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Traduction de l’article du New Yorker: « Comment le scandale Tariq Ramadan a fait dérailler le mouvement #Balancetonporc en France »

2 décembre 2017

L’affaire Harvey Weinstein a amené une certaine libération de la parole aux Etats Unis chez des femmes, comédiennes, journalistes etc., qui ont été victimes d’abus sexuels, allant de la main aux fesses au viol caractérisé, de la part d’hommes puissants, producteurs, présentateurs TV, politiciens et même acteurs.

Cette libération de la parole a traversé l’Atlantique pour s’inviter en France mais, du fait de la personnalité d’un des hommes ciblés par une puis plusieurs accusations, le débat public a rapidement dérivé de l’oppression exercée sur des femmes par des hommes puissants, le plus souvent avec la complaisance du système politico-médiatique, vers la stigmatisation d’une oppression de la gent féminine qui serait une spécificité de l’Islam.

L’accusé en question est évidemment Tariq Ramadan, bête noire de la droite traditionnelle mais aussi de la gauche laïcarde qu’incarnent des personnalités comme Caroline Fourest et manuel Valls.

Cette dérive est analysée de manière précise par Adam Shatz dans un article qui a rencontré un écho certain chez ceux qui, tout en admettant évidemment que M. Ramadan soit sanctionné pénalement si les faits qui lui sont reprochés sont avérés, n’acceptent pas que les errements réels ou supposés de l’islamologue suisse soient l’occasion d’une accentuation de la campagne qui vise à stigmatiser la communauté musulmane française ou même au rejet de toute démarche venue de l’intérieur de l’Islam visant à mobiliser les membres d’une communauté en vue de l’exercice d’une citoyenneté respectueuse des lois du pays tout en vivant harmonieusement sa foi.

Je le dis d’autant plus aisément que, même si je ne suis pas du tout musulman pratiquant, je comprends parfaitement les enjeux considérables qu’a pointés mieux que beaucoup d’autres Tariq Ramadan. Adam Shatz rappelle à juste titre que ce qui a suscité la haine féroce que vouent des personnes comme Caroline Fourest à l’encontre de Tariq ramadan c’est qu’il a souligné la possibilité de concilier citoyenneté française et spiritualité musulmane sur la base du fait que l’Islam et la communauté musulmane, les Musulmans eux-mêmes, sont des données de la société française et non des éléments allogènes.

Or la représentation de l’Islam comme un phénomène allogène est ce qui permet à certains d’en parler en des termes qui scandaliseraient s’ils portaient sur une autre communauté religieuse et d’exiger, eux les « laïques », que cette religion se naturalise en quelque sorte.

Les accusations contre Tariq Ramadan, si elles correspondent à la réalité, et même si ce n’est pas le cas sans doute, risquent de porter un coup fatal à une approche qui, loin du prétendu double-discours dénoncé par Caroline Fourest, propose un socle minimal pour que tous les habitants de ce pays puissent cheminer ensemble quelles que soient leurs convictions religieuses.

Cette affaire a cependant permis aussi de constater de manière claire que Tariq Ramadan n’a pas que des amis parmi les Musulmans. Son discours est en effet jugé trop conservateur pour ceux qui prétendent concilier leur foi avec des valeurs de gauche, trop progressiste pour d’autres tel le fameux « Etat Islamique » pour qui M. Ramadan est un apostat.

J’ignore si M. Ramadan est coupable d’un ou plusieurs des crimes et délits dont on l’accuse. J’espère que non, mais la justice doit passer et si crime il y a il ne doit pas rester impuni.

Certes, M. Ramadan ne renvoie pas l’image d’un agresseur sadique mais c’est le propre de certains délinquants, sexuels ou autres, de renvoyer une image lisse et de garder un calme semble-t-il à toute épreuve tant que leur culpabilité n’a pas été démontrée. Et encore…

Comment le scandale Tariq Ramadan a fait dérailler le mouvement #Balancetonporc en France

par Adam Shatz, The New Yorker (USA) 29 novembre 2017 traduit de l’anglais par Djazaïri

Peu après la formation du mouvement #MeToo aux Etats Unis, en réaction au scandale Harvey Weinstein, « #Balancetonporc  » a surgi en France. L’effet en a été un coup sans précédent porté à ce que Sabrina Kassa  a appelé le « ventre patriarcal » d’un pays où le harcèlement et d’autres crimes sexuels ont souvent été dissimulés ou balayés par un discours gaulois sur le flirt et le libertinage.. En 2008, Dominique Strauss-Kahn, qui était le Président Directeur Général du Fonds Monétaire International (FMI), avait été l’objet d’une enquête interne du FMI suite à des allégations selon lesquelles il aurait contraint une subordonnée à avoir des relations sexuelles avec lui. Bien qu’il se soit excusé pour une « erreur de jugement », la presse française avait célébré en lui « le grand séducteur. » S’il n’avait pas été arrêté à New York en 2011 sur des accusations (qui seront ensuite abandonnées) d’avoir violé Nefissatou Diallo, une femme de chambre, dans la suite présidentielle de l’hôtel Sofitel, Strauss-Kahn, une personnalité influente du Parti Socialiste, aurait pu être élu président de la France en 2012.

Le mouvement #Balancetonporc a dénoncé des personnalités du monde des affaires, du divertissement et des médias, mais le scandale le plus médiatisé a été celui de Tariq Ramadan, un intellectuel et activiste musulman accusé de viol et d’abus sexuels par plusieurs femmes. (Ramadan nie toutes ces allégations) Ramadan est une figure controversée en France depuis plus d’une vingtaine d’années – une sorte écran projectif, ou de test de Rorschach pour les angoisses nationales autour de la « question musulmane ». Comme Strauss-Kahn, il a souvent été dépeint comme un séducteur, mais cette caractérisation n’était pas entendue comme un compliment : il est accusé depuis longtemps d’avoir dangereusement envoûté les jeunes membres de la population musulmane française, fragilisant ainsi leur acceptation es normes françaises, en particulier celles qui touchent à la laïcité, au genre et à la sexualité.

Né en 1962 en Suisse, Ramadan est le fils de Saïd Ramadan, un dirigeant exilé des Frères Musulmans qui était le gendre d’Hassan al-Banna, le fondateur de la confrérie. Tariq Ramadan, qui n’est pas membre des Frères Musulmans, est néanmoins un conservateur religieux – un « salafiste réformiste » selon ses propres termes – qui prêche depuis longtemps les vertus de la pudeur chez les femmes dans l’habillement et le comportement sexuel. (Son frère Hani Ramadan est connu pour son approbation de la lapidation des femmes adultères, sa haine des homosexuels et sa conviction que les attentats du 11 septembre étaient une conspiration occidentale)

Dans les années 1990, Tariq ramadan a attiré un public parmi les Musulmans français, aussi bien dans les banlieues que dans les classes moyennes. Son message était simple, révolutionnaire et électrisant : l’islam faisait déjà partie de la France, et donc les citoyens musulmans n’avaient nulle obligation de choisir entre leurs identités. Ils pouvaient pratiquer leur foi librement, même de façon stricte, et pourtant rester Français tant qu’ils respectaient les lois du pays. Les Musulmans français, soutenait-il, devaient dépasser leur « mentalité de victimes » et se prévaloir en même temps de leur foi et de leur francité. Dans le même temps, la France devrait reconnaître que l’islam est une religion française ; les citoyens musulmans n’ont guère besoin d' »assimilation » dans un pays qui est déjà le leur, une notion paternaliste enracinée dans l’histoire coloniale de la France. Il ne contestait pas la laïcité, la modalité française de la sécularisation, mais il affirmait qu’elle était appliquée de manière discriminatoire contre les Musulmans, en particulier en matière de port du foulard qui a été en définitive interdit dans les écoles publiques en 2004.

Ramadan, avec sa barbe élégamment taillée, ses vestes de sport et ses chemises ouvertes, offre une silhouette charismatique et plutôt lisse. (Il a sans doute l’inspiré le personnage de Mohamed Ben Abbes, le Musulman qui devient président de la France dans le roman de Michel Houellebecq  » Soumission. »)  Sorte de Bernard-Henri Lévy musulman, il semblait être aussi à l’aise avec le jargon de l’intellectualisme parisien qu’avec celui du Coran. Bien que n’étant pas de gauche, Ramadan a gagné le respect de certaines de ses personnalités les plus prestigieuses, dont Edwy Plenel, l’ancien rédacteur en chef du Monde et fondateur et rédacteur en chef de Mediapart ; Alain Gresh, l’ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique ; et le sociologue Edgar Morin. Lorsque Ramadan prenait la parole, des politiciens et des journalistes, des célébrités et des commerçants musulmans, des imams et des militants altermondialistes l’écoutaient. Au début des années 2000, il jonglait avec tant de publics que, comme l’avait dit l’expert de l’Islam Bernard Godard, un ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, il semblait être en même temps « partout ». . . et nulle part.

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Puis, en 2003, au sommet de son influence, la démarche de Ramadan pour se rapprocher de l’intelligentsia française a commencé à se déliter. Il avait d’abord provoqué un tollé avec un article accusant un groupe d’intellectuels « juifs » de renom – dont l’un n’était pas, en fait, juif – d’avoir abandonné les principes universalistes pour défendre les intérêts juifs et israéliens. L’indignation avait été encore plus forte quand, pendant un débat télévisé avec Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre de l’Intérieur, il avait déclaré être en faveur d’un « moratoire », mais pas d’une interdiction, de la lapidation des femmes en cas d’adultère. Ramadan avait dit clairement être personnellement opposé à cette pratique mais, en tant que théologien musulman avait-il expliqué, « Vous ne pouvez pas décider tout seul d’être progressiste sans les communautés, c’est trop facile. »

Dans « Frère Tariq », un livre publié en 2004, la journaliste Caroline Fourest avait dressé le portrait scabreux d’un Ramadan membre irréductible des Frères Musulmans qui « joue sur la faiblesse de la démocratie pour promouvoir un projet politique totalitaire ». Peu importe si Ramadan n’a pas fait mystère de ses convictions, même sur ce problème controversé de la lapidation : il pratiquait ce que Mme Fourest qualifiait de « double discours ». S’il plaidait pour le respect de la loi française à côté de l’observance de l’Islam, c’était une preuve supplémentaire de ses intentions malveillantes. Depuis lors, l’élite française en est venue à considérer Ramadan comme un danger, qui pousse les Musulmans marginalisés des banlieues agitées à l’islamisation et même vers le djihadisme. Ramadan a eu des difficultés à organiser des réunions publiques avec ceux qui le soutiennent en France ; sa tentative l’an dernier de demander la citoyenneté française (sa femme est de nationalité française) a échoué. En 2009, il a pris une chaire à Oxford – financée par l’émirat du Qatar à travers une de ses fondations – et il passe maintenant beaucoup de temps à Doha où il dirige un centre de droit et d’éthique islamiques subventionné par le gouvernement. Ces temps-ci, ses interlocuteurs ont plus de chance d’être des clercs orthodoxes que des intellectuels européens.  La plupart des Musulmans français se sont soit lassés de son culte de la personnalité un peu lourd, soit détournés de lui. Quant aux djihadistes de l’Etat Islamique (Daesh) avec lesquels certains théoriciens du complot de droite pensent qu’il est de mèche, ils l’ont condamné pour apostasie à cause de sa croyance en la démocratie.

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Caroline Fourest

Ramadan semblait sur le point de devenir un has-been-quoique avec deux millions de fans sur Facebook – quand, le 20 octobre, une musulmane de quarante ans nommée Henda Ayari l’a publiquement accusé, entre autres, de l’avoir violée dans une chambre d’hôtel à Paris en 2012. Mme Ayari, qui a depuis reçu des menaces de mort, est une ancienne salafiste qui a rompu avec l’Islam et est devenue une féministe engagée et laïque à la française. Elle est une sorte d’héroïne dans les cercles d’extrême-droite de la fachosphère, où l’islamophobie est un ticket d’entrée. (« Soit tu es voilé, soit tu es violée », a-t-elle dit sur la condition des femmes dans l’Islam.) Les affiliations politiques d’Ayari ont fait se froncer quelques sourcils, mais une semaine plus tard, une femme identifiée par le prénom « Christelle », une Française convertie à l’Islam, affirmait que Ramadan l’avait violée dans une chambre d’hôtel en 2009. Sept jours plus tard, de nouvelles accusations ont été portées, cette fois par trois anciennes étudiantes de Ramadan que ce dernier aurait violées quand elles étaient âgées entre quinze et dix-huit ans. Selon de nombreuses sources, les récits [d’agressions sexuelles] se multiplient.

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Henda Ayari avant (à droite) et après

Et pourtant, l’affaire Ramadan n’a jamais porté simplement sur le fait de savoir si Ramadan avait ou non commis les crimes dont il est accusé, ni même sur les souffrances qu’il aurait infligées à ses accusatrices. Ramadan, qui s’est mis en congé d’Oxford, dit être victime d’une campagne de diffamation. Ses plus proches partisans ont hurlé à la conspiration sioniste, une théorie reprise par Hani, son fondamentaliste de frère. Les adversaires de Ramadan dans l’establishment français ont vite fait de s’emparer de ces accusations comme d’une bonne occasion pour discréditer leurs propres détracteurs. Le 5 novembre, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre, sous la présidence de François Hollande, dénonçait les intellectuels qui dialoguaient avec Ramadan comme «complices» de ses crimes présumés. Valls, fils d’immigrants espagnols, est un laïciste intransigeant qui a contribué à introduire la démagogie antimusulmane, ainsi que des préjugés anti-Roms, dans le Parti Socialiste. (Il a présenté le concept même de l’islamophobie comme étant le «cheval de Troie» des salafistes.) En tant que Premier ministre, il a aidé à faire adopter les mesures d’urgence temporaires annoncées après les attentats terroristes de 2015, dont certaines ont été transcrites dans la loi. Et donc normalisées, sous le président Emmanuel Macron.

© MARTIN BUREAU / AFP

Manuel Valls est aujourd’hui un islamologue réputé

Valls n’avait jamais auparavant exprimé beaucoup d’inquiétude pour les victimes de crimes sexuels commis par des hommes puissants. En fait, il avait déploré la «cruauté insupportable» de l’arrestation de Strauss-Kahn à New York. (Quelques membres du Parti socialiste, dont Strauss-Kahn lui-même, ont prétendu avoir été victimes d’un complot orchestré par le président Sarkozy, qui voyait Strauss-Kahn comme une menace à sa réélection. Sarkozy a nié ces allégations). Mais début octobre, Valls a condamné les journalistes de Mediapart en tant que compagnons de route de gauche de l’Islam politique ; par la suite, il a insinué que Plenel avait délibérément caché ce qu’il savait des dépravations sexuelles de Ramadan. (Valls n’a proféré aucune accusation publique contre Bernard Godard, qui travaillait sous son autorité au ministère de l’Intérieur, ou Caroline Fourest, bien que tous deux aient admis avoir au courant des rumeurs sur les mauvais traitements infligés aux femmes par Ramadan.) Ce n’est peut-être pas une coïncidence si Plenel, le président de Mediapart», avait étrillé Valls dans son livre de 2014, «Pour les musulmans», une critique éloquente de l’islamophobie dans la vie publique française, inspirée par le « Pour les juifs » d’Emile Zola publié en 1896, une dénonciation de l’antisémitisme. En fait, Plenel a pris la responsabilité de publier un portrait en cinq parties de Ramadan, par Mathieu Magnaudeix, qui le dépeint comme un « show man » autoritaire et égoïste qui « construit sa renommée sur un mélange de mauvais buzz (contre l’élite) et une séduction digne des meilleurs télévangélistes

Plenel a insisté sur le fait qu’il n’avait rien su de l’inconduite de Ramadan, ajoutant que l’un des dossiers les plus complets sur ce que Mediapart a appelé le « système Ramadan » était paru dans Mediapart à peine une semaine après le scandale. Mais le magazine satirique français Charlie Hebdo a promptement recyclé les accusations de Valls contre Plenel. Depuis le massacre perpétré dans ses locaux, en janvier 2015, Charlie Hebdo a acquis une auréole de martyre, et  » Je Suis Charlie » est devenu une devise presque aussi sacrée que » liberté, égalité, fraternité « . En même temps, le magazine est devenu de plus en plus provocateur dans sa parodie de tout ce qui touche aux musulmans ou à l’islam. La couverture du numéro du 8 novembre comportait une grille de quatre caricatures de Plenel, sous le titre « affaire Ramadan, Mediapart révèle : » Nous ne savions pas.  » Dans les dessins, il couvre sa bouche, cache ses yeux et se bouche les oreilles, les trois singes qui ne parlent pas, ne voient pas, n’entendent pas le mal. (Charlie a également publié une couverture sur laquelle Ramadan se déclare le « sixième pilier de l’Islam », tandis qu’une énorme érection gonfle son pantalon.) En quelques semaines, l’affaire Ramadan s’est transformée en l’affaire Plenel-Valls- Charlie : un débattre qui porte moins sur Ramadan et son traitement des femmes que sur des intellectuels français, leurs relations avec Ramadan et leurs points de vue sur l’islam dans la société française.

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Philippe Val, ancien rédac chef de Charlie Hebdo, aurait appris par la police que son ami et collaborateur Patrick Font était un pédophile

Sur Twitter, Plenel a tourné en dérision la caricature comparée à une  » affiche rouge », par allusion à la fameuse affiche rouge placardée par les occupants allemands à Paris, en 1944, dans le cadre de leurs efforts pour dénigrer un groupe de résistants présenté comme une « conspiration étrangère contre la vie française.  » La première page de Charlie, soutenait-il, était le prolongement d’une » campagne générale « . . . de guerre contre les Musulmans « en France. En réponse, Laurent (Riss) Sourisseau, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, a accusé Plenel de « condamner Charlie à mort une seconde fois ». Accuser Charlie d’exciter la haine antimusulmane, comme l’a fait Plenel, c’est risquer d’être accusé d’incitation [à la haine raciale], comme Valls le savait sûrement quand, le 15 novembre, il déclara au sujet, de Mediapart : « Je veux qu’ils soient écartés du débat public ».

Pour beaucoup en France, la culpabilité présumée de Ramadan n’était pas tant la preuve de la prévalence d’un comportement misogyne en France, ni d’une trahison de ses obligations religieuses, mais la preuve en fait qu’il n’était pas différent des autres «obscurantistes islamiques» qui prêchaient la pudeur aux femmes tout en en tirant cruellement avantage, comme le soutenait Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale du Monde , dans une tribune pour le New York Times. Ce prisme a une histoire aussi vieille que le colonialisme français. Comme l’explique Joan Wallach Scott dans son nouveau livre, « Sex and Secularism », la représentation du patriarche musulman répressif et pourtant lubrique a longtemps servi à détourner l’attention de la discrimination subie par les femmes dans la société française, tout comme la prétendue « situation abjecte » des femmes musulmanes tenait lieu d' »‘antithèse de tout ce que » l’égalité « signifie en Occident. »

Ces dernières années, les Musulmans en France ont découvert qu’il ne suffit pas de respecter les lois françaises : pour appartenir vraiment à la France, ils doivent dénoncer les mauvais musulmans, rendre grâce à Charlie et autres démonstrations de loyauté, tout comme leurs ancêtres dans l’Afrique coloniale du Nord et de l’Ouest avaient appris à honorer «nos ancêtres, les Gaulois». Plus ils sont français, plus leur francité, leur capacité à «s’assimiler» semble être mise en question, ce qui a accentué leur sentiment d’aliénation. Les organisations et les institutions musulmanes se sont largement abstenues de commenter le scandale Tariq Ramadan – un silence qui, pour certains, vaut expression de solidarité avec un compatriote musulman longtemps dénigré en France. Les autres qui ont été invités à commenter publiquement l’affaire du Ramadan ont choisi de rester silencieux à cause de leur sentiment de malaise, ou peut-être d’irritation, d’être convoqués pour passer un autre test décisif pour prouver leur valeur en tant que citoyens, ou à cause de l' »islamisation » de l’affaire. Une affaire dans laquelle Ramadan est soit perçu comme la victime d’une conspiration antimusulmane, soit comme un symbole de la violence sexuelle musulmane.

Lallab, une association féministe musulmane, n’a jamais été invitée à commenter #balancetonporc, mais a immédiatement été soumise à la pression des médias pour répondre aux accusations contre Ramadan. C’était, a écrit une porte-parole, « comme si nous étions musulmanes avant d’être des femmes. . . Comme si nous avions seulement le droit légitime de dénoncer la violence commise par d’autres Musulmans. »

Un autre produit de cette aliénation historique fut la naissance, en 2005, du Parti des Indigènes de la République, un groupuscule composé en grande partie de militants originaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest qui brandissent leur aliénation de la société française comme un titre de fierté. Le PIR considère les musulmans français et les autres personnes de couleur comme des citoyens colonisés à l’intérieur, d’éternels citoyens de seconde zone, et préconise une politique de séparatisme beaucoup plus radicale que le message d’inclusion de Ramadan. Houria Bouteldja, la porte-parole charismatique du Parti, a connu la notoriété ces dernières années pour sa défense des hommes musulmans accusés de violences sexuelles. Elle a fait valoir que, face à la «virilité alimentée par la testostérone chez les hommes indigènes», les femmes de couleur devraient rechercher son côté rédempteur, «la partie qui résiste à la domination coloniale», et rester avec leurs frères. Mais les nombreuses accusations portées contre « Frère Tariq » semblent avoir amené Bouteldja à faire une pause. Dans une déclaration laconique et inhabituellement mesurée sur Facebook, elle a mis en garde contre « l’instrumentalisation raciste de cette affaire » mais dit aussi que la justice devra décider « si les faits sont avérés et si Henda Ayari a été honnête dans sa démarche. »

Alors que la plupart des commentateurs de l’affaire Ramadan ont été – comme c’est souvent le cas avec les discussions sur l’islam, la laïcité et le terrorisme en France – blancs et masculins, certaines des idées les plus importantes sur le scandale viennent des féministes musulmanes qui sont consternés par les préjugés de Valls et de Charlie, et déçues par l’apparente indifférence de Bouteldja envers les victimes d’abus sexuels. Pour elles, le scandale exemplifie la nécessité d’une sorte d’«intersectionnalité» ou de compréhension de la nature imbriquée de l’oppression raciste et sexiste, qui fait partie du discours féministe aux États-Unis depuis la fin des années quatre-vingt. Comme l’écrit Souad Betka dans un essai publié dans le magazine en ligne Les Mots Sont Importants, «nous les féministes musulmanes refusons de sacrifier la lutte contre le sexisme et la violence patriarcale à celle contre le racisme. » «Depuis plus de cinq ans, de nombreuses militantes associatives musulmanes de mon entourage m’ont témoigné avoir été victimes d’insultes, de manipulation et de harcèlement sexuel de la part de cet homme» [Tariq Ramadan]. Mais les organisations antiracistes dans lesquels militaient ces femmes avaient choisi d’ignorer la violence sexuelle perpétrée par des hommes «indigènes» par crainte d’attiser l’islamophobie française. Il n’est dès lors pas surprenant que des femmes musulmanes comme Henda Ayari cherchent auprès d’écrivains comme «Caroline Fourest le soutien que d’autres, plus proches, tardent à leur apporter.». Pour une grande partie de la société française, écrit Betka : « un homme musulman est toujours plus qu’un homme. Il est l’arbre qui représente la forêt, faute de la cacher. Il est la forêt. »

Pour Manuel Valls et Charlie Hebdo, Ramadan représente la menace de la conquête islamique ; pour les partisans musulmans de Tariq Ramadan, il représente l’Oumma elle-même. Pour ceux qui sont coincé entre la manipulation raciste par Valls des crimes présumés de Ramadan et le déni des partisans de ce dernier, la position la plus radicale consiste à souligner le fait qu’il n’est qu’un homme.

Hosni Moubarak et Mohamed Morsi: la continuité jusque dans la rupture

3 juillet 2013

 

Le président égyptien Mohamed Morsi vient d’être renversé par un coup d’état militaire avec, dit-on, le soutien populaire.

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                  Mohamed Morsi

 

Il est certes vrai que les rues des villes égyptiennes sont depuis plusieurs jours le lieu de manifestations imposantes pour exiger le départ de M. Morsi, l’armée ayant été publiquement appelée à intervenir par les manifestants.

 

Il y a là bien sûr des manipulations évidentes de la part de ceux qui, dans l’armée, souhaitaient mettre un terme au mandat présidentiel.

 

Il y a aussi  une insatisfaction évidente de larges couches de la société mécontentes de la situation sociale et économique, mais aussi des penchants sectaires du gouvernement des Frères Musulmans. Parmi ces mécontents, il faut évidemment compter la masse des Coptes, ces chrétiens autochtones qui tendent à se sentir mis à l’écart de la vie publique et visés par des discours d’exclusion. Les affirmations de la fraternité islamo-chrétienne ou tout simplement égyptienne ont de fait été nombreuses ces derniers jours.

 

Il faut cependant reconnaître que le gouvernement de Mohamed Morsi n’est en rien l’initiateur de cette approche de cette minorité religieuse. Sur ce point comme sur d’autres, le gouvernement des Frères Musulmans est dans la continuité du régime précédent.

 

Cette continuité s’observe par exemple dans son attitude vis-à-vis de la bande de Gaza. En effet, alors que tout le monde s’attendait, y compris une bonne partie de son électorat, à ce que l’Egypte cesse de collaborer avec le régime sioniste au siège de Gaza, il n’en a rien été. Au contraire, puisque les autorités égyptiennes ont déployé un zèle sans précédent pour neutraliser les fameux tunnels qui relient Gaza à l’Egypte et servent à acheminer toutes sortes de marchandises.

 

De la même manière, le gouvernement de la confrérie a accepté de respecter les accords de paix qui lient l’Egypte à l’entité sioniste, une condition sine qua non pour que l’armée égyptienne continue à recevoir l’importante aide financière des Etats Unis.

 

Cette continuité du pouvoir des Frères Musulmans avec l’ancien régime se repère même dans les convulsions qui ont finalement abouti à la destitution de Mohamed Morsi.

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février 2011: le général Omar Souleiman annonce la démission de Hosni Moubarak

 

 

Cette continuité est parfaitement explicitée dans l’article que je vous propose.

 

On observera quand même que, à la différence de Hosni Moubarak, Mohamed Morsi tirait son pouvoir d’élections qu’il a remportées régulièrement. Même si cette élection s’inscrivait dans une démarche des USA et de l’armée égyptienne visant à mettre fin à un processus révolutionnaire qui aurait pu réserver bien des surprises.

C’est ce processus révolutionnaire qui a repris ces jours-ci et que l’armée a enfourché pour profiter d’une opportunité de se débarrasser d’un Mohamed Morsi qui n’a décidément pas su tenir la baraque. 

 

La réponse du Département d’État américain aux soulèvements en Egypte, hier et aujourd’hui

 

par Dan Murphy, The Christian Science Monitor (USA) 3 juillet 2013  traduit de l’anglais par Djazaïri

 

Au milieu de manifestations sans précédent qui ont commencé depuis trois jours, le président égyptien Hosni Moubarak a prononcé un discours provocateur  qui accusait des mains de l’étranger qui cherchent à semer le chaos dans le pays et à saper ce qu’il considère être sa propre légitimité en tant que leader.

 

Cet appel en forme de fin de non recevoir avait exaspéré les manifestants et avait, on le comprend avec le recul, ruiné le mince espoir qu’il avait à cette étape de se maintenir au pouvoir. Comme la contestation s’accentuait, les Etats Unis avaient pris lentement leurs distances avec M. Moubarak. Le 27 janvier, le vice président Joe Biden soulignait que Moubarak n’était pas un dictateur et qu’il devait rester au pouvoir. Deux jours avant, le 25 janvier, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton déclarait que l’Egypte et son gouvernement étaient «stables.»

Mais après le discours de Moubarak, les Etats-Unis  adoptèrent un ton nouveau. PJ Crowley , le porte parole du Département d’Etat à l’époque, écrivait sur Twitter le lendemain :  «Le gouvernement égyptien ne peut pas se contenter de reprendre les cartes puis rester sur son quant-à-soi. Les paroles par lesquelles le président Moubarak s’engage à réformer doivent être suivie par des actes. »

 

Le 30 janvier, Mme Clinton déclarait:

 

« Nous avons dit très clairement que les mesures concrètes de réforme démocratique et économique que le président Moubarak a évoquées dans son discours doivent être mises en oeuvre … il faut qu’un engagement soit pris par quiconque est au pouvoir de lancer dans un dialogue national avec le peuple d’Egypte, dans le but de prendre des mesures qui répondent aux revendications légitimes du peuple égyptien pour une plus grande participation … c’est un moment très grave pour l’Egypte, et nous allons faire tout ce que nous pouvons pour soutenir une transition ordonnée. « 

 

Puis, le 10 février, Moubarak a prononcé un autre discours provocateur, exaspérant à nouveau les manifestants. Les États-Unis se plaignirent que Moubarak n’avait pas fait de démarches concrètes de «réformes». Le 11 février, il  démissionnait.

 

Hier, le président égyptien Mohamed Morsi a prononcé un discours dans lequel il a rejeté la masse de manifestants comme étant manipulée par des mains étrangères qui cherchent à semer le chaos en Egypte, et il a fait référence à plusieurs reprises à ce qu’il considère comme étant sa légitimité en tant que leader de l’Egypte. Ses propos ont provoqué la fureur manifestants, qui continuent à être très nombreux à battre le pavé au Caire et dans d’autres villes.

 

Aujourd’hui, la porte-parole du département d’Etat Jen Psaki a dit:

«Nous pensons qu’il y avait une absence de mesures spécifiques significatives dans la déclaration de Morsi. Il doit faire plus pour être vraiment réceptif aux préoccupations du peuple égyptien …. Nous sommes au côté du  peuple égyptien. Nous avons été en contact avec toutes les parties -.avec  l’opposition, avec le gouvernement, avec l’armée -. et nous allons continuer à l’être. Mais pour apaiser les  inquiétudes ou éviter les suppositions, nous ne sommes pas [parties prenantes] – nous n’avons pas pris parti. [Washington s’est abstenu de critiquer l’armée égyptienne après la destitution de M. Morsi, NdT]

 

Cela vous rappelle quelque chose?

 

Le Qatar, grand argentier de la « révolution » syrienne

17 mai 2013

Le Qatar n’a pas d’intentions «cachées» dans son soutien à l’opposition armée au régime de Damas.

C’est du moins ce qu’affirme le chef de la diplomatie de ce petit pays (très) riche mais victime de sa naïveté et de la pureté de ses intentions en faveur du peuple syrien.

Et c’est au nom de ces intentions pures que cet émirat a dépensé en deux ans entre 1 et 3 milliards de dollars pour soutenir ceux qui agissent militairement et politiquement pour évincer Bachar al-Assad, le chef de l’Etat syrien.

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Le Qatar soutient aussi les révoltés du Trocadéro

Je vous mets au défi de me citer un exemple d’une révolution dans n’importe quel pays qui a bénéficié de telles largesses en si peu de temps, qui plus est.

 D’autant que le Qatar n’est pas le seul gouvernement à mettre la main à la poche, vu que la Syrie compte de nombreux «amis» parmi les nations révolutionnaires que sont  la Turquie (révolution kémaliste), l’Arabie Saoudite (révolution wahabbite), la France (révolutions de 1789, 1830, 1848 et révolution nationale du Maréchal Pétain) pour s’en tenir à quelques exemples.

L’article que je vous propose nous apprend même que les monarchies du Qatar et d’Arabie Saoudite rivalisent de générosité auprès des «rebelles» Syriens. 

Et que l’Arabie Saoudite représente en quelque sorte la voix de la modération !? 

On aura tout vu ! 

Autant de raisons de souhaiter la défaite de cette prétendue révolution qui comporte même des cannibales dans ses rangs.

Le Qatar finance la révolte syrienne avec de l’argent et des armes

par Roula Khalaf and Abigail Fielding Smith, Financial Times (UK) 16 mai 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le riche Etat gazier du Qatar a dépensé jusqu’à trois milliards de dollars ces deux dernières années pour soutenir la rébellion en Syrie, loin devant n’importe quel autre gouvernement, mais il est maintenant dépassé par l’Arabie Saoudite en tant que premier pourvoyeur d’armes pour les rebelles.

Le coût de l’intervention du Qatar, sa dernière action de soutien à une révolte arabe, ne représente qu’une petite partie de son portefeuille d’investissements à l’international. Mais son appui financier à la révolution qui s’est transformée en cruelle guerre civile éclipse le soutien qu’apporte l’Occident à l’opposition.

Le petit Etat à l’appétit gargantuesque est le plus important donateur pour l’opposition politique, dédommageant généreusement les transfuges (une estimation l’évalue à 50 000 dollars par an pour un transfuge et sa famille), et il fournit une grande quantité d’aide humanitaire.

En septembre, de nombreux rebelles de la province syrienne d’Alep ont reçu un versement exceptionnel de 150 dollars de la part du Qatar. Des sources proches du gouvernement qatari disent que la dépense totale a atteint pas moins de 3 milliards de dollars, tandis que des sources rebelles et diplomatiques parlent d’un montant d’un milliard de dollars au maximum.

Pour le Qatar, qui détient les troisièmes plus importantes réserves de gaz naturel au monde, l’intervention en Syrie s’inscrit dans une recherché agressive de reconnaissance international et est simplement la dernière étape de sa démarche pour se positionner comme un acteur régional de premier plan, et vient après son soutien aux rebelles Libyens qui ont renversé Mouammar Kadhafi en 2011.

Selon le Stockholm International Peace Research Institute qui étudie les transferts d’armes, le Qatar a été le principal fournisseur d’armes à l’opposition syrienne, avec plus de 70 avions cargo militaires qui se sont posés en Turquie entre avril 2012 et mars de cette année.

Mais même si son approche est plus guidée par le pragmatisme et l’opportunisme  que par l’idéologie, le Qatar s’est retrouvé impliqué dans la situation politique très polarisée de la région, s’attirant des critiques acerbes. «On ne peut pas acheter une révolution» affirme un homme d’affaires de l’opposition.

Le soutien du Qatar aux mouvements islamistes dans le monde arabe, qui l’a mis en porte à faux avec les autres Etats du Golfe, a nourri une rivalité avec l’Arabie Saoudite. Hamad bin Khalifa al-Thani, émir régnant du Qatar, “veut être le (Gamal) Abdelnasser islamiste du monde arabe, » déclare un politicien Arabe, en référence au panarabisme flamboyant et passionné de l’ancien leader panarabe.

L’intervention du Qatar est devenue l’objet d’une attention de plus en plus forte. Ses rivaux dans la région soutiennent qu’il utilise sa puissance financière simplement pour s’acheter une influence future et qu’il a fini par fragmenter l’opposition syrienne. C’est dans ce contexte que l’Arabie Saoudite qui jusqu’à présent avait apporté un soutien plus mesuré et réfléchi aux rebelles Syriens a accru son implication.

Les tensions récentes au sujet de l’élection d’un premier ministre par intérim de l’opposition qui a obtenu le soutien des Frères Musulmans Syriens a aussi amené l’Arabie Saoudite à resserrer ses liens avec l’opposition politique, une tâche qu’elle avait en grande partie laissée entre les mains du Qatar.

La relégation du Qatar à la deuxième place en matière de fourniture d’armes résulte des inquiétudes en Occident et dans certains pays arabes de voir les armes fournies échouer entre les mais du Jabhat al-Nosra, une organisation liée à al Qaïda.

Des diplomates disant aussi que les Qataris ont eu du mal à assurer un approvisionnement régulier en armement, chose que les Saoudiens ont été en mesure de faire via leurs réseaux plus développés.

Une route d’acheminement d’armes en Syrie passant par la frontière jordanienne a ouvert ces derniers mois. Le gouvernement jordanien. Le gouvernement jordanien qui est terrifié à la perspective de voir les djihadistes en position dominante chez son voisin a été réticent à autoriser les livraisons saoudiennes.

La réticence de l’Occident à intervenir avec plus de force en Syrie a eu pour conséquence de placer les opposants à Bachar al-Assad dans la dépendance du soutien du Qatar, de l’Arabie saoudite et de la Turquie, quoique depuis l’an dernier, les Emirats Arabes Unis et la Jordanie ont rejoint le club des soutiens aux rebelles en tant que partenaires mineurs.

Khalid al-Attiyah,, le chef de la diplomatie du Qatar, qui est chargé de la politique syrienne, a rejeté les rumeurs sur une rivalité avec les Saoudiens et a démenti les allégations selon lesquelles le soutien qatari  aux rebelles a divisé l’opposition syrienne et affaibli les institutions naissantes.

Dans un entretien accordé au Financial Times, il a affirmé que tout ce qu’a entrepris le Qatar l’a été en conjonction avec le groups des pays occidentaux et arabes amis de la Syrie, pas seul. «Notre problème au Qatar, c’est que nous n’avons pas d’agenda caché, alors les gens nous en fixent un,» a-t-il dit.

Le dessinateur Carlos Latuff médaille de bronze de l’antisémitisme!

30 décembre 2012

La Centre Simon Wiesenthal est une ONG basée à Los Angeles et qui intervient dans le domaine des droits de l’homme, de la tolérance et plus spécialement de la tolérance à l’égard des droits de l’homme juif, c’est-à-dire de l’antisémitisme.

De fait, la tolérance du Centre Simon Wiesenthal ne s’étend pas à la préservation d’un cimetière musulman de Jérusalem Ouest où le centre est en train de bâtir un musée de la  tolérance» au sens où il l’entend.

Le Centre Simon Wiesenthal n’a qu’un rapport indirect avec le fameux chasseur de nazis du même nom.

Comme l’explique Wikipedia, le centre a repris le nom de Simon Wiesenthal

bien qu’il ne soit pas lié avec Wiesenthal lui-même, qui déclarait cependant : « J’ai reçu beaucoup d’honneurs au cours de ma vie. Quand je mourrai, ces honneurs disparaîtront avec moi. Mais le Centre Simon Wiesenthal me survivra comme mon héritage ».

Ces propos lénifiants de Simon Wiesenthal ne sauraient cependant occulter le fait que ce dernier a cédé son nom contre des espèces sonnantes et trébuchantes comme une vulgaire marque.

La grosse affaire du centre Simon Wiesenthal, c’est donc la lutte contre l’antisémitisme dans une acception très large puisqu’elle inclut tout discours hostile ou seulement critique à l’égard de l’entité sioniste (ou Etat Juif). Ne parlons bien entendu pas des palestiniens qui ont le tort d’agir pour recouvrer leurs droits…

L’article de Wikipedia reprend justement un certain nombre des hauts faits du Centre Simon Wiesenthal comme ses accusations d’antisémitisme envers le président vénézuelien Hugo Chavez ou sa pseudo-information sur un projet de réglementation en Iran pour contraindre les juifs de ce pays à porter des signes distinctifs.

Ces gens là on, comme on le voit, un culot inouï, ce qui ne les empêche pas le Centre Simon Wisenthal de conserver un statut consultatif auprès d’une instance comme l’UNESCO ou le Conseil de l’Europe.

Où de proposer un classement des personnalités ou organisations les plus antisémites. Le classement 2012 vient justement de sortir and the winner is

Le mouvement des Frères Musulmans actuellement au pouvoir en Egypte.

Le centre Simon Wisenthal reproche notamment la déclaration suivante à Mohammed Badie, le guide moral de la confrérie :

 «Les juifs ont dominé la terre, répandu la corruption dans le monde, versé le sang des croyants et profané par leurs actions des lieux saints. Les sioniste n’entendent que le langage de la force et ils ne céderont que par la contrainte, ce qui ne pourra se faire que par la guerre sainte. »

Je n’ai pas vérifié si le centre a rapporté fidèlement les propos de Mohammed Badie. J’en serais cependant étonné.

La médaille d’argent échoit au régime iranien qu’on aurait pourtant pu considérer comme le favori de la compétition.

A l’appui de cette distinction, nous avons droit à une citation (même remarque que pour la précédente citation) de l’affreux Mahmoud Ahmadinejad :

“Il y a maintenant 400 ans qu’un affreux clan sioniste dirige les grandes affaires de ce monde et, dans la coulisse des cercles dirigeants des grandes puissances mondiales, dans les structures politiques,  médiatiques, monétaires et bancaires du monde, ce sont eux qui prennent les décisions , à tel point que dans une grande puissance avec une très importante économie et une population de plus de 300 millions d’habitants, les candidats à la présidentielle doivent baiser les pieds des sionistes pour s’assurer la victoire électorale.»

La médaille de bronze revient à un artiste, en l’occurrence un caricaturiste brésilien d’origine palestinienne, Carlos Latuff.

Il est notamment reproché à Carlos Latuff d’avoir calomnié le premier ministre Benjamin Netanyahou dans des dessins comme celui ci-dessous :

netanyahu-gaza-massacre

Ce dessin a été fait par Latuff pendant la dernière opération sioniste contre la bande de Gaza, un «conflit déclenché par le Hamas contre l’Etat juif » selon le Centre Simon Wiesenthal

Comme l’observe le site Jews sans Frontières, Latuff semble avoir été extrêmement vexé de recevoir cette médaille de bronze. Il se montre ici lui-même recevant la médaille des mains du rabbin Marvin Hier, le patron du Centre Simon Wiesenthal.

Latuff upset

Carlos Latuff reçoit sa médaille de bronze des mains du rabbin Marvin Hier

Charlie hebdo devrait proposer une collaboration à Carlos Latuff (fermeture définitive du magazine garantie !)

Une solution négociée en Syrie signerait l’échec stratégique d’Erdogan

27 décembre 2012

L’actuelle mission de Lakhdar Brahimi à Damas, avant un déplacement à Moscou, où il rejoindra peut-être le vice ministre syrien des affaires étrangères syrien serait un signe fort, selon le journaliste turc Semih Idiz, qu’une solution négociée à la crise syrienne serait en vue.

Semih Idiz

Semih Idiz

Selon Semih Idiz, les gouvernements russe et américain seraient tombés d’accord sur une formule de transition sous la direction de l’actuel chef de l’Etat dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale.

Tous les obstacles ne sont cependant pas levés, que ce soient ceux que représentent les irrédentistes qui ne rêvent que de prendre le pouvoir par la force et de pendre haut et court Bachar al Assad ou celui que représente le positionnement de la Turquie.

Semih Idiz exhorte donc son gouvernement à abandonner sa vision idéologique pour adopter une position pragmatique en phase avec les choix des grandes puissances puisque son pays n’est plus au cœur du jeu diplomatique et n’est pas loin de devenir un partenaire encombrant pour les Etats Unis.

Si le scénario envisagé par Semih Idiz se concrétise, ce serait un grave échec pour la diplomatie de la Turquie qui pourrait être le dindon de la farce.

En effet, après avoir incité et aidé à ravager la Syrie, la Turquie se retrouverait avec un voisin devenu hostile (et il n’y a aucune raison de penser qu’une bonne partie de l’opposition actuelle au régime syrien ne restera pas ou ne deviendra pas hostile à une Turquie qui aura montré son impuissance) après s’être brouillée avec ses voisins irakien et iranien.

Au passage, les Américains ont manœuvré subtilement pour que le gouvernement turc implore la mise en place de batteries antimissiles Patriot qui, sil elles auraient été d’un intérêt limité en cas de conflit ouvert avec la Syrie, seront par contre un atout important pour tout conflit armé d’ampleur qui opposerait les Etats Unis et/ou le régime sioniste à l’Iran.

La Turquie d’Erdogan rêvait de jouer dans la cour des grands, le dénouement de la crise syrienne lui rappellera peut-être son statut de simple pion pour Washington.

La Turquie ne doit pas devenir une force obstructive en Syrie

Par Semih Idiz, Hürriyet (Turquie) 27 décembre 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Quand on examine les dernières tentatives pour une solution à la crise syrienne, il est évident que la mission actuellement effectuée par Lakhdar Brahimi, l’émissaire conjoint de l’ONU et de la Ligue Arabe pour la Syrie, ne peut, de par sa nature même, être du goût d’Ankara. En fait, des sources au ministère des affaires étrangères en on fait savoir assez par des fuites dans la presse pour corroborer cette idée.

Lakhdar Brahimi et le vice ministre syrien des affaires étrangères Faisal Mekdad le 24 décembre à Damas

Lakhdar Brahimi et le vice ministre syrien des affaires étrangères Faisal Mekdad le 24 décembre à Damas

Comme je l’avais observé précédemment dans cette rubrique, Ankara en est venu progressivement, quoique avec réticence, à accepter que des éléments du régime actuel soient incorporés dans tout gouvernement de transition post-Assad. L’idée que Assad lui-même devrait faire partie de toute formule de règlement reste cependant exclue [par Ankara].

D’un autre côté, les informations dans la presse indiquent que la mission actuelle de Brahimi consiste à convaincre les parties syriennes à accepter un plan négocié par les russes et les américains qui prévoit un maintien au pouvoir d’Assad jusque en 2014, à la tête d’un gouvernement  de transition sur une base élargie, même si son mandat ne sera pas renouvelé après cette date.

Le principal aspect ici, n’est pas que ce plan envisage le maintien au pouvoir d’Assad jusqu’en 2014, ce qui est quelque chose d’évidemment difficile à avaler pour les tenants d’une ligne dure dans l’opposition syrienne, ceux qui ont transformé la crise en Syrie en guerre sectaire.

L’aspect principal est que Washington et Moscou se sont mis suffisamment d’accord entre eux pour être en mesure de proposer un plan de règlement commun.

J’ai soutenu en maintes occasions ici que tout règlement de la crise syrienne nécessitera forcément la coopération de ces deux membres permanents du Conseil de Sécurité. La rencontre de Dublin début décembre entre le ministre des affaires étrangères Lavrov et  la Secrétaire d’Etat Clinton avait semblé à l‘époque n’avoir débouché que sur un minimum d’accord sur la Syrie. La mission actuelle de Brahimi indique toutefois qu’on ne savait pas toute l’histoire.

Même si la Russie et les Etats Unis ont des intérêts stratégiques concurrents au Moyen Orient, un fait qui a été visible même pendant la crise syrienne, il existe des inquiétudes communes qui ont contraint finalement ces deux puissances à coopérer. La Russie avait fait valoir dès le début que la Syrie allait devenir un défouloir pour des djihadistes étrangers de toutes appartenances et avait en parie justifié ainsi son appui au régime Assad.

Washington, pour sa part, avait démarré avec une position voisine de celle de la Turquie, en entretenant un discours proche de celui d’Ankara, et avait donc considéré l’opposition syrienne comme une force unie résistant à un dictateur impitoyable et luttant pour la démocratie et les droits de l’homme.

Même si c’est sans aucun doute vrai pour certains éléments de l’opposition, le profil d’une partie des combattants anti-Assad indique clairement que leur objectif final ne peut pas être la démocratie ou les droits de l’homme mais d’une manière ou d’une autre, un régime théocratique sunnite et dictatorial sous la direction des Frères Musulmans.

C’est à l’évidence la raison pour laquelle Washington est intervenu pour élargi la base de l’opposition syrienne, avec l’idée d’isoler les éléments djihadistes, que ces derniers soient basés en Syrie ou ailleurs. Le soutien qu’apporte la Turquie à l’opposition dirigée majoritairement par des sunnites concerne cependant des éléments qui pourraient être considérés comme douteux aussi bien par Moscou que par Washington.

Plus encore, cependant, la mission de Brahimi montre une dois de plus que la Turquie n’est plus au centre des démarches diplomatiques visant à résoudre la crise en Syrie. Au contraire, elle se situe de telle sorte qu’elle pourrait à un moment être considérée comme une force d’obstruction essayant d’empêcher un accord qui ne correspond pas à la façon dont le gouvernement Erdogan voit l’avenir de la Syrie.

Le premier ministre Erdogan et le ministre des affaires étrangères Davutoğlu doivent cependant comprendre que l’avenir de la Syrie ne sera probablement pas modelé selon la vision idéologique qu’ils partagent, mais qu’il sera plus certainement basé sur des facteurs objectifs qui sont le résultat de la coopération entre les puissances incontournables du Conseil de Sécurité.

Washington et Moscou l’ont apparemment compris. Il serait temps qu’Ankara en fasse de même.

Les Frères Musulmans et « l’unité » de l’opposition syrienne

12 novembre 2012

Il y a quelques jours, la presse pouvait titrer :

Georges Sabra, ancien communiste de confession chrétienne, président du Conseil national syrien (CNS)

ou

Georges Sabra, un chrétien pour unifier les opposants syriens

L’appartenance chrétienne de Georges Sabra est un fait souligné par la plupart des  journaux, exactement comme l’appartenance kurde de son prédécesseur, Abdel Basset Seyda, à la tête de ce même CNS.

Le journal La Croix nous expliquait en effet que :

L’élection d’un chrétien est tout sauf un hasard. C’est un message fort à cette communauté, face au régime syrien qui se pose en défenseur des chrétiens contre l’islamisme. Elle montre également la volonté du CNS de se poser en coalition représentative de l’ensemble des composantes du peuple syrien.

Georges Sabra: « Avant, j’étais communiste. Mais ça, c’était avant! »

Il se trouve que ce n’est pas vraiment le CNS, dirigé de facto par les Frères Musulmans, qui a «unifié,» très partiellement en fait, les composantes de l’opposition syrienne mais le Qatar et que la coalition qui coiffe cette opposition désormais «unie» est en réalité très hétéroclite et est donc dominée  par les Frères Musulmans qui sont la seule force vraiment cohérente.

Et que cette nouvelle organisation, dont le nom à rallonge a dû faire l’objet de moult tractations, est présidée par un ancien imam proche de la confrérie.

On nous dit certes qu’il est modéré.

Cela veut peut-être dire qu’il croit en Dieu avec modération…

Quoi qu’il en soit, déjà Laurent Fabius qui ne se donne même pas la peine de prononcer intégralement le nom de cette structure politique (Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution) annonce que la France apporte son soutien à la «coalition nationale».

Mais en matière de soutien, la France est devancée par d’autres démocraties puisque les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe, qui sont les tuteurs de cette coalition de l’opposition syrienne, viennent d’annoncer qu’ils la reconnaissaient comme représentante légitime du peuple syrien.

Dans le Los Angeles Times du 11 novembre (signalé par Angry Arab), Patrick J. McDonnell et Rima Marrouch rappellent qu’un des objectifs premiers de cette nouvelle coalition est d’imposer un commandement central aux dizaines de milices qui combattent le régime de Bachar al-Assad. Une tâche qui ne s’annonce pas aisée car de nombreuses unités refusent toute autorité autre que celle de leur commandement local.

L’autre problème étant que si la Coalition est populaire dans les palais des émirs ou dans celui de l’Elysée :

En Syrie, le soutien à Assad reste considérable malgré près de 20 mois d’une rébellion qui a fait des milliers de morts et privé le gouvernement du contrôle de larges pans du territoire. De nombreux Syriens craignent que la chute d’Assad puisse déclencher le chaos et l’effusion de sang sectaire qui secouent l’Irak voisin depuis que l’invasion emmenée par les Etats Unis en 2003 a éliminé Saddam Hussein, l’homme fort de l’Irak.

Bien sûr, ce n’est pas parole d’Evangile. Mais comment ne pas être ne serait-ce qu’intrigué de voir un journal occidental se permettre aujourd’hui d’écrire qu’Assad a encore un soutien populaire considérable dans son pays?

Une forme de résistance aux lieux communs, peut-être.

Réalités de la guerre en Syrie

26 août 2012

Le journaliste Anglais Robert Fisk va sans doute à son tour être classé dans la catégorie des nazillons salafisto-révisionnistes par les Red Skins (qui se disent militants prolétariens) qui ont déjà taillé ce costar à Michel Collon, un auteur bien connu qui nous vient d’Outre Quiévrain.

C’est sûr, les gens comme Michel Collon gênent ceux qui pensent qu’il est temps d’avoir un gouvernement mondial qui ne peut être assumé, soyons réalistes, que par l’OTAN, cette organisation constituée de pays exemplaires à tous points de vue. C’est vrai, dans les pays OTAN, tu peux tout dire (quoique), te mettre une plume dans le derrière un jour de gay pride. Que des gentils quoi.

Dommage, il y a tous ces méchants : le dictateur Syrien (qui est carrément Hitler pour ce pitoyable François  Hollande qui pense cependant que les FFI ont libéré Paris d’un autocrate Français), le Guide Libyen (quoique ce dernier a succombé devant la gentillesse de l’OTAN), Mugabe au Zimbabwe qui veut garder pour lui tout son or, Hugo Chavez au Venezuela et, comble de l’horreur le Hezbollah libanais et le président Iranien Mahmoud Ahmadinejad dont on dit depuis 20 ans que son pays va avoir la bombe dans six mois.

Et comme c’est l’OTAN qui dit qui est méchant et qui ne l’est pas, on a eu Benali qui était gentil (demandez à Bertrand Delanoe) avant de devenir méchant, et Moubarak qui était très très gentil avant lui aussi de devenir méchant.

Et si on repense à kadhafi, c’était le meilleur lui : il était très très méchant, avant de devenir gentil puis de redevenir horriblement méchant.

Et les barbus djihadistes qui étaient gentils au moment où les Soviétiques étaient en Afghanistan (on en avait trouvé un de présentable, Ahmed Shah Massoud), étaient ensuite devenus maléfiques avec Ben Laden mais redeviennent gentils aujourd’hui (quelqu’un a même trouvé un article sur ce djihadiste tunisien qui fume pendant le jeune de Ramadan, et est branché musique. Parce que le djihad selon l’OTAN, c’est cool maintenant.

J’en reviens à Fisk qui s’attache à rétablir ou à établir quelques vérités non dites ; oui, il y a un complot contre la Syrie qui a commencé à être exécuté dès le début des revendications légitimes de la population. Et oui, il faut une solution politique pour arrêter morts et destructions mais chacun peut voir qui, comme en Libye précédemment, fait obstruction à toute discussion.

Mais dans le monde des bisounours, il suffit que Mme Clinton, David Cameron et Laurent Fabius disent «Bachar dégage » pour que tout soit réglé.

Misère de la pensée.

Mais il est vrai que dans le monde de bisounours de certains il n’y a jamais de complot, parce qu’il y a seulement des gentils et des méchants, et le méchant on le reconnaît au premier coup d’œil puisque c’est pratiquement toujours un Arabe ou un Africain ou les deux comme Kadhafi, en tout cas quelqu’un que les Américains n’aiment pas.

PS: je ne suis que très partiellement voire pas d’accord sur le parallèle qu’il fait entre la situation syrienne et la guerre civile en Algérie, non plus que sur le parallèle historique mais ce n’est pas vraiment l’objet du post. De même, ni le régime syrien, ni le régime algérien ne peuvent être qualifiés de laïques, ce sont des régimes sécularisés (en anglais on dit secular). 

La réalité sanglante d’une guerre peu civile en Syrie

Ceux qui essayent de renverser Assad ont surpris l’armée par leur puissance de feu et leurs tactiques brutales

Par Robert Fisk, The Independent (UK) 26 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Quelques heures après le commencement des attaques féroces conduites le mois dernier à Damas par l’Armée Syrienne Libre (ASL), le nouveau ministre Syrien de l’information, Omran Zouhbi, s’adressait aux journalistes présents dans la capitale. «Que faites-vous ici à Damas ? » avait-il rugi. Vous devriez être à l’extérieur avec nos soldats !»

Et en l’espace d’une journée, les images usées d’un président Bachar al-Assad au sourire pincé et de soldats Syriens embrassant joyeusement des enfants avaient été remplacées par des séquences d’actualités brutes – et authentiques – montrant des commandos forçant le passage dans la rue de Bagdad sous le le feu des opposants au régime au visage sale, courant d’un coin de rue à un autre, tirant en se couvrant derrière des murs ou des terrasses. « Nous avons nettoyé par ici, » déclare un militaire fatigué mais très en colère. «Alors maintenant, nous allons avoir le reste de ces salauds.» Jamais auparavant – pas même pendant la guerre de 1973 quand l’armée syrienne avait pris d’assaut la crête de l’Observatoire sur le plateau du Golan – le public syrien n’avait pu assister à quelque chose d’aussi réel sur ses écrans de télévision [bon, il a ça dans ses rues ou chez lui, note de Djazaïri].

Et – malgré des histoires  fantaisistes sur sa présence dans chaque village ravagé – la bataille pour Damas a réellement été conduite par l’impitoyable 4ème division de Maher al-Assad. Les soldats fidèles au plus jeune frère de Bachar n’ont pas fait de quartier. «Ce fut un massacre, un massacre,» m’a dit un Syrien qui a une excellente connaissance de l’armée. Beaucoup de cadavres avaient déjà gonflé au bout de quelques heures, mais on pouvait dire que certains d’entre eux n’étaient pas Syriens ; il y avait des Jordaniens, des Palestiniens, des Egyptiens, un Turc, des Soudanais… » Il a compté 70 cadavres à un endroit, dont 42 non arabes. L’ASL a signalé avoir perdu seulement 20 hommes et a affirmé que le gouvernement syrien avait insisté sur le nombre de «combattants étrangers» découvert au milieu des tués. «les soldats Syriens n’aiment pas l’idée qu’ils tirent sur leurs compatriotes – ils se sentent plus à l’aise s’ils croient qu’ils son en train de tirer sur des étrangers,» explique le jeune homme.

Les statistiques de la guerre en Syrie seront toujours l’objet de disputes – chaque camp minimisera ses pertes tant que dureront les combats et  exagèrera le nombre de ses «martyrs» une fois le conflit terminé ; nous ne saurons pas non plus le véritable nombre de civils tués, pas plus que l’identité de ceux qui les auront tués. Malgré l’accès inédit que nous avons eu la semaine dernière à des généraux et à des majors que l’Occident accuse de crimes de guerre, je n’ai trouvé qu’un officier qui a reconnu partiellement l’existence des shabiha, cette milice meurtrière à laquelle on impute des atrocités dans des villes et villages en majorité sunnites. «Les shabiha n’existent pas,» m’a-t-il dit. «C’est un produit de l’imagination. Ce sont des ‘défenseurs’ villageois qui gardent certains secteurs… »

Et c’est bien sûr exactement ce que le shabiha prétendent être, des civils Syriens qui protègent leurs maisons contre les ennemis du gouvernement. Il en a existé en Algérie pendant le conflit barbare entre la dictature d’Alger et les rebelles islamistes dans les années 1990, protégeant leurs familles tout en commettant des atrocités dans les villes et villages considérés comme étant utilisés par – ou sympathisants avec – leurs ennemis « terroristes» musulmans. En Algérie aussi, les opposants au régime étaient appelés des combattants étrangers, des hommes qui avaient combattu contre les Russes en Afghanistan et qui étaient rentrés pour continuer leur guerre sainte contre le régime «laïque» de l’ancienne colonie française. Maintenant, c’est une autre ancienne colonie française «laïque» – quoique dominée par les Alaouites –  dont le pouvoir dit qu’il combat des hommes venus d’Afghanistan, ne faisant aucune distinction entre les brigades de l’Unité des Frères Musulmans, les salafistes ou tout simplement l’ASL. Personne ne sera surpris d’apprendre qu’il y a toujours eu des relations très étroites entre les renseignements militaires syriens et algériens.

Mais la bataille de l’armée gouvernementale contre ses antagonistes Syriens et étrangers n’a pas toujours été sans anicroches comme le régime voudrait le faire croire au monde. En dépit du récit des évènements en vigueur aujourd’hui en Occident, des hommes armés étaient présents dans les rues des villes et des villages dès les tout premiers jours de la mobilisation en Syrie il y a 18 mois. Certes, le printemps arabe a d’abord pris la forme de défilés pacifiques de dizaines de milliers de manifestants non armés dans les grandes villes de Syrie, mais une équipe de tournage d’al Jazeera avait pu filmer des hommes armés attaquant des soldats Syriens près du village de Wadi Khallak en mai 2011. Le même mois, lé télévision syrienne avait obtenu une séquence filmée avec des hommes armés de Kalashnikovs près d’une foule de manifestants Syriens non armés à Deraa, où la révolte avait commencé après que des agents de la police secrète eurent torturé à mort un garçon âgé de 13 ans.

Pourtant, il semble que quand les officiers Syriens et leurs soldats ont pénétré pour la première fois à Deraa, ils ne pensaient pas se retrouver face à des opposants armés. «Nous avions sécurisé 60 % de la ville en un seul jour,» affirme un Syrien bien au courant de cette opération. «Nous n’avions envoyé sur place que 1100 soldats – ça n’arriverait pas maintenant – parce qu’on ne pensait pas qu’il y avait des groupes armés là-bas. Mais après les cinq jours qu’il nous avait fallu pour reprendre le reste de la ville, nous avions perdu 17 de nos hommes victimes de tireurs embusqués». Ce ne fut pas la seule surprise : avec le début des batailles rangées plus tard dans l’année, l’armé syriennesera étonnée par la puissance de feu de ses opposants.

«A Homs, l’armée se trouvait dans un immeuble qui a reçu des centaines – littéralement des centaines – de roquettes RPG, » déclare un Syrien bien au courant des opérations [à Homs]. «Il y au des milliers d’explosions et finalement nous avions dû évacuer l’ensemble du bâtiment parce qu’il allait s’écrouler. Quand les soldats en sont sortis, ils on dû faire sauter toute la structure avant qu’lle s’effondre.»  Et, pour une armée stigmatisée pour sa propre cruauté au combat, les soldats Syriens ont été surpris par la brutalité de ceux qu’ils affrontaient.

A Andan, un checkpoint de l’armée lourdement défendu avait été balayé à la fin de l’an dernier quand la Liwa Tawhid, la Brigade de l’Unité, avait attaqué la position et tué jusqu’au dernier les 75 soldats et les 4 officiers. Dans une embuscade ultérieure à Shughour, 120 soldats avaient été tués. Les registre de l’armée notent l’assassinat de neuf agents de police au poste de polide d’al-Hadr dans la province de Hama, de huit policiers dans un autre poste de la même province. A Salkin, une autre ville de la province de hama, un ancien employé civil de l’armée qui conduisait des camions pour le service de transport de l’armée avait été agressé par une foule de civils. Cet homme, Abdul Fatah Omar Abdul Fatah était accusé d’être un membre des shabiha, dénudé et pendu, puis son cadavre avait été bombardé de chaussures et décapité. A Duma, un responsable de mosquée [imam ?] avait dit aux fidèles : « Parmi nous, il y a un Awaini,» un traître. L’homme avait été battu à mort. Il est enregistré sous le nom d’Abu Ahmed Akera.

Quand l’ASL a f ait suivre son attaque contre Damas d’une offensive sur Alep, les autorités ont constaté  que le premier objectif de leurs ennemis était l’école d’artillerie. Plus de 70 cadets ont réussi à résister jusqu’à l’arrivée de renforts. Il se dit que toutes les équipes chargées  des batteries de missiles sol-air avaient été évacuées à la hâte d’Alep pour éviter le risque de capture et préserver les capacités de défense tactique en cas de possible attaque par Israël ou l’OTAN.

Le soldats Syriens qui ont forcé leur passage à travers les ruelles sinueuses de la vieille ville d’Alep cette semaine choisiront peut-être de se souvenir d’un jeune étudiant Egyptien qui avait passé des mois à Alep dans les années 1990 pour travailler sur une thèse en urbanisme qui portait précisément sur le champ de bataille où combat l’armée en ce moment : c’était Mohamed Atta, le chef des pirates de l’air du 11 septembre aux Etats Unis. Certains attaques sur des officiels Syriens ont été planifiées tès soigneusement ; des scientifiques du Centre de Recherche Scientifique près de Damas ont été assassinés. Bien avant le premier recours à l’aviation  dans les combats – l’armé affirme que c’était en juin – sept pilotes avait été tués l’an dernier par des rebelles. L’armée affirme n’avoir commencé  à utiliser l’artillerie – face aux mortiers – qu’en février.

Pour le gouvernement, les temps à venir s’annoncent difficiles. L’armée pense qu’Idlib – signalée comme étant un bastion d’al Qaïda – sera une des batailles les plus décisives pour la guerre. On a les témoignages de conscrits effrayés capturé ans un autobus civile en Syrie centrale et à qui on a donné le choix suivant : soit leurs parents donnent 450 000 livres syriennes (8 000 €)à l’ASL, soit les jeunes hommes doivent rejoindre les rebelles. Dans le village de Rableh, près d’al Qusayr, une population en majorité chrétienne de 12 000 âmes serait retenue comme boucliers humais par les rebelles, quoique l’armée semble avoir décidé qu’il serait trop coûteux de pendre le village.

Le régime de Bachar al-Assad est devant un ennemi brutal et plein de ressources dont les soutiens islamistes reçoivent de l’aide de l’Occident – exactement comme les moudjahidine étaient financés et armés par l’Occident quand ils combattaient les Russes dans les années 1980. Avec environ 50 000 hommes en armes [l’armée syrienne compte en fait 300 000 hommes] et peut-être 4 000 chars de combat, l’armée syrienne en tant que telle ne peut pas perdre.

Mais peut-elle gagner ?

Syrie: avec ou sans l’ONU, le piège de l’Occident est sur le point de se refermer

21 juillet 2012

Le dernier veto russe et chinois à un projet de résolution de l’ONU imposant des sanctions au gouvernement syrien n’a nullement découragé les puissances occidentales.

En effet, pour ces dernières la légalité internationale n’est qu’un vain mot qui n’a de valeur que quand il correspond à ce qu’elles estiment être leurs intérêts stratégiques.

Preuve en est, l’annonce par l’Union Européenne de la prochaine adoption d’un nouveau train de sanctions contre la Syrie.

Mais il convient de relever quelque chose de beaucoup plus important qui semble indiquer la voie que vont poursuivre les ennemis du régime syrien.

Je veux parler de la dernière déclaration de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française: 

La France souhaite «la formation rapide d’un gouvernement provisoire» qui devra être «représentatif de la diversité de la société syrienne», a déclaré le ministère des Affaires étrangères Laurent Fabius samedi. «L’heure est venue pour l’opposition de se mettre en ordre de marche afin de prendre les commandes du pays», ajoute Laurent Fabius qui se dit prêt à organiser à Paris une réunion ministérielle «en vue de consolider les efforts des pays arabes dans la construction de la Syrie de demain».
Le ministre dit avoir «pris un certain nombre de contacts, notamment avec le secrétaire général de la Ligue arabe, ainsi qu’avec le Premier ministre du Qatar».

C’est dans le cadre de cette stratégie d’alternative « légitime » à Bachar el-Assad qu’il faut situer la décision des Frères Musulmans syriens de se constituer en parti politique

Le moins que l’on puisse dire, c’est que M. Fabius et les Frères Musulmans sont parfaitement synchrones. 

Pas besoin d’être spécialiste des relations internationales pour comprendre que ce « gouvernement provisoire » s’il est constitué (et il le sera) sera reconnu comme l’interlocuteur légitime de la France, de la Grande Bretagne et de toutes les puissances qui gravitent dans l’orbite des Etats Unis.

Ce gouvernement provisoire et légitimé par les « nouveaux amis de la Syrie » sera alors fondé à solliciter une aide multiforme de la part de ces derniers, que cette aide soit matérielle ou plus directement militaire.

Il reste cependant difficile de dire, à ce stade, s’il y aura une intervention militaire directe de l’Occident, ou simplement une intervention de pays arabes bénéficiant d’une assistance occidentale pour sanctuariser une ou des portion(s) du territoire national, ou encore si l’objectif ne sera pas de « saigner » le régime par une multiplication de défections qui viendraient grossir les rangs de ce contre-régime. Dans tous les cas de figure, la formation et les armes seront largement et ouvertement mises à la disposition de ce qu’on appellera alors le gouvernement légal de la Syrie.

Le régime en place parviendra-t-il à déjouer ce piège et cet acharnement de l’Occident?

Je le souhaite mais faute d’alliés disposés et/ou capables d’aller aussi loin dans l’interventionnisme, j’ai du mal à voir comment Bachar al-Assad va pouvoir se tirer de ce piège qui se veut mortel.

Fabius a prévu d’attribuer un rôle à la Ligue Arabe dans ce scénario criminel. J’ose espérer que le gouvernement algérien s’y opposera fermement quitte à mettre en balance le retrait de l’Algérie de cette institution.

Une institution dont la Syrie, comme la Libye avant elle, aurait mieux fait de se retirer puisqu’elle se retourne contre un de ses adhérents au service de pays tiers.

L’Egypte, les Frères Musulmans, la Turquie et la laïcité

11 novembre 2011

La diplomatie de la Turquie de Recep Tayypip Erdogan a des ambitions d’une toute autre dimension que celle qu’avaient initiée ses prédécesseurs. Tournés vers l’Europe, ces derniers semblaient aussi considérer que plus leur pays tournait le dos à son passé, plus il se rapprochait d’une adhésion à l’Union Européenne.

Une démarche qui s’est avérée chimérique car si le régime turc cherchait à faire table rase du passé, certains dirigeants Européens ne se gênaient pas pour le lui rappeler.

D’autant que ce passé est aussi un présent qui est le fait que l’écrasante majorité des citoyens Turcs est de confession musulmane et que cette dimension prend de plus en plus de place, non seulement d’un point de vue culturel mais aussi économique et donc stratégique.

Les péripéties de l’admission de la Turquie dans l’Union Européenne avec une porte tantôt entrebâillée tantôt refermée avaient masqué aux yeux de certains l’ouverture des portes au Moyen Orient et en Afrique du Nord, une partie de l’ancien territoire impérial des Osmanlis pour faire court.

C’est cette nouvelle réalité qui a amené le premier ministre Turc à se rendre en Tunisie et en Egypte, deux pays où les régimes ont succombé à la pression populaire et où des partis « islamistes » ont le vent en poupe, ce qui, suppose-t-on pourrait être favorable à un renforcement de l’influence d’une Turquie gouvernée par l’AKP.

Les choses ne sont cependant pas si simples, si on en croît l’article que je vous propose. Car si Erdogan a emmené avec lui sa mallette pédagogique sur la laïcité, son message n’a pas été compris par les Frères Musulmans en Egypte.

Et les raisons de cette incompréhension sont multiples. La première raison est historique, c’est-à-dire que la « laïcité » a été imposé en Turquie par un Mustapha Kemal auréolé d’un immense prestige pour avoir sauvé et en même temps fondé une nation dont l’effondrement complet était imminent. Ce qui lui a quand même facilité les choses.

Ensuite, comme le remarque le porte parole de la confrérie égyptienne, les choses ne se sont pas déroulés sans quelques heurts, et si la Turquie actuelle, comme d’autres pays de type démocratiques parlementaristes, se donne des airs du cycliste qui reste toujours bien peigné malgré des kilomètres parcourus sous la tempête, un premier ministre a quand même été arrêté, jugé et exécuté  en 1960. 

Parce que, aujourd’hui encore, l’armée se veut garante du respect des principes kémalistes, et gare à qui s’en éloigne un peu trop selon elle.

Et puis la laïcité turque ne correspond que vaguement à ce qu’on entend communément par laïcité.  Car si le religieux n’a pas le droit de s’immiscer dans le politique, le politique contrôle complètement le religieux avec des personnels largement fonctionnarisés.

Or la laïcité implique d’abord et surtout la neutralité de l’Etat en matière religieuse. Ce point fondamental n’est pas satisfait en Turquie et ne l’est déjà plus en France avec les fameuses lois sur la laïcité qui sont en fait des entorses évidentes à ce principe.

C’est donc cette laïcité assez étrange que M. Erdogan est allé promouvoir dans certains pays arabes. Et il n’est donc pas étonnant que,  comme l’observe Cumali Önal, les Frères Musulmans n’aient pas compris le message du premier ministre Turc sur la laïcité.

Dans l’analyse qu’elle fait du message du premier ministre Turc,  non seulement la confrérie égyptienne se montre bien informée des réalités turques, mais se garde de confondre, comme c’est souvent le cas dans les pays arabes, aussi bien chez ses partisans que chez ses détracteurs, laïcité et athéisme.

En fait, le chemin vers la laïcité est rien moins qu’évident et la France fait figure d’exception dans le monde. Si c’est la France qui a donné à la laïcité le sens qu’on lui connaît, il ne faut pas oublier que cette élaboration a été l’aboutissement d’une longue et tumultueuse histoire commencée le 14 juillet 1789 pour être parachevée avec les lois de séparation des églises et de l’Etat.

Et c’est le rôle antirépublicain, non pas de la religion catholique en tant que telle mais de l’église en tant qu’institution qui était visé. L’évolution laïque en France est avant tout un phénomène anticatholique et anticlérical et non antireligieux et elle correspond à un processus historique déterminé.

Ailleurs, dans bien des cas la laïcité est ignorée, comme au Royaume Uni, au Danemark ou même en Belgique où elle n’est qu’un courant de pensée parmi d’autres. Ce qui ne signifie pas que ces pays vivent sous l’emprise quotidienne du religieux ou que la liberté religieuse n’y soit pas effective.  Ce sont des sociétés sécularisées où le religieux n’est plus au centre de la vie politique même s’il peut rester au centre de la vie des individus.

La langue anglaise n’a pas de mot équivalent au mot français laïcité qui est traduit en anglais  par secularism, sans pourtant que ces termes soient réellement équivalents.

De même, le mot arabe « ilmania » serait l’équivalent du mot laïcité. Compte tenu de la racine de ce mot, c’est fort douteux et il est semble-t-il plutôt synonyme du mot anglais « secularism » Une difficulté que pose le mot secularism, notamment dans la traduction,  est que le français n’a pas de substantif équivalent  permettant de traduire adéquatement des situations de sociétés sécularisées : le mot sécularisme sonne comme une étrangeté,  la sécularisation renvoie à un processus comme le mot laîcisation (qui apparemment n’existe pas dans le dictionnaire),  l’adjectif séculier correspond en partie à laïc ou laïque : le clergé séculier, s’il a une fonction sacerdotale bien repérée, vit dans le monde par opposition aux ermites ou aux moines. Quant aux laïcs, ces derniers vivent la foi chrétienne dans le « siècle », c’est-à-dire dans la vie de tous les jours, au travail, dans leur quartier, leur paroisse bien entendu. Cette notion de laïc va de pair avec l’ordination des prêtres et est inconnue des églises chrétiennes dépourvues de clergé.

Si la laïcité à la turque me semble une gageure dans les pays arabes, sauf à être imposée d’une poigne de fer par l’armée, rien ne s’oppose à un processus de sécularisation qui est en fait largement amorcé dans certains pays.

La demande de certains pour que soit supprimée la référence à l’Islam comme religion d’Etat dans la Constitution n’a fait cependant qu’ajouter un motif de crispation inutile. Une telle référence, si elle est incompatible avec la laïcité, est par contre compatible avec un processus de sécularisation. Et là où les choses se passent pacifiquement comme c’est le cas en ce moment en Tunisie, l’évolution pourrait se faire plus vite que l’on ne pense.

En Egypte aussi, les malentendus à ce sujet doivent être levés car il en va quand même du destin de ce pays qui comporte une importante minorité chrétienne autochtone dont la liberté de culte et la sécurité doivent être assurés au même titre que pour les autres composantes de la population.

 

 Les Frères musulmans n’ont pas compris le message d’Erdogan sur la laïcité

 

par Cumali önal, Zaman (Turquie) 6 novembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

L’accent mis par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan sur l’impératif de la sécularisation pendant sa visite en Egypte mi-septembre n’a pas eu l’impact attend sur les frères musulmans, le plus important mouvement politique de ce pays.

De hauts responsables de ce mouvement soutiennent, faisant référence au type de sécularisation en vigueur en Turquie qui a beaucoup attiré l’attention sur lui ces dernières années, qu’il ne peut pas être appliqué dans un pays religieux comme l’Egypte.

S’exprimant dans l’édition dominicale de Zaman la semaine dernière, le porte parole du mouvement, Mahmoud Ghazlan, a déclaré que la différence la plus évidente entre l’Egypte et la Turquie est que le sécularisme turc est impose par les militaires, tandis que l’Egypte, ainsi qu’il est dit dans l’article 2 de sa constitution est un Etat musulman.

Ghazlan, qui observe qu’il y a beaucoup d’exemples de répression en Turquie au nom de la laïcité, a aussi souligné les nombreux coups de force qui ont été organisés par rapport à cette question et que l’ancien premier ministre Adnan Menderes avait été exécuté en 1960.

Insistant sur le fait que l’interdiction du foulard et la légitimation de l’adultère [en fait sa dépénalisation] n’étaient pas acceptables par la confrérie, Ghazlan a relevé que l’Egypte est le siège de l’université al-Azhar, un des hauts leiux de la défense de l’Islam et du Coran.

Observant que la religion et l’Etat ne peuvent pas être complètement séparés et évoquant le scandale Susurluk révélé le 3 novembre 1966, après un accident de la circulation qui impliquait une voiture dans laquelle se trouvaient le sous-directeur de la police d’Istanbul, un député Kurde et un leader nationaliste Turc, Ghazlan a soutenu que l’Etat et une mafia pourraient facilement s’interpénétrer dans un pays où la religion est exclue. Selon Ghazlan, une Egypte laïque encouragerait et promouvrait la corruption dans des nombreux domaines allant de l’ économie à la politique..

Il a souligné que la confrérie a un respect entier pour Erdogan en raison de ses efforts pour la levée du blocus de Gaza et sa passe d’armes à Davos [avec Shimon Peres]. Les Frères Musulmans sont cependant fermement opposés à un schéma qui exclut l’Islam du gouvernement.

La laïcité est un des principaux thèmes de discussion à la veille des prochaines élections en Egypte, un pays qui est encore dans une situation difficile.  Beaucoup de questions occupent l’agenda, comme les préoccupations sécuritaires, les difficultés économiques, les grèves et l’éventualité d’un coup de force par l’armée.

 

Cependant, et pour ne pas perdre de temps comme la Turquie, l’Egypte devrait tenir compte des messages transmis par Erdogan sur la laïcité. Son message visait à mettre l’accent sur la paix civile. Dit autrement, une laïcité authentique est une assurance et une garantie pour la paix civile.

Même si elle n’est pas parfait, la Turquie développe une approche et une compréhension de la véritable laïcité. Elle bénéficie aussi d’améliorations et d’expériences dans de nombreux domaines. Pour que l’Egypte passe à travers ce processus sans heurts, elle aura besoin de paix civile et de cohésion.

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Les Egyptiens sont des gens religieux, mais ils sont aussi un des peuples les plus paisibles du monde. Ils ne veulent pas le conflit. En dépit d’énormes insuffisances dans le domaine de la sécurité, le pays n’a pas basculé dans des affrontements majeurs. C’est surtout grâce à cette caractéristique singulière de leur société.

Il est cependant probable également que des gens poussent à un conflit entre Musulmans et Chrétiens en Egypte pour servir leurs desseins politiques.

On voit ce danger dans la bipolarisation et les allégeances politiques. La politique du pays est façonnée par les Frères Musulmans.

Plusieurs partis ont fondé le Bloc Egyptien  pour s’assurer que le parti de la liberté et du développement (HKP), parrainé par les Frères Musulmans ne parviendra pas au pouvoir. De nombreux partis ont néanmoins laissé le HKP et ses alliés aller seul aux élections.

 Il est indubitable que les  partis soutenus par les libéraux, la gauche, les communistes et les Chrétiens ont peu de chances d’être élus. Mais toute erreur même minime des Frères Musulmans qui pourrait alimenter le soupçon et la peur risquerait de provoquer le chaos même si la confrérie accède au pouvoir. Tous leurs messages et leurs actions doivent être très clairs.

Ce qui devrait se traduire par un sentiment de soulagement cez les Chréteiens et dans les cercles libéraux. Les Chrétiens demandent à la confrérie de clarifier son message et de montrer ses véritables intentions. Les libéraux, d’un autre côté, soutiennent que si l’HKP gagne les élections, les femmes seront obligées de porter le tchador, c’en sera fini de l’économie de marché, les activités touristiques seront gelées et le système bancaire comme le pays seront poussés dans une transition vers un autre style de dictature. 

 

En bref, pour que le pays parvienne à une situation meilleure, les Frères musulmans, en tant que meilleure chance pour le pays d’aller vers un gouvernement démocratique; doivent proposer des réponses plausible ) ces allégations et à ces doutes. Ce qui pourrait être accompli grâce à une véritable laïcité, aussi déplaisant que cela puisse paraître. Dit autrement, le pays serait dirigé par un gouvernement qui resterait à égale distance de tous et serait proche de toutes les composantes du pays en même temps.

Les services secrets canadiens et les combattants de la « liberté » en Libye

3 avril 2011

Après les renseignements militaires des Etats Unis, c’est au tour des services secrets canadiens de s’interroger sur la nature de ceux qui s’opposent militairement au colonel Kadhafi et que les forces « démocratiques » de l’OTAN assistent à coups de bombardements et maintenant pare une aide sur le terrain apportée par des agents Britanniques et Américains.

Une inquiétude répercutée dans le Calgary Herald par Susan Martinuk dont on a du mal à comprendre si elle est canadienne ou ressortissante des Etats Unis. Ce qui est par contre certain, c’est que Mme Martinuk n’est pas rassurée sur ce qui pourrait se passer en Libye en cas de victoire de ceux que Bernard-Botul-Henri Lévy a certifiés casher, c’est-à-dire démocrates.

Pour argumenter ses préoccupations, Mme Martinuk invoque le précédent afghan où les Occidentaux avaient soutenu contre le régime communiste appuyé par l’URSS d’autres combattants de la liberté, certifiés eux aussi casher par le même philosophe atteint de botulisme

Mme Martinuk aurait pu citer l’Irak qui jouit maintenant d’un régime sectaire grâce à l’intervention des forces coalisées sous la houlette de Washington. Ben non, elle évoque le Hamas qui venu démocratiquement au pouvoir, et sans jamais remettre en cause les processus institutionnels qui régissent l’Autorité Palestinienne, s’est vu clouer au pilori par les « démocraties » occidentales avant de se retrouver cantonné dans la bande de Gaza placée sous blocus par les terroristes sionistes.

Pas de zone d’exclusion aérienne dans ce cas. Où plutôt si, une zone d’exclusivité aérienne pour les avions sionistes.

Mme Martinuk nous parle aussi de l’Egypte où les Frères Musulmans seraient en passe de parvenir, légalement au pouvoir, suite à la déposition du président Moubarak. Cette perspective n’est certes pas pour lui plaire mais, dans le cas égyptien, comme dans les cas irakien et afghan, Mme Martinuk ne semble pas se rendre compte que les Etats Unis poussent consciemment en avant des forces rétrogrades, conservatrices sur le plan des mœurs et politique mais favorables à une économie marchande et à l’investissement capitaliste américain. Elle ne se demande pas pourquoi Nick Clegg, le vice premier ministre Britannique préfère al Qaïda au régime du colonel Kadhafi.

La situation égyptienne est sans doute bien plus complexe que celle de l’Afghanistan et de l’Irak, mais il est sût que les Etats Unis ont une préférence marquée pour la vieille garde des Frères Musulmans, conservatrice socialement et économiquement, par rapport aux fameux militants séculiers ou « laïques » qui ont le tort insigne de récuser l’emprise des Etats Unis sur le destin de leur nation.

Pour finir, Mme Martinuk semble s’indigner contre la fatwa émise par les Frères Musulmans égyptiens (en réalité Youssef al-Qardaoui, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus réactionnaire et pro saoudien chez les Frères Musulmans) pour demander l’assassinat de Kadhafi.

Mais à quel moment s’est-elle indignée contre la fatwa prononcée par MM. Obama, Sarkozy et Cameron contre Kadhafi. Fatwa qu’ils se sont d’ailleurs empressés d’essayer de mettre à exécution.


Par Susan Martinuk, Calgary Herald (Canada) 1er avril 2011

Qui sont ces gens qui combattent contre le Mouammar Kadhafi, le fou Libyen ?

Les dirigeants Occidentaux ont à l’évidence décidé qu’ils avaient besoin de notre protection. Ce qui avait commencé comme une résolution de l’ONU pour une zone d’exclusion aérienne dans le ciel libyen et « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les civils des forces armées de Kadhafi s’est vite transformé en bombardements sous les ordres de l’OTA d’objectifs stratégiques.

Depuis jeudi, des discussions internationales portent sur l’armement des rebelles, évoquant leurs faibles chances devant Kadhafi sans armes et sans entraînement assuré sur le terrain.

Le premier ministre Britannique David Cameron, le président US Barack Obama et le président Français Nicolas Sarkozy ont semble-t-il étudié une demande pour obtenir des armes. Si Cameron et Sarkozy n’ont encore rien promis, Obama a dit qu’il enverrait du matériel de communication, des fournitures médicales et éventuellement des véhicules de transport pour les rebelles, mais pas d’armes. C’est du moins ce qu’a déclaré Obama au peuple américain qui se méfie d’une nouvelle intervention militaire.

En privé, cependant, c’est une autre histoire. On sait maintenant qu’Obama a signé un ordre secret autorisant un soutien clandestin aux rebelles. L’ordre est une sorte de directive présidentielle qui sert à autoriser des opérations secrètes par nul autre organisme que la CIA. Il est raisonnable de supposer que des opérations clandestines de la CIA signifient aussi armes et munitions. Officieusement, bien entendu. Mais avant de livrer des armes, ne devrions-nous pas demander qui sont ces gens et ce qu’ils représentent ? Diverses informations parlent d’eux comme de combattants de la liberté et de rebelles ? Mais est-ce aller vraiment trop loin que de les qualifier de terroristes ?

Un rapport des services de renseignement s canadiens suggère de manière gênante que la réponse est « non. »

Un rapport secret de l’Integrated Threat Assessment Centre, organisme gouvernemental d’évaluation des menaces, préparé pour le Canadian Security and Intelligence Service a été rendu public cette semaine suite à une demande faite en application de la loi sur l’accès à l’information. Le rapport a été rédigé fin 2009 et qualifie le bastion anti-Kadhafi en Libye orientale de « épicentre de l’extrémisme islamiste. » En outre, « dans cette région, la population a des idées plus conservatrices comparativement au reste de la Libye et l’activisme islamiste est fortement concentré. »

On a un peu de mal à faire coller ces idées avec celles du commandant suprême des alliés dans l’OTAN qui a qualifié l’opposition « d’hommes et de femmes responsables qui luttent contre le colonel Mouammar Kadhafi. »

On ne sait pas si les extrémistes ont des liens avec al Qaïda, mais ce pourrait n’être qu’une petite consolation du moment que les extrémistes islamistes ne semblent pas avoir besoin de ce genre de liens pour faire des ravages dès lors qu’ils contrôlent tout un pays et qu’ils ont une armée à leur disposition (par exemple, le Hamas, l’Afghanistan).

Quand nous considérons en Occident ce qui a été qualifié avec enthousiasme de printemps arabe, nous aimons à penser que de malfaisants dictateurs ont reçu finalement leur dû et que chaque soulèvement est mu par des forces démocratiques. Mais comme certains l’ont déjà signalé, peut-être ne faisons-nous que remplacer des tyrans qui détestent l’Occident par de pires tyrans qui détestent encore plus l’Occident.

Un bon exemple est l’Egypte, où les forces séculières démocratiques semblaient en tête des grandes manifestations de la place Tahrir, mais on attend de voir le niveau de démocratie qui en sortira. Les événements récents laissent à penser que l’Egypte est peut-^te en voie d’être dirigée par des extrémistes islamistes incarnés par les Frères Musulmans.

Dans un récent référendum, les Egyptiens ont voté massivement pour des élections à bref délai – ce qui veut dire que les démocrates non islamistes n’auront guère de chances de construire des partis démocratiques séculiers [secular] et d’éduquer l’opinion aux institutions démocratiques. Ce référendum prépare au contraire l’Egypte à une prise du pouvoir par les Frères Musulmans qui semblent déjà bénéficier d’un certain soutien dans l’armée.

En passant, les Frères Musulmans ont récemment émis une fatwa pour l’assassinat de Kadhafi. Juste pour vous donner une idée de ce qui pourrait de préparer pour l’Egypte

Nous avons déjà connu cette situation auparavant. Les Etats Unis avaient fourni des missiles et des fusils aux moudjahidine, les combattants Afghans de la liberté pour combattre les Soviétiques dans les années 1980. Le résultat fut la prise du pouvoir par une organisation islamiste extrémiste appelée Talibans. Vous connaissez la suite.

Le concept de liberté pour lequel luttent les « combattants de la liberté » pourrait être très différent de notre idée de la liberté. Il y a de fortes chances qu’ils combattent pour l’application de la sharia et un régime totalitaire basé sur la religion, plutôt que pour des libertés individuelles.


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