Le texte que je vous propose ici est d’un intérêt certain, moins par son contenu que par son auteur.
En effet, l’auteur de cet article d’opinion est un illustre écrivain hispano-péruvien qui appartient à la même génération que Gabriel Garcia Marquez et Julio Cortazar. Comme Garcia Marquez, Vargas Llosa est lauréat du prix Nobel de la paix.
Engagé dans sa jeunesse à gauche, soutenant notamment la révolution cubaine, Mario Vargas Llosa a évolué politiquement pour se situer nettement à droite.

Mario Vargas Llosa
Pour le sujet qui nous intéresse, il faut surtout savoir que Mario Vargas Llosa a regardé et continue à regarder l’aventure coloniale sioniste d’un œil très favorable. J’ignore depuis quand l’auteur péruvien est dans ces dispositions mais j’ai l’impression que c’est ancien et que c’est probablement d’abord lié à des amitiés personnelles entretenues avec des hommes de lettres de l’entité sioniste. Mais aussi à un vieux fond colonialiste chez cet homme originaire d’une ancienne colonie espagnole mais dont je doute qu’il appartienne à la communauté indigène de son pays. Ce fond colonialiste, je le repère dans sa reprise du mythe qui, après avoir servi en Algérie, a servi et continue à servir pour l’entité sioniste, à savoir que les colons juifs ont « construit des villes modernes et des fermes modèles là où il n’y avait que des déserts ».
On se demande comment quelqu’un d’intelligent et cultivé peut, en 2018, écrire ce genre de choses et en plus en faire un argument justifiant une entreprise de dépossession.
Une autre origine de son soutien au projet sioniste est évidemment le drame de la seconde guerre mondiale. Mais là aussi, l’écrivain parle des « Juifs expulsés d’Europe après les atroces massacres des nazis ».
J’ignore d’où Mario Vargas Llosa tient cette information mais les Juifs n’ont pas été expulsés d’Europe après la fin de la deuxième guerre mondiale. Les agents sionistes allaient par contre à la rencontre des réfugiés pour de leur vendre l’idée d’un départ vers la Palestine.
On voit comment, quand la réalité des faits ne permet pas de justifier une prise de position politique, on travestit ou déforme les faits pour qu’ils puissent assurer ce rôle justificateur.
Il n’empêche que Mario Vargas Llosa se pose des questions et qu’il se demande sérieusement si le pays qu’il a soutenu, et continue de soutenir, correspond encore au projet qu’il reconnaît chez ses quelques amis à présentables qu’il lui reste dans l’entité sioniste.
Encore un petit effort, et l’écrivain appellera au boycott de l’entité sioniste.
PS: je sais que la traduction n’est pas très bonne, mais Llosa est un écrivain (de renom), pas moi.
La boîte de Pandore
Ce ne sont pas les Palestiniens qui représentent le plus grand danger pour l’avenir d’Israël, mais Netanyahou, ses sbires et le sang qu’ils ont versé
Par Mario Vargas Llosa, El Pais (Espagne) 20 mai 2018 traduit de l’espagnol par Djazaïri
Au moment même où Ivanka Trump, enveloppée dans une robe diaphane qui devait parler à ceux qui étaient présents, découvrait la plaque inaugurant la toute nouvelle ambassade américaine à Jérusalem, l’armée israélienne tuait par balles soixante Palestiniens et en blessait mille sept cents, qui jetaient des pierres, en essayant d’approcher les barbelés qui séparent Gaza du territoire d’Israël. Les deux événements n’ont pas coïncidé par hasard, le dernier était une conséquence du premier.
La décision du président Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, annoncée lors de sa campagne électorale, brise soixante-dix ans de neutralité [sur ce point, NdT] des États-Unis. Ces derniers, comme ses alliés en Occident, soutenaient jusqu’à présent que le statut de Jérusalem, revendiquée comme capitale par les Palestiniens et les Israéliens, devrait être décidé dans l’accord entre les deux parties en vue de la création de deux Etats existant côte à côte dans la région. Bien que la théorie des deux Etats soit encore parfois évoquée par les dirigeants des deux pays, personne ne croit que cette formule est encore possible, compte tenu de la politique expansionniste d’Israël dont les colonies de Cisjordanie dévorent les territoires et isolent un peu plus chaque jour les villes et villages qui devraient former l’État palestinien. Si cet Etat existait, il serait à l’époque actuelle à peine moins qu’une caricature des bantoustans sud-africains du temps de l’apartheid.
Le président Trump a affirmé que sa décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël était «réaliste» et que, au lieu d’entraver l’accord [entre les parties au conflit, NdT], elle le faciliterait. Il est possible qu’il ne l’ait pas seulement dit mais, dans sa formidable ignorance des affaires internationales auxquelles il pense quotidiennement d’une manière si irresponsable, qu’il le croie. Mais je doute que r beaucoup d’autres, à part lui et la poignée de fanatiques qui ont applaudi comme des enragés quand Ivanka a dévoilé la plaque dont Bibi Netanyahou qui, les larmes aux yeux, a hurlé : « Quel jour glorieux. » En effet, Trump a ouvert la boîte de pandore avec cette décision et, outre la confusion et la perplexité dans lesquels il a plongé ses alliés, il a provoqué en bonne partie la tuerie cruelle et stupide qui est venue s’ajouter au supplice qu’est, depuis longtemps déjà, la vie pour les malheureux habitants de Gaza.
La création des deux États coexisteraient en paix était la formule la plus sensée pour mettre fin à cette guerre larvée qui dure depuis soixante-dix ans au Moyen-Orient, et de nombreux Israéliens y ont cru pendant longtemps. Malheureusement, à l’époque d’Arafat, les Palestiniens rejetèrent un projet de paix dans lequel Israël fit des concessions notables, comme la restitution d’une grande partie des territoires occupés et l’acceptation de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la Palestine.
Depuis lors, cet immense mouvement de l’opinion publique israélienne qui voulait la paix est allé déclinant tandis que croissait le nombre de ceux qui, comme Sharon, pensaient que la négociation était impossible et que la seule solution viendrait d’Israël seulement et serait imposée aux Palestiniens par la force. Et il y a beaucoup de gens dans le monde, comme Trump, qui le croient aussi et qui sont prêts à soutenir cette politique insensée qui ne résoudra jamais le problème et continuera à remplir le Moyen-Orient de tension, de sang et de cadavres.
Ce processus a été rendu possible un gouvernement tel que celui présidé par Netanyahu, le plus réactionnaire et arrogante qu’ait jamais eu Israël, et sûrement le moins démocratique donc convaincu de sa supériorité militaire absolue dans la région, qui harcèle sans relâche ses adversaires, vole chaque jour un peu plus de territoire et, les accusant d’être des terroristes qui mettent en péril l’existence du petit Israël, leur tire dessus et les blesse et les assassine à sa guise au moindre prétexte.
Je voudrais citer ici un article de Michelle Goldberg paru dans The New York Times du15 mai, à propos de ce qui s’est passé au Moyen-Orient et qui porte le titre de: « Un spectacle grotesque à Jérusalem ». L’article décrit en détail la concentration fantastique d’extrémistes israéliens et de fanatiques évangéliques américains venus célébrer l’ouverture de la nouvelle ambassade et la gifle que fut pour le peuple palestinien ce nouvel affront infligé par la Maison Blanche. L’auteur n’oublie pas l’intransigeance du Hamas, ni le terrorisme palestinien, mais rappelle également les conditions indescriptibles dans lesquelles les habitants de Gaza sont condamnés à vivre. Je les ai vues de mes propres yeux et je connais le degré d’abjection dans lequel survit à grand peine cette population, sans travail, sans nourriture, sans médicaments, avec des hôpitaux et des écoles en ruines, avec des bâtiments effondrés, sans eau, sans espoir, soumise à des bombardements aveugles chaque fois qu’il y a un attentat.
Mme Goldberg explique que l’image du sionisme a souffert dans l’opinion publique mondiale avec la droitisation extrême des gouvernements israéliens et qu’une partie importante de la communauté juive aux Etats-Unis ne soutient plus la politique actuelle de Netanyahu et des petits partis religieux qui lui donnent une majorité parlementaire. Je crois que cela s’applique également au reste du monde, à des millions d’hommes et de femmes qui, comme moi, ressentaient une identification à un peuple qui avait construit des villes modernes et des fermes modèles là où il n’y avait que des déserts et au sein duquel un nombre très important voulait vraiment une paix négociée avec les Palestiniens. Cet Israël n’existe malheureusement plus. Maintenant, c’est une puissance militaire, sans aucun doute, et d’une certaine manière coloniale, qui ne croit qu’en la force, surtout ces derniers temps,
Toute cette puissance ne sert pas à grand-chose si une société reste en permanence sur le qui-vive, dans l’attente de passer à l’attaque ou d’être attaquée, à s’armer chaque jour davantage parce qu’elle se sait haïe par ses voisins et même par ses propres citoyens, à exiger de sa jeunesse qu’elle passe trois ans dans l’armée pour assurer la survie du pays et continuer à gagner les guerres, et punir avec férocité et sans relâche, à ma moindre agitation ou protestation, ceux dont la seule faute est d’avoir été là, pendant des siècles quand commencèrent à arriver les Juifs expulsés d’Europe après les atroces massacres des nazis. Ce n’est pas une vie civilisée ou désirable, vivre entre deux guerres et tueries, aussi puissant et fort que soit un Etat.
Les vrais amis d’Israël ne devraient pas soutenir la politique à long terme suicidaire de Netanyahou et de sa clique. C’est une politique qui fait de ce pays, qui était aimé et respecté, un pays cruel et sans pitié pour un peuple qu’il maltraite et subjugue tout en se présentant en même temps comme une victime de l’incompréhension et du terrorisme. Ce n’est plus vrai, si ce fut jamais le cas.
J’ai beaucoup d’amis en Israël, en particulier parmi ses écrivains, et j’ai défendu à plusieurs reprises son droit à l’existence, avec des frontières sûres, et, surtout, à ce qu’il trouve un moyen pacifique de coexister avec le peuple palestinien. Je suis honoré d’avoir reçu le Prix de Jérusalem et je suis heureux de savoir qu’aucun de mes amis israéliens n’a participé au « spectacle grotesque » qui mettait en vedette l’emblématique Ivanka Trump dévoilant la plaque inaugurale, et je suis sûr qu’ils ont ressenti tout autant de tristesse et d’indignation que moi pour la tuerie sur les barbelés de Gaza. Ils représentent un Israël qui semble avoir disparu ces jours-ci. Mais espérons qu’il revienne. En leur nom et en celui de la justice, nous devons proclamer haut et fort que ce ne sont pas les Palestiniens qui représentent le plus grand danger pour l’avenir d’Israël, mais Netanyahou et ses acolytes et le sang qu’ils font couler.