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Playmobil et son Martin Luther antisémite

7 janvier 2017

Voilà maintenant qu’une figurine Playmobil suscite une polémique reprise par USA Today, un quotidien américain à grand tirage.

La polémique est pourtant partie d’un journal berlinois qui tire à 60 000 exemplaires dans une capitale allemande qui compte 3,5 millions d’habitants! dans un pays de plus de 80 millions de’habitants!

C’est que la polémique porte sur le caractère anti-juif voire antisémite d’un personnage en plastique qui représente Martin Luther, le réformateur protestant, à l’occasion du 500ème anniversaire en 2017 de l’affichage par l’ancien moine catholique de ses 95 thèses.

Il faut être un théologien avisé et pointilleux pour comprendre en quoi cette figurine pourrait être anti-juive ou antisémite.

Ou encore connaître un peu la biographie de Marti Luther. Dans ce cas, on comprend que la simple mise en valeur du personnage est un affront fait aux Juifs. Le problème étant que Martin Luther est un personnage incontournable non seulement pour l’Allemagne mais pour le christianisme protestant en général et donc le monde chrétien.

Et l’image de Marti Luther est des plus positives chez les protestants comme l’atteste par exemple le fait qu’un célèbre pasteur américain portait son nom. Je veux parler bien sûr du Révérend Martin Luther King.

On ne manquera pas d’être amusé de voir à quel point le judaïsme est en capacité de dicter sa loi au christianisme, ici protestant, sur la base du fait que ce christianisme minorerait, voire écarterait, l’Ancien Testament commun au judaïsme et au christianisme.

Dans l’article, on ne nous dit pourtant à aucun moment quel regard porte le judaïsme sur le Nouveau Testament (les Evangiles).

L’article cite par contre un synode protestant qui qualifie Jésus de Juif. On se demande bien sur quelle base théologique.

La figurine jouet de Martin Luther suscite des accusations d’antisémitisme

Par Tom Heneghan, Religion News Service, USA Today 4 janvier 2017 traduit de l’anglais par Djazaïri

Quand il est question de Martin Luther et de l’antisémitisme, même des jouets populaires en Allemagne ne peuvent échapper à un examen de nature théologique.

Playmobil, un des plus grands fabricants allemands de jouets, a mis sur le marché une figurine en plastique de 8 centimètres représentant Martin Luther pour commémorer le 500ème anniversaire cette année de la Réforme.

Drapé dans une robe noire, la figurine de Luther tient une plume dans une main et sa traduction en allemand de la Bible dans l’autre.

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Le succès a été énorme.

Environ 500 000 pièces ont été vendues, principalement en Allemagne – en particulier dans les villes où Luther a vécu et travaillé – mais aussi aux Etats Unis et dans d’autres pays étrangers.

Ce qui en fait la figurine la plus populaire jamais produite par la compagnie bavaroise qui fabrique aussi des figurines de cosmonautes, de pirates, d’ouvriers et même des personnages de crèches de Noël parmi les milliers de jouets différents conçus par Playmobil depuis 1974.

Tout se passait apparemment très bien jusqu’à ce que Micha Brumlik, un professeur d’université à la retraite et commentateur juif respecté, écrive en juin dernier que le jouet populaire était « anti-juif, voire même antisémite. »

Le problème, écrivait-il, était l’inscription sur les pages ouvertes de la Bible que tient le Playmobil Luther. Sur la page de gauche, il est écrit en allemand: « Livres de l’Ancien Testament. FIN ». On lit sur la page de droite: « Le Nouveau Testament, traduit par le Docteur Martin Luther. »

Pourquoi le mot FIN était-il écrit en caractères si gros, demandait Brumlik. « Théologiquement, la seule raison possible est que « l’Ancien Testament » et sa validité devraient être compris comme terminés et remplacés, » écrivait-il dans le journal berlinois Die Tageszeitung.

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La réponse à la question de Micha Brumlik en images (à gauche un aperçu de la statue de Martin Luther à Wittenberg

« L’Ancien Testament, les Ecritures du peuple d’Israël communes aux Juifs et aux Chrétiens, est-il obsolète et dépassé comme de nombreux Nazis – les soi-disant Chrétiens allemands – voulaient les voir, où est-il tout aussi important que les Evangiles pour les différentes familles du christianisme? »

L’église régionale protestante de Hesse et Nassau, où se trouve Francfort, s’est promptement associée à la critique de Brumlik pour dire que le mot [fin] pouvait être mal compris.

Dans une lettre ouverte, une organisation de théologiens protestants progressistes considère que le jouer présente une vision discutable de la Bible « dans un contexte politique et social où les opinions anti-juives sont à nouveau à la hausse. »

La charmante figurine n’était absolument pas supposée être en rapport avec ce genre de questions.

L’Office National du Tourisme allemand et les responsables du tourisme à Nuremberg – le centre de l’industrie allemande du jouet – ont conçu le jouet avec Playmobil comme un gadget de marketing pour promouvoir les visites d’événements ayant pour thème la Réforme dans les villes qui ont un lien avec Luther.

L’office du tourisme de Nuremberg la vend sur son site web pour 2.39 euros. Amazon Allemagne a une trentaine de commentaires dithyrambiques de la part de clients satisfaits.

C’est un des innombrables souvenirs mis en vente pour l’anniversaire, en plus de la bière Luther, des nouilles Luther, des magnets pour réfrigérateur Luther, un plateau de jeu Luther et, bien sûr, toute une série de nouveaux livres sur l’homme, sa vie et la Réforme.

Un théologien protestant est intervenu comme conseiller pour le projet Playmobil qui a pris pour modèle du jouet une statue célèbre de Luther qui se dresse à Wittenberg, la ville d’Allemagne orientale où, selon la tradition, il avait placardé ses 95 thèses sur la porte d’une église le 31 octobre 1517.

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Statue de Matin Luther à Wittenberg

L’église évangélique d’Allemagne, la principale association d’églises protestantes du pays, s’est empressée d’adopter la figurine, commandant même un exemplaire grandeur nature pour l’exposer lors d’événements de promotion de la commémoration de la Réforme.

Si elle n’avait au départ pas d’objection contre l’inscription [le mot FIN] critiquée par Brumlik, l’association, connue par son acronyme allemand EKD, a dû gérer ces dernières années d’autres aspects de l’héritage embarrassant de l’antisémitisme de Luther dans le cadre de la préparation de l’anniversaire.

Lors de son synode annuel de 2015, l’organisation a adopté une résolution affirmant que « la vision par Luther du judaïsme et sa diffamation des Juifs sont, selon notre lecture actuelle, en contradiction avec la fois en le Dieu unique qui s’est révélé lui-même dans le Juif Jésus. »

En novembre dernier, le synode de 2016 de l’EKD a officiellement renoncé à la « mission auprès des Juifs », un projet d’évangélisation que la plupart des églises régionales avait abandonné dans les décennies qui ont suivi l’holocauste mais qui avait gardé une certaine faveur dans les congrégations les plus conservatrices.

Dans son article, Brumlik rappelait aux lecteurs que Luther était « un des pères fondateurs de l’antisémitisme moderne » et l’auteur du tristement célèbre livre « Des Juifs et de leurs mensonges » dans lequel l’ancien moine catholique exhortait ses adeptes à incendier les maisons des Juifs et leurs synagogues et à confisquer leur argent.

Les jouets Playmobil ont rendu tant d’enfants heureux que la compagnie ne peut certainement pas s’inscrire dans cette tradition, affirmait Brumlik. Rappeler en usine toutes les figurines de Luther n’était pas la réponse mais peut-être la compagnie pouvait-elle retirer le mot « FIN » de la page du livre ou, du moins, l’écrire en plus petits caractères.

Après discussion avec ses sponsors, l’office du tourisme de Nuremberg a annoncé que le mot « FIN » serait supprimé des futurs exemplaires du jouet. Le modèle théologiquement plus correct sera disponible en mars.

Le Luther de Playmobil est devenu si connu en Allemagne que l’évêque Heinrich Bedford Strohm, président de EKD, l’a mentionné dans son sermon du Nouvel An à Berlin.

« En cette année jubilaire, l’important ce ne sont pas les figurines Playmobil, les chaussettes Luther et les bonbons de la Réforme, » a-t-il dit dimanche. « Ils ne sont font qu’ouvrir une porte pour que le message soit entendu. Et il est clair et plus que jamais pertinent – redécouvrir le Christ. »

Réformer l’Islam dites-vous?

20 mai 2015

Mehdi Hasan contribue régulièrement par des tribunes libres dans la presse anglaise au débat sur l’Islam et le monde musulman (son expression est « le monde majoritairement musulman »).

Il entend ici répondre de manière argumentée à ceux qui en Occident appellent à une réforme de l’Islam. Les quelques exemples qu’il donne viennent des Etats Unis, mais on aura vite fait de trouver leurs équivalents dans les milieux politiques et médiatiques hexagonaux.

Mehdi Hasan

Mehdi Hasan

Mehdi Hasan est aujourd’hui journaliste présentateur à Al Jazeera anglaise et a été directeur de rédaction au New Statesman (un magazine politique britannique proche du travaillisme).

Pourquoi l’Islam n’a pas besoin d’une réforme

Ceux qui appellent de leurs vœux un « Martin Luther musulman » devraient réfléchir

par Mehdi Hasan, The Guardian (UK) 17 mai 2015 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ces derniers mois, les appels stéréotypés à une réforme de l’Islam, une religion vieille de 1 400 ans, se sont multipliés. « Nous avons besoin d’une réforme musulmane, » annonçait Newsweek. « L’Islam a besoin d’être réformé de l’intérieur, » disait le Huffington Post. Après le massacre de janvier à Paris, le Financial Times approuvait ceux qui, en Occident, considéraient que le président laïque de l’Egypte, Abdel Fattah el-Sisi, « pouvait se révéler être le Martin Luther du monde musulman. » (La chose pourrait s’avérer difficile étant donné que Sisi, selon les termes de Human Rights Watch, a approuvé des « attaques meurtrières préméditées » contre des manifestants généralement non armés, qu’on pourrait assimiler à des « crimes contre l’humanité. »)

Et puis il y a Ayaan Hirsi Ali, l’essayiste d’origne somalienne, athée et ex-musulmane qui vient de publier un nouveau livre intitulé « Heretic : Why Islam Needs a Reformation Now (hérétique, pourquoi l’Islam a besoin d’une réforme maintenant). On l’a vu apparaître sur les plateaux de télévision et dans des tribunes libres pour exhorter les Musulmans, libéraux comme conservateurs, à abandonner certaines de leurs croyances religieuses centrales et à s’unir derrière un Martin Luther.La question de savoir si des Musulmans de base vont régir positivement à un appel à la réforme venant d’une femme qui a qualifié leur religion de « culte de la mort destructeur et nihiliste » qui devrait être « écrasé », et a proposé que Benjamin Netanyahou reçoive le prix Nobel de la paix, est une autre affaire.

Ce discours n’est pas nouveau. Thomas Friedman, le célèbre éditorialiste du New York Times, avait appelé à une réforme de l’Islam dès 2002 ; les universitaires américains Charles Kurzer et Michaelle Browers ont situé les origines de cette « analogie avec la réforme [protestante, NdT] au début du 20ème siècle et observent que des « les journalistes conservateurs étaient aussi impatients que les universitaires libéraux dans leur quête de Luthers musulmans. »

‘L’Islam n’est pas le christianisme. Ils ne sont pas analogues, et c’est faire preuve de beaucoup d’ignorance que de prétendre qu’il en est autrement. Apparemment, quiconque veut gagner la guerre contre l’extrémisme violent et sauver l’âme de l’Islam, sans parler de transformer un Moyen Orient qui stagne, devrait être pour un tel processus. Après tout, le christianisme a eu la Réforme, argumente-t-on, qui a été suivie par les Lumières ; par le sécularisme, le libéralisme et la démocratie européenne moderne. Alors pourquoi l’Islam ne pourrait-il pas faire pareil ? Et l’Occident ne pourrait-il pas proposer son aide ?

la réalité est cependant que les discours sur une réforme de l’Islam comme celle qu’a connue le christianisme est très fortement teinté d’hypocrisie. Examinons l’idée d’un « Luther musulman ». Luther ne s’est pas contenté de placarder 95 thèses sur la porte de l’église du château à Wittenberg en 1517, dénonçant les abus des ecclésiastiques de l’église catholique. Il exigeait aussi que les paysans allemands en révolte contre les seigneurs féodaux soient « mis à mort », les comparant à des « chiens fous », et il avait écrit « Des Juifs et de leurs mensonges » en 1543 où il parlait des Juifs comme «peuple du diable » et appelait à la destruction de leurs maisons et de leurs synagogues. Comme l’a observé le sociologue et spécialiste américain de l’holocauste Ronald Berger, Luther avait participé à faire de l’antisémitisme un « élément central de la culture et de l’identité nationale allemande. » Pas vraiment un exemple de réforme et de modernité pour les Musulmans en 2015.

Martin Luther placardant ses 95 thèses sur la porte de l'église de Wittenberg

Le 31/20/1517, Martin Luther placarde ses 95 thèses sur la porte de l’église de Wittenberg

La réforme protestante avait aussi ouvert la porte à une effusion de sang sans précédent à l’échelle continentale. Avons-nous oublié les guerres de religion en France ? Ou la guerre civile anglaise ? Des dizaines de millions d’innocents périrent en Europe ; on pense que 40 % de la population de l’Allemagne a trouvé la mort pendant la guerre de trente ans. Est-ce que c’est ce que nous voulons qu’endure maintenant la partie du monde en majorité musulmane déjà en proie à des conflits sectaires, des occupations étrangères et au legs du colonialisme, uniquement au nom de la réforme, du progrès et même du libéralisme ?

‘L’Islam n’est pas le christianisme. Les deux religions ne sont pas analogues, et c’est faire preuve de beaucoup d’ignorance, voire de condescendance, que de prétendre qu’il en est autrement – ou d’essayer d’imposer une vision eurocentrique et parfaitement linéaire de l’histoire à des pays à majorité musulmane très divers en Asie ou en Afrique. Chaque religion a ses propres traditions et textes ; les adeptes de chaque religion ont été affectés d’une foule de manières par des processus géopolitiques et socio-économiques. Les théologies de l’Islam et du Christianisme, en particulier, sont des mondes à part ; l’Islam par exemple n’a jamais eu de classe cléricale dans le style catholique obéissant à un Pape de droit divin. Alors contre qui devra se faire la « réforme islamique » ? Sur la porte de qui faudra-t-il placarder les 95 fatwas ?

La vérité est que l’Islam a déjà eu sa propre réforme à tous égards, au sens de se dégager des appartenances culturelles et d’un processus de supposée « purification ». El résultat n’a pas été une utopie pluraliste et multi-confessionnelle, une Scandinavie sur l’Euphrate. Elle a produit au contraire… le royaume d’Arabie Saoudite.

N’est-ce pas exactement une réforme qui a été offerte aux masses du Hedjaz par Muhammad Ibn Abdul Wahhab, le prédicateur itinérant de la moitié du 18ème siècle qui avait fait alliance avec la famille Saoud ? Il proposait un Islam austère débarrassé de ce qu’il considérait comme des innovations, il écartait des siècles de tradition intellectuelle et du commentaire, et il rejetait l’autorité traditionnelle des oulémas, ou des autorités [en termes de savoir, NdT] religieuses.

On pourrait même dire que si quelqu’un mérite le titre de Martin Luther musulman, c’est Ibn Abdul Wahhab qui, aux yeux de ses détracteurs, combinait le puritanisme de Luther à l’antipathie du moine allemand à l’égard des Juifs. La position controversée d’Ibn Abdul Wahhab à l’égard de la théologie musulmane, écrit son biographe Michael Crawford, « l’amena à condamner une bonne partie de l’Islam de son époque » et avait entraîné son rejet comme hérétique par sa propre famille.

Ne vous méprenez pas. Des réformes sont évidemment nécessaires dans un monde musulman en crise : des réformes politiques, socio-économiques et, c’est vrai, religieuses aussi. Les Musulmans doivent redécouvrir leur propre héritage de pluralisme, de tolérance et de respect mutuel – incarné, par exemple, dans la lettre du Prophète aux moines du monastère Sainte Catherine , ou dans la « convivencia » ‘ou co-existence) de l’Espagne musulmane médiévale.

Ce dont le monde musulman n’a pas besoin, c »est d’appels désinvoltes à une réforme de l’Islam formulés par des non Musulmans et par d’ex-Musulmans, dont la répétition illustre simplement à quel point des commentateurs occidentaux de premier plan sont superficiels, simplistes, a-historiques et même anti-historiques sur cette question. Il leur est beaucoup plus facile, semble-t-il, de réduire le débat complexe sur l’extrémisme violent à une série de poncifs, de slogans et de petites phrases plutôt que d’examiner les causes à la racine de ces tendances historiques ; plus facile de porter au pinacle les détracteurs les plus extrêmes et les plus intolérants de l’Islam tout en ignorant les voix des nombreux militants, savants et universitaires.

Hirsi Ali, par exemple, a eu droit à toute une série de louanges et de questions complaisantes dans le flot d’interviews qu’elel a faites avec des médias américains, du New York Times à Fox News (« Une héroîne de nitre temps », disait un gros titre de Politico). On ne pouvait malheureusement que constater que seul l’humoriste Jon Stewart, dans le Daily Show, s’était soucuié de signaler à Hirsi Ali que son héros réformiste voulait une « forme plus pure de christianisme » et avait contribué à créer « un siècle de violence et de chaos. »

Ayaan Hirsi Ali

Ayaan Hirsi Ali

Avec mes excuses à Luther, si quelqu’un veut faire la même chose avec l’Islam aujourd’hui, c’est le chef de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daesh), Abu Bakr al-Baghdadi qui prétend violer et piller au nom d’une « forme plus pure » de l’Islam – et qui incidemment n’est pas très fan des Juifs non plus. Ceux qui implorent de manière si simpliste, et pas qu’un peu bêtement, pour une réforme de l’Islam, devraient être un peu plus prudents quant à ce qu’ils appellent de leurs vœux.


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