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Le modèle américain d’Hitler

23 octobre 2017

On s’en doutait un peu que les Etats Unis avaient pu inspirer les législateurs nazis qui avaient en effet découvert Outre Atlantique une codification élaborée du racisme d’Etat. Ce racisme d’Etat est incorporé dans l’hymne national, raison qui explique que certains sportifs mettent un genou à terre au moment où il est joué au lieu de l’observer debout.

Ira Katznelson, qui rend compte de la lecture d’un livre qui vient de paraître sur cette thématique du nazisme et de la législation aux Etats Unis, essaye cependant d’apporter sa propre contribution à l’analyse de ce sujet. Il pose en particulier que la différence entre le racisme institutionnalisé dans la démocratie libérale américaine et celui du régime autoritaire nazi est que ce dernier a dérivé vers le génocide tandis que l’Amérique s’est acheminée, non sans luttes précise-t-il, vers plus d’égalité.

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J’objecterai personnellement que la durée des deux régimes n’est pas comparable : en 1945, le Troisième Reich disparaissait après seulement une douzaine d’années d’existence tandis que le régime en vigueur aux Etats Unis, le même qu’aujourd’hui, avait 169 ans.

Et surtout, que si le Troisième Reich a « culminé » dans un génocide, les Etats Unis se sont fondés sur un génocide, celui des Amérindiens. Un génocide qui reste nié même par ceux qui le décrivent.

Ce que l’Amérique a enseigné aux Nazis

Dans les années 1930, les Allemands étaient fascinés par le leader mondial du racisme codifié – les Etats Unis

Par Ira Katznelson, The Atlantic (USA) novembre 2017 traduit de l’anglais par Djazaïri

Il n’y avait pas de lieu plus extravagant pour le théâtre politique du Troisième Reich que les terrains des parades spectaculaires, deux grands stades, et le palais des Congrès à Nuremberg, un projet conçu par Albert Speer.

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Stade du Zeppelinfeld à Nuremberg d’une capacité de  plus de 300000 personnes

Entre 1933 et 1938, il avait chorégraphié des rassemblements énormes parallèlement à la conférence annuelle du Parti Nazi, des assemblées rendues célèbres par les documentaires grandioses de Leni Riefenstahl de 1933 et 1935, La Victoire de la Foi et le Triomphe de la Volonté. Nuremberg avait été le cadre du « Congrès de la Liberté » du Parti au cours duquel le Reichstag en session extraordinaire avait adopté par acclamation une loi excluait les Juifs de la citoyenneté allemande et des droits afférents, leur interdisait de se marier ou d’avoir des relations sexuelles avec des personnes identifiées comme racialement allemandes et interdisait aux Juifs d’arborer les couleurs nationales ou le nouvel emblème national, un drapeau avec un svastika.

Huit jours à peine après la proclamation formelle par Adolf Hitler de la loi de citoyenneté du Reich, de la loi sur la protection du sang et de l’honneur allemands et de celle sur le drapeau du Reich, 45 juristes nazis embarquèrent pour New York sous les auspices de l’Association des Juristes Nationaux Socialistes Allemands. Le voyage était une récompense pour les juristes qui avaient codifié la philosophie juridique du Reich basée sur la race. L’objectif annoncé de la visite était d’avoir « un aperçu précis du fonctionnement juridique et de la vie économique des Etats Unis par l’étude directe et des conférences, » et le chef de la délégation était Ludwig Fischer. En tant que gouverneur du district de Varsovie une dizaine d’années plus tard, il présidera à l’ordre brutal du ghetto.

Chaque jour qui passe en ce moment nous rappelle que la démocratie libérale et la démocratie intolérante peuvent entrer dans une osmose malencontreuse, un contexte opportun pour le « Hitler’s Américan Model » [le modèle américain d’Hitler] de James Q. Whitman, qui examine comment le Troisième Reich trouva de la substance dans le droit américain pour ses initiatives basées sur la race. Après avoir débarqué, les juristes allemands participèrent à une réception organisée par l’Association du Barreau de New York. Toutes les personnes présentes étaient au courant des derniers événements à Nuremberg, et pourtant la demande de ces éminents juristes allemands d’en apprendre sur les systèmes juridique et économique américain avait été accueillie chaleureusement.

Whitman, professeur à la faculté de droit de Yale, a cherché à comprendre comment les Etats Unis, un, pays fondé sur ces principes libéraux que sont les droits individuels et la règle de droit, ont pu produire des idées et des pratiques juridiques « qui semblaient intrigants et attractifs aux Nazis. » En explorant cette apparente incongruité, son petit livre soulève d’importantes questions sur le droit, sur les décisions politiques qui affectent la portée de l’appartenance civique et sur la malléabilité des valeurs des Lumières.

Au rebours des travaux universitaires qui minimisent l’impact du modèle américain de racisme légal sur l’Allemagne nazie, Whitman réunit toute une série d’éléments qui plaident en faveur de la probabilité « que les lois de Nuremberg elles-mêmes reflètent une influence américaine directe. » L’Amérique a fourni le point de référence le plus évident au Preußische Denkschrift, le mémorandum prussien rédigé en septembre 1933 par une équipe de juristes qui comprenait Roland Freisler, qui devait bientôt se révéler en tant que président particulièrement cruel du Tribunal Populaire Nazi. Des précédents [exemples] américains ont aussi inspiré d’autres textes nazis essentiels, y compris le Manuel national-socialiste de droit et de législation de 1934-35, publié sous la direction du futur gouverneur général de Pologne Hans Frank qui sera plus tard pendu à Nuremberg. Chapitre très important de ce livre, un quart des pages des recommandations d’Herbert Kier pour une législation raciale est consacré à la législation américaine – pas seulement à la ségrégation pais aussi aux règles appliquées aux Amérindiens, aux critères de citoyenneté pour les Philippins et les Porto-Ricains ainsi qu’aux Afro-Américains, aux réglementations sur l’immigration et aux interdictions portant sur le métissage dans quelque 30 Etats [à l’époque il y a 48 Etats contre 50 aujourd’hui]. Aucun autre pays, pas même l’Afrique du Sud, ne disposait d’un ensemble de lois aussi développé en ce domaine.

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Varsovie 1942: Ludwig Fischer et Hans Frank, respectivement 2ème et 3ème à partir de la gauche

Particulièrement significatifs étaient les écrits du juriste allemand Heinrich Krieger, « le personnage de loin le plus important pour l’assimilation par le nazisme de la législation raciale américaine », qui avait passé l’année universitaire 1933-34 comme étudiant dans le cadre d’un échange la faculté de droit de l’Arkansas à Fayetteville. Cherchant à mobiliser un savoir historique et juridique au service de la pureté raciale aryenne, Krieger avait étudié toute une série de régimes raciaux à l’étranger, dont l’Afrique du Sud contemporaine, mais en avait découvert les fondations dans le droit américain. Ses écrits très documentés sur les Etats Unis commencèrent avec des articles de 1934 dont certains concernaient les Amérindiens et d’autres qui tentaient une évaluation globale de la législation raciale des Etats Unis – des textes précurseurs de son livre majeur de 1936, « Das Rassenrecht in den Vereingten Staaten » [la législation raciale aux Etats Unis].

Le « document massue » de Whitman est la transcription d’une conférence du 5 juin 1934 qui avait réuni d’éminents juristes allemands pour débattre de la meilleure manière d’opérationnaliser un régime raciste. La transcription montre comment les plus extrémistes parmi eux, qui s’appuyaient sur les recherches approfondies de Krieger, étaient particulièrement attirés par les codes juridiques américains basés sur la suprématie blanche. Le principal apport conceptuel venait de Freiser. La race, affirmait-il, est une construction politique. Aux Etats Unis comme en Allemagne, l’importance et la signification de la race ont pour l’essentiel été déterminées moins par des réalités scientifiques ou des conventions sociales que par des décisions politiques consacrées par la loi.

Mais même les preuves indiscutables de l’intérêt soutenu des Allemands pour le modèle américain ne tranchent pas la question du rôle constitutif des lois raciales américaines, comme Whitman lui-même a la prudence de le reconnaître. Après tout, les intellectuels et les dirigeants nazis avaient bien pu utiliser des exemples américains simplement pour rendre plus légitimes les projets grotesques qu’ils envisageaient déjà de mettre en œuvre. En tout cas, répondre à la question de l’influence étrangère est en définitive moins important que l’autre objectif de Whitman qui est d’examiner le statut de la hiérarchie raciale aux Etats Unis à travers le regard des Nazis. « Ce que l’histoire présentée dans ce livre exige que nous affrontions, » écrit-il, « ne porte pas sur des questions relatives à la genèse du nazisme mais sur le caractère de l’Amérique. »

Son teste dérangeant trouve donc sa place à l’intérieur de l’histoire plus large des Etats Unis en tant que régime politique fondé sur les principes de l’égalité des hommes, de la raison des Lumières et de la limitation constitutionnelle du pouvoir de l’Etat, modelé cependant par le mal extraordinaire et les conséquences à long terme de la traite des esclaves basée sur la race. Lire « Hitler’s American Model » nous oblige à prendre en compte le fait brut que durant la période 1334-35 du Troisième Reich, environ la moitié des élus du Parti Démocrate au Congrès représentaient des Etats Jim Crow [où la ségrégation était en vigueur], et qu’aucun des deux grands parti n’avait essayé d’abolir des lois raciales qu’admiraient tant les magistrats et juristes allemands.

Comment comprendre la relation entre race et démocratie a été une question pressante depuis la fondation même des Etats Unis. La tension profonde entre les deux – résumée ironiquement par une plantation baptisée ‘Egalité’ à Port Tobacco dans le Maryland, pleine d’esclaves et propriété de Michael Jenifer Stone, un des six membres de la délégation de cet Etat à la Chambre des Représentants du Premier Congrès Fédéral – avait rendu perplexe le grand auteur sur l’égalité en Amérique, Alexis de Tocqueville. Dans « De la démocratie en Amérique », publié un siècle exactement avant les Lois de Nuremberg, il engagea une discussion sur « les trois races qui habitent le territoire des Etats Unis » en annonçant que ces objets « qui touchent à mon sujet n’y entrent pas ; ils sont américains sans être démocratiques, et c’est surtout la démocratie dont j’ai voulu faire le portrait. »

Whitman invoque le travail de chercheurs en sciences politiques qui, dans l’esprit des sphères séparées de Tocqueville, distinguent ce qu’ils appellent un ordre suprématiste blanc d’un ordre libéral et égalitaire. Mais son propre livre montre qu’une telle division est trop tranchée. Nous devons aborder la question raciale aux Etats Unis en concomitance avec les considérations sur la démocratie. Le travail de Whitman ne dénonce pas la tradition libérale des Etats Unis comme étant un simulacre ainsi que de nombreux théoriciens du droit du Troisième Reich l’ont laissé entendre quand ils soulignaient le système de subordination des Amérindiens et des Noirs. Au contraire, il invite implicitement le lecteur à considérer quand et comment, sous quelles conditions et dans quels domaines, les traits ignobles du racisme ont été les plus saillants au cœur de la démocratie libérale américaine. Inversement, nous pourrions demander, quand et pourquoi ces traits ont été réprimés, permettant un accès plus égalitaire des minorités raciales à l’espace public, au respect de leur culture, à plus de confort matériel et d’exercice de la citoyenneté ?

Les idées et les institutions libérales-démocrates aux Etats Unis, à la différence du régime hitlérien, ont toujours été à la fois vulnérables et résistantes aux exclusions racistes. Bien que les Etats Unis soient entrés dans les années 1930 en qualité d’ordre racialisé le mieux établi du globe, l’évolution à partir de Nuremberg et de Jim Crow a été très différente, l’une culminant en génocide de masse, l’autre, après bien des luttes, dans des progrès en matière de droits civiques. Pourtant, aucun de ces progrès, pas même les mandats présidentiels d’un Afro-Américain, n’a permis de retirer les questions de race et de citoyenneté de l’agenda politique. Les débats en cours nous rappellent avec force que les progrès ne sont pas des acquis garantis. Les règles mêmes du jeu démocratique – élections, médias ouverts et représentation politique – créent des possibilités persistantes de démagogie raciale, de peur et d’exclusion. Et comme Freisler et les autres juristes du Troisième Reich ne l’avaient que trop bien compris, les idées de race et les politiques racistes sont profondément des produits de décisions politiques.

 

Des lois de Nuremberg à la jurisprudence de Tel Aviv (la boucle est bouclée)

8 octobre 2011

J’étais parti pour faire une petite introduction à un article de Reuters (que vous trouverez après ce développement) sur la victoire juridique de l’écrivain Yoram Kaniuk qui a obtenu un jugement en sa faveur dans un tribunal de Tel Aviv.

Mais comme souvent avec le sionisme, quand on commence à dérouler la pelote, on arrive au nazisme et aux doctrines racistes, l’inverse étant également vrai au moins en partie.

Et mon sentiment est que la victoire de Kaniuk au tribunal qui lui a reconnu le droit de ne plus être considéré par l’Etat comme appartenant au judaïsme, est en réalité une victoire en trompe l’œil. Et voici pourquoi :

On le sait, la France de Vichy opérait un classement des citoyens Français, d’une manière assez simple : les Juifs et puis les autres. Les droits des citoyens variaient en fonction de la façon dont ils étaient classés. Ainsi, un certain nombre de professions étaient expressément interdites aux Français de confession juive  tandis que l’accès à d’autres avait d’abord fait l’objet d’un numerus clausus qui évolua aussi vers de nouvelles interdictions. Par ailleurs,  certains Juifs qui étaient Français par naturalisation, s’étaient vu déchoir de la nationalité française, du fait entre autres de l’abrogation du décret Crémieux qui avait accordé la nationalité française aux indigènes Juifs d’Algérie.

Bien sûr, le gouvernement de Vichy avait établi une définition permettant de ranger les gens dans telle ou telle catégorie et cette définition s’en remettait à la filiation biologique comme si les Juifs constituaient une race ou une ethnie particulière dans le corps de la nation.

On dit parfois que le statut des Juifs adopté par le régime de Philippe Pétain était plus draconien que celui en vigueur dans l’Allemagne nazie.  On peut lire par exemple que :

Pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race.

Il faut vraiment haïr la France pour écrire ce genre de choses parce que si on se reporte aux lois de Nuremberg qui ont scellé le sort des Juifs en Allemagne, force est de constater que les grands absents sont les mots « religion » ou « confession. »

Et en effet, «la notion de « Juif » n’est pas définie par rapport à la religion dans les lois de Nuremberg, mais par rapport à la parenté. Ainsi des non-juifs se sont retrouvés persécutés »

Sur le fond, les lois de Vichy sont habitées du même esprit que la règlementation nazie correspondante, mais si elles sont également iniques, elles ne sont cependant   pas aussi draconiennes comme on a pu le prétendre. Ainsi, le régime de Vichy faisait un clair distinguo entre les Juifs Français, à l’exception notable de ceux à qui il a retiré cette nationalité, et les Juifs étrangers, ces derniers n’ayant aucun droit et étant voués généralement à être livrés au gouvernement allemand. A la différence toutefois de la loi nazie, les statuts adoptés par Vichy n’interdisent pas les mariages interconfessionnels et n’annulent pas les mariages conclus entre Juifs et non Juifs.

Le trait saillant de ces deux législations est la définition des Juifs comme «race» ou «ethnie», l’appartenance à cette « race » ou « ethnie » pouvant être repérée non par la croyance ou la pratique religieuse mais par la filiation.

A la différence des autorités nazies, le gouvernement de Vichy semble avoir quand même oscillé entre définition raciale et définition religieuse. Ainsi, alors que le premier statut des Juifs ne parle pas de religion mais seulement de race, on peut lire dans le deuxième, adopté en 1941 qu’est considéré juif ::

2º Celui ou celle qui appartient à la religion juive, ou y appartenait le 25 juin 1940, et qui est issu de deux grands-parents de race juive. La non-appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l’adhésion à l’une des autres confessions reconnues par l’État avant la loi du 9 décembre 1905.

A la différence des lois nazies, le statut vichyssois prend en compte à la fois l’appartenance «raciale» et l’appartenance « confessionnelle ». Etrangement, ce statut, différence énorme par rapport à la règlementation nazie, considère la possibilité de sortir de la «race» juive par l’adhésion à une autre confession parmi celles reconnues par l’Etat avant la loi de 1905 portant séparation des églises et de l’Etat.

Cette ambivalence du texte vichyssois renvoie à deux choses.

La première est le caractère incongru pour un esprit français, même d’extrême droite, que représente la mise sur un même plan d’une appartenance nationale ou « raciale » et d’une appartenance confessionnelle. Le deuxième statut essaye de se dépatouiller avec cette contradiction.

La deuxième est la définition par le judaïsme lui-même de l’appartenance à cette confession, une appartenance définie d’abord par la filiation puisque pour être considéré juif par le rabbinat, il faut être né de mère juive. Cette condition de filiation est stricte et elle est nécessaire et suffisante pour être juif. Elle n’est atténuée que très marginalement par les procédures de conversion, le judaïsme gérant ainsi d’une certaine manière sa propre contradiction un peu comme l’a vécue le régime de Vichy.

Cette importance de la filiation biologique pour le judaïsme est incontestable et elle se retrouve aussi dans la réglementation qui encadre le prétendu «droit au retour» des Juifs dans l’entité sioniste et, elle est amplemendocumentée y compris par les débats sur les dons d’ovules et l’appartenance ou non au judaïsme d’un enfant conçu à partir d’un ovule cédé par une femme non juive.

Vous me direz que tout ça commence à puer et vous aurez raison. Mais ce qui m’amène à naviguer dans ces remugles est une question d’actualité que j’ai évoquée en passant tout récemment, la victoire juridique de l’écrivain Yoram Kaniuk à qui un tribunal de Tel Aviv vient de reconnaître le droit d’être rangé dans la catégorie juive de la population sans que le judaïsme soit considéré comme sa religion.

C’est ce qu’on appelle dans l’entité sioniste une victoire du sécularisme ou de la laïcité (quoique ces mots ne soient en réalité pas interchangeables), à savoir de considérer qu’être juif est une donnée ethnique ou même raciale. Cette victoire juridique de Kaniuk n’est en réalité qu’un retour par le tribunal aux sources du sionisme politique, volontiers athée et qui considérait les Juifs comme étant une nationalité distincte des autres nationalités au milieu desquelles vivaient les Juifs, britannique, française, allemande etc.

Sur ce point, les nazis étaient absolument d’accord avec Théodore Herzl, le fondateur du sionisme politique, et ils ne définissaient donc pas les Juifs selon un critère religieux mais national et racial. Ce sionisme politique originel de Herzl n’a pu l’emporter qu’en faisant jonction avec les rabbins qui revendiquent maintenant de plus en plus ouvertement la prééminence dans le mouvement sioniste et sont appuyés en ce sens par les riches fanatiques Américains qui dominent la vie communautaire juive aux Etats unis et tendent à dicter leurs vues aux gouvernements qui se succèdent à Tel Aviv, neutralisant tous les politiciens qui auraient une réelle intention de négocier avec les Palestiniens..

En ce sens, le tribunal de Tel Aviv a rendu une décision qui, loin de renvoyer à une quelconque modernité, s’inscrit dans le droit fil des lois raciales de Nuremberg et, de ce point de vue, est bien plus draconienne que les règlements édictés par le régime de Vichy.

De fait, si la décision Kaniuk fait jurisprudence, il ne sera même plus possible pour un Juif d’invoquer la liberté de conscience et on comprend mieux ce qui arrive à Mordechai Vanunu qui demande à ce qu’on lui fiche la paix avec le retour à Sion alors qu’il n’est plus de confession juive mais anglicane et que son souhait est de partir pour l’Australie.

Mais comme sous les lois raciales de Nuremberg, Vanunu ne peut se détacher de sa judéité qui se trouve quelque part dans ses gènes maternels. Au moins, sous Pétain, son adhésion à une religion « reconnue par l’Etat » lui aurait évité ces désagréments.

Et si vous prenez la loi du prétendu retour à Sion, sa parenté avec les statuts édictés sous Vichy est tout à fait évidente :

 L’article 4B de la loi définit un Juif comme étant « une personne née d’une mère juive ou convertie au judaïsme et qui n’est pas membre d’une autre religion ».

En effet, le deuxième statut de Vichy que j’ai évoqué un peu plus haut nous dit à peu près la même chose dans son article 1er,

Un Israélien oblige l’Etat à changer la classification “juif”

par Maayan Lubel, Reuters, le 7 octobre 2011traduit de l’anglais par Djazaïri

Jérusalem – Dans ses difficiles discussions de paix avec les Palestiniens, Israël a exigé d’être reconnue en tant qu’Etat juif, mais l’opinion intérieure est très divisée sur ce que cela signifie.

Yoram Kaniuk, un écrivain jovial de 81 ans, a été salué cette semaine par les Israéliens non religieux [secularists] pour sa victoire devant un tribunal qui a contraint l’Etat de ne plus répertorier le judaïsme comme étant sa « religion » tout en maintenant « juif » comme étant son « ethnicité ». Il est le premier Israélien juif à l’avoir fait.

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Yoram Kaniuk

Israël se définit lui-même comme Etat “juif et démocratique”. Le triomphe juridique de Kaniuk intervient à un moment où la société est de plus en plus polarisée entre ceux qui disent que la caractère juif de l’Etat doit être renforcé et les opposants qui disent que ce renforcement se fait au détriment des libertés et des droits civiques.

«J’étais malade et fatigué de voir l’extrême droite religieuse prendre le contrôle de nos vies. Nous sommes une majorité de laïques [secular] et nous avons tout simplement cédé. J’espère que la décision du tribunal changera les choses, » a-t-il expliqué à Reuters.

 “Je ressens un grand soulagement,” a déclaré Kaniuk, un des écrivains Israéliens les plus connus.

L’épouse de Kaniuk est Chrétienne et comme le droit rabbinique orthodoxe considère comme Juifs seulement ceyx sont la mère est juive, les filles du couple sont classées comme « sans religion. » C’est le fait de voir que son petit fils a été aussi classé dans les sans religion qui l’a incité à se lancer dans une contestation de l’influence de l’establishment religieux.

 «Je n’ai jamais été un Juif pratiquant et je ne crois pas en Dieu, » dit-il. Quand les Juifs ont été dispersés dans le monde, la religion a été un lien entre nous, mais nous n’en avons plus besoin.»

En Terre Sainte, les tensions sont fortes sur les questions de citoyenneté, d’ethnicité et de religion. Ces trois catégories sont utilisées dans le recensement pour classer les Israéliens qui sont majoritairement rangés dans la catégorie « Juif » aussi bien en termes de religion que d’ethnicité.

Kaniuk et ses partisans de la majorité juive laïque demandent une claire séparation entre la religion et l’Etat, et disent souffrir de la coercition religieuse.

Les transports en commun le jour du sabbat juif sont au mieux rares, les rabbins ont des pouvoirs en matière d’affaires familiales et l’Etat ne reconnaît que les mariages célébrés par des rabbins pour les Juifs qui se marient à l’intérieur de ses frontières. Ceux qui veulent se marier civilement doivent le faire à l’étranger.

PROTESTATION SYMBOLIQUE

Yael Katz-Mastbaum, l’avocate qui a plaidé l’affaire kaniuk, observe que depuis la décision du tribunal de Tel Aviv, elle croule sous des dizaines de requêtes d’Israéliens qui lui demandent son aide pour suivre les traces de Kaniuk.

 «Ce ne sont pas des jeunes gens qui agissent sur un coup de tête, mais des gens plus mûrs qui y ont réfléchi après s’être sentis étouffés  pendant des années par l’establishment religieux, » explique Katz-Mastbaum.

Selon elle, cette décision signifie que des des couples Juifs qui auraient obtenu un classement dans la catégorie non religieux pourraient se marier civilement.

Amos Amir, 76 ans, général de l’armée de l’air en retraite, a fait appel à Katz-Malstbaum après avoir appris la victoire de Kaniuk.

“Ce qui était à une époque un judaïsme modéré, sain et digne a été envahi âr un judaïsme extrémiste, et même raciste, u, judaïsme qui fait du tort à une religion toute entière et s’empare de l’Etat, » dit-il.

Mickey Gitzin, directeur du mouvement Be Free Israel qui revendique l’émancipation vis-à-vis de la religion, affirma avoir été lui aussi contacté par des dizaines d’Israéliens qui veulent modifier leur statut pour passer à celui de « sans religion » à la suite de l’affaire Kaniuk.

“C’est surtout symbolique. Les conséquences pratiques sont faibles mais c’est néanmoins un pas significatif.” Dit-il.

Environ 75 % des 7,7 millions d’habitants d’Israël sont repertories comme Juifs, près de 17 % sont Musulmans, environ 2 % Chrétiens, un peu moins sont classes comme Druzes et environ 4 % sont classes comme étant “sans religion.”

Les palestiniens affirment que l’exigence par Israël d’être reconnue en tant qu’Etat juif lèserait la minorité arabe et serait un abandon de fait du droit au retour des réfugiés Palestiniens qui on fui ou ont été expulsés de chez eux pendant les guerres israélo-arabes.

La bataille juridique de Kaniuk n’a rien à voir avec les empoignades diplomatiques qui visent à mettre fin à un conflit vieux de plusieurs dizaines d’années, mais elle a mis le doigt sur ce que beaucoup d’Israéliens voient comme une montée du zèle religieux au cœur de l’Etat.

“Ce n’était qu’un cas isolé, mais peut-être ai-je ouvert la voie à beaucoup d’autres personnes qui en ont assez de l’establishment religieux. Peut-être un jour, aurons-nous une vraie séparation de la religion et de l’Etat avec une société pluraliste, » déclare Kaniuk.


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