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« Il n’y a pas de situation révolutionnaire en Algérie »

22 décembre 2019

L’élection d’Abdelmadjid Tebboune a été accueillie diversement, entre ceux qui estiment qu’il a été mal élu et ceux qui considèrent qu’il a été en réalité désigné par la hiérarchie militaire, l’élection étant truquée.tebboune

Qu’il ait été mal élu, c’est une évidence et il n’est pas le seul chef d’État dans ce cas. Qu’il ait été désigné par la hiérarchie militaire, c’est probable mais c’était sans doute le cas de ses rivaux malheureux. C’est avant l’élection que les militaires ont fait leur choix et il n’était donc pas nécessaire de truquer le scrutin. La faiblesse du taux de participation , un peu moins de 40 %, plaide plutôt en la faveur d’une élection non truquée; on aurait pu en effet s’attendre, en cas de manipulation du scrutin ou de bourrage des urnes à ce que les autorités fassent état d’un taux de participation avoisinant au moins 50 %.

Il n’est pas douteux que ni le président nouvellement élu, ni ceux qui l’ont coopté ne se font d’illusions sur une véritable adhésion populaire à sa personne.

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Par contre, cette adhésion pourrait se construire progressivement en fonction de ses premiers gestes une fois son gouvernement constitué. Il y a bien sûr sa promesse de rajeunissement des détenteurs de portefeuilles ministériels, une promesse dont la réalisation semble mal engagée si on en croit les deux premières nominations aux postes de Chef de cabinet et de Secrétaire Général qui confirment la tendance à la gérontocratie (on verra ce qu’il en sera des ministres). Surtout, la majorité de la population attend du nouveau président qu’il fasse libérer les détenus d’opinion, aussi bien les gens connus que les citoyens ordinaires.

Ce dernier geste est à coup sûr celui qui donnera de la crédibilité à la volonté affichée du nouveau président de faire évoluer le pays vers plus de démocratie.

Il reste que ce qu’on appelle le Hirak n’a pas été en capacité d’empêcher le scrutin présidentiel et toutes les protestations, manifestations criant à l’illégitimité du nouveau président n’y ont rien fait et n’y feront rien.

Hugh Roberts* propose une analyse dépassionnée qui permet de comprendre pourquoi, après des succès initiaux de grande portée, le Hirak s’est retrouvé dans une impasse, ne parvenant pas à provoquer un changement radical du système politique.

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Hugh Roberts

L’histoire n’est évidemment pas finie et tout peut encore basculer dans un sens ou dans l’autre, par exemple si des manifestants passaient à l’action violente, ou si une grève générale était effective, ou bien sûr si les autorités se lançaient dans une répression systématique et sanglante.

* Hugh Roberts est professeur d’histoire de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient à l’université Tufts aux Etats Unis. il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur la situation politique en Algérie entre 1988 et 2002.

Algérie: le Hirak et les ides de décembre

par Hugh Roberts, Jadaliyya 19 novembre 2019  traduit de l’anglais par Djazaïri

Depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, la situation en Algérie a été souvent décrite  comme une impasse. Dans le même temps, l’habitude tout aussi répandue de qualifier le mouvement de protestation de révolutionnaire a incité à s’attendre à ce que l’impasse soit plus susceptible d’être résolue en faveur de la «révolution» qu’en faveur des pouvoirs en place. Je soutiens que ce ne sont pas là des lectures réalistes des événements ou de leur tendance.

Appeler révolution un mouvement de contestation, si impressionnant soit-il, n’en fait pas une révolution. Le «mouvement populaire» en Algérie, le Hirak , a été extrêmement impressionnant au début, lorsqu’il s’est opposé avec succès à la perspective d’un cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika. La perspective subjective des manifestants a sans aucun doute été révolutionnaire à certains égards – surtout l’aspiration à en finir avec le régime actuel et à voir une «deuxième République» établie et le courage de descendre dans la rue à plusieurs reprises pour l’affirmer publiquement. Néanmoins, le mouvement n’a été objectivement révolutionnaire à aucun moment. Il n’y a pas de situation révolutionnaire en Algérie; il ne s’agit pas d’une situation de double pouvoir et il est peu probable qu’elle le devienne dans un avenir prévisible, qui est l’horizon temporel de la politique concrète.

L’armée est la source du pouvoir politique en Algérie depuis 1954 et n’a pas été détrônée. Le pouvoir exécutif de l’État, bien que largement contesté, reste cohérent en interne. Le commandement de l’armée en garde le contrôle, comme il vient de le démontrer en déployant avec succès la gendarmerie comme un élément décisif pour mettre au pas une justice algérienne mutine. Le Hirak lui-même, bien qu’impressionnant par sa combativité et sa détermination, n’a pas de fin réalisable au-delà d’empêcher, encore une fois, l’élection présidentielle (maintenant prévue pour le 12 décembre 2019). Et il est loin d’être certain qu’il atteindra cet objectif limité.

En l’absence d’une situation révolutionnaire, tout ce que le Hirak pouvait espérer de façon réaliste était une réforme importante – une avancée en quelque sorte vers une forme de gouvernement plus démocratique et la primauté du droit – qui ouvrirait de nouvelles perspectives politiques et établirait un précédent pour des réformes ultérieures. Mais une telle réforme stratégique nécessite l’accord du commandement militaire, qui ne peut être obtenu que sur la base d’un compromis historique entre l’armée et le mouvement populaire. Bien que cette idée ait été lancée ici et là, aucun compromis de ce genre ne s’est produit et la façon dont le Hirak a évolué depuis avril est en grande partie la raison.

Pratiquement tous les commentaires dans les médias considèrent le  Hirak  comme essentiellement inchangé depuis son début spectaculaire le 22 février 2019. Mais, en fait, son contenu politique a changé à bien des égards. Initialement, le Hirak  présentait les principales caractéristiques suivantes:

Il était incroyablement pacifique et autonome;

Il se centrait sur un point extrêmement précis  – pas de cinquième mandat pour Bouteflika (et par conséquent en corollaire: pas de quatrième mandat prolongé non plus);

il a communiqué cette exigence non pas comme l’expression véhémente d’un sentiment subjectif mais comme une annonce faisant autorité résultant d’une décision collective:  makansh khamsa!   («Pas de cinquième mandat!»);

il fondait cette décision en défense de la constitution (car une personne inapte occupant le poste de président était manifestement inconstitutionnel);

il signifiait clairement qu’il n’avait aucune querelle avec la police: sha’b, shorta: khawa, khawa («le peuple, la police: frères, frères») ou l’armée: jaish, sha’b: khawa, khawa («armée, peuple: frères, frères »).

Depuis le départ des Bouteflika, en avril dernier, le Hirak est, c’est à son crédit, resté d’un pacifisme impressionnant. Mais à tous autres égards, ses positions politiques se sont transformées  pratiquement à l’opposé de ce qu’elles étaient à l’origine.

Beaucoup de ses slogans les plus importants – «système dégage», « yetnahaw ga’a », etc. – expriment des demandes et des sentiments (en réalité, des anathèmes) plutôt que des décisions et manquent donc d’autorité ainsi que de détermination; ils sont à à l’opposé de slogans précisément ciblés. Que pourraient-ils signifier d’un point de vue pratiques? Personne ne le sait.

Quant au seul élément ciblé de la position du Hirak , son opposition à la tenue du scrutin présidentiel, il ne se fonde pas sur la défense de la constitution mais sur un rejet explicite de la constitution.

La prémisse de ce refus de l’élection présidentielle est la proposition (ou exigence) concurrente d’une transition vers «une seconde République». Il est tenu pour acquis que cette «deuxième République» postulée s’avérera de beaucoup supérieure à la «République» actuelle. Mais pourquoi devrait-il en être ainsi, alors que ses contours institutionnels et son caractère spécifiques restent entièrement indéfinis. À aucun moment, aucun partisan de cette vision n’a dit quoi que ce soit sur les principes constitutifs de la seconde République

La «transition» évoquée est également indéfinie quant à ses modalités ainsi qu’à sa finalité, sauf dans la version qui exige, comme élément central, une assemblée constituante. Qui, en l’absence d’un chef d’État faisant autorité, convoquera cette assemblée, qui déterminera sa composition, son ordre du jour et son règlement intérieur sont des questions que personne préconisant cette «feuille de route» n’a abordées à aucun moment. La façon dont une véritable assemblée constituante peut être réunie, sans parler de parvenir à un consensus national authentique sur une constitution radicalement nouvelle (et améliorée), face à l’opposition du commandement de l’armée est floue.

Ce rejet de la constitution et de l’élection présidentielle que la constitution autorise non seulement mais impose en fait a conduit le Hirak à un conflit ouvert avec l’armée, exprimé par des attaques véhémentes contre le chef d’état-major (et vice-ministre de la défense), Le lieutenant-général Ahmed Gaïd Salah. Le vieux maître mot du Hirak,  Jaish, Sha’b: Khawa, Khawa, est lettre morte depuis plusieurs mois.

C’est là, selon moi, un changement très regrettable. Il est difficile de voir comment le but tout à fait admirable du Hirak d’obtenir une meilleure forme de gouvernement pour l’Algérie peut raisonnablement espérer bénéficier de cette tournure des événements et il y a lieu de craindre qu’il ait condamné le hirak à la défaite à court terme

Si nous acceptons de nous résoudre à rejeter l’option douce qui consiste à traiter ce drame comme un conte de fée avec des bons héros et des méchants, en mettant tout au compte du méchant État profond et en dégageant nos préférés de toute responsabilité, il devient possible d’estimer que le Hirak a commis une erreur stratégique majeure erreur au printemps dernier et qu’il l’a payée. Cette erreur a été de situer sa réticence à accepter une élection présidentielle sur la base d’un rejet radical de la constitution. Ce faisant, il a abandonné la stature morale élevée qu’il avait provisoirement acquise le 22 février et a permis au commandent de l’armée d’occuper ce statut et de le conserver par la suite.

Le tragique est que le Hirak n’avait pas besoin de faire ça. Il était en principe parfaitement loisible au  Hirak  de convenir avec les chefs de l’armée que la constitution (en particulier les articles 102 et 104) exigeait la tenue d’une élection présidentielle, mais de souligner en même temps que la constitution stipulait également que «le peuple est la source de toute autorité »(article 7) et que« Le peuple choisit librement ses représentants »(article 8). En bref, la constitution donnait au  Hirak les munitions dont il avait besoin non pas pour défier le commandement militaire mais  pour traiter avec lui sur la base même de la constitution en vigueur et ainsi (i) l’empêcher de s’emparer de la position morale du Hirak (ii) et le persuader d’accepter un accord qui aurait permis à l’élection présidentielle de se dérouler dans des conditions qui représentaient un gain pour le Hirak et une réforme stratégique pour l’État.

Une question centrale pour l’historien est de savoir pourquoi le Hirak n’a pas choisi cette option. On ne peut pas supposer qu’il l’ignorait tout simplement. Divers membres de l’aile civile de l’élite nationale ont tenté de le persuader de penser en termes de compromis historique progressiste avec les chefs de l’armée. Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la banque centrale et figure de proue du groupe des réformateurs au cours de la période 1989-1991, a présenté en juin dernier une proposition très réfléchie et impressionnante dans ce sens. [1]  Un certain nombre d’autres personnalités civiles ont avancé des visions similaires. En particulier, le secrétaire général par intérim de l’association des anciens combattants ( Organisation Nationale des Moudjahidine , ONM), Mohand Ouamar Benelhadj, [2] a fait un commentaire très pointu sur la situation le 19 juin, alors que les options étaient encore ouvertes, critiquant les chefs de l’armée pour avoir invoqué exclusivement l’article 102 de la constitution et attiré l’attention sur l’importance des articles 7 et 8 et suggérant que le  Hirak  en tire  le meilleur parti. [3]  Et le plus réfléchi des dirigeants islamistes algériens, Abdallah Djaballah, a attiré à plusieurs reprises l’attention sur l’importance stratégique de l’article 7

Le Hirak n’a intégré que par intermittence des références aux articles 7 et 8 dans son discours sans leur accorder une importance particulière, sans même parler de reconnaître leur importance stratégique et d’en développer les implications possibles. Il n’a pas compris qu’une occasion de faire pression pour une réforme majeure était là suite départ des Bouteflika et il a laissé passer cette opportunité.

Il a ainsi permis au régime de se présenter finalement comme un agent tout aussi plausible – sinon plus plausible – du processus de réforme nécessaire. Sur les cinq candidats à la présidentielle, deux, Ali Benflis et Abdelmadjid Tebboune, tous deux anciens premiers ministres, ont maintenant publié leurs manifestes électoraux et ceux-ci indiquent leur intention, s’ils sont élus, de résoudre au moins certains des principaux problèmes et griefs qui sous-tendent l’agitation populaire. Contrairement au Hirak , le régime a eu une stratégie et, dans la dernière phase du drame, il s’agit de retirer le plus possible d’espace au Hirak , afin de le rendre superflu.

L’État algérien est un caméléon et sa capacité de cooptation ne doit pas être sous-estimée. Sans leader et, par conséquent, tendant à apparaître pas mal embrouillé au niveau politique, le Hirak puise dans des sentiments et des convictions profondément ancrés qui sont sans aucun doute ceux du peuple algérien dans son ensemble, ce qui lui a donné sa force de résistance. Et, comme l’Algérie est pleine de surprises, un quelconque événement violent ou autre pourrait fausser cette analyse  et imposer un ensemble de perspectives différentes quant à la situation dans un mois.

Mais pour l’heure, le  Hirak  n’est pas près de réaliser une percée politique révolutionnaire de sitôt, s’il la réalise jamais. Je pense que son rôle historique a été d’ouvrir la voie à la réaffirmation – après des années d’incompétence arrogante – de l’opinion publique en tant qu’acteur collectif incontournable du gouvernement algérien. Et si, au cours des semaines et des mois qui suivront le 13 décembre, il s’avère avoir réussi à orienter les élites dirigeantes du pays vers de meilleurs comportements, ce ne sera pas un mince progrès mais, au contraire, une réussite historique et immensément bienvenue.

[1] Abderrahmane Hadj Nacer, “Le Hirak pour surmonter l’impasse,” Tout Sur l’Algérie, 24 Juin 2019;  voir aussi Fayçal Metaoui, “Sortie de crise: les propositions de Hadj Nacer,” El Watan, 23 June 2019; Hacen Ouali, “Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la banque d’Algérie: « En finir avec le système qui se repose sur l’armée»,” El Watan, 24 Juin 2019; and “Les principaux messages de Hadj Nacer à l’armée,” Editorial, Tout Sur l’Algérie, 24 Juin 2019.

[2] Benelhadj est devenu Secretaire Général suite au décès de Said Abadou le 12 Juin 2019, en attendant la tenue d’une élection au prochain congrès de l’ONM qui a été reporté pour la durée de la crise politique nationale.

[3] Madjid Makedhi, “L’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) propose son initiative: L’application de l’article 102 est un échec total,” El Watan, 19 June 2019; see also Fayçal Metaoui, “Entretien avec le secrétaire général par intérim de l’ONM,” Tout Sur l’Algérie, 19 June 2019.

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Nicolas Al-Sarkozy, le révolutionnaire Syrien

17 février 2012

La rencontre au sommet de ce 17 février entre M. Nicolas Sarkozy et le premier ministre Britannique David Cameron a eu pour résultats d’importants accords dans le secteur de l’énergie nucléaire et dans le domaine militaire avec le coup d’envoi donné à un projet de conception d’avion sans pilote.

La situation en Syrie a aussi été abordée et les deux dirigeants ont promis de faire de leur mieux pour faire chuter le régime syrien et, dans ce but, ont exhorté les opposants à s’organiser et s’unir.

La presse vous parle bien entendu de tous les aspects de cette réunion très importante qui va fixer des orientations qui engageront le nouveau pouvoir en France, qu’il soit incarné par l’actuel président ou par un de ses concurrents.

Les deux larrons se sont même congratulés pour leur rôle dans les destructions et les tueries en Libye, c’est dire que l’ambiance était bonne…

Il y a quand même quelque chose qui m’a interloqué dans ce qu’a dit ou aurait dit Nicolas Sarkozy à propos de la Syrie dans la conférence de presse qui a suivi la rencontre avec David Cameron. Ce sont des mots que je n’ai trouvés que dans une dépêche d’une agence de presse espagnole publiée, entre autres, dans le journal El Mundo..

La dépêche d’agence parle comme les autres organes d’information des exhortations à l’unité qu’adresse M. Sarkozy à l’opposition au gouvernement syrien. Mais voilà ce qui m’a  plus particulièrement étonné et que je vous reproduis d’abord en espagnol puis avec ma traduction:

« No podemos hacer la revolución siria sin que la oposición actual haga el esfuerzo de unirse para que podamos ayudarlos más », señaló Sarkozy durante una conferencia de prensa conjunta con Cameron al término de la cumbre franco-británica en París.
« Nous ne pouvons pas faire la révolution en Syrie sans que l’opposition syrienne fasse maintenant l’effort de s’unir afin que nous puissions l’aider plus, » a déclaré M. Sarkozy durant une conférence de presse conjointe avec Cameron à la clôture du sommet franco-britannique à Paris.

Alors soit M. Sarkozy s’est effectivement présenté comme un révolutionnaire Syrien, Nicolas Es-Sarkozy (à défaut d’être un révolutionnaire Français), soit le correspondant de l’agence de presse espagnole EFE a voulu rendre ce qui lui paraissait évident. N’empêche que le passage est bel et bien entre guillemets, et correspondrait à des propos effectivement tenus par le président Français.

Vérité et mensonge en Syrie

11 octobre 2011

Jeremy Salt nous propose une analyse bien informée de ce qui se passe en Syrie. Et je souscris sans difficulté à son point de vue : le peuple syrien a le droit d’exiger et d’obtenir la démocratie mais ce même peuple doit prendre garde aux risques que certains font courir à son pays. Son texte est peut-être un peu léger sur les enjeux politiques régionaux, et là je pense moins à l’entité sioniste qu’à la Turquie, une question sur laquelle j’aurai peut-être l’occasion de revenir.

Il est vrai qu’on ne peut pas faire comme si les exemples irakien et libyen n’existaient pas et exiger de l’ONU des résolutions de plus en plus contraignantes qui ouvriront la voie à une intervention étrangère.

Aucune des puissances qui veulent s’immiscer dans les affaires syriennes n’a en fait le désir d’une Syrie forte et le régime qui sortirait dés décombres d’une Syrie en proie à la guerre civile et aux bombardements de l’OTAN (sans parler de l’entité sioniste qui profiterait de l’occasion) serait forcément un régime encore plus faible que celui imposé par le Baath.

Vous me direz, ce n’est pas un régime faible : voyez comme il réprime la population. Mais le niveau de répression de la population ne nous donne aucune indication sur la force du régime, seulement sur sa brutalité, et on constate que le gouvernement syrien n’a pas pu empêcher la constitution de bandes armées, ni leur approvisionnement en armes. Et comme le rappelle Jeremy Salt, des actes de guerre ont été commis dès le début par ces bandes armées et des actes de cruauté leur ont été imputés, aussi bien à l’encontre de policiers ou militaires que de civils ; comme on en impute aux forces gouvernementales.

La Syrie est à la veille d’un scénario à l’algérienne que le régime a pour l’instant cependant pu enrayer. Il ne pourra pas le faire très longtemps s’il n’y a pas d’ouverture politique de la part de l’opposition qui croit malheureusement encore que le Royaume Uni ou le Qatar et l’Arabie Saoudite veulent la démocratie en Syrie. Le CNT libyen vient d’ailleurs de reconnaître le Conseil national Syrien qu’il invite donc à lui emboîter la pas, un ballon d’essai lancé par les stratèges des services secrets britanniques et américains.

Je l’ai écrit précédemment, la Syrie n’est ni la Tunisie, ni l’Egypte. Dans ces deux derniers pays, les régimes étaient des alliés de l’Occident et les Etats Unis ont pu, tant bien que mal, gérer la chute de l’autocrate avec le filet de sécurité de la nomenklatura en place. Il y a et il y aura seulement une redistribution des cartes entre le centre et la périphérie de cette nomenklatura.

Les derniers événements en Egypte, avec ces manifestants Coptes assassinés par l’armée nous montrent la véritable nature, inchangée, du régime qui n’a d’ailleurs toujours pas rouvert de manière permanente la frontière avec Gaza.

En Syrie, les occidentaux n’ont pas ce genre de ressources sur place et ce sera donc le chaos et le bain de sang, peut-être pour des années.

Mais pas la démocratie…

Vérité et mensonge en Syrie

par Jeremy Salt, Palestine Chronicle (USA) 5 octobre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri 

Ankara – Avec une insurrection qui fonce vers la guerre civile en Syrie, il convient de mettre un frein à la propagande déversée par les grands médias occidentaux et acceptée sans réserves par beaucoup de gens qui devraient être mieux informés. Voici donc une série de positions à partir desquelles on peut discuter de ce qui se passe dans ce pays très important du Moyen Orient..

1. La Syrie est un Etat des mukhabarat (services de renseignements) depuis que le redouté Abd al Hamid ai Serraj a dirigé les services de renseignements, le deuxième bureau, dans les années 1950. Le régime autoritaire qui s’est mis en place à partir de la prise du pouvoir par Hafez el Assad en 1970 a écrasé impitoyablement toute dissidence. Selon les occasions, ce fut telle ou telle dissidence. L’omniprésence des mukhabarat est une des réalités déplaisantes de la vie en Syrie mais dans la mesure où ce pays est une cible privilégiée des assassinats ou de la subversion pratiqués par Israël et des services secrets occidentaux, et qu’il a aussi été attaqué militairement à plusieurs reprises, et qu’une grande portion de son territoire est occupée et que ses ennemis cherchent constamment des possibilités de l’abattre, on peut difficilement soutenir qu’il peut se passe de mukhabarrat.

2 Il est indubitable que la majorité des personnes qui manifestent en Syrie veulent une transition pacifique vers une forme démocratique de gouvernement. Il est également indubitable que des organisations armées qui  agissent à l’ombre des manifestations  ne sont pas intéressées par des réformes. Elles veulent la destruction du régime.

3 Il y a eu de très grandes manifestations se soutien au gouvernement. Il y a de la colère contre la violence des bandes armées et contre l’interférence de l’étranger et l’exploitation de la situation par des gouvernements et la presse à l’étranger. Aux yeux de nombreux Syriens, leur pays est à nouveau la cible d’un complot international.

4 Quelle que soit la véracité des accusations portées contre les forces de sécurité; les groups armés ont tué des centaines de policiers, de soldats et de civils, un total qui doit approcher le millier maintenant. Parmi les civils tués, se trouvent des professeurs d’université, des médecins et même, très récemment, le fils du Grand Mufti de la République. Les bandes armées ont massacré, pris en embuscade, assassiné, attaqué des édifices publics et saboté des voies ferrées.

5 Bachar al-Assad a une forte popularité personnelle. Même s’il siège au sommet du système, il est erroné de le qualifier de dictateur. C’est le système lui-même qui est le vrai dictateur. Ce pouvoir profondément enraciné en Syrie – retranché depuis cinquante ans – se situe dans l’establishment militaire et des services secrets et, à un moindre degré, dans les structures du parti. Ce sont les vraies sources de la résistance au changement. Les manifestations étaient une opportunité offerte que Bachar a saisie pour faire passer le message que le système devait changer.

6 Devant les manifestations à grande échelle du début d’année, le gouvernement a finalement élaboré un programme de réformes. Il a été rejeté d’un revers de main par l’opposition. A aucun moment, il n’a été question de tester la bonne foi du gouvernement.

7 L’affirmation selon laquelle l’opposition armée au gouvernement n’a commencé que récemment est un complet mensonge. Les assassinats de policiers, de soldats et de civils, souvent de manière très brutale, ont commencé pratiquement dès le début [des troubles].

8 les bandes armées sont bien équipées et bien organisées. D’importants chargements d’armes ont été introduits clandestinement depuis la Turquie et le Liban. Ils comprennent des fusils à pompe, des mitrailleuses, des Kalashnikovs, des lance roquettes, des grenades à main fabriquées en Israël et beaucoup d’autres explosifs. On n’a pas de certitude sur qui fournit ces armes, mais quelqu’un le fait et quelqu’un les paye. L’interrogatoire des membres des bandes armées capturés pointe dans le direction du mouvement Futur de Saad Hariri. Hariri est l’homme de paille des Etats Unis et de l’Arabie Saoudite et son influence dépasse de beaucoup les frontières du Liban.

9 L’opposition armée au régime semble être largement parrainée par l’organisation interdite des Frères Musulmans. En 1982, le gouvernement avait impitoyablement écrasé un soulèvement déclenché par les Frères Musulmans à Hama. Des milliers de personnes avaient péri et une partie de la ville avait été détruite. Les Frères Musulmans ont deux objectifs principaux : la destruction du régime baathiste et la destruction de l’Etat séculier pour le remplacer par un système islamique. La soif de vengeance de la confrérie est quasi palpable.

10 Les groupes armés ont un fort soutien de l’extérieur en plus de ceux que nous avons déjà évoqués. L’ancien vice premier ministre et ministre syrien des affaires étrangères, Abdelhalim Khaddam qui vit à Paris, fait campagne depuis des années pour faire chuter le gouvernement d’Assad. Il est financé à la fois par l’Union Européenne et par les Etats Unis. Parmi d’autres opposants exilés, Borhan Ghalioune, soutenu par le Qatar à la tête du ‘Conseil National’ créé à Istanbul, vit comme Abdelhalim Khaddam à Paris et comme ce dernier également, fait du lobbying contre le régime Assad en Europe et à Washington. Tout comme Muhammad Riyad al Shaqfa, le leader des Frères Musulmans en Syrie, il est ouvert à une ‘intervention humanitaire’ étrangère en Syrie sur le modèle libyen (d’autres sont contre). La promotion des exilés pour former un gouvernement alternatif rappelle la manière dont les Etats Unis se  sont servis des exilés Irakiens (le pseudo Congrès National Irakien) en prélude à l’invasion de l’Irak.

 11 La couverture de la situation en Libye et en Syrie par les media occidentaux a été consternante. L’intervention de l’OTAN en Libye a été la cause d’énormes destructions et de milliers de morts. Cette guerre, après l’invasion de l’Irak, est encire un autre grave crime devant le droit international commis par les gouvernements de la France, de la Grande Bretagne et des Etats Unis. La ville de Syrte a été bombardée jour et nuit pendant deux semaines sans que les media occidentaux s’intéressent le moins du monde aux lourdes pertes humaines et matérielles qui en ont forcément résulté. La presse occidentale n’a rien fait pour vérifier les informations en provenance de Syrte que le bombardement de bâtiments civils et la mort de centaines de personnes. La seule raison  est que l’horrible vérité pourrait bien faire capoter toute l’intervention de l’OTAN.

12 En Syrie, les mêmes medias ont adopté le même style d’information biaisée et de désinformation. Ils ont ignoré ou sont passés par-dessus les preuves sur les nombreux assassinats perpétrés par les bandes armées. Ils ont invité l’opinion à ne pas croire les déclarations du gouvernement et à croire celles des rebelles, souvent faites par la voix d’organisations des droits de l’homme sises aux Etats Unis et en Europe. De nombreux mensonges purs et simples ont été dits, comme on en a dit pour la Libye et comme on en avait dit avant l’agression contre l’Irak. Certains d’entre eux au moins ont été mis à nu. Des gens dont on disait qu’ils avaient été tués par les forces de sécurité étaient en fait bien vivants. Les frères de Zeineb al Husni affirmaient qu’elle avait été enlevée par les services de sécurité, assassinée et son corps démembré. Cette histoire épouvantable, diffusée par les chaînes Al Arabiyya et Al jazeera, entre autres organes d’informations, était complètement fausse. Elle est toujours vivante même si la tactique de la propagande est maintenant de prétendre que ce n’est pas vraiment elle mais un sosie. Al Jazeera, la BBC et le Guardian se sont distingués par leur appui aveugle à tout ce qui peut discréditer le gouvernement syrien. La même ligne a été adoptée par les media grand public des Etats Unis. Al Jazeera, en particulier, a perdu toute crédibilité en tant que source d’informations indépendante sur le monde arabe.

13 En cherchant à détruire le régime syrien, l’organisation des Frères Musulmans a un objectif commun avec les Etats Unis, Israël et l’Arabie Saoudite dont la paranoïa à propos de l’Islam chiite a atteint son paroxysme avec la contestation à Bahreïn. Wikileaks avait révélé à quel point l’Arabie Saoudite était impatiente de voir les USA attaquer l’Iran. Un objectif de rechange est la destruction de la relation stratégique ente l’Iran, le Hezbollah et la Syrie. Les Etats Unis et l’Arabie Saoudite peuvent avoir des raisons légèrement différentes de vouloir la destruction  du régime baathiste dominé par les Alaouites à Damas… mais ce qui importe est qu’ils veulent le détruire.

14 Les Etats Unis font tout ce qu’ils peuvent pour acculer la Syrie. Ils apportent un soutien financier aux dirigeants de l’opposition en exil. Ils on essayé (et pour l’instant échoué grâce à l’opposition de la Chine et de la Russie) d’introduire un vaste programme de sanctions via le Conseil de Sécurité de l’ONU. Il est hors de doute qu’ils essayeront encore et, en fonction de l’évolution de la situation, ils pourraient avec l’appui britannique et français présenter une résolution sur une zone d’exclusion aérienne ouvrant la voie à une attaque étrangère. La situation est fluide et il est certain que toutes sortes de plans d’urgence sont élaborés. La Maison Blanche et le Département d’Etat font des déclarations d’intimidation quotidiennement. Provoquant ouvertement le gouvernement syrien, l’ambassadeur des Etats Unis, accompagné de l’ambassadeur de France, se sont rendus à Hama avant les prières du vendredi. Compte tenu de tout ce que nous savons de leurs nombreuses  immixtions passées dans les affaires des pays du Moyen Orient, il est inimaginable que les Etats Unis et Israël, avec la Grande Bretagne et la France, puissent ne pas être impliquées dans cette contestation au delà-de ce que nous savons déjà de cette ingérence.

15  Alors qu’ils se concentrent sur la violence du régime syrien, les gouvernements des Etats Unis et d’Europe (particulièrement la Grande Bretagne) ont totalement ignore ma violence exercée contre le régime. Ne parlons bien sûr même pas de leur propre violence bien plus grande exercée en Libye, en Irak, en Afghanistan et ailleurs.  La Turquie a rejoint bien volontiers leur campagne, allant même plus loin qu’eux dans la confrontation avec le régime syrien. La politique régionale turque du ‘zéro problème’ s’est retournée dans la confusion. La Turquie a finalement apporté son appui à l’agression de l’OTAN contre la Libye après avoir d’abord freiné des quatre fers. Elle s’est mise à dos l’Iran par sa politique sur la Syrie et en acceptant, en dépit d’une forte opposition interne, d’accueillir sur son sol un système radar anti-missiles américain qui vise clairement l’Iran. Les Américains disent que les données collectées par le système seront partagées avec Israël qui a refusé de s’excuser pour l’attaque contre le Mavi Marmara, causant une crise des relations israélo-turques. La politique régionale turque est donc passée de « zéro problème »  à la quantité de problèmes avec Israël, la Syrie et l’Iran.

16 Alors que certains membres de l’opposition syrienne ont pris position contre une intervention étrangère, “l’Armée de la Syrie Libre” a déclaré que son objectif était la proclamation d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus du nord de la Syrie. Nous avons vu que l’application d’une zone d’exclusion aérienne en Libye s’est soldée par des destructions massives d’infrastructures, la mort de milliers de personnes et la porte ouverte à une nouvelle période de domination par l’Occident.

17 Si le régime syrien est abattu, les baathistes et les Alaouites seront pourchassés jusqu’au dernier. Dans un gouvernement dominé par les Frères Musulmans, le statut de la femme et celui des minorités pourraient connaître une forte régression.

18 A travers le Syria Accountability Act, et avec les sanctions que l’Union Européenne a imposées, les Etats Unis tentent depuis 20 ans de détruire le régime syrien. Le démantèlement des Etats arabes unitaires selon des lignes de fracture ethno-religieuses est un objectif qu’Israël cherche à atteindre depuis des dizaines d’années. Là où va Israël, les Etats Unis suivent tout naturellement. On peut voir les fruits de cette politique en Irak où un Etat indépendant de facto a été créé pour les Kurdes et où la constitution, rédigée par les Etats Unis, distingue les Irakiens en Kurdes, Sunnites, Chiites et Chrétiens, détruisant la logique intégratrice du nationalisme arabe. L’Irak n’a pas connu un moment de paix depuis l’entrée des Britanniques à Bagdad en 1917. En Syrie, les divisions ethno-religieuses (musulmans sunnites Arabes, musulmans sunnites Kurdes, Druzes, Alaouites, les diverses sectes chrétiennes) rendent de la même manière ce pays vulnérable à l’excitation de la discorde sectaire et à la désintégration finale de l’Etat arabe unifié dont les Français avaient essayé d’empêcher l’avènement dans les années 1920.

19 La destruction du pouvoir baathiste serait une victoire stratégique inestimable pour les Etats Unis et Israël. La clef de voûte de la relation stratégique ente l’Iran, la Syrie et le Hezbollah aura été détruite, laissant le Hezbollah isolé géographiquement, avec un gouvernement musulman sunnite hostile à sa porte. L’Iran et le Hezbollah se trouveraient plus exposés à une agression militaire par les Etats Unis et Israël. Hasard ou pas, le ‘printemps arabe’ tel qu’il s’est développé en Syrie a placé entre leurs mains un levier qui peut leur permettre d’atteindre leur objectif.

20 Il n’est pas forcément certain qu’un gouvernement dominé par les Frères musulmans en Egypte ou en Syrie serait hostile aux intérêts des Etas Unis. Voulant être perçu comme un membre respectable de la communauté internationale et un autre exemple d’Islam ‘modéré’, il est envisageable et certainement possible qu’u  gouvernement égyptien dominé par la confrérie accepterait de respecter le traité de paix avec Israël aussi longtemps qu’elle le pourrait (c’est-à-dire jusqu’une nouvelle attaque israélienne à grande échelle contre Gaza ou le Liban le rende absolument intenable).

21 Un gouvernement syrien dominé par les Frères Musulmans serait proche de l’Arabie Saoudite et hostile à l’Iran, au Hezbollah et aux Chiites Irakiens, particulièrement ceux qui sont liés à Moqtada al Sadr. Il soutiendrait verbalement la cause palestinienne et la libération du plateau du Golan, mais en pratique sa politique ne diffèrerait guère du régime qu’ils cherchent à renverser.

 22. Le peuple syrien a le doit d’exiger la démocratie et de l’obtenir, mais de cette manière et à ce prix? [et même à ce prix, il ne l’obtiendra pas, note de Djazaïri]. Même maintenant, un arrêt des tueries et la négociation sur une réforme politique sont certainement la vois à suivre, pas la violence qui risque d e déchirer le pays. Malheureusement, c’est la violence et non un règlement négocié qui a la préférence de beaucoup trop de personnes en Syrie et ce que trop de gouvernements étrangers, qui observent et attendent, veulent aussi. Aucune Syrien n’y gagnera en fin de compte, quoiqu’ils en pensent pour le moment. Leur pays est entraîné vers une guerre civile, peut-être une intervention étrangère et certainement le chaos ou une poursuite à plus grande échelle de ce que nous voyons en ce moment. Il n’y aura pas de rétablissement rapide si l’Etat s’effondre ou peut être abattu. Comme l’Irak, et probablement comme en Libye, si on considère la situation actuelle, la Syrie entrerait dans une période d’agitation sanglante qui pourrait durer des années. Comme l’Irak encore, elle serait exclue du jeu des Etats capables de se mobiliser pour les intérêts arabes, ce qui signifie bien sûr, tenir tête à Israël et aux Etats Unis.

23. En fin de compte, les intérêts de qui en sortiraient-ils gagnants?

Jeremy Salt est professeur associé d’histoire politique du Moyen orient à l’université Bikent d’Ankara. Il a enseigné auparavant à l’université du Bosphore d’Istanbul et à l’université de Melbourne dans les facultés d’étude du Moyen Oriens et de science politique. Le professeur Salt a écrit de nombreux articles sur les problèmes du Moyen orient et a été journaliste pour le quotidien australien The Aga lorsqu’il résidait à Melbourne.


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