On sait évidemment que des Occidentaux, non arabophones, non musulmans, se sont initiés à la l’art de la calligraphie arabe. Mais à ma connaissance, et à la différence du Japonais Honda Koichi, aucun n’est arrivé au stade de la notoriété parmi ses pairs.
Peut-être l’Américain Everett Barber le rejoindra-t-il? Pas forcément sur le plan de l’esthétique pure mais sur celui de la thématique qui inspire ses travaux.
Le calligraphe rebelle
Le jeune américain Everett Barber dénonce le double standard de la politique internationale à travers des images créées avec la calligraphie islamique
Par Natalia Sancha, El Pais (Espagne) 5 octobre 2019 traduit de l’espagnol par Djazaïri

Ceci n’est pas le drapeau de l’Etat Islamique
Installé à Beyrouth depuis 2011, Everett Barber recourt à un art qui a plus de 14 siècles d’histoire pour diffuser des messages de dénonciation sociale et politique. Originaire du Tennessee, ce jeune homme de 29 ans a consacré une dizaine d’années à l’étude de la calligraphie islamique. «Mon travail se distingue par mon statut d’étranger. Ils n’achètent pas mes œuvres parce qu’elles sont traditionnelles, mais à cause de thèmes qui reflètent mon identité et font référence à la culture pop de mon pays », explique Barber dans son étude sur Beyrouth. Entouré de crayons qu’il a sculptés dans du roseau ou du bambou, de papiers bruts et de petits encriers, le jeune calligraphe consacre des semaines à la recherche avant de se lancer sur le papier blanc.
Il pratique un art étroitement lié à l’islam qui interdit toute représentation imagée. Cependant, Barber façonne en caractères arabes Donald Trump, des verres à vin, des corps de femmes et des drapeaux. Dans l’une de ses toiles, le drapeau de l’État islamique peut être reconnu. A la place de la chahada (profession de foi musulmane) – il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah, et Muhammad est son prophète – par le serment d’allégeance au drapeau des États-Unis: une nation sous la protection de Dieu, l’Amérique.
Aux États-Unis, les gens sont horrifiés de voir le drapeau de l’État islamique et le symbole du terrorisme djihadiste sans même s’arrêter pour réfléchir à leurs origines. Après tout, c’est l’intervention militaire américaine en Irak qui a contribué à la création de l’organisation terroriste. » Sur une autre toile, la graphie soignée de ce jeune homme reproduit un article de la Déclaration universelle des droits de l’homme sous la forme de la photo tristement célèbre qui montre un prisonnier irakien soumis à l’humiliation et à la torture par des soldats américains dans la prison d’Abou Ghraib. en Irak
Il a étudié le commerce international et l’arabe en Écosse jusqu’en 2009, date à laquelle il s’est installé à Damas. Il s’y éprit d’une étudiante britannique qui consacrait son temps libre à des cours de calligraphie. La romance ne dura pas mais Barber fut captivé par cet art ancien qui est devenu depuis sa seule source de revenus. Aujourd’hui, il combine tradition et modernité, politique et art. « J’essaie de casser le petit nombre de règles traditionnelles pour créer des images. » Un an plus tard, il perdait son travail de serveur à Edimbourg. La nuit, en pyjama, il commença à travailler sur des dessins qu’il vendait ensuite sur le net. Il s’est fait connaître grâce aux réseaux sociaux et il vend ses œuvres en ligne. «50% de mes clients viennent des États-Unis ou d’Angleterre; le reste, des pays du Golfe. «
En 2011, il a déménagé à Beyrouth, persuadé que le conflit syrien ne durerait pas et qu’il pourrait retourner à Damas au bout de quelques mois. La guerre s’est prolongée et huit ans plus tard, Barber est toujours dans la capitale libanaise. Autodidacte, mis à part quatre mois passés en Syrie et un master à l’université de Princeton, qui lui a appris à fabriquer ses propres matériaux, le jeune artiste suit les traces de son maître yéménite, Zaki al Hashemi. Il se déplace souvent pour présenter son travail à Istanbul, haut lieu des calligraphes traditionnels les plus prestigieux du monde. « Pour un calligraphe traditionnel, je suis un simple artiste », dit celui qui n’a pas d’origine arabe et ne professe pas la religion musulmane. Barber est un intrus dans un art né avec l’écriture koufique à la fin du VIIème siècle et qui était à l’origine utilisé pour représenter des versets du Coran dont le style sera codifié trois siècles plus tard par le père de la calligraphie islamique, Ibn Muqla.
Barber reste à l’écart des puristes pourfendeurs de blasphémateurs en s’abstenant d’utiliser des versets coraniques pour représenter des formes iconographiques. «Je ne suis pas arabe et mon rôle n’est donc pas de défier les limites imposées par la tradition islamique. C’est quelque chose qui revient aux calligraphes locaux. ” Barber dit que le plus gros défi auquel il est confronté dans son travail est le facteur humain. Devenir un élève digne de la générosité de ses mentors qui lui ont donné par altruisme un océan de connaissances. Son rêve: retourner à Damas, la ville où il a découvert sa passion. «Si on me le permet, je déménage dès demain. C’est un de ces endroits qui vous appellent et auquel vous ne pouvez pas résister. «