Posts Tagged ‘Pepe Escobar’

L’art du deal à la manière persane – Notes de Pepe Escobar en marge de la 6ème Conférence Internationale de Soutien à l’Intifada Palestinienne

22 mai 2018

Non seulement les Etats Unis ont annoncé ne plus être liés par l’accord multilatéral sur le nucléaire iranien, mais ils ont aussi précisé qu’ils imposeraient des sanctions aux entreprises, européennes ou autres, qui commercent avec l’Iran. Il faut savoir que les Etats Unis peuvent s’opposer à une vente si le produit concerné comporte des pièces de fabrication américaine ou basées sur des brevets américains. Pis, le simple fait d’utiliser le dollar US pour une transaction peut exposer aux foudres de Washington.

Les Etats Unis viennent de présenter les douze conditions nécessaires, selon eux, à la conclusion d’un nouvel accord.

Cette proposition comme l’annonce du désengagement américain dont elle est le pendant et le train de nouvelles sanctions annoncées comme très dures, n’est évidemment pas de nature à apaiser les relations avec l’Iran. Ce dernier pays gère cependant avec beaucoup de sang froid le reniement américain dont nul ne sait s’il annonce une guerre à venir prochainement.

Résultat de recherche d'images pour "pepe escobar art deal"

Pepe Escobar

Ce sang froid iranien, le journaliste brésilien Pepe Escobar l’attribue à l’art persan du deal, de la négociation, de la transaction, un art multimillénaire.

L’article que je vous propose parle aussi de quelque chose de plus important qui tend à échapper à l’observateur occidental. Ce quelque chose, ce sont de grands courants de pensée iqui sont nés avant et/ou se sont développés contre l’esprit des Lumières ou sans référence à l’esprit des Lumières. Des courants de pensée philosophiques et politiques vigoureux, ancrés dans la tradition, qui nourrissent l’action et la réflexion des décideurs comme des acteurs sociaux à tous les niveaux et capables d’armer idéologiquement un processus révolutionnaire.

 

L’autre art du deal, à la manière de Téhéran

L’iran a accueilli la Conférence Internationale de Soutien à l’Intifada Palestinienne et est resté froid devant le retrait de l’accord sur le nucléaire.

Par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 18 mai 2018 traduit de l’anglais par Djazaïri

L’art de la transaction, pratiqué depuis 2500 ans, mène au palais de la sagesse. J’avais à peine mis les pieds à Téhéran quand un diplomate a déclaré: «Trump? Nous ne sommes pas inquiets. C’est un bazaari (un commerçant) « –  sous-entendant qu’un compromis politique sera finalement atteint.

La réponse du gouvernement iranien à l’administration Trump se ramène à une variante de Sun Tzu : le silence – surtout après la chute de Flynn [Michael Flynn, ex conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump],  qui avait « mis l’Iran en garde » après un test de missiles balistiques qui n’enfreignait pas les dispositions de l’accord nucléaire iranien, et l’idée d’un anti-Iran formé de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Uni, de l’Egypte et de la Jordanie, soit une mini-OTAN. Les manoeuvres navales iraniennes – du détroit d’Ormuz à l’océan Indien – étaient prévues depuis longtemps.

J’étais à Téhéran en tant que membre d’un petit groupe d’analystes étrangers, invités du Majlis (Parlement) pour la 6ème Conférence internationale de soutien à l’Intifada palestinienne. Aucun risque de rencontrer des membres du cercle de Trump dans un tel rassemblement – avec des délégués parlementaires venus de plus de 50 pays, une mini-ONU de facto. Pourtant, ce qu’ils ont raté avec l’impressionnante inauguration dans une salle de conférence ronde et bondée, c’était le centre du pouvoir iranien qui s’affichait : le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, le président de la république Hassan Rouhani et le président du parlement, Ali Larijani.

Khamenei a admis que « les crises en cours dans chaque partie de la région et dans l’Oumma islamique méritent l’attention « , tout en soulignant que la question centrale est la Palestine. Par conséquent, la conférence pourrait devenir «un modèle pour tous les musulmans et les pays de la région pour mettre progressivement de côté leurs différences en s’appuyant sur leurs points communs.» Incidemment, la maison wahhabite des Saoud, n’était visible nulle part.

Le discours de Khamenei était un appel nécessaire à l’unité musulmane. Rares sont ceux en Occident qui savent que pendant les années 1940 et 1950, alors que la décolonisation était en marche, l’islam n’était pas déchiré par la vicieuse haine sunnite-chiite qui fut fomentée plus tard par l’axe wahhabite / salafiste-djihadiste.

Les échanges avec les analystes et les diplomates iraniens ont porté sur l’efficacité des discussions multilatérales par rapport à l’évolution des faits sur le terrain – de la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie au mythe des deux États d’Oslo, désormais presque mort et enterré.

Sur la Palestine, le président du Parlement libanais, Nabih Berri, a présenté une sombre évaluation des trois solutions actuellement disponibles ; le suicide; l’abandon; ou fuir ce qui reste de la terre palestinienne. Plus tard dans la salle, j’ai interrogé le secrétaire général adjoint du Hezbollah, l’affable Naim Qassem, à propos de l’idée d’une solution à un Etat par l’administration Trump. Sa réponse, en français: « Un état signifie la guerre. Deux états signifient la paix dans leurs conditions, ce qui nous conduira à la guerre. « 

La route vers l’ère post-Lumières

Comme pour la plupart des conférences, ce qui compte, ce sont les rencontres bilatérales. Leonid Savin a confirmé que l’espace aérien russe est désormais pratiquement sanctuarisé par de multiples déploiements du système de défense antimissile S-500 contre tout ce que les États-Unis pourraient déchaîner. L’historien albanais Olsi Jazexhi a déconstruit la nouvelle poudrière des Balkans. Muhammad Gul, fils de feu l’immense général Hamid Gul, a explicité les subtilités de la politique étrangère pakistanaise et la volonté de construire le Corridor économique sino-pakistanais (China-Pakistan Economic Corridor,CPEC).

Blake Archer Williams, connu aussi sous le nom d’Arash Darya-Bandari, dont le pseudonyme célèbre le maître anglais [le poète William Blake] du « tyger tyger burning bright« , m’a donné un exemplaire de Creedal Foundations de Waliyic Islam (Lion of Najaf Publishers) – une analyse sophistiquée de la manière dont la théologie chiite la théologie a abouti à la théorie du velayat-e faqih (la guidance juriste) qui est au cœur de la République islamique d’Iran. J’envisage d’envoyer le livre à ce lecteur vorace qu’est Steve Bannon.

Pyongyang était également présent. Le délégué nord-coréen a produit un discours étonnant, expliquant essentiellement que la Palestine devrait suivre son exemple, avec une «dissuasion nucléaire crédible». Plus tard, dans les couloirs, j’ai salué les membres de la délégation, et ils m’ont salué en retour. Aucune chance d’une bilatérale cependant pour développer les points obscurs entourant l’assassinat de Kim Jong-nam.

Chaque fois que je reviens à Téhéran, je suis impressionné par les voies ouvertes à une discussion intellectuelle sérieuse. Une fois de plus, Téhéran s’est avéré être inégalé dans toute l’Asie comme théâtre où débattre de tous les courants qui s’entrecroisent impliquant les post- ou les contre-Lumières, ou les deux.

Je repensais constamment à Jalal Al-e Ahmad, le fils d’un mollah né dans le sud pauvre de Téhéran, qui plus tard a traduit Sartre et Camus et a écrit Westoxification (1962, un livre fondateur.

Il avait passé l’été 1965 dans un séminaire à Harvard organisé par Henry Kissinger et «soutenu» par la CIA, et ne s’était tourné vers le chiisme que vers la fin de sa vie. Mais c’est son analyse qui a ouvert la voie au sociologue Ali Shariati pour croiser l’anticolonialisme avec le concept chiite de résistance contre l’injustice pour féconder une idéologie révolutionnaire apte à politiser les classes moyennes iraniennes, ce qui mènera à la révolution islamique.

Résultat de recherche d'images pour "ali shariati"

Ali Shariati

Telle est la toile de fond de discussions très sérieuses sur la manière dont l’Iran (résistance contre l’injustice), la Chine (confucianisme remixé) et la Russie (eurasianisme) offrent des alternatives post-Lumières qui transcendent la démocratie libérale occidentale – un concept vidé de son sens par l’hégémonie néolibérale.

Mais à la fin, tout renvoyait inévitablement au fantôme anti-intellectuel planant sur la les lieux : Donald Trump, et c’était avant même d’avoir reçu une lettre  d’Ahmadinejad.

Puis j’ai fait ce que je fais habituellement avant de quitter Téhéran; Je suis allé au bazar, en passant par une mosquée qui le jouxte – pour me refamiliariser avec l’art du deal, à la manière persane.

Ce qui m’a conduit à Mahmoud Asgari, qui habiter dans le passage Sameyi du bazar Tajrish et à une grave discussion sur les subtilités des tapis tribaux d’avant la première guerre mondiale de Zahedan dans le Sistan-Baloutchistan. Le résultat final fut – quoi d’autre – un accord gagnant-gagnant, contournant le dollar américain. Et puis, l’argument massue: « Quand vous appellerez votre ami Trump, dites-lui de venir ici et je lui offrirai le meilleur deal. » Steve Bannon, c’est un message pour vous.

 

Ukraine et roulette russe

24 novembre 2014

Personnellement, je trouve que les textes de Pepe Escobar sont très difficiles à traduire. Dommage, sinon je le traduirais plus souvent car combien de fois ai-je dû renoncer devant la complexité de la tâche.

Pepe Escobar

Pepe Escobar

J’ai à peu près réussi à traduire celui-ci qui, en outre, me paraît important pour comprendre ce qui se passe en Ukraine et vis-à-vis de la Russie.

Pepe Escobar considère que les visées américaines sur l’Ukraine poursuivent deux objectifs : le premier est de faire pièce au projet eurasiatique porté par la Russie et la Chine, un projet d’une portée économique et politique considérable dans lequel les pays européens auraient vocation à prendre une place éminente. Mais pas les Etats Unis !

Le deuxième objectif est purement et simplement de parvenir à un changement de régime à Moscou, seul obstacle à une domination totale du vieux continent par les Etats Unis.

Un article important qui nous amène à examiner avec un regard plus aiguisé ce qui se joue à l’est de l’Europe.

Washington joue à la roulette russe

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 23 novembre 2014 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ce sont des heures sombres. J’ai eu une discussion sérieuse avec certaines sources et certains interlocuteurs très bien placés – ceux qui savent mais ne ressentent pas le besoin de se montrer et privilégient la discrétion. Tous sont profondément inquiets. Voici ce que l’un d’entre eux, un chargé de planification stratégique, m’a envoyé :

L’attaque propagandiste contre Poutine qui est comparé à Hitler est si virulente que vous devez comprendre que les Russes n’arrivent pas à en croire leurs oreilles et ne peuvent plus faire confiance aux Etats Unis sous aucun prétexte.

Vladimir Poutine

Vladimir Poutine

Je n’arrive pas à comprendre comment nous avons pu nous retrouver dans une situation où nous protégeons les pillards dont Poutine aurait débarrassé l’Ukraine, et comment nous avons pu avoir le culot de placer au sommet du pouvoir un des pires voleurs. Mais c’est fait. Ce qui est certain, c’est que la MAD [mutually assured destruction ,destruction mutuellement assurée] n’est plus dissuasive aujourd’hui quand chaque camp croit que l’autre utilisera l’arme nucléaire dès lors qu’il aura l’avantage et que le camp qui obtient un avantage décisif s’en servira. C’en est fini désormais de la MAD.

Cela peut sonner quelque peu extrême – mais c’est un corollaire parfaitement logique de la descente vers ce que le président russe a laissé entendre dans sa déjà légendaire interview avec la chaîne allemande ARD à Vladivostok la semaine dernière : l’Occident pousse la Russie vers une nouvelle Guerre Froide.

Mikhail Gorbatchev a affirmé il y a quelques jours que la nouvelle Guerre Froide avait déjà commencé. Stephen Cohen de l’université de Princeton considère que la Guerre Froide n’ en fait jamais cessé. Le Roving Eye [la rubrique de Pepe Escobar dans Asia Times] parle de Guerre Froide 2.0 depuis plusieurs mois. Les Britanniques – qui restent bloqués sur le nouveau Grand Jeu du 19ème siècle – préfèrent déblatérer sur la « personnalité toxique et obstinée » du « nabot Poutine » ; il est l’homme « impitoyable, charmeur et en définitive imprudent » qui « a remis en vogue la Guerre Froide, » Comme on pouvait s’y attendre, le Council of Foreign Relations déplore la fin du monde post-Guerre Froide, pourfend le « désordre » actuel et rêve des beaux jours de la domination sans partage.

Pour avoir un bon éclairage détaillé sur la façon dont nous en sommes arrivés à cette situation périlleuse, il est difficile de trouver mieux que Vladimir Kozin de l’Institut Russe d’Etudes Stratégiques. Lisez le avec attention. Et oui, c’est la Guerre Froide version 2.0, le remixage du double problème : entre les Etats Unis et la Russie et entre l’OTAN et la Russie.

Vladimir Kozin

Vladimir Kozin

Voir rouge

Dans son entretien accordé à ARD, Poutine s’en est tenu aux faits sur le terrain : « L’OTAN et les Etats Unis ont des bases militaires disséminées partout dans le monde, y compris dans des zones proches de nos frontières, et leur nombre augmente. En outre, tout récemment, il a été décidé de déployer des forces d’intervention spéciales, une fois encore à proximité immédiate de nos frontières. Vous avez mentionné divers exercices [militaires russes] ; des mouvements de la marine, de l’aviation etc. Est-ce que tout ça va continuer ? Oui, bien sûr. »

Pour les hordes qui diabolisent la Russie, il est toujours commode d’oublier que l’expansion de l’OTAN vers la Géorgie et l’Ukraine a été convenue lors d’une réunion de l’OTAN à Bucarest en avril 2008. L’opération géorgienne avait connu un échec retentissant à l’été 2008. Le processus est en cours pour l’Ukraine.

Dans un passage très important de l’entretien avec ARD, Poutine a aussi dit à la coalition des vassaux/marionnettes/irresponsables que la Russie pouvait faire tomber le château de cartes ukrainien en un éclair ; Moscou a seulement à insister sur le fait que le temps est venu de recouvrer les énormes sommes d’argent qui lui sont légalement dues [par l’Ukraine].

Poutine a aussi fait savoir clairement qu »il ne permettra pas – et c’était catégorique : nous ne permettrons pas – que le Donsbass soit envahi/écrasé/nettoyé ethniquement par Kiev : « Aujourd’hui, il y a des combats dans l’est de l’Ukraine. Le pouvoir central ukrainien a envoyé les forces armées sur place et elles utilisent même des missiles balistiques. Est-ce que quelqu’un en parle ? Pas un seul mot. Et qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce que ça nous dit ? Cela nous amène au fait que vous voulez que les autorités centrales ukrainiennes anéantissent tout le monde là-bas, tous leurs adversaires et opposants politiques. C’est ce que vous voulez ? Nous ne le voulons certainement pas. Et nous empêcherons que ça arrive. »

Selon les propres chiffres de Kiev, pas moins de 65 % des immeubles d’habitation et 10 % des écoles et des jardins d’enfants du Donsbass ont été détruits. Plus de 40 000 moyennes entreprises sont paralysées. Le taux de chômage – sur l’ensemble de l’Ukraine – est supérieur à 40 %. La dette extérieure a peut-être atteint 80 milliards de dollars et n’imaginez pas que le Fonds Monétaire International (FMI) qui possède maintenant l’Ukraine va verser dans la philanthropie. Et surtout, Kiev ne peut pas payer les milliards de ses factures de dollars à Gazprom parce qu’il dépense une fortune pour terroriser les citoyens de l’est de l’Ukraine. Cette diatribe de Poroshenko résume tout – avec l’entière complicité des Etats Unis et de l’Union Européenne (UE).

L'Ukraine en novembre 2014

L’Ukraine en novembre 2014

Donc, l’OTAN a été avertie des lignes rouges tracées par la Russie. Pourtant, des secteurs non négligeables parmi les élites de Washington/Wall Street ne peuvent se lasser de la guerre. Et ils l’aiment chaude. On ne devrait jamais sous-estimer la stupidité sans bornes des morts vivants néoconservateurs qui sont de retour dans leur tribune préférée, la page d’éditorial du Wall Street Journal.

La « logique » derrrière la Guerre Froide 2.0 – qui fonctionne maintenant à plein – se fiche pas mal de la stabilité en Europe. L’administration Obama l’a lancée – avec l’OTAN comme fer de lance – pour en réalité empêcher l’intégration eurasiatique en construisant un nouveau mur de Berlin à Kiev. L’objectif immédiat est d’affaiblir l’économie russe ; à long terme, le changement de régime en Russie serait le bonus ultime.

La logique de l’escalade est donc en marche. La dévastation économique de l’UE n’est rien ; la seule chose qui compte pour les Etats Unis, c’est l’OTAN – et l’écrasante majorité de ses membres sont à la remorque, partageant l’état d’esprit à Washington qui consiste à traiter Poutine comme s’il était Milosevic ; Saddam Hussein ou Kadhafi. Aucun signe n’indique que l’équipe d’Obama souhaite une désescalade. Et quand Hillarator [impératrice Clinton] montera sur le trône, tous les paris seront ouverts.

Pepe Escobar sur le complot contre la Syrie

4 août 2012

Pepe Escobar écrit des articles souvent très intéressants mais il utilise une langue si particulière que je renonce souvent à les traduire.

J’ai fait un effort particulier pour celui-ci même si le résultat ne me satisfait pas. Mais de grâce, M. Escobar, utilisez une langue plus simple, plus ordinaire !

Syriana est le titre d’un film tiré d’un livre de Robert Baer qui traite de l’industrie du pétrole et de la politique étrangère des Etats Unis dans la région du Moyen Orient et de l’Asie centrale. D’après le livre, Syriana serait le nom de code donné par Washington à un projet de remodelage du Moyen Orient.

Obama applique Syriana

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong kong) 3 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Il aura fallu un bon moment pour que Reuters soit autorisée à rapporter que les président US Barack Obama avait approuvé une instruction secrète autorisant la Central Intelligence Agency (CIA) à apporter un large soutien aux «rebelles» armés qui combattent pour un changement de régime en Syrie.

En fait,  même les pêcheurs des îles Fidji connaissaient ce «secret» (sans oublier que tout un chacun en Amérique latine sait une ou deux petites choses sur les pratiques de changement de régime par la CIA). Reuters présente avec prudence le soutien comme «circonscrit.» C’est le code pour « diriger depuis les coulisses.» [leading from behind]

Chaque fois que la CIA veut organiser la fuite d’une quelconque information, elle passe par un scribe dévoué comme David Ignatius du Washington Post. Le 18 juillet déjà, Ignatius reproduisait son briefing selon lequel «la CIA travaillait avec l’opposition syrienne depuis plusieurs semaines avec l’opposition syrienne dans le cadre d’une directive non-létale… De nombreux agents des services secrets israéliens opèrent aussi le long de la frontière syrienne même s’ils font profil bas.»

Comme c’est charmant. Jusqu’à quel point fait-on profil bas aux frontières syriennes ? Sur un Instagram au milieu d’un groupe de chauffeurs de camions souriants ?

En ce qui concerne le «profil bas » du Mossad, le truc à Tel Aviv est de dire qu’Israël est capable de «contrôler » les nuées de wahabbites ultras et de djihadistes-salafistes qui infestent désormais la Syrie. Même si c’est une ineptie manifeste, une chose est parfaitement claire : Israël flirte avec les islamistes du style al Qaïda.

Ce qui signifie que l’Armée Syrienne pas exactement libre Libre (ASL), bourrée de Frères Musulmans jusqu’au-boutistes et infiltrée par des salafistes djihadistes suit l’agenda non seulement de ceux qui la financent et l’arment – la monarchie saoudienne et le Qatar – mais aussi de Tel Aviv aux côtés de Washington et de ses caniches attitrés à Londres et à paris. Ce n’est  donc pas qu’une guerre par procuration – ce sont plusieurs guerres par procuration concentriques. 

Le triangle de la mort

L’objectif de Tel Aviv est clair; un gouvernement syrien affaibli, une armée épuisée et en désarroi, la haine sectaire partout et une tendance irrésistible à la balkanisation. Le but ultime n’étant pas seulement la libanisation, mais la somalisation de la Syrie et de ses environs.

L’objectif de la Turquie demeure incroyablement obscur – en dehors du vœu pieux d’une Syrie pos-Assad qui deviendrait une version douce et civilisée du règne de l’AKP à Ankara (ce qui n’arrivera pas).

Ainsi que l’a rapporté ATol il y a des mois maintenant, l’OTAN possède depuis un moment un centre de commandement à Iskenderun dans la province de Hatay. Reuters a récemment eu connaissance d’une nouvelle base «secrète» turco-saoudo-qatarie à Adana, à 100 kilomètres de la frontière avec la Syrie. Il se trouve qu’Adana accueille l’immense base de l’OTAN d’Incirlik. Une source locale d’ATol a signalé des mouvements intenses de cargos à Incirlik sur plusieurs semaines.

C’est le vice ministre Saoudien des affaires étrangères, Abdulaziz bin Abdullah al-Saud, qui avait demandé en personne l’établissement de cette base, à la plus grande satisfaction d’Ankara.

Ankara-Riad-Doha ; on peut parler d’un triangle de la mort. Mais même le discours officiel à Qatar est du ggenre « dirger en coulisse.» La Turquie fait le gros boulot militaire ; la CIA «n’intervient pas» et le Qatar se contente de prendre des photos comme n’importe quel touriste innocent (alors qu’il dirige les opérations via ses renseignements militaires).Ceux qui font le gros travail sont des «intermédiaires» non spécifiés.

Obama n’a pas autorisé l’utilisation offensive de drones – pas encore – et la CIA ne fournit peut-être pas d’armes aux «rebelles ;» c’est le job du «triangle de la mort.» Un afflux de lance-roquettes RPG russes achetés au marché noir a été responsable des récentes poussées «rebelles» à Damas et à Alep. Désormais, on doit s’attendre à un afflux de missiles sol-air et antitanks pour l’ASL – livrés via, nulle part ailleurs que la Turquie.

Le Qatar et l’Arabie Saoudite ne font pas de prisonniers. Personne à Washington ne semble vouloir jeter un regard rétrospectif sur l’Afghanistan post-djihad avant de prendre des décisions. D’ailleurs, c’en en tout point une réédition du djihad afghan des années 1980 – avec l’Arabie Saoudite et le Qatar jouant le rôle du Pakistan, l’ASL celui des glorieux moudjahidine ou «combattants de la liberté» et Obama celui de Ronald Reagan ; la seule pièce qui manque est un «mémorandum de notification» approuvé par Obama pour amer les rebelles et mettre en action des nuées de drones.

C’st la recette actuelle pour un méga-succès certifié pour 2013 à Hollywood.

De son côté, Riad force le roi Playstation de Jordanie à créer une zone tampon dans son territoire pour la centaine de bandes que comprend l’ASL – ainsi qu’on l’a appris par le journal al-Quds al-Arabi financé par l’Arabie Saoudite. Et devinez qui est l’homme de main qui a forcé l’accord ? Nul autre que l’évanescent chef des services secrets saoudiens, le prince Bandar qui a peut-être (ou pas) été tué dans un attentat à la bombe il y a deux semaines(voir Where is Prince Bandar?, Asia Times Online, August 2, 2012).

La Grande Faucheuse gagne, faut-il le rappeler jusqu’au moment où la Grande Faucheuse doit récolter ; de spectaculaires retours de bâton s’annoncent.

Alep va connaître un siège prolongé. La «base secrète » de l’OTAN-Conseil de Coopération du Golfe en Turquie plus des armes disponibles pour tous donnent de la force à un mélange extrêmement virulent fait de jeunes sunnites Syriens semi-illettrés, de déserteurs sectaires avides de tuer, de toutes sortes de délinquants et de djihadistes-salafistes multinationaux. Cette vidéo montre tout ce qu’il y a à savoir sur l’ASL. Et ceci montre le genre de démocratie qu’ils veulent.

Les wahhabites Saoudiens veulent une Syrie islamiste dure – avec des Chrétiens, des Alaouites, des Druzes et des Kurdes comme citoyens de troisième zone (ou premiers candidats pour passer sur le billot). Les Qataris veulent un protectorat gouverné par les Frères Musulmans.

Les concepteurs de la politique étrangère de l’administration Obama doivent être sur une expérimentation (foireuse). Lancés dans une guerre ouverte non seulement contre l’Iran mais aussi contre les Chiites un peu partout, comment peuvent-ils parier sur une somalisation de la Syrie au profit de l’intolérance wahhabite ? La Grande Faucheuse s’en rit et elle attend au tournant.

Pourquoi le cessez-le-feu ne tiendra pas en Syrie

12 avril 2012

Les hostilités semblent s’être arrêtées ce matin en Syrie. Maintenant, la question est de savoir si le cessez-le-feu va tenir, permettant ainsi l’amorce d’une solution politique.

Rien n’est moins sûr et il est probable que le cessez-le-feu ne tiendra pas bien longtemps parce que ni l‘opposition armée, ni les pays de l’OTAN n’y ont un quelconque intérêt.

Leur intérêt est effectivement que la situation continue à se dégrader et que le pays s’enfonce complètement dans la guerre civile et devienne une proie facile pour une intervention qui se ferait selon une variante du modèle libyen puisqu’une des puissances étrangères intervenantes, la Turquie, partage  plusieurs centaines de kilomètres de frontières terrestres avec la Syrie.

L’opposition armée étant globalement neutralisée ou dominée en Syrie même, l’étincelle de départ se produira probablement à la frontière syro-turque car, ainsi que l’explique clairement Pepe Escobar, les rebelles et autres mercenaires ou soldats étrangers lancent leurs attaques à partir du territoire de la Turquie qui leur offre un sanctuaire à quelques mètres seulement du territoire syrien.

NB : l’idéal serait cependant que je doive faire mon mea culpa pour cause de cessez-le-feu durable

Que se passe-t-il à la frontière syro-turque?

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong-Kong) 11 avril 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Il y a une vidéo qu’on pourrait intituler assez librement « Terroristes du côte turc de la frontière tirant du côté syrien », ce qui résume assez précisément ce qui se passe dans cet actuel point chaud géopolitique extrêmement volatile.

La voix qui commente dit, “C’est la frontière syro-turque, et c’est une opération de l’Armée Syrienne Libre [ASL]… La porte [celle qui se situe du côté syrien de la frontière où se trouve le point de contrôle va être prise.»

Ce qui veut dire que la Turquie abrite l’ASL à seulement quelques mètres – et non à des kilomètres – du territoire syrien. Après avoir accueilli un centre de contrôle et de commandement de l’OTAN à Iskenderun il y a plusieurs mois maintenant – un fait déjà signalé par Asia Times Online – la Turquie s’avance désormais juste à la frontière, permettant un aller et retour de guerilleros/mercenaires lourdement armés pour attaquer un Etat souverain.

Imaginez un scénario semblable se produire, par exemple, à la frontière des Etats Unis avec le Mexique, en Arizona ou au Texas.

On peut le voir comme une interprétation très particulière par Ankara des « refuges de protection » et des «corridors humanitaires» tels qu’ils sont mis en avant par le principal modèle proposé pour un changement de régime en Syrie : un rapport du Saban Center de la Brookings Institution rédigé par l’habituel de pro-Israël d’abord et avant tout et «d’experts» du Moyen orient affiliés au Qatar.

Alors attendez-vous à voir un film aux conséquences innombrables; l’ASL attaquant un poste frontalier syrien, tuant des soldats avant de se replier sous une pluie de projectiles qui troucheront inévitablement un camp de réfugiés Syriens tout proche.

L’escalade à la frontière illustre crûment le scenario plus large: la guerre civile.

Le ministre Turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu – avec sa fameuse politique de « zéro problème avec nos voisins » – a dû brusquement interrompre son voyage en Chine pour rentrer en Turquie à cause de l’escalade à la frontière. Ce serait très éclairant de savoir comment la direction politique de pékin lui a fait savoir que les trucs d’agents provocateurs de la Turquie revenaient à jouer avec le feu.

L’escalade à la frontière prouve aussi que l’OTAN n’est pas du tout intéressée par la réussite du cessez-le-feu présenté généralement comme le plan de Kofi Annan (c’est en fait uenversion diluée des plans de la Russie et de la Chine). Les problèmes vont continuer à s’aggraver – comme le suggère un reportage de Russian TV.

Il est évident qu’un gouvernement souverain – la Syrie dans le cas présent – doit exiger des garanties écrites que les opposants armés se conformeront au cessez-le-feu d’Annan.

La raison la plus importante pour laquelle ils ne le feront pas – et ils l’ont souligné publiquement – n’est pas seulement que l’ASL et les guérillas dissidentes continuerons à être armés par le Qatar et la monarchie saoudienne, et renforcés par des « rebelles » Libyens envoyés en Syrie ; c’est que deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, la Grande Bretagne et la France – ont également leurs forces spéciales sur le terrain, engagées dans la formation, le enseignement et des opérations de combat.

La question à mille milliards de livres turques est de savoir si Ankara ira plus loin et mettra vraiment en place les « zones refuges », ce qui reviendra à une implication directe dans la guerre civile syrienne, c’est-à-dire une déclaration de guerre contre Damas. C’est exactement ce que l’ASL implorait les Turcs de faire.

Mais même cela serait insuffisant pour renverser le régime de Bachar al-Assad.

Quant à l’appareil policier et militaire d’Assad, il serait bien inspiré de ne pas se laisser provoquer à aller vers une orgie de tortures, d’exécutions sommaires et de bombardements d’artillerie – car ce sont les conditions nécessaires pour le maintien du soutien diplomatique des principaux membres du BRICS, la Russie et la Chine. Une fois encore, les Syriens ordinaires, pris entre deux feux, seront les tragiques perdants.

 

L’Europe en guerre contre l’Iran

26 janvier 2012

J’ignore si Pepe Escobar est le meilleur analyste de la situation géopolitique en Asie et dans le Pipelineistan mondial, mais ce qui est sûr, c’est que ses papiers sont souvent intéressants.

Pepe Escobar prend en effet de la distance, dans l’espace, c’est—dire qu’il cherche à comprendre comment les faits s’imbriquent au niveau mondial, et dans le temps en s’intéressant aux effets et évolutions à moyen et long terme. Une compréhension qui ne peut se faire qu’en prenant en compte aussi le passé.

Pepe Escobar ne nous parle guère d’idéologies quand il traite des évolutions stratégiques ; démocratie, droits de l’homme, dictature… Tout cela est bel et bien bien et intéressant mais, comme le disait Karl Marx en son temps, en dernière instance ce sont les rapports de production qui sont déterminants. Ces rapports définissent de fait un système de production dont le fonctionnement concret dépend aussi de l’évolution des techniques, celles là même qu’il génère et promeut, et de conditions bassement matérielles que sont la disponibilité de matières premières dont le gaz et surtout le pétrole  qui servent à nourrir le système en énergie.

Ces matières premières énergétiques sont la clef de la puissance, soit qu’on les possède, soit qu’on les contrôle. En fait, c’est ce dernier aspect qui est de loin le plus décisif et, ainsi que nous l’explique Pepe Escobar, les Etats Unis et l’Occident confrontés à la montée de nouvelles puissances de rang mondial, ont entrepris patiemment de s’adjuger, de gré ou de force, non pas l’accès à ce pétrole et à ce gaz mais son contrôle pour disposer d’un atout absolument décisif pour le maintien de leur hégémonie.

C’est ce qui s’est joué en Libye, ce qui se joue maintenant en Iran et les évènements de Syrie s’inscrivent, que les Syriens le veuillent ou non, dans ce contexte.

 

L’Europe en guerre avec l’Iran

par Pepe Escobar, Asia Times 25 janvier 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Personne n’a jamais perdu d’argent en pariant sur la stupidité des politiciens de l’Union Européenne (UE).  Et si vous êtes trader de pétrole, réjouissez-vous en vous rendant à la banque ; comme prévu, les ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne – emboitant docilement le pas de l’administration Obama – ont donné leur feu vert à un embargo complet sur le pétrole iranien.

 

L’embargo s’applique non seulement aux nouveaux contrats, mais aussi aux contrats en cours – qui seront annulés le 1er juillet – et comprend des sanctions additionnelles qui visent la banque centrale iranienne et les exportations de dérivés pétroliers vers l’UE.

Il est toujours très important de rappeler que l’embargo – une déclaration de guerre économique de facto – a été proposé avec force d’abord par le « libérateur » néo-napoléonien de la Libye, le président Français Nicolas Sarkozy. L’excuse officielle pour cette guerre économique sont « les inquiétudes de plus en plus grandes quant au programme nucléaire iranien. »

 

Les avertissements de Moscou, enjoignant l’UE de cesser d’agir une fois encore comme un simple pion en se tirer elle-même une balle dans le pied. Les Russes savent tout ce qu’il y a à savoir sur les horribles effets en retour que pourrait avoir cet embargo.

 

L’UE défend sa stratégie – ou sa guerre économique – comme étant la seule manière d’éviter le «chaos au Moyen Orient». Pourtant, la guerre économique pourrait bien finir par allumer l’étincelle de la guerre ouverte qu’elle cherche en théorie à éviter, c’est-à-dire de tout un ensemble de conséquences inattendues qu’elle porte en elle.

 

Ce qui nous emmène tout directement au drame du détroit d’Ormuz. Téhéran a à maintes reprises affirmé qu’elle fermerait Ormuz seulement si – et il faut le répéter – l’Iran est empêchée d’exporter son pétrole. Ce qui représenterait un coup mortel contre son économie – entièrement dépendante des exportations pétrolières – sans parler de son régime contrôlé par le Guide Suprême, l’ayatollah Ali Khamenei Le changement de régime est le véritable agenda de Washington et de ses caniches européens (voir Le mythe d’un ‘Iran isolé’, Asia Times Online, 19 janvier – mais on ne peut pas le dire clairement à l’opinion publique internationale.

 

Les traces de mes larmes

 

Sur les cinq plus gros importateurs de pétrole iranien quatre se trouvent en Asie; deux sont membres du BRICS (l’Inde et la Chine), plus les allies des USA que sont la Corée du Sud et le Japon. On peut affirmer sans se tromper que tous ces importateurs devraient vivement reprocher aux Américains/Européens leurs provocations (en fait certains le font déjà) si l’Iran envisageait de bloquer le détroit d’Ormuz, où y activait des mines.

 

L’UE importe pour sa part environ 600 000 barils de pétrole iranien par jour, soit 25 % des exportations quotidiennes de l’Iran. Le plus gros importateur est l’Italie. D’autres gros clients sont l’Espagne et la Grèce. Tous ces pays du Club Med, c’est un euphémisme, sont actuellement enfoncés dans de profondes difficultés économiques.

L’UE insiste pour broder sur sa soi-disant “double approche” sur l’Iran. Dépouillée de son vernis propagandiste, la double approche se résume en pratique à « taisez-vous, pliez devant nos sanctions, cessez d’enrichir de l’uranium et venez négocier selon nos conditions. »

 

Alors quand la chef de la diplomatie européenne – la prodigieusement insignifiante Catherine Ashton – pérore sur la « validité de la double approche, » les diplomates sérieux dans tout le monde en voie de développement ne peur l’interpréter que pour ce qu’elle est ; une blague qui n’est pas exactement de nature à inciter l’Iran à renouer les négociations avec le groupe de contact sur l’Iran (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne).

Pendant ce temps, le maître des caniches européens – l’administration Obama – exerce toutes sortes de pressions sur les puissances asiatiques pour qu’elles arrêtent d’acheter du pétrole iranien. On peut rêver. Pour tous ces pays – y compris le Japon et la Corée du Sud – les affaires vont continuer normalement ; ils ont besoi du pétrole iranien encore plus que l’Occident.

Même BP – pollueur notoire du Golfe du Mexique – a demandé à l’administration Obama d’être exemptée des sanctions. Une demande qui a tout ç voir avec un chapitre essentiel du Pipelineistan – le développement de l’immense champ gazier de Shah Deniz II en Azerbaïdjan.

L’Europe ne peut en aucune façon bénéficier du gaz de la mer caspienne sans un investissement énorme de 22 milliards de dollars pour développer Shah Deniz II dont 10 % des parts sont détenues par l’Iran. Shah Deniz II serait essentiel pour alimenter le pipeline Nabucco, si jamais il voit le jour. Nabucco contourne l’’allié stratégique de l’Iran qu’est la Russie –  il se trouve que cette dernière garde la mainmise sur l’approvisionnement en gaz de l’Europe, ce dont les Européens se plaignent constamment à Bruxelles.

 

Si l’Iran le bloque, l’affaire est enterrée Nous avons donc une situation post-surréaliste du géant pétrolier britannique – avec BP implorant pour que les USA la dispensent de sanctions parce que la sécurité énergétique de l’Europe serait fragilisée. La Grande Bretagne qui se trouve aussi être un ennemi implacable u régime de Téhéran s’en remet cependant toujours à l’Iran pour «sauver» l’Europe des griffes de Gazprom.  Un imbroglio total.

La City ne dort jamais

Le but du jeu en Iran sera toujours un changement de régime parce que ce que le rêve qui fait remuer la queue de Washington et de ses caniches européens est de mettre la main sur les fabuleuses réserves pétrolières (12,7 % des réserves mondiales) et sur les ressources en gaz de l’Iran.  Et le fait est que ces ressources profitent de plus en plus au réseau qui vise à assurer la sécurité énergétique de l’Asie – et non à l’Occident.

Les énormes gisements d’Azadegan Nord et Sud – 23 milliards de barils – sont exploités par – qui d’autre? – la Chine et sont tous deux développés par la China National Petroleum Corporation qui prévoit d’investir 8,4 milliards de dollars dans les dix années à venir. Même chose pour le gisement de Yadavaran qui est développé par la China Petroleum & Chemical Corporation et qui dans quatre ans produira près de 200 000 barils par jour. Et tout ça, en omettant de seulement mentionner le plus grand gisement gazier au monde – South Pars dont l’Iran possède une grande partie au côté du Qatar.

Et puis il y a le front crucial du pétrodollar. Dominique Strauss-Kahn (DSK), , peu avant sa démission force du poste de directeur général du Fonds Monétaire International à cause d’un scandale sexuel, insistait pour mettre un terme au rôle du dollar US en tant que monnaie de réserve internationale, proposant de le remplacer par les Droits de Tirage Spéciaux (DTS), la monnaie virtuelle du FMI à partir d’un panier qui inclut le dollar US, l’euro, le yen, le yuan et la livre sterling.

Ce qui est déjà en train de se produire, par d’autres moyens. Pour la gouverne de celui qui somnole à la barre de l’axe Washington/Bruxelles, la Chine et l’Inde contournent déjà les sanctions euro-américaines contre l’Iran.

Trois membres du BRICS (la Chine, l’inde et la Russie) plus le Japon et l’Iran – un puissant mix des plus grands producteurs et consommateurs mondiaux d’énergie – sont déjà en train de commercer, ou sur le point de le faire, dans leurs propres monnaies. La Russie et l’Iran viennent de commencer à commercer en roubles et en rials. Toutes ces puissances ont des accords bilatéraux – qui vont inexorablement évoluer vers la multilatéralité; ce qui se traduit par un lent déclin du dollar en tant que monnaie de réserve au niveau mondial, avec les répercussions sismiques que cela implique.

C’est comme si un monde stupéfait était en train de regarder un rituel d’hara-kiri exécuté auralenti par l’Occident sous la domination de Washington.

Il y a aussi le fruit prometteur en cette année du Dragon pie – les bourses monétaires internationales libellées en yuan à la City de Londres. Pékin le veut – et la City le veut aussi. Téhéran vend déjà du pétrole à pékin en yuan. Pensez à l’Iran se servant de la bourse monétaire de Londres pour utiliser ses yuans et ainsi continuer à accéder aux marchés mondiaux – peu importerait alors l’avalanche des sanctions ou l’embargo par l’US/USA.

 A l’évidence, les acteurs de la City sont conscients que bourse de « libre échange » en yuan à Londres peut jouer à l’avantage de l’Iran ; mais à la différence de ces imbéciles de Bruxelles, les filous de la City savent que les affaires sont les affaires.

URUBU, le nom africain pour le vautour américain

23 octobre 2011

Les textes de Pepe Escobar sont souvent très intéressants, mais aussi difficiles à traduire, du moins pour moi. J’ai renoncé à plusieurs reprise à la traduction d’articles écrits par ce journaliste Brésilien.

Je me suis quand même décidé à traduire un se ses récents papiers parus dans Asia Times. Je suis pas vraiment satisfait du résultat, mais bon…

Dans cet article, Pepe Escobar revient sur la victoire de l’OTAN en Libye, une victoire que le président des Etats unis a d’ailleurs revendiquée comme telle, balayant ainsi toute idée saugrenue selon laquelle des «rebelles» auraient mis à bas le régime du  colonel Kadhafi.

L’action de l’OTAN en Libye correspond en fait à un nouveau concept stratégique des Etats Unis qui consiste à faire faire la partie visible du job par d’autres, en l’espèce les alliés incorporés dans l’OTAN et, dans des cas comme celui de la Libye, les monarchies démocratiques arabes.

Pour Pepe Escobar, la guerre de Libye marque un nouveau degré de la déchéance de l’Occident qui s’est trouvée réduite à s’allier avec ceux qu’elle pourfend ailleurs, les prétendus combattants du «djihad» associés à d’anciens dignitaires du régime abattu.

Un scénario que certains seraient tentés de reproduire en Syrie où, pour l’instant, le gouvernement a réussi à éviter l’apparition d’un « Benghazi » d’Orient qui pourrait servir à donner un point d’appui militaire à une intervention dite « humanitaire ».

Escobar compare les occidentaux à des vautours qui se vautrent sur la dépouille du colonel Kadhafi, chacun revendiquant sa part de responsabilité dans l’assassinat de l’ancien dirigeant Libyen. 

Les Français avaient été sans doute les premiers à claironner leur part dans le meurtre, suivis de près par les Américains. C’est maintenant au tour des Anglais qui disent que leurs forces spéciales SAS encadraient sur place à Syrte les forces du Conseil National de Transition et ont organisé la coupure des voies de retraite possibles pour Kadhafi et ses hommes. Des forces spéciales du Qatar travaillaient également avec les SAS, le Qatar étant vous le savez, une démocratie modèle.

Et last but not least, ce sont maintenant les Allemands qui revendiquent leur portion du cadavre du dirigeant Libyen. Ils le font à la manière hypocrite coutumière des occidentaux en disant qu’ils savaient depuis un moment où se trouvait le colonel Libyen mais prétendent  n’avoir «pas transmis les données de localisation précises qui ont mené à l’attaque de l’Otan jeudi dernier».

A part ça, l’Allemagne n’était pas partie prenante de l’action militaire. Mais quand vient l’heure de festoyer…

Au lieu d’utiliser le mot vautour (vulture), Escobar aurait dû utiliser la désignation brésilienne de cet animal nécrophage : URUBU.

Bernard Lavilliers avait fait une très bonne chanson sur le thème de l’urubu :

Urubus, vous n’avez pas de cri

Cri de chasse, cri d’amour, cri de peur

Urubus, vous attendez qu’on meure

Mort de faim, mort d’amour, mort de peur

Cercles noirs cisaillant le ciel vide

Sans espoirs, attentifs et avides

Sans beauté, sans couleur et sans race

Obstinés, nettoyeurs et voraces

Anonymes citoyens solitaires

………………………………..

Urubus

Les aigles sont déchus

Innombrables vous gardez les issues !

Et comme le dit Bernard Lavilliers dans l’intro de sa chanson : Urubu, c’est le nom africain du vautour américain. Un texte qui a gardé toute sa valeur ainsi qu’en témoigne ce qui se passe en Libye où nous avons le grand urubu américain et les petites hyènes d’Europe et du Canada.

Les Anglais d’Alan Parsons Project avait fait aussi un très bon titre dans une veine assez voisine avec Vulture Culture (culture de vautour), une chanson absolument d’actualité.

Comment l’Occident a vaincu en Libye

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong), 22 octobre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ils se disputent la carcasse comme des vautours. Le ministère français de la défense dit que c’et lui qui l’a eu avec des tirs d’avions Rafale sur son convoi. Le Pentagone dit qu’il l’a eu avec un missile Hellfire tiré d’un Predator. Après qu’un colonel Mouammar Kadhafi blessé eut cherché refuge dans un tube de drainage sous une autoroute – un rappel sinistre du “trou” de Saddam Hussein – il a été découvert par las « rebelles » du Conseil national de Transition (CNT). Et puis dûment exécuté.

Abdel-Jalil Abdel, un médecin Libyen qui a accompagné le corps de Kadhafi dans une ambulance et l’a examiné a déclaré que la mort avait été causée par deux balles, une dans la poitrine et l’autre à la tête.

Le CNT – qui a proféré mensonges sur mensonges pendant des mois – jure qu’il est mort dans un “échange de tirs”. Mais c’est peut-être la foule qui l’a tué. C’est peut-être Mohammad al-Bibi, un jeune de 20 ans qui arbore une casquette aux couleurs de l’équipe de base-ball des New York Yankees et qui a pose pour le monde entier avec le pistolet plaque or de Kadhafi, sans doute son certificat pour obtenir la coquette prime de 20 millions de dollars offerte pour Kadhafi “mort ou vif.”

Les choses sont de plus en plus curieuses quand on se souvient que c’est exactement ce que la secrétaire d’Etat US Hillary Clinton avait annoncé moins de 48 heures auparavant, lors de sa visite éclair à Tripoli : Kadhafi doit être « capturé ou tué. » La bonne fée a exaucé les souhaits de Mme Clinton qui en a été informé en regardant l’écran d’un Blackberry – et a réagi avec un tonitruant et riche de sens « Wow. »

Le butin ira aux vainqueurs. Ils ont tous participé : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le Pentagone et le CNT. Dès la première minute, une résolution de l’ONU imposant une zone d’exclusion aérienne dans le ciel libyen s’est transformée en feu vert pour un changement de régime et le plan A a toujours été de le capture et de le tuer. L’assassinat ciblé, telle est la politique officielle de l’administration Obama. Il n’y avait pas de plan B.

Laissez-moi vous bombarder pour vous protéger

A propos de la “Responsabilité de Protéger” les civils (R2P), ceux qui doutent de ses vertus devraient s’accrocher aux explications données par le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen : « L’OTAN et nos partenaires ont appliqué avec succès le mandat historique des nations Unies pour protéger la population libyenne. » Quiconque veut vérifier la protection des civils par l’OTAN n’a qu’a monter dans un pick-up et aller à Syrte – la nouvelle Falloujah.

Les réactions ont été assez instructive. Le bureaucrate du CNT Abdel Ghoga l’a jouée Colisée dans la Rome Impériale et déclaré, “Les révolutionnaires ont eu la tête du tyran.”

Le président des Etats Unis Barack Obama a affirmé que la mort de Kadhafi signifie que “nous voyons la force du leadership américain dans le monde.” Ce qui revient à « nous l’avons eu” auquel on pouvait s’attendre, sachant également que Washington a assume pas moins de 80 % des coûts opérationnels de ces imbéciles de l’OTAN (plus d’un milliard de dollars – dont le mouvement d’occupation de Wall Street pourrait dénoncer en disant que cet argent aurait pu servir à créer des emplois aux USA). Bizarre que les Etats Unis disent maintenant « nous l’avons fait », parce que la maison Blanche a toujours affirmé que ce n’était pas une guerre ; c’était quelque chose de « cinétique ». Et ils n’étaient pas à la tête de l’intervention.

C’est le majestueux stratège de la politique étrangère, le vice président US Joe Biden, qui s’est chargé d’apporter un éclairage beaucoup plus vif que celui d’Obama : « Dans cette affaire, l’Amérique a dépensé 2 milliards de dollars et n’a pas perdu une seule vie. C’est plus de cette manière que nous traiterons les affaires du monde à l’avenir. »  Le monde est prévenu, c’est ainsi que l’empire va s’occuper de lui à partir de maintenant.

Sentez mon amour humanitaire

Alors félicitations à la “communauté international – qui est constituée comme chacun sait de Washington, de quelques membres dociles de l’OTAN et des familles royales démocratiques du Qatar et des Emirats Arabes Unis dans le golfe persique. Cette communauté, du moins, a apprécié le résultat. L’Union Européenne a salué « la fin d’une ère de despotisme.» Alors qu’il y a seulement quelques mois ils caressaient le burnous de Kadhafi, ils se renient maintenant dans des éditos sur les 42 ans de règne d’un “bouffon.”

La présence de Kadhafi au tribunal pénal international de La Haye aurait été des plus gênantes parce qu’il aurait volontiers rappelé les baises-mains, les accolades chaleureuses et les contrats juteux que l’Occident venait lui quémander après être passé du statut de «chien fou» (Ronald Reagan) à celui de « notre salaud. » Il aurait aussi avec plaisir donné des détails sur ces opportunistes véreux qui se font passer pour des «révolutionnaires» et des «démocrates.»

Parce que la notion même de droit international est au fond d’un drain aussi sale que celui où Kadhafi se terrait. Le dictateur Irakien Saddam avait au moins eu un procès bidon dans un tribunal d’opérette avant de rencontrer son bourreau. Oussama ben Laden a simplement été zigouillé, un genre d’assassinat, après une incursion en territoire pakistanais. Kadhafi a été l’objet d’une surenchère, liquidé dans un mélange de guerre aérienne et d’assassinat.

De puissants vautours encombrent les cieux. Mohammed El Senoussi, l’héritier du trône libyen (le roi Idriss avait été renversé en 1969) est disponible pour un rôle de premier plan, ayant déjà fait savoir qu’il « est un serviteur du peuple libyen qui décidera ce qu’il veut. » Traduction : Je veux le trône. Il est évidemment le candidat favori de la monarchie contre-révolutionnaire d’Arabie Saoudite.

Et que dire de ces bourricots des think-tanks de Washington qui marmonnent que c’était le “moment Ceaucescu” du printemps arabe? Si seulement le dictateur Roumain avait amélioré le niveau de vie du pays – en termes d’accès aux soins, à l’éducation, d’aides aux jeunes mariés, etc. au niveau d’une partie de ce que Kadhafi a accompli en Libye. Sans oublier le fait que Nicolae Ceaucescu n’avait pas été déposé par un bombardement « humanitaire » de l’OTAN. Il faut vraiment être en état de mort cérébrale pour gober la propagande sur le caractère «humanitaire» des plus de 40 000 bombes qui  ont dévasté l’infrastructure libyenne ramenée à l’âge de pierre (vous voulez du choc et effroi au ralenti?). Ce qui n’a jamais rien eu à voir avec la R2P – le bombardement implacable de Syrte en est la preuve.

Comme les quatre membres principaux du BRIC le savaient avant même de voter la résolution 1973 de l’ONU, il s’agissait de la domination de la Méditerranée pour en faire un lac OTAN, il s’agissait de la guerre de l’Africom contre la Chine et l’installation d’une base stratégique très importante, il s’agissait de l’obtention de contrats juteux par les Britanniques et les Français pour exploiter les ressources naturelles de la Libye à leur profit, il s’agissait de  l’arrangement du récit du printemps arabe par l’Occident  qui avait été pris au dépourvu en Tunisie et en Egypte.

Ecoutez les pleurnicheries des barbares

Bienvenue à la Libye nouvelle. Des milices intolérantes rendront infernale la vied es Libyennes. Des centaines de milliers de personnes originaires d’Afrique subsaharienne – celles qui n’ont pas pu fuir – seront implacablement persécutées. Les ressources naturelles de la Libye seront pillées. Les  nombreux missiles sol-air dont se sont emparés des islamistes seront un argument extrêmement convaincant pour transformer la “guerre contre le terrorisme” en Afrique du Nord en guerre sans fin. Il y aura du sang – qui coulera dans une guerre civile parce que la Tripolitaine refusera d’être dirigée par la Cyrénaïque arriérée.

Quant aux dictateurs encore en poste ailleurs, prenez une assurance vie auprès de l’OTAN Inc. L’Egyptien Hosni Moubarak, le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et le Yéménite Ali Abdallah Saleh ont été asses malins pour en souscrire une. Nous savons tous qu’il n’y aura pas de R2P pour libérer les Tibétains et les Ouïghours, ou le people qui vit dans le goulag monstrueux du Myanmar, ou le people d’Ouzbékistan, ou les Kurdes de Turquie, ou les Pachtounes qui vivent des deux côtés de la ligne Durand tracée par les impérialistes.

Nous savons tous aussi que le changement ne sera crédible aux yeux du monde entier que le jour où l’OTAN appliquera une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Arabie Saoudite pour protéger les Chiites de la province orientale, et quand le Pentagone tapissera e bombes ces milliers de princes corrompus et moyenâgeux de la famille saoudite.

Ca n’arrivera pas. En attendant: c’est comme ça que l’Occident s’achève: avec un bang de l’OTAN et l’anarchie et les pleurnicheries  de quelques milliers de barbares. Dégoûté ? Mettez un masque de Guy Fawkes et donnez de la voix, faites savoir que ne l’acceptez pas. [raise hell]

Libye: portrait d’un agent d’al Qaïda avant réhabilitation par la presse « libre »

2 septembre 2011

La machine de propagande de l’OTAN continue à tourner à plein régime au sujet de ce qui s’est passé et continue à se passer en Libye. Quand je dis machine de propagande, je ne parle pas que de bureaux où des agents gouvernementaux fabriquent discrètement des «histoires» qu’ils fourguent à la presse. Vous pouvez en effet inclure aussi dans cette machinerie de propagande ces journalistes qui se présentent comme des portes drapeaux de la démocratie. A moins qu’ils soient extrêmement naïfs, ce dont on peut douter vu l’expérience de certains.

J’écoutais tout à l’heure d’une oreille discrète Alain Duhamel sur Canal +. Un modèle de probité journalistique en effet… J’espère qu’il donne des cours à ceux qui veulent apprendre le métier.  Le « Téléphone sonne » mercredi dernier sur France Inter était encore plus à gerber, d’autant que les journalistes de cette station ont entrepris de participer à l’entreprise de réhabilitation des militants de ce qu’on appelle Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), puisque ces derniers sont désormais des partenaires des démocraties éclairées au même titre que les démocraties avancées du Qatar, de Bahreïn ou d’Arabie Saoudite.

L’histoire semble bégayer avec cette réédition de pratiques coloniales qu’on croyait révolues. Elle bégaie d’autant plus que cette alliance entre les fondamentalistes wahhabites et les puissances occidentales fait furieusement penser au rapport qu’entretenait la secte dite des Assassins avec les Croisés :

Il prêchera désormais la haine contre les représentants de l’islam officiel et verra, ainsi que ses successeurs, d’un bon œil l’arrivée des hordes de Croisés en Orient. Sa prochaine cible fut la Syrie, où il put recruter beaucoup de chiites intégristes et fonder toute une série de villages fortifiés. Massyaf devint l’Alamut de la Syrie et abrita Rachîdaddîn Sinân, un des plus célèbres Vieux de la secte.

L’incompatibilité entre ces extrémistes wahhabites et l’Occident « éclairé » n’est donc que purement théorique et rhétorique et n’empêche nullement qu’une alliance se noue en pratique.

 Pepe Escobar nous brosse le portrait d’Abdelhakim Belhadj, un des chefs militaires de la « rébellion » libyenne. A garder en mémoire à chaque fois que vous lirez ou entendrez ici ou là des journalistes « très propres sur eux » vous le présenter comme quelqu’un de fréquentable voire modéré. Il est vrai que pour nos journalistes, l’Arabie Saoudite est un pays «modéré.»

Comment al Qaïda a obtenu le pouvoir à Tripoli

Par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 30 août 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Son nom est Abdelhakim Belhadj. Certains au Moyen Orient, mais très peu en Occident et dans le reste du monde, ont dû en entendre parler

Il est temps de se rattraper. Parce que l’histoire de la manière dont un agent d’al Qaïda est devenu un haut responsable militaire dans une Libye encore déchirée par la guerre est du genre à faire voler en éclats – une fois de plus – ce kaléidoscope qu’est la » guerre contre le terrorisme », ainsi qu’à gravement fragiliser la propagande soigneusement élaborée pour l’intervention « humanitaire » de l’OTAN en Libye.

Mardi dernier, déjà, Belhadj jubilait devant la manière dont la bataille avait été gagnée, avec les forces de Kadhafi fuyant “comme des rats” (notez que la même métaphore est utilisée par Kadhafi lui-même pour désigner les rebelles).

La forteresse de Mouammar Kadhafi à Bab el Azizia a été investie et prise la semaine dernière par les hommes de Belhadj – qui étaient à la tête d’une milice de berbères des montagnes au sud-ouest de Tripoli. La milice est la soi disant brigade de Tripoli, entraînée en secret depuis deux mois par les forces spéciales US. Elle s’est avérée la milice rebelle la plus efficace de ces six mois de guerre civile/tribale.

Abdelhakim Belhadj, alias Abou Abdallah al-Sadek; est un djihadiste Libyen. Né en mai 1966, il a fait ses armes avec les moudjahidine dans le djihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980. Il est le fondateur Groupe Islamique de Combat Libyen (GICL) et son émir de facto – avec Khaled Cherif et Sami Saadi comme adjoints. Après la prise de pouvoir à Kaboul par les talibans en 1996, le GICL a conservé deux camps d’entraînement en Afghanistan ; un d’entre eux, à 30 kilomètres de Kaboul – dirigé par Abou Yahia – était strictement réservé à des djihadistes liés à al Qaïda..

Après le 11 septembre, Belhadj est allé au Pakistan et aussi en Irak où il s’est lié d’amitié avec nul autre que l’ultra-méchant Abou Moussab al-Zarkaoui – tout ça avant qu’al Qaïda en Irak fasse allégeance à Oussama ben Laden et Aymen al-Zawahiri et adopte avec enthousiasme ses méthodes macabres.

En Irak, les Libyens se sont trouvés être le plus important contingent de djihadistes étrangers, ne le cédant qu’aux Saoudiens. En outre, les djihadistes Libyens ont toujours été des vedettes du sommet de la hiérarchie de l’al Qaïda historique – d’Abou Faraj al-Libi (chef militaire jusqu’à son arrestation en 2005, et qui reste un des détenus de premier plan dans le centre de détention US de Guantanamo) à Abou al-Laith al-Libi (un autre chef militaire tué au Pakistan début 2008).

L’époque du transfert extraordinaire

Le GICL était dans le collimateur de la CIA depuis le 11 septembre. En 2003, Belhadj  sera finalement arrêté en Malaisie – et puis transféré, dans le style des transferts extraordinaires, vers une prison secrète à Bangkok, et torturé en bonne et due forme..

En 2004, les Américains décidèrent d’en faire cadeau aux services secrets libyens – jusqu’à sa libération par le régime de Kadhafi en mars 2010 en compagnie de 21 autres “terroristes”, dans une opération de relations publiques claironnée avec grande fanfare.

Le chef d’orchestre n’était pas moins que Saif el-Islam Kadhafi – le visage moderniste du régime formé à la London School of Economics. Les chefs du GICL – Belhadj et ses adjoints Cherif et Saadi – publièrent 447 pages de confessions baptisées « études correctives » dans lesquelles ils déclaraient que le djihad contre Kadhafi était terminé (et illégal) avant d’être finalement mis en liberté.

Un compte rendu fascinant de l’ensemble du processus peut être lu dans un rapport intitulé « Combattre le terrorisme en Libye par le dialogue et la réinsertion. » Notons que les auteurs, des «spécialistes » du terrorisme établis à Singapour qui avaient été des hôtes de choix du régime, expriment leur plus «profonde gratitude » pour Seif el-Islam et la fondation Kadhafi internationale pour le développement qui ont rendu le visite possible.

Un fait très important, toujours en 2007,  le numéro 2 d’al Qaïda à l’époque, Zawahiri, avait annoncé officiellement la fusion du GICL et d’al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Donc, à partir de là, pour tous les aspects opérationnels, le GICL et AQMI n’ont été qu’une seule et même entité – et Belhadj en était l’émir.

En 2007, le GICL appelait au djihad contre Kadhafi mais aussi contre les Etats Unis et tous les « infidèles » occidentaux.

Bien après, en février dernier et en tant qu’homme libre, Belhadj a décidé de retourner au djihad et de joindre ses forces avec la rébellion orchestrée en Cyrénaïque.

Tous les services de renseignements des Etats Unis, d’Europe et du monde arabe savent d’où il vient. ll a déjà fait savoir en Libye que sa milice et lui-même n’auraient de cesse que la sharia soit appliquée.

Il n’y a rien de “pro-démocratie” là dedans – même avec un gros effort d’imagination. Et pourtant, un tel atout ne pouvait pas être tenu à l’écart de la guerre de l’OTAN simplement parce qu’il n’est pas très friand des «infidèles.»

 L’assassinat en juillet dernier du chef militaire rebelle, le général Abdel Fatah Younes – par les rebelles eux-mêmes – semble être le fait de Belhadj ou du moins, de personnes très proches de lui. Il est très important de savoir que Younes, avant de faire défection du régime – avait été responsable des forces spéciales qui combattaient avec acharnement le GICL en Cyrénaïque entre 1990 et 1995.

Le Conseil National de Transition (CNT), selon un de ses membres, Ali Tarhouni, a laissé entendre que Younes avait été tué par une mystérieuse brigade connue sous le nom d’Obaida ibn Jarrah (un des compagnons du prophète Mohamed). Pourtant, cette brigade semble maintenant avoir disparu dans la nature.

Tais-toi ou je te coupe la tête

Ce ne peut être que difficilement un hasard si tous les hauts responsables militaires rebelles sont du GICL, depuis Belhadj à Tripoli à un certain Ismaël Ali Salabi et un Abdelhakim al-Assadi à Derna, sans même parler d’un personnage important, Ali Salabi qui est au cœur du CNT. C’est Salabi qui avait négocié avec Seif al-Islam Kadhafi la « fin » du djihad du GICL, assurant ainsi un brillant avenir à ces « combattants de la liberté » born-again.

Pas besoin d’une boule de cristal pour décrire les conséquences de la prise du pouvoir militaire par le GICL/AQMI –  et de sa présence parmi les « vainqueurs » – qui ne sont pas disposés du tout à céder la place simplement pour satisfaire aux caprices de l’OTAN.

Pendant ce temps, au milieu des brumes de la guerre, on ne sait pas bien si Kadhafi envisage de piéger la brigade de Tripoli dans des combats urbains, ou de forcer la plus grande partie des milices rebelles à pénétrer dans l’immense territoire des tribus Warfallah.

L’épouse de Kadhafi appartient aux Warfallah, la plus grande tribu libyenne, avec plus d’un million de personnes et 54 fractions. Ce qui se dit à mot couvert à Bruxelles est que l’OTAN s’attend à voir Kadhafi combattre pendant des mois sinon des années ; avec la mise à prix de sa tête dans le plus pur style du Texan George W. Bush et le retour désespéré au plan A de l’OTAN qui avait toujours été de l’éliminer, la Libye risque de se trouver devant l’hydre d’une guérilla bicéphale en Libye : les forces de Kadhafi contre un gouvernement central du CNT faible et des soldats de l’OTAN sur le terrain ; et la nébuleuse GICL/AQMI dans un djihad contre l’OTAN (si elle est écartée du pouvoir).

 Kadhafi peut bien être une relique dictatoriale du passé, mais ce n’est pas pour rien que vous monopolisez le pouvoir pendant quatre décennies sans, et sans que vos services secrets apprennent une ou deux choses intéressantes. Kadhafi a dit que c’était une opération soutenue par l’étranger et al Qaïda ; il avait raison (même s’il a oublié de dire que c’était pas dessus tout une guerre néo-napoléonienne du président Français Nicolas Sarkozy, mais c’est une autre histoire).

Il avait dit aussi que c’était le prélude à une occupation étrangère dont l’objectif est de privatiser et prendre le contrôle des ressources naturelles libyennes. Il se pourrait bien – encore – qu’il s’avère être dans le vrai.

Les “experts” de Singapour  qui avaient loué la décision du régime de Kadhafi de libérer les djihadistes du GICL l’avaient qualifiée de “stratégie nécessaire pour réduire la menace pour la Libye. »

Aujourd’hui, le GICL/AQMI est finalement en passé concrétiser son rôle en tant que « force politique indigène. »

 Dix ans après le 11 septembre, il est difficile de ne pas se figurer le crâne d’une certaine personne tout au fond de la mer d’Arabie se fendre d’un rire qui résonnera longtemps.

Libye, la monstruosité de l’impérialisme humanitaire disséquée par Pepe Escobar

23 août 2011

Même si tout n’est peut-être pas encore terminé en Libye, on peut dire que dans son combat, le colonel Kadhafi, sa famille et ceux qui en Libye lui sont restés fidèles n’ont pas manqué de courage et même de panache. Certes Kadhafi est un dictateur au visage boursouflé par le botox mais il a fait preuve d’une classe qui fait défaut à ses adversaires occidentaux, de Sarkozy à Cameron en passant par Obama et le Canadien Harper. Pour tout dire, la France avait fait beaucoup moins bien avant de demander un armistice au Reich allemand en juin 1940.

Ils ont parfaitement fait honneur au nom de leur pays, Libye, un nom que déjà les Egyptiens anciens prononçaient alors que le monde civilisé n’avait que vaguement entendu parler du Gharb, ce mot sémitique qui donnera Europe. Les Lebou ou Libyens étaient en effet ces  tribus et Etats berbères qui affrontaient régulièrement l’Egypte des Pharaons, la superpuissance de l’époque. Une dynastie impériale égyptienne au moins sera d’ailleurs d’origine libyenne.

Au nom du Parti Socialiste français, Harlem Désir déclare se réjouir de la fin du « régime dictatorial » libyen. De fait, le PS de Martine Aubry a soutenu dès le début l’aventure néocoloniale lancée par MM. Sarkozy et Cameron. Ce n’est pas une erreur d’appréciation ou d’analyse de la part des dirigeants socialistes mais simplement un signe de leur adhésion idéologique à ce genre d’entreprises.

Après tout, Bernard Kouchner, le pionnier du retour aux vertus de l’ingérence humanitaire ne fricotait-il pas avec le PS avant d’aller rejoindre le gouvernement de M. Fillon ? Il y a des logiques profondes que l’enrobage des discours peine pourtant à masquer complètement.

Et au fond, quand on écoute Me Thibault de Montbrial, avocat en France de Mme Nefissatou Diallo, on est confondu par le niveau de la gangrène qui pourrit le Parti Socialiste.

Il faut beaucoup de sang froid, d’informations et d’esprit d’analyse pour naviguer dans le brouillard et les écrans de fumée de la propagande occidentale. C’est ce que fait, il n’est bien sûr pas le seul, avec brio Pepe Escobar dans un article d’Asia Times où il expose non seulement les objectifs stratégiques et économiques de l’OTAN et des Etats Unis en Libye, mais aussi la structure de l’alliance «démocratique  et humanitaire» où se mêlent des démocraties reconnues comme le Royaume Uni et les nouvelles grandes démocraties que sont la Jordanie ou l’Arabie Saoudite. Martine Aubry ne pipe mot à ce sujet d’ailleurs.

Enfin il explique en quoi a consisté l’opération «Sirène », une action planifiée de bout en bout par l’OTAN qui n’a ménagé non plus aucun effort logistique, sans parler de sa contribution en hommes et sans omettre bien sûr des opérations massives de bombardements dont les victimes civiles se comptent pas milliers.

Lisez attentivement l’article, il nous permet de comprendre plus précisément la nature monstrueuse et foncièrement inhumaine de ces puissances qui prétendent agir à des fins humanitaires.

Bienvenue à la ‘démocratie’ libyenne

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 24 août 2011

Big Kadhafi vient à peine de quitter les lieux – le complexe de Bab-al-Azizia – que les vautours occidentaux tournoient déjà au-dessus; c’est la ruée pour s’emparer du “gros lot” – les ressources pétrolières et gazières libyennes.

La Libye est autant un pion dans une importante  partie d’échecs géopolitique, géo-économique et géostratégique qu’une saynette moralisatrice présentée sous forme de reality-show ; des “rebelles” idéalistes gagnent contre l’ennemi public N°1. Autrefois, cet ennemi public était Saddam Hussein puis Oussama ben Laden et c’est aujourd’hui Mouammar Kadhafi. Demain ce sera le président Bachar al-Assad en Syrie, un jour ce sera le president mahmoud Ahmadinejad. L’ennemi n’est jamais l’ultra-réactionnaire famille Saoud d’Arabie.

Comment l’OTAN a gagné la guerre

Malgré la spectaculaire réapparition du fils de Kadhafi Seif al-Islam, l’OTAN a pratiquement gagné la guerre civile libyenne (ou “activité militaire kinétique,” selon la Maison Blanche). Les masses « populaires libyennes » ont été au mieux spectatrices, ou en petite partie actrices sous la forme de quelques milliers de « rebelles » munis de kalashnikovs.

Le haut de l’affiche a été tenu par la R2P (Responsabilty To Protect, “devoir de protéger”). Dès le début, la R2P brandie par la France et la Grande Bretagne avec le soutien des Etats Unis s’est comme par enchantement muée en changement de régime. Ce qui a amené dans cette production des acteurs non cités dans le casting: des “conseillers” fournis par les monarchies arabes ainsi que des “contractors” ou “mercenaires”.

L’OTAN a commence à l’emporter en déclenchant l’opération Sirène au moment de l’Iftar (rupture du jeune du mois de Ramadan – samedi soir dernier. « Sirène » était un nom de code pour l’invasion de Tripoli. C’était le coup de force final – et désespéré – de l’OTAN après que l’absence complète de résultats des rebelles chaotiques après cinq mois de lutte contre les troupes de Kadhafi.

Jusqu’alors, le plan A de l’OTAN avait été d’essayer de tuer Kadhafi. Ce que la claque de la R2P – de droite comme de gauche – a baptisé « l’usure régulière de l’OTAN » se résumait à prier pour trois résultats : Kadhafi est tué, Kadhafi se rend, Kadhafi fuit.

Non que rien de tout ça ait empêché des bombes de tomber sur des maisons, des universités, des hôpitaux où même près du ministère des affaires étrangères.  Tout – et tout le monde – était une cible. “Sirène” comportait une distribution haute en couleurs de “rebelles de l’OTAN”, de fanatiques islamistes, de journalistes crédules « embedded », des foules enthousiastes pour la télévision, et des jeunes de Cyrénaïque manipulés par des transfuges opportunistes du régime de Kadhafi qui s’attendent à de gros chèques de la part des géants pétroliers Total et BP.

Avec “Sirène”, l’OTAN est arrivée dans le flamboiement (au sens littéral) de toutes ses armes: des hélicoptères Apache tirant sans discontinuer et des avions bombardant tout ce qui ce qui est à leur portée. L’OTAN a supervise le débarquement de centaines de combattants venus de Misrata, à l’est de Tripoli tandis qu’un bateau de guerre de l’OTAN leur fournissait des armes lourdes.

Rien que dans la journée de dimanche, il y dû avoir 1300 civils tués à Tripoli et au moins 5000 blessés. Le ministère de la santé a annoncé que les hôpitaux étaient débordés. Quiconque croyait à ce moment là que les bombardements incessants de l’OTAN avaient quelque chose à voir avec le « devoir de protéger » et la résolution 1973 de l’ONU s’est retrouvé dans une unité de soins intensifs.

L’OTAN a fait précéder “Sirène” par des bombardements intensifs sur Zawiya – une ville clef avec sa raffinerie de pétrole à 50 kilomètres à l’ouest de Tripoli. Ce qui a stoppé l’approvisionnement de Tripoli en carburant. Selon l’OTAN elle-même, au moins la moitié des forces armées libyennes a été “dégradée” – le Pentagone parle ainsi des tués ou des blesses graves. Ce qui signifie des dizaines de milliers de morts. Ce qui explique aussi la disparition mystérieuse des 65 000 soldats chargés de défendre tripoli. Et explique aussi largement pourquoi le régime de Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans, s’est alors effondré en à peine 24 heures.

Le lancement de l’opération Sirène par l’OTAN – après 20 000 sorties aériennes et 7 500 frappes sur des cibles au sol – n’a été rendu possible que par une décision cruciale de l’administration Obama début juillet, autorisant, ainsi que l’avait rapport le Washington Post, « le partage des matériaux les plus sensible avec l’OTAN, y compris l’imagerie et les interceptions de signaux qui pouvaient être transmises aux forces spéciales françaises et britanniques sur le terrain en plus des aviateurs dans le ciel. »

C’est que, sans la puissance de feu inégalée du Pentagone, son know how, ses satellites et ses drones, l’OTAN serait encore empêtrée dans l’Opération Bourbier Interminable – et l’administration Obama ne pourrait pas savourer une grande victoire dans ce « drame kinétique. »

Qui sont ces gens ? 

Qui sont ces gens qui ont soudainement manifesté bruyamment leur joie sur les écrans de télévision européens et US? Après les sourires pour les caméras et les tirs en l’air à la Kalashnikov, préparez-vous  à quelques grands feux d’artifice fratricides.

Les troubles ethniques et tribaux sont condamnés à exploser. Beaucoup de Berbères venus des montagnes de l’ouest et qui sont entrés à tripoli par le sud ce dernier weekend sont des salafistes rigoristes. Il en va de même avec la nébuleuse salafiste/Frères Musulmans de Cyrénaïque qui a été entraînée militairement pas les agents de la CIA présents sur le terrain. Autant ces fondamentalistes se sont servis » des Européens et des Américains pour se rapprocher du pouvoir, autant ils pourraient se transformer en force de guérilla agressive en cas de marginalisation par les nouveaux maîtres de l’OTAN.

La grande “révolution”  basée à Benghazi, vendue à l’Occident comme un movement populaire a toujours été un mythe. Il y a seulement deux mois, les « révolutionnaires » en armes étaient à peine un millier. La solution de l’OTAN a été de bâtir une armée de mercenaires – avec toutes sortes de types louches allant d’anciens membres des escadrons de la mort colombiens à des recruteurs venus du Qatar et des Emirats Arabes Unis qui ont ramassé de nombreux Tunisiens au chômage et des membres de tribus mécontents de Tripoli. Tout ça en plus de l’équipe de mercenaires de la CIA – salafistes de Derna et de Benghazi – et de l’équipe se la famille Saoud – le gang  des Frères Musulmans.

Il est difficile de ne pas se souvenir du gang de ka drogue de l’UCK au Kosovo –la guerre que l’OTAN avait “gagnée” dans les Balkans. Ou des pakistanais et des Saoudiens, soutenus par les Etats Unis, qui armaient les « combattants de la liberté » en Afghanistan dans les années 1980.

Et nous avons maintenant  l’équipage de personnages douteux du Conseil National de Transition basé à Benghazi.

Son chef, Mustapha Abdeljalil, ministre de la justice de Kadhafi de 2007 jusqu’à sa d&mission le 26 février a étudié la charia et le droit civil à l’université de Libye. Ce qui pourrait lui permettre de croiser le fer intellectuellement  azec les fondamentalistes islamiques à Benghazi, el-Beïda et Derna – mais il pourrait utiliser ses compétences pour faire avancer leurs intérêts dans un arrangement pour le partage du pouvoir.

Quant à Mahmoud Jibril, le président du bureau executive du Conseil, il a étudié à l’université du Caire puis à celle de Pittsburgh. Il est l’homme clef de la connexion qatarie – car il a travaillé dans la gestion des avoirs de Sheukha Mozah, l’épouse très en vue de l’émir du Qatar.

Il y a aussi le fils du dernier monarque de Libye, le roi Idriss, déposée par Kadhafi il y a 42 ans (sans effusion de sang); la famille royale saoudienne adorerait une nouvelle monarchie en Afrique du Nord. Et le fils d’Omar Mokhtar, le héros de la résistance contre la colonisation italienne – une personnalité plus séculière..

Le nouvel Irak?

Croire que l’OTAN va gagner la guerre et laisser les “rebelles” assumer le pouvoir relève de la blague. Reuters a déjà signalé qu’une « force relais” d’environ 1 000 soldats du Qatar, des Emirats et de Jordanie va venir à Tripoli pour faire la police. Et le Pentagone laisse déjà entendre que des soldats US seront sur le terrain pour “contribuer à sécuriser les armes”. Une délicate attention qui donne à comprendre qui sera réellement aux responsabilités : les néo-colonialistes « humanitaires » et leurs sous-fifres Arabes. 

Abdel Fatah Younis, le commandant “rebelle” tué par les rebelles eux-mêmes, était la carte des services secrets français. Il a été tué par la faction des Frères Musulmans – au moment même où Nicolas Sarkozy tentait de négocier la fin de la partie avec Seif al-Islam Kadhafi, le fils de Kadhafi étudiant de la London School of Economics de retour de chez les morts.

Les grands gagnants sont donc, au final, Londres, Washington, la monarchie saoudienne et les Qataris (ils ont envoyé des avions de guerre et des « conseillers », ils gèrent déjà les ventes de pétrole). Avec une mention spéciale pour le complexe Pentagone/OTAN – considérant qu’Africom mettra finalement en place sa première base africaine en Méditerranée, et que l’OTAN se rapproche du moment où elle pourra déclare la méditerranée « lac OTAN. »

L’islamisme? Le tribalisme? Ce pourraient être les moindres maux de la Libye comparé à un nouvel Eldorado ouvert au néo-libéralisme. Il n’est guère douteux que les nouveaux maîtres Occidentaux vont essayer  de recréer une version plus sympathique de l’infâme et rapace Autorité Provisoire de la Coalition, et de transformer la Libye en rêve idéal des néoèlibéraux en s’appropriant 100 % des avoirs libyens, en s’assurant le rapatriement de l’ensemble des profits, les banques étrangères achetant les banques locales, avec un faible impôt sur les revenus et les sociétés.

En attendant, la fracture profonde entre le centre (Tripoli) et la périphérie pour le contrôle des ressources énergétiques  va s’aggraver. BP, Total, Exxon et les géants pétroliers occidentaux seront généreusement récompensés par le Conseil National de Transition – au détriment des entreprises russes, chinoises et indiennes. Les troupes de l’OTAN sur le terrain aideront certainement le Conseil à retenir le message.

Les cadres dirigeants du secteur pétrolier estiment qu’il faudra au moins un an pour un retour de la production pétrolière à son niveau d’avant la guerre civile, 1,6 million de barils par jour, mais ils affirment que les revenus annuels du pétrole pour les nouveaux dirigeants pourraient s’élever à 50 milliards de dollars.  On estime en général les réserves de pétrole à 46,4 milliards de barils ; 3 % des réserves mondiales pour une valeur de 3 900 milliards de dollars aux cours actuels du brut. Les réserves connues de gaz s’élèvent à quelques 1500 milliards de m3.

Donc, au bout du compte, la R2P (responsabilité de protéger) gagne. L’impérialisme humanitaire gagne. Les monarchies arabes gagnent. L’OTAN en tant que Robocop mondial gagne. Mais ce n’est quand même pas assez pour les habituels suspects impérialistes qui appellent déjà au déploiement d’une « force de stabilisation. » Tout ça au moment même om des progressistes déboussolés sous toutes les latitudes continuent à saluer la sainte alliance du néocolonialisme occidental, des monarchies arabes ultra-réactionnaires et des salafistes radicaux.

Ce ne sera terminé que quand la grosse bonne femme arabe [l’Arabie saoudite] chantera. Quoi qu’il en soit, passage à l’étape suivante : Damas.

La Libye et le fardeau de l’homme blanc

12 mai 2011

Certains parlent d’impasse en Libye, d’autres, comme Pepe Escobar de bourbier pour l’OTAN. Difficile de dire si ce jugement est fondé car si on voit mal les forces du colonel Kadhafi retourner la situation militaire en leur faveur, faute notamment de maîtrise de l’espace aérien,  on voit mal aussi comment son régime pourrait tenir dans la durée face à l’action combinée des rebelles désormais conseillés sur le terrain pas des soldats Occidentaux et surtout de l’aviation et des missiles de l’OTAN.

Or le temps semble bien être la dimension majeure de ce conflit car plus il durera, plus il rencontrera d’opposition dans le monde et plus il sera susceptible de provoquer des dissensions dans le camp des agresseurs. L’annonce par le gouvernement norvégien de la non prolongation de la participation de son aviation aux opérations militaires en Libye après le 24 juin est peut-être un signe avant-coureur des craquements qui pourraient se produire.

Mais revenons à Pepe Escobar qui nous livre sa vision des affaires internationales à la lumière de l’assassinat d’Oussama ben Laden et surtout des événements en Libye. Lancée sous des prétextes humanitaires, et annoncée comme l’application d’un nouveau principe, la responsabilité de protéger (R2P) qui incomberait aux puissances de l’axe du bien, il s’avère que ce principe mis en vogue d’abord par un célèbre French doctor n’est en fait qu’une resucée du bon vieux « fardeau de l’homme blanc » cher aux colonialistes.

Un bon article qui nous présente l’intervention en Libye pour ce qu’elle est, une manœuvre cynique au service des intérêts propres à certaines puissances.


Ben Laden out, au tour de Kadhafi

par Pepe Escobar, Asia Times (Hong Kong) 12 mai 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Commençons par invoquer une icone de la culture européenne, Dante; « Abandonne tout espoir, toi qui entre ici » –  parce que le droit international tel que nous le connaissons vient de recevoir un cou de couteau en plein cœur. Le « nouveau » darwinisme sociopolitique a pour corollaire le néocolonialisme humanitaire, les assassinats ciblés – des exécutions extrajudiciaires – et les guerres avec des drones; le tout au nom d’un fardeau de l’homme blanc remis au goût du jour.

Dans le tourbillon de mensonges et d’hypocrisie qui submerge la mission pour tuer ben Laden, le principal fait qui concerne la justice est comment un homme, nom de code « Geronimo », sans armes a pu être capturé vivant et exécuté sommairement devant une de ses filles – après une incursion éclair ans un pays « théoriquement » souverain.

Dans le cas du bourbier militaire dans lequel s’est engagée l’OTAN contre la Libye, le fait est qu’on a fait avaler à l’opinion publique européenne une agression militaire contre un pays souverain qui n’a commis aucune violation de la charte des Nations Unies. C’est l’histoire du loup – le néocolonialisme – déguisé en agneau – la »guerre humanitaire. »

Au centre du problème, se trouve la notion même de droit international – adoptée par toutes les nations « civilisées » ainsi que ce qui peut définir une guerre juste. Ce n’est pourtant rien qu’un détail pour les classes dirigeantes occidentales ; il n’y a eu aucun débat à haut niveau sur les implications d’une guerre de l’OTAN justifiée par les nations Unies dont l’objectif ultime – et jamais avoué – est le changement du régime.

Le darwinisme au Tomahawk

Cette intervention tordue Afrique du nord s’avère d’autant plus malhonnête qu’il a été prouvé que la guerre en Libye a été initialement conçue par des intérêts français douteux ; que l’Arabie saoudite a délivré un cote bidon de la Ligue Arabe pour les Etats Unis parce qu’elle voulait se débarrasser de Mouammar Kadhafi tout en ayant dans le même temps les mains libres pour écraser les manifestations pour la démocratie à Bahreïn ; que la Libye représente une possibilité idéale pour le Pentagone et son AFRICOM de disposer d’une base en Afrique ; qu’un groupe suspect de rebelles a détourné une contestation légitime maintenant dominée par des transfuges du régime de Kadhafi, des djihadistes liés à al Qaïda et des exilés comme le général Khalifa Hifter, un pion de la CIA qui a vécu pendant près de 20 ans en Virginie.

Les choses ont été encore pires quand on a appris que le 19 mars, les élites de la finance de Washington, Londres et Paris avaient autorisé la Banque Centrale de Benghazi  à avoir sa propre politique monétaire – dictée par l’Occident – à la différence de la banque nationale d’Etat complètement indépendante de Tripoli ; Kadhafi voulait en finit avec le dollar comme avec l’euro pour passer au dinar or comme devise africaine commune – et beaucoup de gouvernements étaient déjà partie prenante.

La guerre en Libye a été vendue au monde avec le slogan R2P – responsabilité de protéger – un « nouveau » concept humanitaire impérialiste qui a été brandi à Washington par trois Amazones, la Secrétaire d’Etat US Hillary Clinton, l’ambassadrice des Etats Unis à l’ONU Susan Rice et la conseillère du président Samantha Power. 

Une grande partie du monde en développement – la véritable « communauté internationale », pas la fiction sur les pages des media grand public occidentaux – ne l’a vue pour ce qu’elle était : la fin de la notion de souveraineté nationale, comme dans ce « recadrage » astucieux qui jette un flou sur l’article 2, section 1 de la Charte et son principe d’égalité souveraine des Etats.

Ils ont vu que les “décideurs” de la R2P étaient exclusivement Washington et un groupuscule de capitales européennes. Ils ont vu que la Libye était frappée de bombardements  par l’OTAN – mais pas Bahreïn, le Yémen ou la Syrie. Ils ont vu que les « décideurs » ne font aucun effort d’aucune sorte pour négocier un cessez-le-feu à l’intérieur de la Libye – ignorant les plans de la Turquie et de l’Union Africaine (UA).

Et des grandes puissances comme Moscou ou Pékin n’ont bien sûr pas manqué de voir que la R2P pouvait être invoquée en cas d’agitation au Tibet et au Xinjiang – et que la prochaine étape pourrait être des troupes de l’OTAN en territoire chinois. Même chose en ce qui concerne la Tchétchénie – avec en plus le côté hypocrite des Occidentaux avec des Tchétchènes armés depuis des années par l’OTAN via des réseaux liés à al Qaïda sans le Caucase et l’Asie Centrale.

Même les pays d’Amérique du Sud n’ont pas manqué de remarquer  la possibilité de voir à long terme la R2P invoquée pour une intervention de l’OTAN au Venezuela ou en Bolivie.

C’est donc la nouvelle signification du “droit international”: Washington – via Africom ou l’OTAN – intervient de toute façon, avec ou sans résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, au nom de la R2P, et tout le monde garde le silence sur les dommages collatéraux, sur  le bombardement d’objectifs gouvernementaux tout en niant que l’objectif soit un changement de régime,  sur la non assistance de bateaux chargés de réfugiés perdus en Méditerranée.

C’est la même chose quand on voit que Kadhafi a droit à l’intervention militaire tandis que les al-Khalifa à Bahreïn, Saleh au Yémen et Bachar al-Assad y échappent – c’est simple ; vous n’êtes pas un dictateur malfaisant si vous êtes un de « nos » salauds – c’est-à-dire quelqu’un qui joue selon « nos » règles.  Le sort des « indépendants » comme Kadhafi, c’est d’être mis au rebut. Ca peut aider si vous avez déjà une base militaire US très importante dans votre pays – comme c’est le cas des al-Khalifas avec la Vème Flotte des Etats Unis

Si les al-Khalifas n’étaient pas des laquais des Etats Unis et s’il n’y avait pas de base militaire US, Washington n’aurait eu aucun problème pour vendre une intervention en faveur des manifestants pacifiques pour la démocratie en majorité chiites contre une ignoble tyrannie sunnite qui a besoin de la monarchie saoudienne pour mater son propre peuple.

Puis, il y a les aspects judiciaires. On imagine de juger Kadhafi. Cour martiale ou juridiction civile ? Un tribunal d’opérette – à la Saddam Hussein –  ou un lieu lui donnant tous les moyens « civilisés » pour se défendre ? Et comment poursuivre des crimes contre l’humanité, au-delà d’un doute raisonnable ? Comment utiliser des témoignages obtenus sous la torture, pardon, « interrogatoire amélioré » ? Et pendant combien de temps? des années? Combien de témoins? Des milliers?

Il est bien plus facile de régler tout ça à coup de Tomahawk – ou avec une balle dans la tête – et d’appeler ça « justice. »


%d blogueurs aiment cette page :