » n’est pas qu’une atrocité musicale mais est aussi une atrocité du point de vue intellectuel et moral :

Aucun refuge n’a pu sauver ni le mercenaire ni l’esclave

De la frayeur des déroutes et de la tristesse de la tombe :

Et la bannière étoilée flottera triomphalement

Sur cette terre de liberté et sur la demeure du brave

Les Américains savent vaguement que « La bannière étoilée » a été écrite par Francis Scott Key pour célébrer la résistance du Fort McHenry à Baltimore pendant la guerre de 1812 [contre l’Angleterre]. Mais on ne parle jamais du fait que la guerre de 1812 fut une guerre d’agression qui commença par une tentative par les Etats Unis d’arracher le Canada à l’Empire britannique.

Nous avions cependant largement surestimé la puissance de l’armée des Etats Unis. Au moment de la bataille du Fort McHenry en 1814, les Britanniques avaient contre-attaqué et effectué un raid sur la ville de Washington où ils incendièrent la Maison Blanche.

Et une des clefs des succès de l’armée britannique fut sont recrutement actif d’esclaves américains. Comme l’explique un article fouillé paru dans Harper’s en 2014, l’amiral de la Royal Navy Sir George Cockburn avait reçu les ordres suivants :

Vos débarquements [sur la côte des Etats Unis] devront viser surtout à la protection des populations noires qui désertent avant toute autre considération… L’objectif prioritaire à atteindre est le soutien chaleureux de la population noire.. Quand ils seront bien armés et soutenus par 20 000 soldats britanniques, M. Madison [le président des Etats Unis] sera éjecté de son trône.

Des familles entières avaient trouvé le chemin vers la flotte britannique qui acceptait tout le monde et donnait l’assurance qu’aucun d’entre eux ne serait rendu à ses « propriétaires. » Les hommes adultes suivirent un entraînement pour constituer un régiment appelé le Colonial Marines qui participa à beaucoup des batailles les plus importantes dont le raid d’août 1814 sur Washington.

Puis, la nuit du 13 septembre 1814, les Britanniques bombardèrent le Fort McHenry. Key, voyant que le drapeau flottait toujours le lendemain matin, en tira l’inspiration pour écrire les paroles de « La bannière étoilée ».

Donc, quand Key a écrit « Aucun refuge n’a pu sauver ni le mercenaire ni l’esclave/ De la frayeur des déroutes et de la tristesse de la tombe », il témoignait de sa grande satisfaction devant la mort d’esclaves qui avaient pris leur liberté. Sa façon de voir avait probablement été influencée par le fait qu’il possédait lui-même quelques esclaves.

Avec ça à l’esprit, réfléchissez encore aux deux vers qui suivent : « Et la bannière étoilée flottera triomphalement/ Sur cette terre de liberté et sur la demeure du brave »

La réalité, c’est que des êtres humains se battirent pour la liberté avec un courage incroyable pendant la guerre de 1812. Cependant, « La bannière étoilée » glorifie le « triomphe » de l’Amérique sur eux – et inverse complètement cette réalité, transformant leurs tueurs en courageux combattants de la liberté.

Quand les Etats Unis et les Britanniques signèrent un traité de paix fin 1814, le gouvernement des Etats Unis exigea le retour des « propriétés  » américaines qui, à ce moment, se chiffraient à environ 6 000 personnes. Les Britanniques refusèrent.  La plupart de ces 6 000 personnes finit par s’établir au Canada, certains s’installant à Trinidad où leurs descendants sont encore appelés « Merikins ».

En outre, si ceux qui sont en pointe dans la campagne contre Kaepernick ont besoin de plus d’inspiration, ils peuvent la trouver dans la suite de la vie de Francis Scott Key.

Vers 1883, Key était procureur de district à Washington D.C.. Comme l’a relaté l’ancien journaliste du Washington Post Jefferson Morley dans son livre « Snowstorm », la police était notoirement infestée de voleurs qui volaient impunément les biens des Noirs libres. Une nuit, un des agents de police avait essayé d’agresser une femme noire qui avait réussi à lui échapper en courant – pour malheureusement chuter d’un pont et se noyer dans le Potomac.

« Il n’y a ni pitié, ni justice pour les gens de couleur dans ce district, » écrivait un journal abolitionniste. « Il n’y a eu ni tapage, ni émotion autour de cette affaire. On l’a sortie du fleuve, elle a été enterrée et l’affaire était close. »

Furieux, Key avait poursuivi le journal pour avoir cherché à « insulté, diffamé et attenté à la renommée, au crédit et à la réputation de la magistrature et de la police du Comté de Washington. »

Vous pouvez trancher par vous-mêmes la question de savoir s’il existe une relation entre ce qui s’est passé il y a 200 ans et ce provoque la colère de Kaepernick aujourd’hui. Peut-être est-ce une histoire trop ancienne et qui n’a plus de sens. Ou peut-être que non et que Kaepernick a raison et que nous avons vraiment besoin d’un nouvel hymne national.

Indépendance américaine et esclavage, une approche inédite de l’historien Gerald Horne

3 mars 2015

L’histoire est une discipline étonnante puisqu’elle nous amène sans cesse à remodeler notre vision du passé à la lumière des faits que les historiens découvrent dans le cadre de leurs recherches.

Cette observation est valable pour l’histoire ancienne mais aussi pour l’histoire contemporaine.

L’historien américain Gerald Horne nous en apporte un nouvel exemple avec un essai décapant qui postule, documents à l’appui, que la lutte américaine pour l’indépendance étant en grande partie motivée par le désir des colons d’éviter que la monarchie anglaise mette un terme à l’esclavage qui était un des fondements de l’économie des colonies qui deviendront les États Unis d’Amérique.

Gerald Horne

Gerald Horne

Cette thèse de Horne qui semble bien étayée est sans doute susceptible de jeter une lumière nouvelle sur les récents crimes, comme celui de Ferguson, qui ont défrayé la chronique outre Atlantique et dont on a beaucoup parlé en France.

Gerald Horne est professeur d’histoire à l’université de Houston (Texas)

L’esclavage, la résistance des esclaves et les origines de la république américaine

Une révolution en marche arrière ?

Par Kathy Deacon, Counter Punch (USA) traduit de l’anglais par Djazaïri

Le livre de Gerald Horne, la contre-révolution de 1776, a été négligé par la plupart des médias libéraux [de gauche non communiste ou progressiste dans le vocabulaire anglo-saxon]q lors de sa parution au printemps dernier, mais on peut vraiment le considérer comme l’un des livres les plus intéressants de 2014. C’est en fait un livre très court mais dense et abondamment documenté, original et d’une grande portée – un ouvrage magistral à bien des égards.

Dans les années 1970, l’Afrique du Sud était habituellement décrite par le gouvernement américain comme «partiellement libre» parce que sa minorité blanche avait des droits. De la même manière, la guerre américaine d’indépendance, présentée comme une bataille contre les prérogatives royales et une fiscalité injuste, est réputée émancipatrice à l’exception de l’esclavage. Horne fait valoir que, au contraire, la préservation de l’esclavage était une des motivations derrière la sécession coloniale et que le résultat fut désastreux en matière de droits humains. La sécession [avec l’Angleterre] ne faisait pas que jeter les bases de la poursuite de l’esclavage pendant 87 ans et de l’apartheid d’État par la suite dans le Sud (et officieusement dans le Nord) -et ce à un moment où le sentiment abolitionniste se généralisait de plus en plus en Angleterre et ailleurs en Europe. Mais parce que les esclaves (et les populations indigènes) étaient perçus comme un élément subversif pendant la guerre [d’indépendance], la victoire des rebelles les enferma pour longtemps dans le rôle «d’ennemis de l’intestin» de l’État.

L’abolitionnisme de la fin du 18ème siècle n’était pas simplement un courant intellectuel (dont les partisans au sein de la colonie tendaient à préférer une approche plus graduelle). La légalité de l’esclavage avait été sérieusement remise en cause dans les tribunaux londoniens. L’arrêt historique Somerset de 1772 avait sans doute donné le coup de grâce à l’esclavage en le rendant illégal en Grande Bretagne, un développement qui aurait logiquement dû s’étendre aux colonies américaines où une telle perspective avait provoqué la tempête comme dont les journaux de l’époque se faisaient l’écho.

Horne soutient que l’intention des Pères Fondateurs de maintenir l’esclavage ne souffrait guère d’ambiguïté. En dépit du langage inspirateur de la Déclaration d’Indépendance, ils « avaient normalisé cette forme de propriété au même titre que n’importe quelle autre. »

« A Boston, ceux qui étaient pro-Londres défendaient les esclaves dans les tribunaux, tandis que les rebelles représentaient habituellement les maîtres. » « John Adams « exerçait… comme conseil pour des propriétaires d’esclaves et avait même soutenu que le Massachusetts présumait tous les Africains comme étant des esclaves. » Même Ben Franklin avait « contre-attaqué vigoureusement » contre l’abolitionniste Granvile Sharp, et la liste est longue. Les Africains devaient souvent s’appuyer sue les Tories [conservateurs] pour obtenir d’être entendus de manière équitable dans le système judiciaire, et ils comprenaient que la rupture avec la Grande Bretagne ne pouvait qu’empirer leur situation.

Les craintes de représailles exercées par les esclaves africains attisaient l’animosité des colons et leur sentiment de persécution par la Grande Bretagne.

Quand Lord Dunmore, le gouverneur royal de la colonie britannique de Virginie avait fini par jeter le gant en novembre 1775, en publiant sa fameuse proclamation proposant de libérer tous les esclaves, il avait ajouté encore plus d’huile sur le feu. Les Africains, selon Horne, se rangeaient presque unanimement du côté de l’Angleterre et espéraient en une victoire anglaise qui, croyaient-ils les délivrerait de l’esclavage.

Sauf à supposer une réaction intrinsèquement humaine à la souffrance [des esclaves] de leur part, Horne nous assure que l’attitude britannique à l’égard de l’esclavage n’était pas moins pragmatique que celle des Américains (dont les espoirs d’indépendance économique se basaient sue la poursuite du système esclavagiste dans l’agriculture). Dans ces années antérieures à la croissance exponentielle de l’industrie du coton, les Britanniques voyaient l’esclavage comme incompatible avec les besoins d’un empire mondial qui en était venu, par défaut, à dépendre de l’utilisation de soldats africains pour défendre les intérêts britanniques dans cette partie de l’hémisphère et ailleurs.

La Grande Bretagne avait bien sûr investi énormément dans le commerce d’esclaves africains. Partie intégrante de leur propre évolution « démocratique », c’est la « splendide » Déclaration des Droits qui avait affaibli le monopole de la Royal African Company, ce qui avait conduit le parlement à ordonner que le « commerce des Africains soit ouvert à ‘tous les sujets de sa majesté.’ » « Cette dérégulation du négoce de la chair humaine avait entraîné une sorte de libre commerce des Africains.. Ce qui avait contribué de manière incommensurable à la fourniture de la main d’oeuvre servile nécessaire pour développer le continent, ce qui, ensuite, conduisit l’élite locale à entrer de plus en plus en conflit avec Londres, particulièrement quand elle voulait développer les échanges avec des voisins qui se trouvaient être des ennemis de la Couronne d’Angleterre… »

La Grande Bretagne avait l’expérience de la résistance africaine dans ses colonies caribéennes. Les dangers encourus avaient amené de nombreux propriétaires d’esclaves à émigrer sur le continent américain pour essayer de fuir cette situation. Mais les problèmes continuèrent à se manifester sur le continent aussi. La Floride était devenue une base arrière pour les « esclaves rebelles et en fuite. » Dans les années 1740, mes troupes espagnoles attaquaient la Géorgie depuis des forts en Floride peuplés de centaines d’Africains en armes. L’esclavage était «une source prodigieuse de profits – tout en étant en même temps une menace pour le colonialisme… sous la forme de révoltes africaines soutenues par les indigènes, les ennemis européens, ou les deux. » Horne plonge dans l’histoire des révoltes d’esclaves et des stratagèmes des colonialistes pour les contrer :

« La Caroline avait été désignée pour être le pare-feu protégeant la Virginie et des zones du nord, mais la création de la Géorgie par la suite fut le pénible aveu qu’un nouveau pare-feu devait être construit pour s’étendre plus au sud vers la frontière avec la Floride, alors espagnole. Mais c’était un cadeau empoisonné étant donné que les sujets de Londres se retrouvaient encore plus près des brigades d’Africains en armes dont beaucoup souhaitaient se venger des colons rapaces. Londres était forcé de défendre un continent profondément instable avec une conception inhabituelle du patriotisme qui n’excluait pas des relations étroites avec les ennemis les plus acharnés de la Couronne. »

Du point de vue britannique, il semblait rationnel de limiter le nombre d’esclaves – ce que Londres avait essayé de faire par la taxation. Cette politique fut la source durable d’un lourd contentieux. Les marchands d’esclaves du nord et les planteurs du sud étaient tous vent debout contre la tentative britannique pour limiter par ce moyen le nombre d’esclaves.

Les colons auraient pu espérer la protection britannique, mais ils étaient aussi réticents à payer pour ça qu’ils étaient prêts à prendre les armes eux-mêmes. Bien sûr, ils ne pouvaient tolérer qu’on arme des Africains devoir leur verser une solde régulière. En s’appuyant sur des Africains armés originaires de la Caraïbe, la Grande Bretagne avait gagné la guerre en Inde et contre la France, avec pour effet le plus profond l’éviction des Espagnols de Floride (plutôt que la défaite de la France). La destruction de ce refuge pour esclaves en fuite créa les conditions pour une augmentation des importations d’esclaves en Géorgie et en Caroline et pour une alliance de facto entre les colons américains et les anciens adversaires de Londres. « Cela s’avéra une victoire catastrophique pour Londres parce que, quand la pression fut moindre sur les colons du continent… ils saisirent l’occasion pour se révolter contre la Couronne avec une aide importante des ‘puissances catholiques’. Ce qui aboutit finalement à la création d’une république de propriétaires d’esclaves qui écarta alors les puissances européennes de la domination sur le commerce des esclaves africains… »

Quoique le livre soit organisé en chapitres avec des intitulés thématiques, on le lira plus comme un essai. Horne fait des digressions, et il répète sans aucune nécessité de nombreux points qu’il a déjà traités – ce qui distrait parfois l’attention sur ce travail par ailleurs fascinant. Puisant dans un large éventail de sources, dont des archives inédites, il a écrit une réinterprétation puissante et convaincante de la guerre d’indépendance américaine.

La Contre Révolution de 1776 met en lumière des faits fondamentaux qui avaient été jusque là ignorés ou inconnus – nous révélant ainsi sur les origines de cette république nombre de d’éléments nécessaires à la compréhension de notre situation actuelle.

Un rabbin que Dieudonné devrait inviter à discuter

19 janvier 2014

Les Juifs hollandais, souvent originaires de la péninsule ibérique, contrôlaient, nous dit-on dans l’article que je vous propose, 17 % du commerce dans la Caraïbe néerlandaise. 17 % c’est beaucoup pour une communauté qui devait représenter une infime fraction de la population des Pays bas à l’époque (la grande migration des Juifs ashkénazes n’avait pas encore eu lieu),

Et dans ce commerce, il y avait celui des esclaves dont l’écho persiste à ce jour aux Pays Bas dans une tradition vivace lors des fêtes de Noël où le Père Noël est flanqué d’un esclave, Pierre le Noir (« Zwarte Piet » en néerlandais). Cette tradition témoigne de la place qu’occupe l’esclavage dans la mémoire collective des Pays Bas, une mémoire partagée par les Juifs qui, s’ils s’abstiennent de mettre en scène le Père Noël (Saint Nicolas) ont intégré Pierre le Noir dans « Hanuklaas », probablement donc en lien avec la fête juive de Hanoucca.

Saint Nicolas et Pierre le Noir (Zwarte Piet)

Saint Nicolas et Pierre le Noir (Zwarte Piet)

La reconnaissance de ce rôle juif dans le commerce des esclaves est apparemment un sujet que le judaïsme hollandais officiel refuse d’aborder même si, d’un autre côté, on n’hésite pas à célébrer la splendeur de ceux qui firent leur fortune par cette activité.

Et ce n’est pas un hasard si le rabbin qui souhaite faire le point sur cette période de l’histoire des Juifs hollandais est aussi partisan d’un dialogue avec les Musulmans et s’oppose à leur diabolisation.

Il est vrai que reconnaître clairement le rôle majeur des marchands juifs dans le négoce des esclaves est de nature à contredire l’image d’une minorité confessionnelle éternelle victime sous toutes les latitudes.

Ce qui ne va pas pas dans le sens des besoins propagandistes du sionisme pour qui il est important de cultiver cette image de perpétuelle victime censée justifier le déploiement de force brute de s terroristes sionistes contre le peuple palestinien en Cisjordanie et à Gaza.

Manifestation de protestation contre la tradition de« Zwarte Piet »

Quel degré de culpabilité pour les Juifs hollandais dans le commerce des esclaves ?

par Cnaan Liphshiz et Iris Tzur, Jewish Telegraphic Agency 26 décembre 2013 10 traduit de l’anglais par Djazaïri

 LA HAYE, Pays-Bas (JTA) – Dans une rue passante près du Parlement néerlandais, trois musiciens blancs aux visages peints en noir régalent les passants avec des airs de fêtes qui évoquent le Père Noël néerlandais, Sinterklaas, et son esclave, Pierre le Noir.

Beaucoup de Hollandais de souche considèrent que se déguiser en Pierre le Noir au mois de décembre est une tradition vénérable, mais d’autres le considèrent comme un affront raciste aux victimes de l’esclavage. Avec la commémoration du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Hollande cette année, la controverse sur Pierre le Noir a atteint de nouveaux sommets. Des centaines de personnes ont manifesté contre la coutume à Amsterdam le mois dernier, et plus de 2 millions ont signé une pétition en faveur de cette tradition.

De leur côté, les Juifs hollandais – dont certains célèbrent leur propre version de la coutume de Pierre le Noir, appelée «Hanukklaas » – sont généralement restés silencieux.

 Mais les choses ont changé en octobre, quand Lody van de Kamp, un rabbin orthodoxe à la personnalité peu commune a écrit une critique mordante à ce sujet dans Republiek Allochtonie, un site internet hollandais d’information et de d’opinion. « La représentation de Pierre l’esclave » remonte à une époque à laquelle nous, en tant que citoyens, ne répondions pas aux critères qui nous engagent aujourd’hui, » écrivait van de Kamp.

Plaider contre la tradition de Pierre le Noir participe de ce que van de Kamp appelle sa fonction sociale, une mission qui l’amène à rappeler aux Juifs hollandais que l’implication profonde de leurs ancêtres dans le commerce des esclaves. En avril, il doit publier un livre sur la complicité des Juifs hollandais dans le commerce des esclaves, une démarche qui, il l’espère, sensibilisera les Juifs à l’esclavage en général et à la question de Pierre le Noir en particulier.

« J’ai écrit le livre et je me suis lancé dans le débat sur Pierre le Noir à cause de ce que j’ai appris de mes prédécesseurs sur ce qu’être un rabbin veut dire  – à savoir s’exprimer sur des questions de société, pas seulement donner des directives sur la manière de cuisiner pendant le Sabbat, » a déclaré van de Kamp à la JTA.

« De l’argent était gagné par les communautés juives en Amérique du Sud, en partie par l’esclavage, et l’argent partait en Hollande chez les banquiers juifs, » dit-il. « Des non Juifs étaient aussi complices, mais nous aussi. Je me sens en partie complice. »

 Quoique il ne jouisse d’aucun poste officiel dans la communauté juive hollandaise, van de Kamp, 65 ans, est un des rabbins orthodoxes les plus connus aux Pays bas, une notoriété qu’il doit à plusieurs de ses livres sur la communauté juive hollandaise et à sa présence médiatique.

Son prochain livre, un roman historique intitulé « L’esclave juif » va sur les traces d’un marchand juif du XVIIème siècle et de son esclave noir qui enquêtent que plantations propriétés de Hollandais dans le nord du Brésil dans l’espoir de persuader les Juifs de ne plus investir dans le commerce des esclaves. En faisant des recherches pour son livre, van de Kamp a appris des choses qui l’ont choqué.

Dans une partie de ce qui était alors la Guyane hollandaise [Surinam aujourd’hui, NdT], 40 plantations appartenant à des Juifs accueillaient une population totalisant au moins 5 000 esclaves, dit-il. Connue sous le nom de Jodensavanne, ou Savane Juive, cette région avait une communauté juive de plusieurs centaines de personnes avant sa destruction lors d’un soulèvement d’esclaves en 1832. Presque tous [les Juifs] émigrèrent en Hollande en emportant avec eux leurs richesses accumulées.

Une partie de ces richesses a été exposée l’an dernier dans la cave de la synagogue portugaise d’Amsterdam dans le cadre d’une exposition dédiée à la richesse des immigrants qui avaient fondé la synagogue.Van de Kamp explique que c’est cette exposition qui a éveillé son intérêt pour le rôle des Juifs hollandais dans l’esclavage, un rôle important.

Dans l’île caribéenne de Curaçao, les Juifs hollandais ont été responsables de la revente d’au moins 15 000 esclaves acheminés par des marchands hollandais du commerce transatlantique, selon Seymour Drescher, un historien de l’université de Pittsburgh. A un moment donné, les Juifs contrôlaient 17 % du commerce caribéen dans les colonies hollandaises, précise Drescher.

Les Juifs étaient si influents dans ces colonies que les ventes aux enchères d’esclaves qui tombaient au moment de fêtes juives étaient souvent reportées, selon Marc Lee Raphael, professeur d’études judaïques à la faculté de William & Mary.

Aux Etats Unis, le rôle des Juifs dans le commerce des esclaves a été l’objet d’un débat scientifique pendant près d’une vingtaine d’années, stimulé en partie par les efforts pour réfuter les thèses de la Nation of Islam selon lesquelles les Juifs dominaient le commerce transatlantique es esclaves. Mais en Hollande, on discute rarement de la question de la complicité juive.

« C’est parce que nous, aux Pays Bas, n’avons fait que profiter de l’esclavage mais ne l’avons pas vu de nos propres yeux, » explique van de Kamp. « Mais l’expérience américaine est différente. »

La question de l’esclavage n’est pas la première incursion de van de Kamp dans un domaine controversé. Dans les milieux juifs, il a la réputation d’un anticonformiste avec un penchant pour l’expression de points de vue anti-establishment.

 Une image qui s’est renforcée l’an dernier quand il a pris position contre un compromis conclu entre la communauté juive et le gouvernement [néerlandais] sur l’abattage rituel [casher]. Conçu pour éviter une interdiction totale, l’accord mettait certaines restrictions à l’abattage rituel qui ne sont pas contraires à la loi juive selon les grands rabbins de Hollande. Van de Kamp a dénoncé cet accord en tant que entrave inacceptable à la liberté religieuse.

Plus récemment, il a mécontenté des militants hollandais en soutenant que la diabolisation des Musulmans contribuait à générer de l’antisémitisme. Il a aussi plaidé pour le dialogue avec les Musulmans ouvertement antisémites [c.à.d. probablement antisionistes, NdT] à un moment où les organisations juives appelaient à les poursuivre e justice.

Mais sa réputation de rabbin non-conformiste dans une communauté portée sur le consensus a aussi valu quelques partisans à van de Kamp.

« Il est dans sa propre organisation, » explique Bart Wallet, un historien de l’université d’Amsterdam spécialiste d’histoire juive. « Depuis sa position un peu en marge il est libre de critiquer et n’a pas à se conformer à quoi que ce soit, »

Lincoln: ce que Steven Spielberg a omis dans son film

15 avril 2013

Je vous propose une critique du film Lincoln réalisé par Steven Spielberg d’un genre que vous aurez rarement l’occasion de lire ou d’entendre dans les médias grand public même si André Kaspi va assez loin sur le volet historique.

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Regardez donc avec vos deux yeux M. Spielberg!

Le texte en est tiré du site internet de The Nation of Islam (NOI) de Louis Farrakhan, une organisation souvent présentée comme antisémite.

Pourtant, l’article rédigé par un «groupe de recherche » de The Nation of Islam ne se réfère qu’à des faits aisément vérifiables, notamment si on a accès à des sources universitaires.

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Siège national de la Nation Of Islam à Chicago

Sans aller jusqu’àse rendre dans une BIU où il me faudrait de toute façon faire fonctionner les systèmes de consultation et de prêt interuniversitaires, on peut quand même corroborer les assertions de l’équipe de la NOI.

On trouve par exemple dans le Washington Post un article d’un certain A. James Rudin qui traite de l’ordre d’expulsion des Juifs donné par le général Ulysses Simpson Grant.

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Ulysses S. Grant

Le fait est que les Juifs des Etats confédérés étaient farouchement attachés à l’esclavage d’autant que leur prospérité dépendait largement de l’économie de plantation. Et, comme l’écrit Robert N. Rosen,

« le vieux Sud était remarquablement libre de préjugés contre les Juifs.»

On peut dire que la chose était normale dans la mesure où la qualité de sous-humains des esclaves faisait l’unanimité.

Un phénomène qui n’avait pas échappé au journaliste Israel Joseph Benjamin (cité par Robert N. Rosen) qui écrivait en 1859 :

Les Etats du Sud, cependant, pour des raisons naturelles, surpassaient par bien des aspects les Etats du nord en matière d’hospitalité. Les habitants blancs se ressentaient comme unis et plus proches des autres blancs – par opposition aux noirs. Dans la mesure où l’Israélite là-bas ne faisait pas le genre de travaux ingrats qu’effectuait le Noirs, il était rapidement admis dans la haute société et accédait facilement à des fonctions politiques élevées. Pour cette raison, jusqu’à présent, c’était seulement le Sud qui envoyait des Juifs au Sénat.

C’était, on l’a compris, une affaire avant tout de classe puisque les Irlandais étaient dans le même temps généralement mal vus.

Jacques Attali parle du rôle important de Mayer Lehman dans le financement de l’armée confédérée, mais comme l’indique l’article Mayer Lehman n’était pas seulement un courtier en coton, c’était aussi un politique qui eut pour mission pendant la guerre de sécession de s’occuper de ce qui concernait les prisonniers sudistes aux mains de l’Union.

 Judah P. Benjamin, cité dans l’article, avait effectivement assumé de très hautes fonctions dans le gouvernement confédéré: ministre de la justice, ministre de la guerre et Secrétaire d’Etat.

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Judah P. Benjamin

Le nom de Judah P. Benjamin est évoqué par l’écrivain Stephen Vincent Benét dans son poème John Brown’s Body (au sujet de John Brown, voir ici) qui lui valut le prix Pulitzer en 1929 :

Judah P. Benjamin, le Juif élégant,

Barbe fine, les yeux noirs, avocat et épicurien,

Capable, le bien haï, le visage plein de vie,

Balaya d’un regard négligent la salle du Conseil avec le petit

Sourire perpétuel qu’il arborait toujours

Sans cesse comme une façade de soie côtelée.

Derrière la façade, son esprit vif, fluide et subtil

Soupesait les Gentils dans une antique balance.

 Quant à Emile Erlanger (ou d’Erlanger), non content d’avoir participé au financement des Confédérés, il a aussi été à l’origine de l’arnaque qui a ruiné le beylicat de Tunis, précipitant la mise sous tutelle de la Tunisie par la France ! (l’Algérie avait auparavant été victime  des agissements d’autres banquiers…).

On peut certes reprocher à la NOI d’omettre le fait que les Juifs qui étaient beaucoup plus nombreux dans les Etats de l’Union que dans la Confédération, professaient des opinions divergentes sur l’esclavage et que certains d’entre eux (cf ce qu’en dit notamment Jacques Attali) s’étaient activement employés à soutenir l’effort de guerre contre les Etats du Sud.

Le Lincoln de Spielberg: beaucoup de noirs, mais pourquoi aucun juif?

Par NOI Research Group, NOI (USA) 29 novembre 2012

Dans son film Lincoln, le cinéaste Spielberg présente une période décisive de l’holocauste des noirs (Black Holocaust] de la manière dont il pense que les noirs devraient la comprendre. Spielberg, qui est juif, a soigneusement filmé archivé les récits des survivants de l’holocauste juif pour sa Shoah Foundation afin de préserver le souvenir exact de leurs expériences. Mais alors pourquoi Spielberg est-il si complètement sénile dans sa représentation d’une époque si importante pour les noirs américains ? Pourquoi par exemple se sent-il le droit de promouvoir un conte de fée en guise d’histoire de la Guerre Civile et de l’esclavage des noirs, mais ignore étrangement le rôle essentiel joué par ses propres coreligionnaires dans la guerre de sécession, une guerre au cours de laquelle les juifs ont joué un rôle extrêmement important et fondamental ?

Ce n’est pas un simple oubli. Spielberg fait appel à des chercheurs et à des historiens de haut niveau pour garantir la conformité [aux faits] de ses productions et s’assurer que sa race est représentée avec dignité et respect. Lincoln, le film, parle de la promulgation du 13ème amendement, un décret constitutionnel qui devait marquer la «fin de l’esclavage.» Mais exactement comme la partie de la Déclaration d’Indépendance précisant que «Tous les hommes sont créés égaux,» le malheureux 13ème amendement fut tout simplement ignoré. – et l’esclavage continua sans relâche sous d’autres formes. Quand les hostilités cessèrent, les deux camps se réconcilièrent et s’entendirent bientôt pour organiser un système économique beaucoup plus efficace que l’esclavage – à savoir le métayage, la servitude pour dettes et les travaux forcés. Quelqu’un devait bien planter, cultiver et cueillir le coton, le maïs, le blé et la canne à sucre, construire les voies ferrées et les ponts, et charger et décharger les bateaux qui alimentent le commerce international.

Spielberg veut conforter la fiction selon laquelle un document seul a suffi à exonérer l’Amérique [de son crime] et a mis fin pour toujours à un système grâce auquel son peuple a pu devenir si riche. Prenons comme exemple le Hollywood de Spielberg. Il est qualifié de juif par l’universitaire juif Neal Gabler, «un empire qui leur appartient» en référence aux magnats juifs qui dirigeaient tous les grands studios [NdT : L’Express titrait «Hollywood, c’est un idéal d’Européens !»  en omettant de préciser de «juifs européens» comme l’explique pourtant son article en long et en large]. Hollywood est le produit des investissements effectués par la tristement célèbre compagnie bancaire Lehman Brothers. Dans les années 1850, l’immigrant Mayer Lehman fut désigné par le gouverneur pour gérer TOUT le coton en Alabama – ce qui voulait dire qu’il avait la charge de tous les esclaves noirs africains. Sa famille avait fait tellement d’argent avec le travail servile qu’elle s’était opposée farouchement aux tentatives de Lincoln pour mettre un terme à l’esclavage des noirs. Avec leurs profits tirés du négoce du coton, ils partirent s’installer à New York et se lancèrent dans la banque pour finalement financer les «empires» du cinéma de Spielberg et des ancêtres.

Retour au film: Le Lincoln de Spielberg s’ouvre sur une scène brutale de combat au corps à corps dans les dernières phases de la Guerre Civile. Mais sans l’apport financier d’un banquier juif nommé Emile Erlanger cette ultime partie de la Guerre Civile n’aurait jamais eu lieu. En mars 1863 (3 mois après la proclamation d’Emancipation), Erlanger avait prêté 7 millions de dollars à la Confédération (environ 125 millions de dollars en monnaie actuelle) sans lesquels le Sud n’aurait pas pu payer, nourrir ou habiller ses soldats, ni acheter ses navires de guerre, ses armes et ses munitions. Elle aurait dû capituler. Erlanger espérait obtenir du Sud du coton à bas prix si les rebelles réussissaient à maintenir l’esclavage. On peut affirmer sans risque de se tromper qu’une bonne moitié des 700 000 soldats tués auraient pu être épargnés si la Confédération n’avait pas eu des fonds pour continuer la guerre. Peu importe si de nombreux africains n’auraient plus été importés comme esclaves si cette période sanglante avait été abrégée. Spielgerg a ignoré ces malheureux détails.

Mais il y a plus : Erlanger avait réalisé la transaction par l’intermédiaire d’un avocat juif propriétaire d’esclaves en Louisiane nommé Judah P. Benjamin qui cumulait les postes de vice président et de ministre de la guerre de la Confédération ! Il avait la réputation d’être le «cerveau de la Confédération.» Sa notoriété auprès des propriétaires d’esclaves était telle que son portrait figurait sur leur monnaie ! Benjamin n’a apparemment pas passé le cap de l’audition chez Spielberg puisqu’il n’est pas dans le film. Benjamin a fui l’Amérique en emportant de nombreuses balles de coton avec lui pour financer sa vie à l’étranger. Après la guerre, il s’est servi des profits engrangés gra^ce au coton cueilli par les esclaves pour investir dans une nouvelle start-up – une organisation terroriste connue sous le nom de Ku Klux Klan !

Et il y a plus: le sénateur de Floride David Yuleee n’a pas passé le stade de l’audition non plus. Il était le premier sénateur juif de l’histoire des Etats Unis – et un fervent partisan de l’esclavage ainsi qu’un promoteur agressif de «l’éradication» des Indiens. En 1861, Yulee prononça le premiers discours au Sénat pour annoncer la sécession d’un Etat du sud.

D’autres notables manquent dans le film comme August Belmont, un banquier juif de New York qui était le président du parti Démocrate [esclavagiste à l’époque, NdT]. Il fut le directeur de campagne de Stephen A. Douglas, l’opposant pro esclavagiste de Lincoln pendant sa dernière campagne présidentielle. Belmont décriait l’abolitionnisme, dénonçant ce qu’il appelait la «politique fatale [de Lincoln] de confiscation et d’émancipation forcée.» Une autre personnalité juive américaine importante était le religieux le mieux payé d’Amérique, le rabbin newyorkais Morris Raphall qui aidait et tranquillisait les propriétaires d’esclaves en déclarant publiquement que Dieu lui-même soutenait l’esclavage. Lorsque le rabbin David Einhorn avait dit que les noirs devraient être mieux traités, il avait été expulsé en pleine nuit de sa synagogue de Baltimore – par sa propre congrégation juive !

Et puis il y avait ces marchands juifs qui importaient clandestinement le précieux coton du sud alors même que Lincoln avait ordonné le blocus. Ce commerce illégal donnait au Sud l’argent dont il avait besoin pour combattre les troupes de l’Union. Ils étaient si nombreux à causer tant de dommages à la cause de l’Union que le général Ulysses S. Grant avait essayé d’expulser tous les Juifs de la région ! Ces contrebandiers Juifs qui soutenaient l’esclavage  n’ont pas trouvé non plus leur place dans le film de Spielberg.

Spielberg veut nous faire croire que les noirs étaient le principal problème du président Lincoln, mais Lincoln avait beaucoup de soucis avec les Juifs de son époque. Un officiel appartenant à l’administration Lincoln considérait effectivement la principale organisation juive, le B’nai Brith comme une «organisation déloyale» qui «aidait les traitres.»

Quand Salomon de Rothschild, un membre de la plus grande famille de banquiers dans le monde, vint en Amérique, il déclara que s’il était Américain, il serait «un partisan résolu de l’esclavage [Staunch Slavery Man],» et il exhorta sa famille à aider la Confédération. Et si Spielberg présente Lincoln en bon grand-père qui raconte des histoires dans style d’Esope, Rothschild n’était pas d’accord et le dénonçait comme ayant «l’apparence d’un rustre juste capable de raconter des histoires pour les salons mondains.»

Les femmes juives manifestaient le même mépris à l’égard du président, ainsi que l’a observé le professeur Albert Mordell : elles «étaient plus virulentes dans leur haine de Lincoln et plus fanatiques dans leur parti pris pour la Confédération que les hommes.» En fait, les Juifs étaient si fanatiques qu’un autre universitaire juif demandait ému, «Quel phénomène sociologique a pu amener les Juifs du Sud à lutter avec tant d’ardeur pour le principe de l’esclavage ? Pourquoi était-il prêt à sacrifier sans difficulté sa vie pour une cause qu’il savait contraire aux principes de la religion ?… Ici, dans le Sud, les Juifs ont combattu volontairement et avec joie.»

 On ne trouvera pas la réponse à cette question dans le film de Spielberg mais dans l’Encyclopédie Juive : «Les plantations de coton en beaucoup d’endroits du Sud étaient entièrement entre les mains de Juifs et, en conséquence, l’esclavage avait des partisans parmi eux.» Dans son livre «Fate of the Jews [le destin des Juifs], Roberta Feurlicht conclut avec franchise : «Non seulement il y avait un nombre disproportion de Juifs propriétaires d’esclaves, négociants en esclaves et préposés à la vente aux enchères d’esclaves, mais quand on traçait une ligne de séparation entre les races, ils étaient du côté blanc.»

On peut donc comprendre pourquoi le film de Steven Spielberg sur la fin supposée de l’esclavage des noirs devait être tourné sans personnages juifs. L’image soigneusement conçue mais totalement fausse des Juifs venus à l’aide des noirs aurait été remise en cause pour toujours. Leur non participation  aux efforts de Lincoln pour aboutir à l’émancipation des noirs est probablement le seul fait historique exact de ce film.

Et comme le film de Spielberg de 2012 doit encore décrire les noirs seulement en tant que domestiques, bonnes, majordomes, cochers et concubines, peut-être que les noirs devraient y réfléchir et s’intéresser à la plus profonde déclaration de Lincoln. Il a dit : «L’aspiration des hommes est de jouir de l’égalité avec les meilleurs quand ils sont libres, mais sur ce vaste continent pas un seul homme de votre race n’est à l’égal d’un seul homme de la nôtre… Il vaut donc mieux pour nous tous d’être séparés.»

Voilà qui ferait un grand film.

1865: l’ancien esclave Jourdon Anderson répond à la lettre de son ancien maître

1 février 2012

Ce que je vous propose ici n’a pas grand chose à voir avec les thèmes que j’aborde habituellement, mais m’a paru particulièrement digne d’intérêt 

Il s’agit d’une lettre qu’un certain Jourdon Anderson a écrite en 1865. Jourdon Anderson était un ancien esclave émancipé suite à la guerre de sécession et qui répond à son ancien maître  (dont il porte le patronyme) qui lui demande de revenir à son service.

Cette réponse est un modèle du genre par la finesse et le sens de la dignité qui la caractérisent. Elle donne aussi un aperçu de ce que peut être la conscience de classe.

Dayton, Ohio,

7 août 1865

A mon ancien maître, le colonel P.H. Anderson, Big Spring, Tennessee

Monsieur: J’ai reçu votre lettre et j’ai été content de découvrir que vous n’avez pas oublié Jourdon, et que vous voudriez que je revienne pour vivre à nouveau avec vous, en me promettant de faire mieux pour moi que ce que quiconque pourrait faire. Je me suis souvent senti mal à l’aise à votre sujet. Je pensais que les Yankees vous avaient pendu depuis longtemps, pour avoir hébergé les rebelles [les confédérés] qu’ils avaient découvert dans votre maison. Je suppose qu’ils n’avaient pas entendu parler de vous, allant chez le colonel Martin pour tuer le soldat de l’Union qui avait été laissé dans son étable par sa compagnie.

Bien que vous m’ayez tiré dessus à deux reprises avant que je vous quitte, je ne vous voulais pas de mal et je suis heureux de constater que vous êtes encore en vie. Ca me ferait du bien de revenir dans cette chère vieille maison, et de voir Mlle Mary et Miss Martha, et Allen, Esther, Green et Lee. Transmettez leur à tous mon affection, et dites leur que j’espère que nous nous rencontrerons dans un monde meilleur, si ce n’est dans celui-ci. Je serais bien revenu vous voir tous quant je travaillais à l’hôpital de Nashville, mais un des voisins m’avait dit que Henry [le colonel, NdT] avait l’intention de me tuer s’il en avait l’occasion.

Je veux que vous sachiez à quel point votre proposition représente une bonne opportunité pour moi. Je me débrouille assez bien ici. Je gagne 25 $ par mois, plus la nourriture et l’habillement ; j’ai un foyer confortable pour Mandy, – les gens d’ici l’appellent Mme Anderson – et les enfants – Milly, Jane et Grundy – vont à l’école et travaillent bien. Le professeur dit que Grundy est fait pour être prédicateur. Ils vont à l’école du dimanche, et Mandy et moi allons régulièrement à l’église. Nous sommes considérés avec respect. Nous entendons parfois des gens dire, « Ces gens de couleur étaient des esclaves là-bas dans le Tennessee ». Les enfants se sentent mal à l’aise quand ils entendent ce genre de propos, mais je leur dis que ce n’était pas une honte dans le Tennessee d’appartenir au colonel Anderson. Beaucoup de noirauds auraient été fiers, comme je l’étais, de vous appeler maître. Maintenant, si vous m’écriviez pour me dire quelle rémunération vous me donneriez, je serais plus à même de décider s’il serait à mon avantage de revenir.

Quant à ma liberté, dont vous dites que je peux l’avoir, il n’y a aucun gain possible de ce côté puisque j’ai obtenu mes papiers d’émancipation en 1864 auprès du Prévôt Général de Nashville. Mandy dit qu’elle aurait peur de revenir sans quelques preuves que vous être disposé à nous traiter avec justice et bonté, et nous avons convenu de tester votre sincérité en vous demandant de nous envoyer nos appointements pour la période pendant laquelle nous vous avons servi. Ce qui nous permettra de solder de vieux comptes et de nous fier à cotre sens de la justice et à votre amitié à l’avenir. Je vous ai servi fidèlement pendant 32 ans, et Mandy pendant 22 ans. A 25 $ mensuels pour moi, et 3 $ la semaine pour Mandy, les arriérés de salaires devraient s’élever à 11 608 dollars. Si on  ajoute les intérêts pour la période pendant laquelle nos appointements ne nous ont pas été versés, et si on déduit ce que vous avez payé pour notre habillement, et trois visites du médecin pour moi et l’extraction d’une dent pour Mandy, le solde montrera ce à quoi nous avons droit en toute justice. Envoyez s’il vous plait l’argent via Adams Express aux bons soins de V. Winters, Esq., Dayton, Ohio. Si vous ne payez pas nos loyaux services d’autrefois, nous ne pourrons avoir que faiblement confiance en vos promesses pour l’avenir.

Nous sommes certains que le Créateur dans sa bonté vous a ouvert les yeux sur tout le tort que vous et vos ancêtres avez causé à moi-même et à mes ancêtres, en nous faisant travailler pour vous pendant des générations sans récompense. Ici, j’empoche mon salaire chaque samedi soir ; mais sans le Tennessee, il n’y avait jamais de jour de paye pour les nègres pas plus que pour les chevaux ou les vaches.

 Le jour viendra certainement où ceux qui privent les travailleurs de leurs droits devront rendre des comptes.

Passez le bonjour à George Carter, et remerciez-le de vous avoir pris le pistolet avec lequel vous me tiriez dessus.

Votre ancien domestique,

Jourdon Anderson

Traduit de l’anglais par Djazaïri

Texte publié par «Letters of Note» (USA) 30 janvier 2012


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