Posts Tagged ‘Jabhat al-Nosra’

Pour les Etats Unis, Alep est la bataille que l’armée syrienne ne doit pas gagner

26 mai 2016

On lit assez rarement des analyses produites par des spécialistes russes des questions de politique internationale ou de défense. Raison de plus pour traduire cet article qui fait utilement le point sur la situation politique et militaire en Syrie.

Si le parti pris est clairement orienté en faveur des autorités russes et du gouvernement syrien, il me semble que l’article brosse néanmoins un tableau exact de la situation et des perspectives pour la Syrie.

On le reconnaîtra d’autant plus aisément qu’on aura compris que ce qui se passe en Syrie n’est pas l’affrontement entre une affreuse dictature (qu’on pense que le régime en place soit ou pas une affreuse dictature selon qu’on est pro régime ou pas) et des partisans de la démocratie. Et que les Etats Unis n’ont pas pour projet d’installer à Damas un gouvernement respectueux du droit.

L’importance de la bataille d’Alep

Par Alexander Kuznetsov, Strategic Culture (Russie) 25 mai 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri

De rudes combats se poursuivent à Alep. Après la violation de l’accord de cessez-le-feu par l’opposition armée, les forces gouvernementales syriennes ont lancé une offensive pour encercler entièrement et prendre le contrôle complet de la partie occidentale de la ville qui est aux mains des militants.

Les forces anti-gouvernementales bombardent régulièrement les civils dans les quartiers chrétiens d’Alep et dans le district Cheikh Maqsoud qui est peuplé de Kurdes. Un résultat de cette nouvelle phase de la campagne militaire a été l’accroissement de l’influence des organisations djihadistes, en particulier du Jabhat al-Nosra. C’est cette organisation et ses alliés que la Turquie et les Etats Unis essayent de faire passer pour « l’opposition modérée » qui est supposée capable de vaincre l’Etat Islamique (Daesh). Mais quand on en vient à leurs méthodes pour éliminer leurs adversaires politiques et les Chrétiens, ces organisations islamiques radicales sont indiscernables.

Cheikh Maqsoud

Quartier Cheikh Maqsoud à Alep

Le leader d’al-Qaïda exhorte les militants “modérés” et “extrémistes” à s’unir.

On doit remarquer qu’encore une autre organisation djihadiste est apparue en Syrie en mars-avril de l’an dernier. Elle est connue sous l’appellation de Djeich al-Fatah. Cette organisation réunit Ahrar al-Cham et Jound al-Aqsa en plus du Jabhat al-Nosra. La plupart des experts considèrent Ahrar al-Cham comme étant une organisation salafiste-djihadiste du même type que le Jabhat al-Nosra qui a été inscrit par le Conseil de Sécurité de l’ONU dans sa liste d’organisations terroristes.

En 2015 , l’ancien chef de Ahrar al-Sham, Hassan Abboud, décrivait ainsi ses différences avec l’État Islamique: « La démocratie est une épée que ‘Occident tient au dessus dles autres nations. Elle est un moyen pour que seulement quelques personnes puissent contrôler une nation. Conformément à la charia, il y a plusieurs façons de choisir un dirigeant. Dans une monarchie, le successeur hérite de son titre. Dans d’autres sociétés qui observent les règles de la charia, le dirigeant est choisi par les hommes les plus sages et les plus respectables après consultation du peuple. Toutes ces méthodes sont légitimes. Nous reconnaissons que, idéalement, il devrait y avoir un calife et ses esclaves. Nos différences avec l’État islamique concernent des questions de forme, pas de substance. La proclamation du califat était prématurée et n’a pas été suivie par l’accomplissement de toutes les procédures institutionnelles ».

L’ancien leader de Ahrar al-Cham considère que contrer la “menace chiite” est la plus importante tâche à accomplir actuellement. Il affirme que « la faucille chiite est brandie autour de la Oumma islamique. Cette faucille safavide perse est l’obstacle principal à la restauration de sa gloire [de la Oumma] ». Le mot « faucille » doit bien entendu être entendu comme le « croisant chiite » – la coalition formée par l’Iran avec la Syrie et le Hezbollah. Cet intéressant adjectif « safavide » renvoie à l’Iran. L’Islam chiite devint la religion officielle de l’Iran sous la dynastie safavide (1506-1721), et les salafistes utilisent souvent ce terme quand ils parlent de l’Iran contemporain.

al_qaeda_star_of_david_still.jpg

Ayman al – Zawahiri

En attendant, Ayman al-Zawahiri, le chef de l’organisation terroriste Al-Qaïda, dont le Jabhat al-Nosra fait partie, a lancé un appel à tous les opposants au gouvernement syrien légitime pour leur demander de consolider leur unité face à l’offensive de l’armée gouvernementale syrienne dans le secteur d’Alep. «Soit vous vous unissez, soit vous mourrez », a déclaré le chef terroriste qui a salué le rôle du Jabhat al-Nosra et a farouchement critiqué le cessez- le –feu en Syrie. Le chef d’Al-Qaïda a exigé que les «vrais musulmans» de tous les pays concentrent leurs efforts sur le djihad en Syrie. Il affirme que «si les Moudjahidin ne s’unissent pas, c’est la défaite des mains des croisés russes et occidentaux qui les attend».

Hamza ben Laden, le fils d’Oussama ben Laden âgé de 23 ans, s’est lui-même allié au leader d’al Qaïda pour soutenir le Jabhat al-Nosra. Il affirme que « la Oumma islamique doit se concentrer sur le djihad en Syrie et resserrer les rangs en laissant derrière les désaccords du moment. »

La pseudo guerre de la Turquie contre l’Etat Islamique

Après ces événements, Ankara est devenu soudain méfiant à l’égard de l’Etat islamique en expansion dans le nord de la Syrie. Erdogan a non seulement annoncé son intention d’éliminer les miliciens de l’Etat Islamique du côté syrien de la frontière, mais il a également refusé d’écarter l’éventualité d’une participation des forces terrestres turques à des opérations localisées contre ce groupe terroriste. Le 6 Avril, une compagnie combattante composée de factions armées de Turkmènes syriens financés par les services de renseignement turcs, associée à plusieurs unités de Salafistes, a pris la ville d’al-Rai aux rebelles Etat islamique et menacé d’avancer vers Azaz, avant d’être repoussés le 11 avril par les djihadistes. Cela était compréhensible : les militants de Daesh prennent leur combat au sérieux – quand ils vont au combat, ils ne bluffent pas.

The Azaz corridor is closed-MKH

Le corridor d’Azaz, vital pour le Jabhat al Nosra a été coupé par l’armée syrienne

Selon les informations fournies par le journaliste turc Burak Bekdil, après que Ankara  a officiellement rejoint la coalition anti-terroriste, le flux d’armes et d’explosifs qui passent par la Turquie vers les régions contrôlées par Daesh n’a non seulement  pas diminué, mais a même augmenté. L’an dernier, 2.500 tonnes de nitrate d’ammonium, 456 tonnes de nitrate de potasse, et 75 tonnes de poudre d’aluminium sont passées de la Turquie dans des régions sous contrôle terroriste. Tous ces ingrédients servent à fabriquer des engins explosifs artisanaux.

En dépit d’une série d’actions terroristes perpétrées par des partisans de l’Etat Islamique en Turquie, un tribunal turc a libéré le 24 mars sept membres de Daesh, dont un cadre militaire. Une telle clémence aboutit à des changements irréversibles dans la société turque. Selon des enquêtes d’opinion, près de 10 % des citoyens turcs (soit près de huit millions de personnes) ont une image positive de l’Etat Islamique et ne le considèrent pas comme une organisation terroriste. C’est une quasi garantie que le flux de nouveaux combattants  venant de Turquie pour intégrer les rangs de Daesh va se maintenir.

Qu’est-ce qui a précipité ce changement de comportement de la Turquie – un pays qui encore récemment était considéré comme le parrain officieux de l’Etat Islamique? En tout premier lieu, les Unités de Protection du Peuple Kurde en Syrie (YPG), qui entretiennent des liens étroits avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ont récemment démontré leur capacité à remporter des succès militaires contre l’Etat Islamique. Deuxièmement, après les coups sévères infligés par l’aviation militaire russe, l’entente de la famille Erdogan avec Daesh pour le commerce du pétrole syrien n’est plus aussi profitable qu’elle l’était avant. Tout cela oblige Ankara à revenir sur sa cooperation avec l’Etat Islamique et à opérer un changement en travaillant avec le Jabhat al-Nosra et les organisations qui lui sont alliées.

Le changement de tactique d’Ankara à l’égard de la Syrie a l’entier soutien de Washington. La récente livraison par les Etats Unis à la Turquie de systemes de roquettes d’artillerie ultra-mobiles fait résonner le signal d’alarme. Ces systems sont capables de tirer des missiles à 90 kilomètres à l’intérieur du territoire syrien. Dans son interview du 10 mai dernier avec la correspondante de CNN Christiane Amanpour, le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a averti la Russie de gros problems à venir si elle continuait à soutenir l’offensive du gouvernement syrien à Alep. Il observait que « la Russie a un intérêt à ne pas se retrouver enlisée des années en Syrie…  [et] devenir la cible de l’ensemble du monde Sunnite et d’avoir tous les djihadistes de la region cherchant à attaquer la Russie. »

Les Etats Unis sont prêts faire tout ce qu’il faut pour empêcher le gouvernement de Bachar al-Assad de se renforcer. Si les troupes gouvernementales obtiennent une victoire militaire dans la région d’Alep, environ 90 % du territoire syrien serait sous le contrôle du gouvernement légitime. Et ça ne fait pas partie des plans de l’Occident. Alors John Kerry menace de fixer une date butoir en août 2016 pour que la Russie aide à la formation d’un gouvernement de transition en Syrie, en affirmant que dans le cas contraire, les livraisons d’armes américaines commenceront à affluer dans les rangs de « l’opposition modérée. » Nous savons fort bien ce à quoi ressemble une « période de transition » à la mode américaine – nous l’avons vu en Irak et en Libye. Cette période a commencé en Irak après l’occupation américaine en 2003 et se poursuit à ce jour, accompagnée d’explosions incessantes à Bagdad, d’une corruption chronique et d’une guerre civile dans les provinces du nord du pays. En Libye, la « période de transition » s’est terminée par l’effondrement de l’Etat. Et c’est ce futur que les Etats Unis ont à l’esprit pour la Syrie. Les bons vieux plans n’ont pas changé.

Robert Ford, celui qui voulait armer les « rebelles » en Syrie, reconnaît maintenant qu’ils ne représentent rien

19 février 2015

Dans la famille Ford, on connaît le cinéaste John Ford (un pseudonyme en réalité), l’acteur Harrisson Ford et le critique de cinéma Charles Ford.

Un nom qui semble prédestiner à exercer une activité en rapport avec le cinéma !

Et quand on n’est pas dans le cinéma spectacle, on joue aux cow-boys et aux Indiens pour de vrai en poussant à la guerre civile, ce qu’a fait avec entrain et ténacité l’ancien ambassadeur des États Unis en Syrie, un certain Robert Ford.

Robert Ford a un petit quelque chose de George W. Bush

Robert Ford a un petit quelque chose de George W. Bush

Robert Ford était en poste à Damas au moment où les premiers troubles ont agité la Syrie, Plutôt que de se contenter de rendre compte à son gouvernement de l’évolution de la situation quitte à rappeler aux autorités locales comment les États Unis concevaient un règlement politique de la crise, Robert Ford s’est immédiatement attelé à attiser les tensions et à bien faire comprendre qu’un révolution à la libyenne trouverait un entier soutien à Washington.

C’est exactement ce qui s’est passé et comme en Libye, la France et le Royaume Uni étaient chargés de jouer les utilités en tant qu’avant-garde de la communauté internationale.

Mais outre le fait que la leçon libyenne a parfaitement été retenue par le gouvernement syrien mais aussi par le gouvernement russe, les références idéologiques et les méthodes des « rebelles » n’ont pas tardé à renforcer le soutien populaire au pouvoir syrien.

L’idéologie et les méthodes sont les mêmes que celles des prétendus rebelles libyens mais comme en Libye, le régime syrien n’aurait pu être abattu que grâce à une intervention étrangère directe. Or cette dernière n’a pas été possible parce que l’armée gouvernementale ne s’est pas effondrée mais est restée au contraire motivée, et parce que la Russie comme l’Iran ont clairement fait connaître leur ferme opposition à une telle entreprise.

Les temps ont bien changé depuis 2011 et la fameuse opposition démocratique syrienne apparaît pour ce qu’elle est une nébuleuse de clients des pétromonarchies qui sont motivés surtout pas l’appât du gain. De fait, les pétromonarchies ont été très généreuses et leurs clients leur en donnent pour leur argent en matière de pillages, de destructions et de têtes coupées.

Aujourd’hui Robert Ford ne soutient plus la dotation en armes de l’opposition syrienne . Il n’a cependant pas renoncé à ses beaux projets pour la Syrie puisqu’il recommande l’envoi de soldats, pas nécessairement américains, précise-t-il.

On verra ce qu’il en sera étant donné que le parti de la guerre à Washington cherche maintenant à prendre prétexte de la force de l’Etat Islamique en Irak et au Levant pour demander une action militaire directe.

Les gens informés savent pourtant que les milices de la mouvance d’al Qaïda (et Daesh a été un moment affilié à cette organisation) ont joué un rôle prédominant très tôt dans l’histoire de la crise syrienne

Après avoir été un de ses principaux promoteurs, l’ex-ambassadeur des Etats Unis n’est plus favorable à l’armement des rebelles

par Hannah Allam, McClatchy Washington Bureau 18 février 2015 traduit de l’anglais par Djazaïri

Washington – Robert Ford a toujours été un des plus chauds partisans des rebelles syriens à Washington, se démenant à l’intérieur d’une administration réticente en faveur de l’armement de rebelles modérés triés sur le volet pour combattre le régime brutal de Bachar Assad.

Ces dernières semaines, cependant, Ford, l’ancien ambassadeur des États Unis en Syrie qui avait fait la une quand il avait quitté le service de l’Etat il y a un an en critiquant sévèrement la politique de l’administration Obama, a renoncé à son appel à fournir des armes aux rebelles. Il est au contraire devenu de plus en plus critique à leur égard, les considérant comme incohérents et indignes de confiance parce qu’ils collaborent avec les djihadistes.

Cette volte-face qui fait murmurer parmi les spécialistes de politique étrangère et les personnalités de l’opposition syrienne à Washington, est un signe supplémentaire que l’option des rebelles soi-disant modérés a fait long feu et que le choix en Syrie se réduit au régime contre les extrémistes dans une guerre qui a tué plus de 200 000 personnes et en a déplacé des millions.

Dans la foulée de réunions avec les dirigeants rebelles en Turquie, Ford a expliqué dans une interview cette semaine pourquoi sa position a évolué: Sans un commandement central fort ou même d’entente entre les acteurs régionaux pour désigner le Front al Nosra Front affilié à al Qaida comme un ennemi, dit-il, les modérés auront peu de chances de devenir une force viable, que ce soit contre Assad ou contre les extrémistes. Il a estimé la fraction restante de modérés parmi les rebelles à moins de 20 000 hommes. Ils sont incapables d’attaquer et, en ce moment, ils sont «surtout dans des batailles défensives ».

Pour faire court : ça n’a aucun intérêt d’envoyer de l’aide au camp du perdant.

« Nous devons faire face à la réalité telle qu’elle est», a déclaré Ford, qui collabore maintenant avec le Middle East Institute à Washington. «Les gens que nous avons soutenus n’ont pas été assez forts pour tenir leur terrain contre le Front al Nosra. »

Le ton de Ford sonne aujourd’hui comme celui d’une personne différente de l’optimiste qui, il y a seulement six mois, écrivait un essai de politique étrangère qui commençait ainsi: « Ne croyez pas tout ce que vous lisez dans les médias: Les rebelles modérés de la Syrie ne sont pas finis. Ils ont gagné du terrain dans plusieurs parties du pays et ont rompu publiquement à la fois avec la filiale d’Al-Qaïda qui opère sur place et avec les djihadistes de l’Etat islamique « .

Maintenant,pourtant, dans les tables rondes et dans ses conférences, Ford accuse les rebelles de collaborer avec le Front al Nosra, la branche d’al-Qaïda en Syrie que les USA ont déclaré organisation terroriste depuis plus de deux ans. Il dit que les luttes intestines de l’opposition se sont aggravées et il déplore le fait que des organisations extrémistes dominent désormais dans la plupart des territoires qui échappent au contrôle du régime syrien.

Ford affirme que le problème tient en partie à ce que que trop de rebelles – et leurs parrains en Turquie et au Qatar – ont insisté pour dire que le front al Nosra était une force anti-Assad indigène, alors qu’en fait c’était une branche d’Al-Qaïda dont l’idéologie était pratiquement indiscernable de celle de l’État islamique. L’administration Obama a déjà eu toute une série de déconvenues concernant des fournitures données aux rebelles qui se sont retrouvées entre les mains d’organisations désignées comme terroristes par les États Unis.

« Le front al Nosra est tout aussi dangereux, et pourtant ils prétendent que ce sont des gens biens, ils sont Syriens, » déclare Ford. « Le deuxième problème est que notre matériel a échoué chez eux. »

En même temps que ses appels à armer les rebelles se faisaient de plus en plus fables, Ford s’exprimait plus vigoureusement sur les relations entre les rebelles et le front al Nosra, chose que les officiels américains avaient préféré ignorer, du moins publiquement.

Lors d’un séminaire le mois dernier en présence d’un public auquel participaient des figures importantes de l’opposition syrienne avec lesquels il avait travaillé pendant des années, Ford a commencé par un préambule d’avertissement que ce qu’il allait dire était « ne serait pas populaire» parmi la partie de l’assistance appartenant à l’opposition syrienne.

Il s’est ensuite lancé dans un acte d’accusation des rebelles modérés, leur disant sans ménagement qu’ils pouvaient oublier l’aide extérieure aussi longtemps que ils continueraient à collaborer avec le front al Nosra. Il a laissé entendre que les responsables américains qui les soutenaient s’étaient lassés de devoir les couvrir auprès de l’administration et d’une opinion publique américaine qui sont sceptiques quant à une implication plus grande des États-Unis en Syrie.

« Pendant longtemps, nous avons détourné le regard pendant que le Front al Nosra et les groupes armés sur le terrain, dont certains reçoivent de l’aide de notre part, coordonnaient leurs opérations militaires contre le régime », a déclaré Ford. « Je pense que ces jours où nous regardions ailleurs sont terminés. »

La plupart des membres de l’auditoire étaient familiers avec l’historique de Ford sur le dossier syrien, et ils avaient été visiblement surpris de ces paroles de remontrances; ils le connaissaient comme un défenseur acharné des rebelles, quelqu’un qui avait mis fin à une longue carrière diplomatique il y a un an ce mois-ci avec des propos acerbes sur le refus de l’administration Obama de les armer. Ford est souvent décrit comme le premier haut fonctionnaire à s’être exprimé aussi ouvertement contre la politique américaine envers la Syrie; la Maison Blanche est toujours furieuse contre sa décision de passer outre le devoir de réserve.

Ford n’a pas assoupli sa position sur la responsabilité des États Unis dans la catastrophe syrienne – il présente toujours la politique américaine comme un « immense ratage » et «un échec singulier » – mais maintenant, il n’épargne pas aux rebelles leur part de responsabilité. Il n’est guère patient devant l’argument selon lequel ils étaient forcés de collaborer avec le front al Nosra et d’autres partenaires infréquentables à cause des promesses d’assistance non tenues par l’Occident. Il faut qu’on s’accorde, dit-il, sur le fait que al Qaïda est hors-jeu comme partenaire.

« Il devient impossible d’aligner une opposition efficace quand personne n’est d’accord sur qui ou quoi est l’ennemi, » dit-il.

Ford considère que la dernière approche américaine consistant à laisser tomber l’ancien modèle de rébellion pour construire une nouvelle force paramilitaire triée sur le volet pour se concentrer sur la lutte contre l’Etat islamique était vouée à l’échec ; les rebelles syriens sont plus motivés par la destitution d’Assad que par le combat contre les extrémistes pour le compte de l’Occident, et il y a bien trop peu de combattants pour prendre le projet au sérieux.

« L’effectif [de combattants] est encore trop réduit, » dit-il. « Que feront-ils avec 5 000 hommes ? Ou même avec 10 000 dans un an ? Qu’est-ce que ça pourra faire ? »

Le régime Assad veut de présenter lui-même comme une alternative [à al Qaïda et à Daesh], mais Ford explique que l’armée syrienne a été très affaiblie et qu’il est douteux que le régime puisse mener une campagne victorieuse contre les extrémistes. Et puis il y a les retombées politiques et morales qui découleraient d’une détente des relatiosns de l’Amérique avec un homme que des dirigeants américains décrivent depuis 2011 comme un boucher qui a perdu toute légitimité à gouverner.

Ford affirme que le moment est venu pour les dirigeants américains et leurs alliés d’avoir une discussion sérieuse sur l’envoi de « troupes sur le terrain, » tout en ajoutant aussitôt que ces combattants ne doivent pas être forcément américains. Il considère que seule une force terrestre professionnelle peut débarrasser la Syrie des djihadistes.

Et toute action parallèle pour bâtir un mouvement rebelle local devrait se faire de manière rationnelle à travers un commandement central et un canal hiérarchique syrien, dit-il. Les partenaires internationaux, déclare Ford, doivent renoncer au cadre de fonctionnement « insensé » actuel dans lequel chaque puissance régionale financent dans l’anarchie un écheveau d’organisations clientes qui, dit-il, serait du plus haut comique si les conséquences n’en étaient pas si tragiques.

Et si cette démarche ne peut pas être mise en place, déclare l’homme connu pour plaider en faveur d’une plus grande implication des États Unis, « alors nous n’avons plus qu’à nous retirer et dire que nous ne pouvons rien faire pour la Syrie. »

La guerre contre l’EIIL (Daesh) s’inscrit dans un nouveau plan pour détruire le régime syrien

4 octobre 2014

Sur l’intervention occidentale en Syrie et ses paradoxes, je vous propose cet article du journal Al-Akhbar suivi de mon (long) commentaire.

La « guerre des ressources » menée par la coalition anti-EIIL frappe tous les Syriens

par Suhaib Anjarini, Al-Akhbar (Liban) 30 septembre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Les frappes de la coalition internationale sur l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) et le Front al-Nosra en Syrie sont entrées dans leur deuxième semaine aujourd’hui, avec des dizaines de raids et de tirs de missiles visant les régions de Raqqa, Deir ez Zohr, al-Hasaka et Idlib.

Si les officiels des Etats Unis, pays qui est à la tête de la coalition anti-EIIL ont confirmé que « les frappes ont été des succès », l’EIIL est resté discret et n’a pas encore publié de communiqué « officiel. »

Le Front al-Nosra a par contre reconnu avoir subi de lourdes pertes après les attaques contre ses garnisons, et son chef Abou Mohammed al-Joulani a prévenu que cela «impactera toute la région et pas seulement al-Nosra. »

Un aperçu général des sites visés par les forces de la coalition suggère que les frappes aériennes dans les zones rurales d’Alep et d »Idlib pendant les premiers jours de l’opération ont un impact immédiat évident, tandis que les frappes constantes de la coalition sur les régions sous contrôle de l’EIIL ont une dimension stratégique et leurs répercussions pourraient bien aller au-delà de l’EIIL.

Dans les premiers jours, les frappes sur l’EIIL étaient limitées à quelques bases de l’organisation et à des camps d’entraînement, mais elles ont ensuite été étendues pour inclure des puits de pétrole, des raffineries, des champs gaziers et des silos à grain.

Tandis que certaines sources prétendent que ces attaques ont pour but de « tarir les sources de revenus de l’EIIL », d’autres sources affirment que ces actions visent en réalité les « infrastructures et l’économie syriennes. » Une source syrienne appartenant à la soi-disant opposition modérée a déclaré à al-Akhbar, « Les frappes récentes vont dans la bonne direction pour abattre à la fois l’Etat Islamique en Irak et au Levant et le régime. »

La source expliquait que « afin d’abattre les deux parties, certains sacrifices doivent être faits, et bombarder des puits de pétrole et des champs gaziers est seulement le début. » Il a aussi appelé à « viser les oléoducs, les gazoducs et les centrales électriques qui alimentent en électricité les régions contrôlées par le régime. »

« Ces mesures seront prises plus tôt qu’on ne le pense, même si les rebelles doivent prendre ces mesures par eux-mêmes, » a-t-il dit, ajoutant que « une guerre sur les ressources peut constituer une alternative acceptable à une zone d’exclusion aérienne. »

Les civils ont cependant été les premiers à payer le prix de ces attaques qui ont fait grimper en flèche les prix du carburant. En outre, toute nouvelle attaque contre les champs pétroliers syriens risque de provoquer plus de souffrances dans la région, tout particulièrement à l’approche de l’hiver.

La base du pouvoir de l’EIIL ne s’est pas encore effondrée dans les régions sous son contrôle. L’organisation maintient au contraire son emprise sur elles.

Par exemple, l’EIIL a récemment conduit des raids sur un certain nombre de secteurs des zones rurales à l’est de Deir ez Zohr pour capturer des membres du clan al-Shouaitat qui s’y étaient enfuis, tandis que l’organisation continue d’avancer en direction des régions kurdes de la campagne d’Alep.

Une source de l’EIIL sur le champ de bataille a déclaré à al-Akhbar que « l’EIIL était sur le point de libérer la zone et de vaincre les forces kurdes infidèles. »

« Toutes les informations des médias des croisés et de leurs alliés concernant le nombre de martyrs de l’EIIL sont mensongères, » déclare la source, « ils n’ont pas arrêté de mentir depuis l’invasion de l’Irak par les croisés, » ainsi que l’a déjà révélé le Cheikh al-Adnani [porte-parole officiel de l’EIIL].

130831-al-adnani

Cheikh al-Adnani, porte-parole de l’EIIL (Daesh)

La source qui n’était pas autorisée à donner d’informations sur le véritable nombre des pertes dans les rangs de l’EIIL a dit, « notre cellule vient juste de terminer un projet de rapport aujourd’hui [le 29 septembre] sur la situation dans les campagnes à l’est de Raqqa, et il montre que les attaques des croisés n’ont pas eu d’impact majeur . »

De son côté, une source djihadiste affiliée au Front al-Nosra observe que « les raids ne distinguent pas entre civils et djihadistes, il est évident pour chacun que la coalition des infidèles vise tous les Musulmans. »

« Leurs attaques contre les djihadistes sont de simples tentatives pour aider leurs protégés des brigades traîtresses à contrôler les régions libérées après l’élimination des djihadistes, » a ajouté la source.

Parlant à al-Akhbar, la source a révélé que « environ 150 personnes ont été tuées dans des régions contrôlées par al-Nosra, » mais elle a refusé de donner des précisions sur ce chiffre, affirmant que « nous ne distinguons pas entre le civil et le djihadiste, tout le monde ici est un djihadiste et nous les considérons comme des martyrs pour Dieu. »

Mon commentaire et mes observations sur la situation en Syrie :

Après avoir enregistré des succès foudroyants en Irak, l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) est aujourd’hui désigné en Occident comme l’ennemi du moment, et il est bien entendu affublé de toutes les caractéristiques auxquelles ont droit ceux que l’Occident a désignés comme ennemi,

Pour dire les choses, le portrait peu flatteur qui est dressé de ces « djihadistes » ressemble à peu de choses près à celui qui était brossé de Bachar al-Assad, la composante religieuse en moins quoique la propagande répandue dans la presse occidentale, française notamment, omettait rarement de mentionner l’appartenance du chef de l’Etat syrien à une tendance minoritaire de l’Islam, la secte alaouite elle-même résultat d’une évolution de la doctrine chiite.

Et puis, un ministre des affaires étrangères français, par ailleurs bien propre sur lui, n’avait-il pas affirmé que « Bachar al-Assad ne mériterait pas d’être sur la terre. » ?

Aujourd’hui, ce sont les gens de l’EIIL qui ne mériteraient plus d’être sur la terre sans pour autant que Bachar al-Assad ait gagné le droit d’y rester !

Entendons-nous bien, l’avènement de l’EIIL ou Daesh pour parler comme François Hollande (probablement pas foutu de développer cet acronyme) n’est pas une bonne chose pour les populations de la région dans leur ensemble et cette milice s’est rendue coupable de nombreuses exactions et crimes, en particulier mais pas seulement, à l’encontre des minorités religieuses.

Ce n’est cependant pas une raison pour céder aux délires de la propagande occidentale (voire même des milieux favorables au régime syrien) qui dépeignent l’EIIL comme une meute d’ogres assoiffés de sang et d’une cruauté sans bornes. Un certain nombre de récits qui circulent comme par exemple sur le commerce des femmes étiquetées comme du bétail ne sont des fables de nature à interpeller les imaginaires occidentaux en mobilisant toutes sortes d’images d’Epinal (sorties d’adaptations des Mille et une Nuits).

Ce sont en effet à peu près toujours les mêmes clichés qui ressortent à chaque fois que Washington et l’Axe du Bien sont décidés à châtier les méchants. Si les Occidentaux voulaient vraiment le bien des peuples de la région, ils cesseraient en premier lieu de chercher à tout prix la perte du régime syrien, quitte à générer le chaos dont l’EIIL est issu, un chaos que l’intervention militaire risque d’aggraver.

Pourtant l’EIIL ne dérangeait pas l’Occident il y a peu de temps encore quand il étendait son emprise sur certaines régions de Syrie. Déjà l’EIIL ou d’autres organisations semblables voire même modérées coupaient des têtes, parfois à la tronçonneuse en France on utilisait la guillotine jusque dans les années 1970).

Qui plus est cet EIIL avant de s’autofinancer en vendant du pétrole extrait en Syrie a bénéficié de subsides et de renforts humains et matériels en provenance des monarchies du Golfe alliées de l’Axe du Bien.

Et last but not least, beaucoup des combattants de cet EIIL sont venus de Turquie, soit parce qu’ils vivaient dans ce pays, soit parce qu’ils y ont transité. Nous parlons là de milliers de personnes, voire de dizaines de milliers, c’est-à-dire d’un flux dont les autorités locales étaient nécessairement informées.

En fait, non seulement les autorités d’Ankara étaient informées, mais elles ont fait au mieux pour faciliter cette activité, recevant même des blessés dans les hôpitaux turcs.

C’est que l’EIIL poursuit en Syrie deux objectifs stratégiques pour un régime turc qui n’osait pas se donner le droit de les réaliser lui-même pour des considérations de politique intérieure et extérieure : détruire le régime syrien et neutraliser les milices kurdes de Syrie.

Les intérêts d'Ankara et de l'EIIL (Daesh) convergent

Les intérêts d’Ankara et de l’EIIL (Daesh) convergent

Aujourd’hui les choses changent puisque les aviations de l’Axe du Bien se précipitent pour bombarder les milices « djihadistes ».

On notera à ce sujet deux faits paradoxaux : le premier est que les plus grosses pertes dans les rangs « djihadistes » ne semblent pas avoir été subies par l’EIIL mais par le Jabhat al-Nosra, cette organisation affiliée officiellement à al Qaïda dont Laurent Fabius estimait qu’elle « faisait du bon boulot » en Syrie. Le deuxième est que, en dépit des bombardements (réussis selon les militaires français ou américains), l’EIIL continue à progresser dans sa confrontation avec les forces kurdes à la frontière syro-turque et qu’il s’est dangereusement rapproché de Bagdad.

On verra ce qu’il en sera par la suite car, ainsi que l’a déclaré le premier ministre britannique David Cameron, l’engagement militaire va durer.

Chaque pays a ses raisons de participer à la campagne militaire contre l’EIIL. On voit par exemple que pour la France, il s’agit à la fois de conforter sa place dans l’OTAN et de redorer le blason d’un François Hollande qui semble apprécier de jouer à l’homme fort.

Mais les motivations principales doivent être cherchées à Washington avec la reprise en main des affaires par les néocons à la faveur de la crise ukrainienne.

L’objectif semble maintenant clairement d’en finir avec le régime syrien mais sans intervenir directement militairement contre lui.

La stratégie adoptée par les néocons consiste à financer, armer, entraîner et recruter des combattants en nombre suffisant afin de reconstituer une opposition « modérée » (c’est-à-dire soumise à Washington). Ces mercenaires seraient amenés à occuper le terrain qui sera progressivement dégagé par l’affaiblissement des deux principales forces militaires « djihadistes », le Jabhat al-Nosra et l’EIIL.

L’objectif prioritaire semble d’ailleurs moins être pour l’instant l’EIIL que le Jabhat al-Nosra, ce dernier étant en effet sur des positions dans la région de Damas, du Golan et du Liban qui promettent une solution de continuité avec la Jordanie d’où les opérations sont commandées par des officiers anglais et américains. Le tout avec la protection de la DCA sioniste qui a instauré une zone d’exclusion aérienne de facto.

On nous a expliqué que la coalition de l’Axe du Bien cherchait à assécher les ressources financières de l’EIIL en frappant les installations pétrolières et gazières dont il tire de gros revenus.

Les choses ne sont pourtant pas si simples. On sait que l’EIIL ne tire pas ses revenus seulement de l’exploitation du pétrole puisqu’il bénéficie de largesses venues des pétromonarchies.

Ensuite, on sait que ce pétrole est vendu essentiellement en Turquie, pays qui n’a rien fait ou pas grand chose pour faire cesser la contrebande de ce produit.

Quant au gaz, il ne saurait être exporté que par gazoduc ou sous forme liquéfiée. Un gazoduc ne peut fournir qu’un client officiel, un autre Etat par exemple et il n’existe pas d’usine de liquéfaction en Syrie.

Le gaz dans le contexte politique actuel est donc un produit essentiellement à consommation locale : pour la cuisson ou le chauffage.

J’espère que quelqu’un demandera à Barack Obama comment les familles syriennes pourront se chauffer cet hiver. Peut-être en déboisant les quelques forêts qui existent en Syrie ?

En attendant de produire les effets recherchés, c’est-à-dire l’élimination du pouvoir baathiste en Syrie, nous sommes peut-être à la veille d’une crise humanitaire sans précédent en Syrie.

Les bombardements américains n'épargnent pas les civils

Les bombardements américains n’épargnent pas les civils; maison détruite par une attaque américaine sur un village syrien

Pour conclure, on comprendra bien que le but de ces bombardements est en réalité de détruire l’infrastructure économique syrienne afin qu’aucune force sur le terrain, ne puisse s’autonomiser par rapport à la volonté des USA.

Obama à l’assaut de l’Etat Islamique ou la stratégie du chaos (ou encore la Turquie prise à son propre piège)

11 septembre 2014

Les choses semblent se dessiner maintenant. Le gouvernement des Etats Unis a décidé de former une coalition à laquelle est fixée la mission de vaincre l’Etat Islamique qui a pris corps sur une partie des territoires de l’Irak et de la Syrie.

La coalition comprend un noyau dur avec des pays comme la Grande Bretagne et la France et des partenaires plus périphériques.

L’article que je vous propose parle justement du positionnement de la Turquie par rapport à cette orientation stratégique du président Obama, Turquie qui vient de refuser l’utilisation de ses bases aériennes pour des bombardements en territoire syrien et irakien.

L’auteur nous explique que, parmi les pays susceptibles de participer à ce noyau dur,  la Turquie, est le seul Etat  à partager une frontière avec l’Etat islamique n’a nulle envie de faire partie de ce noyau dur.

Pour la bonne raison que les autorités turques ont longtemps misé et misent encore sur des mouvements comme celui qui a donné naissance à l’Etat Islamique en Irak et au Levant (aujourd’hui Etat Islamique) pour venir à bout des régimes qui selon elles maltraitent les Sunnites. La priorité du gouvernement turc étant de corriger le gouvernement irakien et d’éliminer le régime baathiste au pouvoir à Damas.

Une bonne partie des milliers de combattants qui peuplent les rangs du Califat proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi ont en effet à un moment ou à un autre transité par le territoire turc et y retournent à l’occasion pour se soigner par exemple.

map-isil-2014-06

Un autre problème auquel fait face le gouvernement turc tient à ce qui se passerait si l’Etat Islamique était contraint d’abandonner ses positions : ce serait alors le reflux des miliciens « djihadistes »vers la Turquie où l’armée de ce pays n’aurait sans doute plus d’autre choix que de leur livrer bataille.

Tout cela est exposé dans cet article (que j’ai traduit de l’anglais à partir d’un original écrit en turc, ce qui explique certains défauts du texte), Ainsi que ce cauchemar pour le gouvernement turc que constituerait une alliance formelle ou de facto entre la coalition anti-EI et le régime de Bachar al-Assad !

Pour l’heure on ne sait cependant pas si l’intervention militaire occidentale aura un effet positif pour le régime syrien où si elle cherchera à l’affaiblir sous couvert de bombarder les forces de l’Etat islamique.

Enfin l’auteur observe que, en cas de défaite de l’Etat Islamique, les organisations qui pourraient se substituer à lui sont faites à peu près du même bois, l’une d’entre elles étant officiellement affiliée à al Qaïda.

Ce qui ne saurait gêner outre mesure la CIA comme on peut s’en douter.

Le dilemme de la Turquie devant la lutte contre l’Etat Islamique

par Fehim Taştekin, Al-Monitor 7 septembre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Après quehttp://www.al-monitor.com/pulse/contents/authors/fehim-tastekin.html les Etats Unis ont annoncé qu’ils constituaient un « noyau de coalition » avec dix pays pour combattre l’Etat Islamique (EI), les regards se sont tournés vers la Turquie. La Turquie aura-t-elle vraiment une place parmi les dix pays cités par Reuters ? Dans l’affirmative, quel rôle jouera-t-elle ? Après le sommet de l’OTAN du 5 septembre au Pays de Galles, le Secrétaire d’Ertat à la Défense Chuck Hagel a indiqué que ce noyau de la coalition facilitera la formation ultérieure d’un groupe plus large et plus structuré. Le Secrétaire d’Etat US John Kerry a déclaré que la coalition devait être mise en place de sorte à empêcher l’EI de s’emparer de plus de territoires sans avoir à envoyer sur place des soldats de l’alliance [OTAN], par un soutien aux forces de sécurité irakiennes et à d’autres qui sont prêtes à affronter l’EI. Il a précisé que la ligne rouge pour tous était de ne pas lancer d’opération terrestre.

Selon des informations de coulisses rapportées par CNN Turquie après la rencontre entre le président américain Barack Obama et le président turc Recep Tayyip Erdogan, Ankara n’est pas favorable à l’idée de participer au noyau de la coalition. Le quotidien Cumhuriyet a rapporté que la Turquie formulait des réserves et que la rencontre Obama – Erdogan s’est conclue avec un accord sur une participation de la Turquie de derrière les coulisses.

Les réserves de la Turquie sont répertoriées comme suit :

Les otages turcs détenus par l’EI ne doivent subir aucun mal

L’équilibre des forces dans la région ne doit pas être modifié, et de ce point de vue, aucun armement ne devrait être fourni aux Chiites qui sont puissants à Bagdad.

La Turquie est dans un processus de règlement avec les Kurdes. La présence d’armes incontrôlées dans la région pourrait représenter une menace pour la sécurité intérieure de la Turquie.

L’opération ne devrait pas renforcer le régime de Bachar al-Assad en Syrie.

Reuters a cité un diplomate US affirmant qu’en raison de la situation particulière qui prévaut, la contribution de la Turquie ne peut pas être très visible.

Les dilemmes de la Turquie

Les dilemmes de la Turquie devant la lutte contre l’EI ne se limitent pas à la question des otages. Les Etats Unis ont fixé comme ligne rouge la présence de troupes au sol. Dans une telle situation, il est inévitable que les troupes sur le terrain pour combattre l’EI doivent provenir de forces locales [de la région]. Un succès durable implique que les forces locales consolident leur emprise. Les forces terrestres qui ont repris des sites stratégiques comme le barrage de Mossoul et la ville d’Amerli avec l’appui aérien des Etats Unis étaient des acteurs que la Turquie n’a pas vraiment envie d’aider. A Amerli, ce sont des milices chiites comme les Brigades de la Paix, les brigades Abou Ali avec des unités de l’armée irakienne dominée par les Chiites qui ont ouvert la voie. Les opérations dans le nord sont conduites par les peshmerga, la branche militaire du Gouvernement Régional du Kurdistan, le Parti des Travailleurs du Kurdisatn (PKK) et les Unités de Protection du Peuple (YPG, Kurdes de Syrie). Repousser l’EI sans les forces locals à propos desquelles Ankara a émis des réserves ne sera pas possible. En déclarant « Nous devons soutenir les autres [forces] qui sont prêtes à résister à l’EI, » Kerry a souligné l’importance de ces forces locales. La Turquie, qui a interprété les soulèvements dans les provinces de Mossoul, Salahuddin et Anbar comme des rébellions sunnites contre le gouvernement chiite en Irak et a maintenu des contacts étroits avec ces organisations dans l’espoir d’une issue favorable aux Sunnites, ne veut pas que la coalition contre l’EI relance les forces chiites. Les propos suivants du premier ministre turc Ahmet Davutoglu sur l’Etat Islamique (qui s’appelait lui-même auparavant EIIL, Etat Islamique en Irak et au Levant) doivent être compris comme l’expression de l’attente par la Turquie d’un nouveau rapport de forces en faveur des Sunnites : « La colère, la marginalisation et les insultes ont abouti à l’éruption soudaine d’une réaction sur un vaste front. Si les Arabes sunnites n’avaient pas été marginalisés en Irak, il n’y aurait pas eu une telle accumulation de fureur La structure que nous appelons EIIL pourrait être vue comme une organisation terroriste extrémiste. Mais parmi ceux qui la rejoignent, il y a des Turcs, des Arabes et des Kurdes. »

Le deuxième dilemme important pour la Turquie est le renforcement de la puissance du PKK et du PYG par leur combat contre l’EI et leur gain de légitimité aussi bien aux yeux des populations de la région que de la communauté internationale.

Depuis que le Parti d’Union Démocratique (PYD) est apparu comme le catalyseur de l’autonomie de fait des Kurdes de Syrie, la Turquie a dû revoir son approche. Cette nécessité a été ressentie pour la défense des frontières avec l’Irak et la Syrie, et même pour assurer la sécurité de la tombe de Suleiman Shah qui est considérée comme territoire turc sur la rive de l’Euphrate [en Syrie]. Les mouvements militaires turcs pour ravitailler les soldats turcs qui gardent la tombe et pour la relève doivent se faire en concertation avec le YPG.

La Turquie coopère-t-elle avec l’EI ou le YPG ou le PKK ? Le co-président du Parti Démocratie Populaire Kurde (HDP) Selahhatin Demirtas explique, « Ca pourrait sembler marginal, mais le PKK combat la barbarie de l’EI. S’il doit y avoir la paix avec la Turquie et si le PKK doit renoncer à la lutte armée contre la Turquie, pourquoi ne pas l’aider maintenant avec des armes ? » La question que la Turquie cherchait à éviter est ainsi revenue à l’ordre du jour. La Turquie doit décider si elle veut préserver le processus de paix [avec les Kurdes] en passant de l’animosité à la coopération ou tout perdre en exagérant les craintes de voir les armes que pourraient acquérir les Kurdes se retourner un jour contre la Turquie. Les craintes de la Turquie limitent bien sûr sa marge de manoeuvre pour accéder au statut d’acteur régional auquel aspire tant les dirigeants du Parti de la Justice et du Développement (AKP au pouvoir).

Un dilemme de plus : La possibilité que l’Etat Islamique qui amasse pas mal d’argent avec le gas oil qu’il vend en contrebande en Turquie se serve des frontières turques comme route logistique pour orienter ses attaques contre la Turquie. L’EI qui a été en capacité de s’organiser dans les grandes villes turques pourrait très bien cibler ces villes. De nombreuses informations alertent sur une telle possibilité. Si l’EI se désintégrait , le pays vers lequel il se repliera en premier lieu pour s’y réorganiser sera la Turquie.

C’est un motif de migraine pour le long terme, mais ce qui est indéniable c’est que la Turquie est beaucoup plus préoccupée par des attaques de l’EI qu’elle ne l’était au moment de la prise de Mossoul par l’EI. Le gouvernement avait même dit auparavant à propos de le prise du consulat de Turquie à Mossoul : « Notre consulat est territoire turc. Mais l’attaque qu’il a subie et la prise d’otages ne sont pas significatifs pour la Turquie. Le territoire turc n’est pas visé. » La Turquie – seul pays du noyau dur à avoir une frontière avec l’Etat Islamique est une cible aisée et parfaite pour des représailles – a fait connaître ses inquiétudes au sommet de l’OTAN. D’autres pays qui pourraient être visés par l’EI n’appartiennent pas au noyau de la coalition. La Jordanie que l’EU veut ajouter au Califat ne s’est pas montrée avec la coalition même si le roi Abdallah de Jordanie était au sommet de l’OTAN et que son pays a été chargé de fournir des renseignements sur les forces présentes sur le terrain. L’Arabie Saoudite, qui apporte ses ressources financières pour ce genre d’opérations, est un autre pas à ne pas se manifester de manière visible

Un autre motif d’inquiétude pour le gouvernement AKP est la possibilité d’une reprise du contrôle par l’armée syrienne après avoir éliminé l’EI. Erdogan n’est pas disposé à voisiner à nouveau avec une Syrie qui resterait gouvernée par Assad. L’administration Obama n’a pas encore décidé si elle allait coopérer avec Assad où avec les ennemis d’Assad contre l’Etat Islamique. En Irak, un partenariat informel s’est mis en place avec l’Iran et le mouvement de Moqtada al-Sadr qui avait combattu l’invasion américaine, mais ce n’est pas si facile de prendre une décision quand on en vient à la Syrie. Même si Obama peut continuer à envisager l’option du soutien à l’opposition syrienne modérée, rien ne garanti que ça marchera contre des organisations extrémistes comme l’EI. C’est pourquoi les Etats Unis veulent se concentrer sur l’EI pour le moment.

Il y a deux candidats assez forts pour remplir le vide laissé par l’Etat Islamique : le Front Islamique, qui est lui-même constitué d’éléments extrémistes, et la branche syrienne d’al Qaïda, le Jabhat al-Nosra. C’est suffisant pour compliquer les efforts d’élaboration d’une stratégie pour la Syrie.

L’Etat Islamique en Irak et au Levant fruit d’une erreur stratégique des Etats Unis?

25 août 2014

Intéressant cet article qui attire l’attention sur les liens entre les organisations « djihadistes » qui font beaucoup parler d’elles en ce moment, notamment en Irak, et les appareils politico-militaires des principales puissances occidentales, c’est-à-dire les Etats Unis, la Grande Bretagne et bien sûr la France (la France UMP comme la France PS faut-il préciser).
L’auteur de l’article, une universitaire, pense que les accointances entre le gouvernement  des Etats Unis et les organisations comme le Front al Nosra sont des erreurs qui viennent répéter d’autres erreurs du même type commises en Libye et en Afghanistan.

Je ne sais pas vous, mais je ne crois pas qu’on se trouve présentement devant des « erreurs » stratégiques parce que je vois mal des officiers du Pentagone répéter en un laps de temps très court des erreurs dont les militaires américains sur le terrain ont eu à payer le prix pour des gains stratégiques finalement minimes (la dislocation de l’URSS ne s’est effectivement pas jouée en Afghanistan mais sur le terrain économique et la rébellion des républiques d’Europe orientale, Pologne en tête).

Si ces prétendues erreurs sont répétées, c’est qu’elles satisfont à une démarche autre que celle qui est affichée par le gouvernement des Etats Unis. Et cette démarche est celle des néoconservateurs dont Robert Parry a montré la persistance de l’influence dans l’administration Obama.
Ces néoconservateurs, qui peuvent être Démocrates ou Républicains, sont avant tout motivés par ce qu’ils jugent être l’intérêt de l’entité sioniste. Pour eux, cet intérêt réside avant tout dans l’affaiblissement des dernières structures ou régimes politiques qui représentent un obstacle à la domination sioniste dans la région.

Les structures et régimes dont nous parlons ici sont le Hezbollah libanais, la Syrie baathiste et la république islamique d’Iran.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la situation en Irak dont le gouvernement de Nouri al-Maliki était un allié très proche du régime iranien, la démission de ce dernier ayant ne l’oublions pas été posée comme préalable à toute assistance par les autorités américaines. Dans l’hypothèse de la confirmation d’un dégel entre Washington et Téhéran, l’Etat Islamique en Irak et au Levant est l’instrument qui pourrait permettre d’annuler en partie le gain stratégique de l’Iran en sortant l’Irak de sa sphère d’influence.

Les terroristes qui nous combattent en ce moment ? Nous venons juste de finir de les entraîner.

Non, l’ennemi de notre ennemi n’est pas notre ami.
par Souad Mekhennet, The Washington Post (USA) 18 août 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Souad Mekhennet

      Souad Mekhennet

Souad Mekhennet, co-auteure de “The Eternal Nazi,” est professeur auxiliaire à Harvard, John Hopkins et au Geneva Centre for Security policy.

Au cours des dernières années, le président Obama, ses amis européens, et même certains alliés du Moyen-Orient, ont soutenu des «groupes rebelles» en Libye et en Syrie. Certains de ces groupes ont reçu une formation, un soutien financier et militaire pour renverser Mouammar Kadhafi et combattre Bachar al Assad. C’est une stratégie qui suit le vieil adage, « L’ennemi de mon ennemi est mon ami», et elle a été l’approche des Etats Unis et de leurs alliés depuis des décennies quand il fallait décider de soutenir des organisations et des mouvements d’opposition.

Le problème est qu’elle n’est pas fiable du tout – et souvent pire que d’autres stratégies. Chaque année on voit de nouveaux cas de retour de flamme avec cette approche. L’échec le plus flagrant et le plus connu est celui de l’Afghanistan où certaines des organisations entraînées (et équipées) pour combattre l’armée soviétique sont par la suite devenues résolument hostiles à l’Occident. Dans cet environnement, al Qaïda avait prospéré et établi les camps où les auteurs des attentats du 11 septembre avaient été préparés. Pourtant, au lieu de tirer des leçons de leurs erreurs, les Etats Unis persistent à les répéter.

Washington et ses alliés ont aidé des organisations dont les membres avaient dès le départ des idées anti-américaines ou anti-occidentales ou qui avaient été attirés par ces idéees dans le temps du combat. Selon des entretiens réalisés avec des membres d’organisations militantes, comme l’Etat Islamique en Irak et le Front al Nosra en Syrie (qui est affilié à al Qaïda), c’est exactement ce qui s’est passé avec certains des combattants en Libye et même avec des factions de l’Armée Syrienne Libre (ASL).

« Dans l’Est de la Syrie, il n’y a plus d’Armée Syrienne Libre. Tous ceux qui étaient dans l’Armée Syrienne Libre [dans cette région] ont rejoint l’État islamique « , dit Abu Yusaf, un haut cadre militaire de l’Etat islamique, qui a fait l’objet d’un article d’Anthony Faiola la semaine dernière dans le Washington Post.

L’Etat Islamique est jusqu’à présent celui qui a le mieux réussi, contrôlant les principaux champs pétroliers et gaziers en Syrie. Il a aussi amassé beaucoup d’argent, d’or (pris dans les banques des zones sous son contrôle) et d’armes au cours de ses combats contre les armées syrienne et irakienne ; « Quand l’armée irakienne a fui Mossoul et d’autres zones, elle a laissé derrière elle le bon matériel que les Américains lui avaient donné, » explique Abu Yusaf.

« De l’Etat Islamique à l’armée du Mahdi, on voit des organisations qui ne sont à la base pas de nos amies mais qui montent en puissance parce que nous avons mal géré les situations, » affirme un haut responsable américain des services de sécurité qui s’est exprimé sous condition d’anonymat.

Certains officiels de services de renseignements arabes et européens ont aussi expprimé leurs inquiétudes et leur frustration à propose de ce qu’ils qualifient d’erreurs commises par les Etats Unis dans la gestion des soulèvements dans les Etats arabes. « Nous avons été tr-s vite informés de l’utilisation par des organisations extrémistes du vide laissé par le Printemps arabe, et du fait que cerains de ceux que les Etats Unis et leurs alliés avaient entraînés pour combattre pour la ‘démocratie’ en Libye et en Syrie avaient un agenda djihadiste – – et avaient déjà rejoint ou rejoindraient par la suite le Front al Nosra ou l’Etat Islamique, » déclarait un haut responsable arabe du renseignement dans une récente interview. Il affirmait que ses homologues américains lui disaient souvent des choses comme, « Nous savons que vous avez raison, mais notre président et ses conseillers à Washington n’y croient pas. » Ces organisations, disent des officiels de services de sécurité occidentaux, sont des menaces non seulement pour le Moyen Orient mais aussi pour les Etats Unis et l’Europe, où ils ont des membres et des sympathisants.

Les dires des officiels ont été corroborés par des membres de l’Etat Islamique au Moyen Orient et hors du Moyen Orient, dont par Abu Yusaf, le responsable militaire. Dans plusieurs entretiens conduits ces deux derniers mois, ils ont décrit comment l’insécurité pendant le Printemps Arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser la stratégie occidentale –consistant à soutenir et à entraîner des organisations qui combattent les dictateurs – dans leur propre intérêt. « Il y avait [aussi]… quelques Britanniques et Américains qui nous entraînaient pendant le Printemps Arabe en Libye, » dit un homme qui se désigne lui-même sous le nom d’Abu Saleh et qui n’a accepté d’être interviewé qu’à condition que son identité reste secrète.

Abu Saleh, originaire d’une ville près de Benghazi, affirme que lui et un groupe d’autres Libyens ont reçu un entraînement et un soutien de la part des armées et des services secrets de la France, de la Grande Bretagne et des Etats Unis – avant de rejoindre le Front al Nosra ou l’Etat Islamique. Des sources militaires arabes et occidentales interrogées pour cet article ont confirmé les dires d’Abu Saleh sur « l’entraînement » et « l’équipement » fournis aux rebelles en Libye pendant les combats contre le régime de Kadhafi.

Abu Saleh a quitté la Libye en 2012 pour la Turquie et s’est ensuite rendu en Syrie. « D’abord, j’ai combattu dans les rangs de ce qu’on appelle ‘Armée Syrienne Libre’ mais je suis ensuite passé avec al Nosra. Et j’ai déjà pris la décision de rejoindre l’Etat Islamique quand mes blessures seront guéries, » déclare cet homme de 28 ans depuis un hôpital en Turquie où il reçoit des soins médicaux. Il a été blessé au cours d’une bataille avec l’armée syrienne, dit-il, et a été amené en Turquie sous de faux papiers. « Certains des Syriens qu’ils [les Occidentaux] ont entraîné ont rejoint l’Etat Islamique, d’autres le Front al Nosra, » dit-il en souriant. Il ajoute, « Quelques fois, je plaisante à la cantonade en disant que je suis un combattant fabriqué par l’Amérique. »

Pendant longtemps, des Etats arabes et occidentaux ont soutenu l’Armée Syrienne Libre non seulement avec de la formation mais aussi avec des armes et d’autres matériels. Le commandant de l’Etat Islamique, Abu Yusaf, ajoute que les membres de l’Armée Syrienne Libre qui avaient reçu un entraînement – par des officiers d’armées arabes, des armées turque et américaine dans une base américaine dans le sud de la Turquie – ont maintenant rejoint l’Etat Islamique. « Maintenant, beaucoup des membres de l’ASL que l’Occident avait entraînés rejoignent nos rangs, » dit-il en souriant.

Ces militants se préparent pour le moment où les gouvernements occidentaux agiront. « Nous savons que les Etats Unis s’en prendront à l’Etat Islamique à un moment donné, et nous y sommes prêts. Mais ils ne devraient pas sous-estimer la réponse qu’ils recevront, » déclare un sympathisant de l’Etat Islamique en Europe qui se présente sous le nom d’Abu Farouk. Il ajoute que le « soutien inconditionnel » des Etats Unis pour le gouvernement du premier ministre sortant Nouri al Maliki qui, dit-il, a opprimé les Irakiens sunnites, et les « cajoleries » de l’Amérique à l’égard de l’Iran, qui est majoritairement chiite, ont fait de l’Etat Islamique une alternative plus attractive pour certains sunnites mécontents de ce deux poids deux mesures.

« Grâce au Printemps Arabe et à l’Occident qui combat tous ces dirigeants pour nous, nous avons eu assez de temps pour nous développer et recruter au Moyen Orient, en Europe et aux Etats Unis, » déclare Abu Farouk. Il sourit et observée une pause de quelques secondes. « En fait, nous devrions dire, merci M. le président. »

Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, les loups solitaires du Procureur de la République

3 juin 2014

Mehdi Nemmouche a moins de succès médiatique que Mohamed Merah. Il faut dire qu’alors que Mohamed Merah avait été tué au terme d’une opération policière spectaculaire et retransmise en quasi direct, l’auteur présumé de la fusillade meurtrière du musée juif de Bruxelles a été interpellé en douceur au cours d’un contrôle de routine effectué par la police de l’air et des frontières au terminus de la ligne de bus Amsterdam – Bruxelles -Marseille.

Si Mohamed Merah avait eu le bon goût de se planquer dans son propre appartement (en effet quel meilleur refuge que son chez-soi quand on est activement recherché par la police?) Mehdi Nemmouche a eu de son côté la délicatesse de prendre une ligne de bus internationale au départ de la ville où il aurait commis son crime, non sans emporter avec lui les armes utilisées au musée juif: pistolet et fusil d’assaut de type Kalashnikov, mais aussi la casquette qui est probablement l’élément le plus distinctif sur les vidéos diffusées par la police belge ainsi qu’une espèce de drap frappé de l’emblème de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, une des milices actives en Syrie et en Irak.

Malgré  le manque relatif de succès médiatique de M. Nemmouche, la presse et les autorités françaises, se sont empressées de faire le parallèle entre les itinéraires des deux personnages: deux jeunes d’origine maghrébine nés en France, un milieu familial désuni, un passé de petit délinquant et enfin l’embrigadement dans la mouvance terroriste dite islamiste ou djihadiste.

Dans les deux cas, nous dit-on, l’embrigadement a été l’aboutissement d’un processus d’auto-radicalisation de loups solitaires.

Pourtant, les loups solitaires semblaient connaître du monde et j’ai personnellement du mal à me figurer comment quelqu’un qui s’est auto-radicalisé peut finir par s’intégrer rapidement au sortir de sa détention dans une milice armée à des milliers de kilomètres de son dernier domicile connu.

Parce que c’est ainsi que ça s’est passé pour Mehdi Nemmouche qui aurait effectivement participé à la lutte armée  contre le gouvernement syrien.

Ce qui le différencie d’un Mohamed Merah qui, s’il s’est rendu en divers endroits comme l’Afghanistan ou Tel Aviv n’a jamais été signalé comme ayant pris part à des actions armées.

On peut nous prendre pour des sots, mais je ne vois pas comment un quidam auto-radicalisé et sans le sou peut se rendre en Syrie pour y rejoindre un groupe armé qui ne va pas vous incorporer dans ses rangs sans avoir une idée assez précise de qui vous êtes et de vos motivations.  Ce Mehdi Nemmouche, s’il a bien combattu en Syrie en tout cas, a nécessairement été pris en charge par une filière qui a au minimum des correspondants en France et l’a introduit auprès des cadres de l’Etat Islamique en Irak et au Levant.

Les gens de l’EIIL sont peut-être des extrémistes mais ils sont organisés comme n’importe quel groupe combattant dans une zone de guerre difficile et complexe, avec ses luttes intestines et ses agents doubles. Et notez bien que la fiche « parcours » de M. Nemmouche publiée par France [dés)Info l’affilie au Jabhat al Nosra, une organisation aux relations pour le moins tendues avec l’EIIL.

le_parcours_de_mehdi_nemmouche_30058_hd

Alors qui a lancé cette thèse du loup solitaire et du jeune auto-radicalisé?

Dans l’affaire Mohamed Merah comme dans l’affaire Mehdi Nemmouche, le concept tire son origine de la même source, le Procureur de la République François Molins qui avait en charge le dossier Mohamed Merah.

Ce n’est certes pas un hasard si François Molins qui exerçait déjà à ce poste sous Nicolas Sarkozy y a été maintenu par l’équipe de François Hollande. Ce maintien est le signe de la continuité d’une politique judiciaire à l’égard des jeunes  Arabo-musulmans sur le plan intérieur et d’une politiqué étrangère à l’égard des peuples arabo-musulmans sur le plan extérieur.

François Molins désigne un loup solitaire Abdelhakim Dekhar

François Molins désigne le loup solitaire Abdelhakim Dekhar

François Molins, c’est l’instrument indispensable du gouvernement par la crédibilité associée à sa pseudo-expertise en matière judiciaire. Or, sa fonction est moins technique que politique, et c’est donc bien la politique du gouvernement qu’il met en oeuvre.

Cette thèse du loup solitaire, libre à chacun de la croire.

En tout cas, le Belge André Vandoren, patron de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) n’y croit pas.

André Vandoren

André Vandoren

M. Vandoren observe en effet:

« à mes yeux, il ne s’agissait pas de l’acte d’un loup solitaire: un terroriste qui aurait tout fait tout seul. Il a voyagé vers la Syrie et d’autres pays. L’enquête devra détailler tout son parcours. Comment a-t-il été formé? Comment a-t-il pu échapper à tout contrôle pendant plusieurs jours après l’attentat? »

C’est du simple bon sens. L‘OCAM est un organisme interministériel chargé d’analyser la menace terroriste contre la Belgique en traitant des informations fournies par des services comme les douanes, la police fédérale, le service public fédéral mobilité et transport etc.

La Syrie et la stratégie saoudienne d’embrasement régional

26 octobre 2013

Dans l’article que je vous propose, Vijay Prashad essaye de situer les développements de la situation en Syrie dans leur contexte régional en insistant sur le rôle de l’Arabie Saoudite.

Selon lui, les milices se l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) sont désormais en position absolument dominante dans les rangs de l’opposition armée au régime syrien.

Si la situation militaire est pour l’instant relativement figée entre l’opposition armée d’une part et les forces gouvernementales d’autre part, cela ne signifie pas que les choses ne peuvent pas bouger.

Cette impasse ne saurait en effet durer éternellement et deux chemins semblent possibles pour en sortir, chacun d’entre eux ayant des implications différentes.

Le premier chemin est celui de la négociation sous les auspices de l’ONU entre les autorités en place et le(s) opposition(s). C’est le chemin que semble commander la sagesse même si on sait qu’il faudra du temps avant qu’une telle négociation aboutisse, en admettant cependant qu’elle commence puisque si le gouvernement syrien souffle le chaud et le froid sur cette question, l’opposition regroupée dans la Coalition au nom à rallonge (qu’on appellera CNS par commodité) se fait tirer l’oreille et fixe un préalable inacceptable pour les autorités de Damas, à savoir la démission du président Bachar al-Assad.

Le deuxième chemin est celui de l’aggravation de la guerre par son extension à l’Irak et au Liban.

C’est ce chemin qu’a choisi l’EIIL en accord semble-t-il avec l’Arabie Saoudite (ou à son instigation. Et l’EIIL a déjà entrepris de concrétiser cette option stratégique par des actions militaires visant à s’assurer le contrôle de la route Bagdad – Beyrouth, ce qui lui permettrait de faire circuler dans de bonnes conditions armes et combattants dans les deux sens.

Les choix de l’EIIL ont parfaitement été compris par l’armée syrienne qui entend au contraire s’assurer le contrôle complet de la frontière avec le Liban tandis que l’armée irakienne a pour l’instant mis en échec la tentative de l’EIIL de prendre le contrôle du segment irakien de la route Bagdad – Beyrouth.

L’inclusion de l’Irak dans la guerre livrée par l’EIIL est déjà chose faite tandis que celle du Liban devrait bientôt commencer, les signes avant coureurs en étant les affrontements à Tripoli et dans les villages libanais frontaliers avec la Syrie.

Le corridor d’al Qaïda à travers la Syrie

par Vijay Prashad, The Hidu (Inde) 25 octobre 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ce n’est plus l’Armée Syrienne Libre, mais l’Etat islamique d’Irak et du Levant (EIIL) qui constitue une menace sérieuse pour le régime d’Assad

Mardi soir, des kamikazes et des hommes armés ont attaqué des points de contrôle irakiens le long de la route N°11, qui relie Bagdad à la Syrie via Ramadi. Ils ont déclenché des explosions au poste de contrôle de Routba ainsi qu’à d’autres checkpoints un peu à l’ouest de Ramadi. Trente-sept personnes ont été tuées dans ces attaques, en majorité des membres des services de sécurité. La route N°11 est la route du sud de l’Irak vers la Syrie. L’autre route qui relie Bagdad à la Syrie est l’autoroute N°12, qui passe au nord de Ramadi dans les villes de Anan et Rawah, le long de l’Euphrate et dans la ville syrienne de Raqqa. La semaine dernière, des combattants de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) ont attaqué les villes de Anan et Rawah, détruisant un pont et essayant de détruire des pylônes électriques. L’armée irakienne a pu contrer l’attaque de l’EIIL sur Rawa, et a ainsi déjoué la tentative de l’EIIL de s’emparer des villes qui lui auraient permis de contrôler l’autoroute N°12. Le vice-Premier ministre Saleh Iraq al-Mutlaq a déclaré que l’attaque de la semaine dernière était une «tentative désespérée d’al-Qaïda [EIIL] pour s’implanter en Irak. » Il semble probable que l’EIIL a décidé d’essayer de prendre le contrôle de l’autoroute N°11 après que son attaque sur la route N°12 a été repoussée.

route syrie

La route qui relie l’Irak au Liban via Raqqa est partiellement sous contrôle de l’EIIL

Le mois dernier, l’EIIL a obtenu des succès remarquables. Son opération, baptisée Elimination de l’Impureté, a expulsé ou absorbé les unités de l’Armée Syrienne Libre tout au long du flanc nord de la Syrie. La ville d’Azaz à la frontière syro-turque est aux mains de l’EIIl depuis un mois. A partir d’avril, l’EIIL a commencé à attirer à lui toutes les factiosn salafistes plus petites, dont le Jabhat al Nosra (non sans heurts) et des éléments d’Ahrar el Cham (dont le chef Abou Obeida al’Binnishi avait été tué par l’EIIL en septembre). Un nouveau rapport de l’International Crisis Group daté du 17 octobre observe que l’EIIL est désormais «l’organisation la plus puissante dans le nord et l’est de la Syrie et profitait de son contrôle sur les champs pétroliers.» L’analyste Aymenn Jawad al-Tamimi affirme que l’EIIL ne peut être délogé de ses places fortes dans le nord et l’est de la Syrie par aucune coalition de l’ASL et de ses alliés. De fait, dans les derniers mois, l’EIIL a gravement affaibli le potentiel militaire de l’ASL, après avoir tué en juillet Kamal Hamami, un de ses plus importants chefs de bataillons, et avoir attiré à lui nombre de ses combattants locaux. L’Armée Syrienne Libre ne représente plus une véritable menace pour le gouvernement syrien.

Une situation déplorable

La principale voix séculière du soulèvement en Syrie, Yassin al Haj Saleh, qui vivait dans la clandestinité dans son pays pendant la guerre civile, s’est enfui à l’étranger le 12 octobre. Dans sa lettre ouverte, «Adieu à la Syrie, pour un certain temps», M. Saleh écrit que sa ville d’origine, Raqqa, est passée sous le contrôle des «spectres qui hantaient notre enfance, les ogres.» La situation à Raqqa, écrit M. Saleh, est déplorable. C’était dur de voir «des étrangers l’opprimer et tenir en main le destin de sa population, confisquant les biens publics, détruisant une statue d’Haroun al-Rachid ou profanant une église, arrêtant des gens qui disparaissent ensuite dans leurs prisons.

Le départ de Syrie de M. Saleh indique que les choses ont empiré par rapport à l’été dernier quand le chercheur Yasser Munif s’était rendu dans le nord du pays et avait constaté qu’à Raqqa, «les gens sont de plus en plus critiques à l’égard de l’EIIL et d’al-Nosra.» Il semble que cet espace laissé à la critique interne de l’EIIL est manitenant plus restreint. Les affiches qui promeuvent les vues de l’EIIL abondent à Raqqa, laissant entendre une mise en sourdine des rivalités entre les diverses factions islamistes. Comme l’observe el-Tamimi, dans les manifestations publiques les bannières de l’EIIL et du jabhatal Nosra flottaient côte à côte.

En juillet 2013, l’EIIL avait organisé une évasion massive à la prison irakienne d’Abou Ghraib, libérant 500 détenus. L’EIIL avait eu recours à des voitures piégées, des kamikazes et des miliciens pour cette opération. L’EIIl avait ensuite dirigé ces combattants vers la frontière irako-syrienne dans le but d’essayer de prendre le contrôle des points de passage frontaliers dans le cadre de leur projet d’établir un corridor pour relier Ramadi en Irak à Tripoli dans le nord Liban (un affrontement dans cette ville a causé la mort d’un garçon de13 ans le 23 octobre). Les attaques de la nuit du 22 octobre s’inscrivaient dans ce scénario.

L’EIIL et sa forme de radicalisme sont un produit du financement de la rébellion par le Qatar et l’Arabie Saoudite. L’argent des Arabes du Golfe ainsi que des combattants étrangers et un groupe de combattants Syriens motivés ont donné l’avantage à l’EIIL. Dans le même temps, tandis que l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite a permis à leur client de dominer les autres rebelles sur le champ de bataille, l’influence de ces deux monarchies a empêché l’unification des rangs et le développement d’un agenda par les dirigeants de la rébellion. En trois ans, la Coalition Nationale des Forces Syriennes Révolutionnaires et d’Opposition (CNS) a été incapable de formuler un programme clair pour la Syrie. Cette absence [de programme] n’est pas dû à un manque d’imagination, mais à la subordination du CNS aux rivalités mesquines entre ses bienfaiteurs Arabes du Golfe. Le CNS s’était mis lui même dans l’impasse quand il avait en fin de compte laissé faire une révolution de palais pour écarter Mo’az al-Khatib de son poste [de leader du CNS]. Après d’intenses luttes intestines, le CNS avait finalement désigné Ahmad Saleh Touma en qualité de premier ministre. Ghassan Hitto avait démissionné car on le voyait comme trop proche du Qatar dont l’étoile commençait à pâlir. Le président actuel est Ahmad Jarba, qui a des liens étroits avec la monarchie saoudienne. Vers la fin septembre, les islamistes ont rejeté le CNS. Abdul Qader Saleh, le chef de la Brigade Tawhid [unicité de Dieu] d’Alep, a fait savoir qu’ils [les islamistes] envisageaient de former une alliance islamique (al-tahaluf al-islami). Le chercheur Aron Lund considère que les islamistes ne sont pas allés au delà d’une simple proposition. La marque des rivalités entre Arabes du Golfe traverse profondément la coalition.

L’agenda saoudien

Malgré les gains obtenus par l’EIIL dans le nord de la Syrie, l’agenda de l’Arabie Saoudite pour la Syrie est bloqué. En l’absence d’intervention militaire étrangère, l’EIIL sera incapable de renverser le régime en place à Damas. – c’est une des raisons pour lesquelles l’EIIL a décidé de s’emparer des postes frontaliers (avec l’Irak, la Turquie et le Liban). Une confrontation dangereuse va probablement avoir lieu dans la région de la Ghouta occidentale près de Damas, mais elle ne débouchera sur aucun gain stratégique significatif pour quiconque. Ce sera un bain de sang sans résultat substantiel, comme une bonne partie de ce qui se passe maintenant dans cette guerre. Incapable d’avancer dans le centre du pays, l’EIIL revendique les marges de la Syrie. L’Arabie Saoudite s’attendait à ce que les Etats Unis bombardent la Syrie en septembre, ce qui aurait affaibli le pouvoir d’Assad et permis à ses clients de prendre le pouvoir (l’Arabie Saoudite est aussi déçue par l’acceptation par les Etats Unis de l’ouverture iranienne pour des discussions). La route de Damas semblant fermée, l’EIIL s’est adonné avec plus de force à la violence nihiliste dans les régions qu’il contrôle – pas vraiment le résultat espéré par l’Arabie Saoudite. C’est la raison pour laquelle le Prince Bandar bin Sultan, qui assure la liaison avec les rebelles, a parlé de réévaluer la relation de l’Arabie Saoudite avec les USA, et c’est aussi la raison qui a conduit l’Arabie Saoudite à refuser d’occuper le siège qu’elle venait tout juste d’obtenir au Conseil de Sécurité de l’ONU. L’Arabie Saoudite avait soutenu les Talibans dans les années 1990 avec l’idée que ce mouvement modérerait son idéologie avec le temps. Il n’en fut rien. Il semble que la monarchie veuille faire encore le même pari, en dépit d’un précédent défavorable.

Le type de violence qui a éclaté la nuit du 22 octobre est devenue chose courante en Irak, avec plusieurs milliers de morts cette année (presque 500 rien que pour ce mois). La guerre en Syrie, bloquée dans une impasse douloureuse, s’est déplacée vers l’Irak, un pays déjà affligé par la guerre et la dévastation dans son histoire récente. Ici, les «visages qui se durcissent sous un masque de tristesse» comme l’écrit le poète Syrien Adonis, regardent les civilisations s’effondrer pour de vulgaires desseins géopolitiques. L’ombre d’al Qaïda s’installe sur l’Irak et la Syrie, durcissant encore plus les traits des Syriens et des Irakiens ordinaires. Le moment du lancement d’une offensive générale de l’EIIL au Liban se rapproche nécessairement ainsi que le donnent à penser les affrontements à Tripoli et dans les villes frontalières. Les discussions pour un cessez-le-feu et les négociations à Genève sont fort éloignées dans la désolation qui est venue envelopper les routes qui relient Beyrouth à Bagdad, un trajet qui aurait pu être fait assez tranquillement il y a un siècle mais qui connaît aujourd’hui la tourmente des fusils et de la frustration.

(Vijay Prashad est titulaire de la chaire Edward Saïd à l’Université Américaine de Beyrouth, Liban)

Un début de réponse sur l’identité des assassins de trois soldats Libanais à Arsal

31 mai 2013

Le risque d’une contagion de la crise syrienne au Liban est une réalité palpable depuis le début et on en a parlé sur ce blog. Les signes inquiétants  tendent en effet  à se multiplier, en relation avec les difficultés que traverse en ce moment l’opposition au régime baathiste, désunie politiquement et mise à mal militairement.

Parmi les signaux préoccupants, il y a eu les agressions sectaires à Tripoli contre la minorité alaouite de cette ville.

Image

Patrouille de l’armée libanaise à Tripoli. Sous l’oeil bienveillant du monarque Saoudien, militant démocrate bien connu

Et bien sûr, la mort de trois soldats de l’armée libanaise tués mardi 28 mai

près d’Arsal, dans un secteur par lequel les rebelles syriens font entrer armes et combattants en provenance du Liban. «Les soldats du point de contrôle ont fait face aux assaillants et une fusillade, qui s’est soldée par la mort de trois militaires, s’est ensuivie», a affirmé l’armée libanaise, dans un communiqué. Les hommes armés pourraient être passés en Syrie, a dit le ministre de la Défense, Fayez Ghosn.

Pour les milices hostiles au gouvernement syrien, Arsal est une agglomération stratégique  par laquelle transitent argent, hommes et matériels acheminés vers le territoire syrien, notamment vers la ville proche d’al Qussayr qui est en ce moment l’enjeu de rudes combats.

L’assassinat des trois soldats a été unanimement condamné au Liban, que ce soit par l’ancien premier ministre Saad Hariri ou par le mouvement Amal et le Hezbollah.

Se pose donc la question de savoir qui étaient les tueurs des trois soldats dont la presse nous qu’ils se sont enfuis en direction de la Syrie après avoir commis leur acte.

Ça tombe bien, L’Orient le Jour nous apprend justement que

Deux personnes soupçonnées d’être impliquées dans le meurtre de trois soldats près de Ersal, dans l’est du Liban, ont été arrêtées, affirme la chaîne de télévision LBC, sans donner plus de précisions.

Et les précisions que ce journal libanais francophone n’a pu obtenir,  le Daily Star, son homologue anglophone les a obtenues et on peut lire ce qui suit :

Des agents du renseignement militaire ont arrêté Mamdouh al-Wazir, le frère du suspect Mashoud al-Wazir dans la vallée de la Bekaa dans le courant de la nuit.

On pense que Mashhoud est impliqué avec deux autres personnes dans l’attaque de mardi contre un point de contrôle de l’armée libanaise à Wadi Hmeid, dans la périphérie d’Arsal qui a causé la mort de trois soldats, selon notre source.

Lejournal libanais As-Safir indique dans un article détaillé ce vendredi que deux suspects pour l’attaque d’Arsal ont été arrêtés.

Il s’agit d’une infirmière libanaise dont les initiales sont A. Sh et d’un Libanais qui ont loué et livré un Hummer à un troisième suspect, M. W., un Syrien qui habite à Chtaura et dont on pense qu’il a réalisé l’attaque.

Selon As-Safir, M.W.est entré au Liban par la région frontalière nord de Wadi Khaled après avoir été blessé à Homs, dans le nord de la Syrie. Le journal indique que M. W. combattait avec le Bataillon Yarmouk qui fait partie du jabhat al-Nosra.

Selon le journal, M. W. avait été transféré dans un hôpital d’Etat à Tripoli où il a subi une intervention chirurgicale et où il est resté pour trois mois de rééducation pendant lesquels il a fait la connaissance de l’infirmière A. S.

A la mi-mai, M. W. a passé plusieurs jours dans la ville côtière du nord (Tripoli) et a consulté des financeurs Syriens avant de se rendre dans un lieu inconnu.

Il y a une semaine, selon As-Safir, M. W. a contacté A. S  et lui a demandé de louer un véhicule tout terrain, quel que soit le tarif de la location. A. S., indique le journal, avait demandé à un de ses voisins, A.M. de visiter un certain nombre de commerces d’automobiles où il a trouvé un Hummer à louer.

M. W. a viré à A. M. une somme de 600 dollars pour trois journées de location.

Le journal écrit que M. W. a ensuite gardé le silence pendant un certain temps et n’a plus répondu à aucun appel. C’est pendant cette période que l’attaque contre l’armée a eu lieu, dit le journal qui ajoute qu’on soupçonne qu’un Hummer a été utilisé par les agresseurs.

 La mort des trois soldats Libanais est une fois de plus l’oeuvre de ceux qui s’opposent par les armes au régime syrien et qui sont prêts à noyer leur déroute dans le sang libanais puisque celui des Syriens leur sera peut-être bientôt interdit.

Montauban, Toulouse, Boston, Reyhanli, Londres: terrorisme et affaires d’Etat

23 mai 2013

Je ne sais pas pourquoi, mais presque à chaque fois que des tueurs (ou présumés tels) commettent des crimes atroces, par exemple Mohamed Merah à Montauban et à Toulouse, les frères Tsarnaev à Boston, ou tout récemment Michael Adeboloja et un autre individu qui ont sauvagement assassiné (sans le décapiter cependant contrairement à ce qui avait été d’abord annoncé)un soldat à Londres, on constate qu’ils  avaient fait l’objet d’un suivi par les services de renseignements et la police.

Michael Adeboloja  et son complice étaient en effet connus du MI 5 (renseignements intérieurs britanniques) comme le signale la presse anglo-saxonne. Un des deux tueurs de Londres avait même appartenu à une organisation interdite, al-Muhajiroun.

Ce qui est curieux, c’est que pour l’instant, aucune campagne de presse n’a été lancée ni en France, ni aux Etats Unis, pays où dit-on la presse est libre, pour dénoncer ce qui s’apparente à des scandales d’Etat.

On verra si l’Angleterre fera exception. J’en doute.

En Turquie, on est un peu plus audacieux. En effet, quelques jours après le double attentat de Reyhanli, attribué par le gouvernement turc aux autorités syriennes , qui a tué plus de cinquante personnes, un groupe de hackers dans l’esprit de WikiLeaks a rendu publiques des communications internes de la gendarmerie qui tendent à plaider pour une responsabilité du Jabhat al-Nosra, une organisation qui est un des fers de lance de la lutte armée contre le régime de Damas…

Le journal tuc Hürriyet rapporte qu’un gendarme a été mis aux arrêts et accusé d’être à l’origine de la fuite qui ne serait pas due à un piratage informatique mais du fait d’un simple gendarme qui aurait photographié puis envoyé par mail certains documents à Redhack.

Ce que cette organisation réfute par un communiqué qui dit en substance :

“si ce gendarme est la personne qui nous a livré l’information, comment se fait-il que nous ayons su avant elles [les autorités] qu’une chasse aux sorcières avait été lancée dans l’armée et qu’on sacrifierait des fonctionnaires ‘innocents’ ? » a déclaré l’organisation via Twitter.

Redhack avait twitté plusieurs heures avant l’annonce [par le gouvernement] que les autorités allaient essayer de faire porter le chapeau à un «pauvre soldat. »

Redhack rend publics des câbles sur les explosions de Reyhanli

Redhack a rendu publics une série de communications internes aux services de sécurité qui révèlent les préparatifs du double attentat de Reyhanli  vus par des documents top secrets des services de renseignements de la gendarmerie.

İstanbul – BIA News (Turquie) 22 mai 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

 Redhack, un groupe de hackers Turcs, a publié une série de câbles qui révèlent ce qui était connu des préparatifs du double attentat de Reyhanlı d’après les fichiers top secrets des services de renseignements de la gendarmerie turque.

Image

Les fichiers top secrets rendus publics par le groupe sont dates du 20 mai – 9 jours après l’attentat meurtrier qui a tué 51 civils dans la ville méridionale de Reyhanli, province de Hatay.

Un câble donne des détails sur plusieurs véhicules charges de bombes et d’explosifs destines à être livrés à des organisations liées à al Qaïda en Syrie.

Les bombes et les explosifs doivent server à une attaque contre la Syrie, lit-on dans le câble.

Un autre câble rapportait que des militants du Jabhat al-Nosra avaient transféré les bombes et les explosifs dans trois autres véhicules devant être utilisés dans une attaque contre la Turquie – une information qui venait confirmer la première.

Un troisième câble affirmait que les responsables au quartier général de la police au Hatay avaient reçu un appel anonyme qui alertait sur l’attentat à venir et donnait des informations sur certaines des allégations parues dans les medias.

* Cliquez ici pour accéder aux câbles publiés par Redhack (en turc).

Pour Jeremy Salt, une seule option en Syrie: la victoire de l’armée et du gouvernement syriens

19 mai 2013

On connaît Jeremy Salt sur ce blog. Salt a la particularité d’être un universitaire américain, spécialiste du Moyen Orient, qui enseigne dans une université turque !

Son point de vue sur la Syrie est donc particulièrement autorisé.

Quand je dis point de vue, je ne parle pas d’opinions alimentées par les informations très partielles ou déformées et la conception qu’on a du bien et du mal. Pas besoin d’avoir fait des études pour ça, et ce mode de construction de l’opinion est précisément le pain quotidien des propagandistes et des politiciens habiles à manipuler les foules.

Un vrai point de vue est d’abord un point de vue informé qui est le résultat d’une mise en relation pertinente des informations importantes, c’est-à-dire qui définit l’objet sur lequel porte le point de vue parce que cet objet n’est pas un donné à priori.

Pour Jeremy Salt, sauf évènement imprévu, le conflit syrien tire vers sa fin.

Il tire à sa fin militairement par la victoire qui se dessine de l’armée gouvernementale.

Image

Samedi 19 mai l’armée syrienne a investi le centre d’al Qussayr

Il tire aussi à sa fin politiquement du fait de l’implosion de l’opposition d’une part et du choix fait par les Etats Unis d’une sortie de crise négociée avec la Russie.

Cette crise syrienne aura permis de voir quelles sont les puissances qui comptent en ce moment sur la scène internationale avec le retour prévisible de la Russie au premier plan et l’irruption de la Chine.

Si les Etats Unis restent, c’est évident, un acteur majeur (le plus important) on aura par contre pu constater la vanité de puissances comme la France ou la Grande Bretagne qui, peinant à suivre les orientations de leur maître de Washington, sont soit en retard, soit en avance d’un retournement de veste. Ainsi de cette dernière sortie du gouvernement français qui prétend interdire à l’Iran de participer aux négociations sur la Syrie.

Pathétique de la part d’un gouvernement français qui a longtemps cru qu’il pourrait procéder en Syrie comme il l’a fait en Libye alors qu’il n’aurait rien pu faire en Libye (et a Mali non plus) sans le soutien politique et militaire des Etats Unis.

Un gouvernement français qui n’a cessé de mettre de l’huile sur le feu en Syrie alors que les autorités iraniennes ont pris soin d’ouvrir leurs portes à toutes les parties.

 

La crise syrienne: L’Option

By Jeremy Salt à Ankara, The Palestine Chronicle 18 mai 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Alors que toutes les options sont censées être toujours sur la table, Barack Obama s’éloigne clairement de l’éventualité d’une implication plus profonde en Syrie maintenant qu’il est évident que rien,  à part une intervention  militaire directe, ne fera tomber le régime de Damas. Au cours des derniers mois seulement, les groupes armés ont perdu des milliers d’hommes. Même si  le conflit va perdurer un certain temps encore, l’armée syrienne est en train de réduire progressivement l’insurrection.

Ceux qui sont derrière cette aventure sont en plein désarroi. Comme le Conseil national syrien avant elle, la Coalition nationale syrienne a implosé. Muadh al Khatib [ex chef de la coalition] est maintenant une voix en marge. Ghassan Hitto [en passe d’être limogé] est la seule personne au monde à être premier ministre d’un comité. Ces personnes sont une cause complètement perdue.

Dans le monde réel, et non pas le monde des illusions, on est horrifié par la vidéo qui montre un chef «rebelle» arracher  le coeur du corps d’un soldat mort et  mordre dedans. Ou peut-être étaient-ce les poumons ou le foie. Si les médias semblent hésiter là-dessus, ils semblent considérer important assez important de savoir de quel organe il s’agit exactement. Loin de nier cet acte sanguinaire, son auteur l’a revendiqué avant de se vanter de la façon dont il avait découpé en morceaux le corps de shabiha [shabiha : désignation habituelle des milices pro gouvernementales] faits prisonniers.

Le cannibalisme semble être une première mais sinon, il n’y a pas grand chose que les psychopathes des groups armés n’ont pas encore fait en Syrie. Mais peut-être ne doit-on pas appeler  psychopathes les gens qui font ce genre de choses ? Ce sont après tout exactement le genre de personnes qu’il faut pour faire une guerre aussi sauvage. La soi-disant Armée Syrienne Libre (ASL)a dit qu’elle  allait rechercher l’homme qui a découpé le cœur du soldat. Très bien. Elle pourrait aussi partir à la recherche des égorgeurs et des ‘rebelles’ qui ont décapité des gens.

Elle pourrait aussi traquer les homes qui ont tué des fonctionnaires avant de balancer leurs corps du tout du bureau de poste à Al Bab. Elle pourrait pourchasser leurs frères d’armes qui ont visé délibérément des civils avec des voitures piégées. Elle pourrait aussi traquer les assassins de l’imam et des 50 fidèles de la mosquée de Damas et elle pourrait pourchasser tous les violeurs et tous les ravisseurs, dont les Tchétchènes qui ont enlevé deux évêques  qui restent détenus à Alep tandis que les dirigeants Chrétiens des gouvernements occidentaux regardent ailleurs. Dans cette traque de tous les individus qui ont sali sa glorieuse réputation, l’ASL n’aura pas à aller chercher bien loin parce que beaucoup d’entre eux viennent de ses propres rangs. Ce ne sont pas les preuves qui manquent. Les médias regorgent de séquences vidéos sanguinolentes à la gloire des hauts faits de ces hommes qui sont fiers de leur bravoure et veulent la donner à voir au monde. Ce sont ces gens que le Qatar et l’Arabie Saoudite ont armés et financés pour prendre le contrôle de la Syrie.

Telle est la réalité derrière le récit bidon qu’ont refilé les médias pendant les deux dernières années. Les médias ont régurgité tous les mensonges et toutes les exagérations des ‘activistes’ et du soi-disant Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), selon qui la chute du ‘régime’ syrien était imminente et toutes les atrocités étaient du fait de l’armée syrienne. A l’exception de quelques reportages récemment publiés par Robert Fisk, pratiquement aucun média grand public n’a rapporté les combats vus de la perspective du gouvernement syrien et de son armée. Les journalistes passaient les frontières avec les groupes armés et rapportaient uniquement leur version des événements. C’est comme compter sur les journalistes ‘embedded’ avec l’armée des Etats Unis pour avoir un récit fiable de ce qui se passait en Irak. Et, encore comme en Irak, la même propagande se répète au sujet des armes chimiques.

La réalité devait finalement l’emporter. Ce n’est pas le ‘régime’ ou l’armé qui sont sur le point de s’effondrer mais l’insurrection. Seule une intervention militaire directe peut la sauver et, au vu des succès de l’armée syrienne et du ferme soutien apporté par la Russie au gouvernement syrien, elle est extrêmement improbable. Obama est exhorté à ‘faire plus’ mais il ne semble guère montrer d’inclination à se laisser aspirer plus avant dans ce bourbier. Les autres ne feront rien sans les Etats Unis à leur tête. L’Allemagne est opposée à une implication et l’Autriche a déclaré que fournir des armes aux ‘rebelles’, ce que la Grande Bretagne voulait faire, quand l’embargo de l’UE arrivera à terme le 31 mai, serait une violation du droit international.

Cette semaine, les projecteurs se sont tournés vers le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avec son voyage à Washington pour discuter de la Syrie avec Barack Obama. La Turquie a joué un rôle central dans l’évolution du conflit syrien. L’Arabie saoudite, le Qatar et la Libye ont fourni l’argent et les armes, mais c’est la Turquie qui a ouvert son territoire à la mobilisation des hommes armés qui passent la frontière pour faire tomber le «régime». Erdogan n’a pas reculé d’un pouce de la position qu’il a prise contre Bachar al Assad il ya plus de deux ans. Le seul cas démontré d’une attaque à l’arme chimique à été celle faite avec un mélange à base de chlore placé dans une ogive et tiré sur un barrage de l’armée syrienne à Khan al Assal, tuant un certain nombre de soldats et de civils. Erdogan, cependant, maintient que c’est l’armée syrienne qui a utilisé des armes chimiques et, ce faisant, a franchi la ligne rouge tracée par Obama. »Interrogé peu avant son départ pour Washington pour savoir s’il soutiendrait la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, il a répondu:« Nous dirions oui tout de suite ».

La semaine dernière, des voitures bourrées de plus d’une tonne de C4 et de TNT ont explosé dans la ville frontalière de Reyhanli dans la province de Hatay. Au moins 51 personnes ont été tuées. Les destructions ont été énormes. L’immeuble de la mairie et des dizaines de commerces ont été rasés. Dans les heurs qui ont suivi l’attentat, des voitures immatriculées en Syrie ont été détruites et des réfugiés Syriens ont été attaqués par des habitants fous de rage. Tout en s’affairant autour des décombres, ils maudissaient Erdogan. Cet attentat atroce suivait un modus operandi familier aux Syriens : une bombe explose suivie d’autres une fois que les gens se sont rassemblés atour du lieu de la première, ce qui permet de maximiser nombre de victimes.

En dépit des accusations du gouvernement turc pour qui l’attentat est l’oeuvre d’une organisation terroriste collaborant avec les services secrets syriens, seuls les groups armés ou un des gouvernements qui les soutient pouvait avoir un mobile evident de commettre ce crime. L’armée syrienne est en train d’écraser l’insurrection, le conseil des «traîtres» basé à Doha a implosé et les Russes et les Américains se sont assis pour discuter. L’attentat était clairement conçu pour attirer la Turquie à entrer directement dans le conflit de l’autre côté de la frontière. 

L’attentat de Reyhanli est intervenu une semaine après qu’Israël a lancé une série d’attaques aériennes sauvages contre la Syrie. Ce n’était pas une frappe avec un seul missile. Deux attaques en trois jours, qui ont duré des heurs avec un largage massif de bombes sur la périphérie de Damas, ce qui donne à penser que le but était de provoquer une riposte syrienne, ouvrant la voie à une guerre générale dans laquelle l’Iran pourrait être attaqué. Israël a prétendu que la cible était un chargement de missiles destiné au Hezbollah, mais alors qu’un centre de recherche militaire et une usine alimentaires de l’armée été touchés, rien n’indique que des missiles auraient été détruits. Ces attaques se sont avérée par la suite avoir été un échec politique et stratégique. Poutine a passé un savon à Netanyahou et l’a puni en fournissant ou en menaçant de fournir à la Syrie des missiles anti-aériens évolués de type S300. On peut mesurer l’arrogance d’Israël à son insistance pour dire qu’il lancerait d’autres attaques si nécessaire et qu’il détruirait le régime syrien s’il osait riposter.

Obama subit en ce moment aux Etats Unis des pressions pour “faire plus”. A Washington, les mêmes personnes qui appelaient à la guerre contre l’Irak appellent maintenant à un élargissement du conflit en Syrie. Le Sénateur Bob Menendez, un chaud partisan d’Israël, comme presque tous les élus au Congrès, a introduit un projet de loi pour que l’administration Obama fournisse des armes aux ‘rebelles’ (comme si ce elle ne le faisait pas déjà secrètement ou par son soutien aux livraisons d’armes effectuées par le Qatar et l’Arabie Saoudite).L’ancien rédacteur en chef du New York Times Bill Keller qui soutenait la guerre en Irak veut aussi que les Etats Unis arment les ‘rebelles’  et ‘défendent les civils qui sont massacrés dans leurs maisons’ en Syrie. Il ne parle bien entendu pas des civils qui ont été massacrés par les groupes armés.

Le Washington Post a été force de reconnaître que l’armée syrienne est en train de gagner cette guerre mais reste déconcerté par la tournure défavorable des évènements. ‘Que se passera-t-il si les USA n’interviennent pas en Syrie ?’ demande-t-il avant de donner les réponses. La Syrie se fracturera selon des lignes sectaires, avec le Jabhat al-Nosra contrôlant le nord et les ‘résidus du régime’ contrôlant des bandes de territoire à l’ouest. La guerre sectaire s’étendra à l’Irak – comme si elle n’était pas déjà une des conséquences de l’intervention américaine – et au Liban. Les armes chimiques seraient un des enjeux, ‘forçant probablement à  une nouvelle intervention israélienne pour empêcher leur acquisition par le Hezbollah ou al Qaïda.’. Si les Etats Unis n’interviennent pas pour empêcher tout ça, la Turquie et l’Arabie Saoudite ‘pourraient conclure que les Etats Unis ne sont plus un allié fiable.’

Il existe une autre réponse plus plausible à la question sur “ce qui va arriver”.  Cette réponse est que l’armée syrienne finira par expulser du pays les ‘rebelles’ survivants et que Bachar al-Assad en sortira plus populaire que jamais parce qu’il aura vaincu la plus grande menace de son histoire pour l’Etat syrien. Des élections se tiendront en 2014 et il sera élu président avec 75 % des suffrages. C’est du moins ce que prédit la CIA.

Erdogan est venu à Washington pour avertir lui aussi Obama de ‘faire plus’, mais il est clair que le président US ne veut pas faire grand-chose de plus. Les médias turcs ont rapporté qu’Obama a dit qu’Assad «doit partir» mais ce n’est pas ce qu’il a dit. Obama a choisi ses mots avec soin. Dans sa conférence de presse avec Erdogan, il n’a pas dit qu’Assad ‘doit partir’ mais que «he needs to go» et que « he ‘needs ‘to tranfer power to a transitional body. (transférer le pouvoir à une autorité de transition) [effectivement on traduirait de la même façon ‘he must’ et ‘he needs’ par ‘il doit’ alors qu’il existe une nuance intraduisible me semble-t-il]. La différence est des plus importantes. A titre personnel, Obama ne voudra pas terminer sa présidence englué dans une guerre ingagnable et impopulaire, une guerre qui pourrait en outre rapidement évoluer d’une crise régionale vers une crise mondiale.

Un sondage récemment conduit par Pew montre que le peuple américain en a assez des guerres au Moyen Orient et les discussions entre Kerry et Lavrov indiquent que cette fois, après avoir permis à l’accord de Genève de juillet 2012 de tomber à plat, les Etats Unis sont sérieux dans la recherche d’une sortie négociée de la crise même si d’autres [pays] ne le sont pas [sérieux]. S’il existe un danger de déraillement de la position des Etats Unis, il viendra plus probablement des rangs de leurs amis et alliés.

 

– Jeremy Salt est professeur associé d’histoire et de politique du Moyen Orient à l’université Bilkent d’Ankara en Turquie. 


%d blogueurs aiment cette page :