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Les images de Syrie supposées montrer le résultat des bombardements par l’armée syrienne montrent en réalité les destructions commises par l’opposition

16 février 2012

Nous avons déjà croisé Sharmine Narwani sur ce blog. C’était à l’occasion d’un papier où elle s’intéressait au discours politico-médiatique sur la Syrie.

Le texte que je vous propose est une analyse serrée d’images présentées sur la chaîne de télévision américaine CNN et supposées apporter la preuve de la réalité des bombardements de zones urbaines par l’artillerie lourde syrienne. Les images montrent en effet des immeubles détruits ou endommagés ainsi que des cratères d’impact dans des rues où il n’y a plus aucune circulation automobile.

Le problème, ainsi que le démontre Sharmine Narwani qui nous donne tous les éléments pour contrôler son raisonnement, c’est que les zones dévastées ne sont pas celles tenues par les forces d’opposition mais au contraire les quartiers réputés fidèles au gouvernement.

 

Tromperie high-tech à Homs?

par Sharmine Narwani , Alakhabr (Liban) 14 février 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ce qui avait sûrement été conçu pour présenter de manière élaborée des documents visuels adaptés aux media afin d’illustrer la violence du régime syrien à Homs a au contraire soulevé plus de questions qu’apporté de réponses.

[Sharmine Narwani évoque les photos satellite postées par l’ambassadeur US en Syrie Robert Ford et pat le Département d’Etat ; je vous ai présenté ce dossier ici]

Les affirmations discutables de l’ambassadeur US ne se limitent cependant pas aux images satellite. Dans son post sur Facebook, Ford note avec insistance ; « Il n’y a aucune preuve que l’opposition – même ces membres de l’opposition qui ont fait défection de l’armée – dispose ou s’est servi  de telles armes lourdes ».  Il entend par là «l’artillerie» utilisée pour « pilonner de loin des immeubles d’habitation et des maisons. »

Mais alors pourquoi  y-a-t-il des preuves photographiques de destructions dans des secteurs alaouites favorable au régime?

Passons tout de suite au journaliste vedette de CNN, Jonathan King, qui a présenté des images satellite de Homs le 9 février, la veille de la diffusion par le Département d’Etat de ses propres images sur le web. Les images de Homs présentées par King sont datées du 5 février, deux jours après le début de la flambée de violence dans cette ville, qui se concentre fortement sur le quartier de Baba Amr où les combattants de l’opposition sont censés être présents :

La présentation par King des «bombardements, des incendies et des dégâts» à Homs montre des destructions du bâti cohérentes avec l’usage d’armes lourdes : « C’est comme une ville fantôme – pas une seule voiture, il y a des dégâts sur les routes et énormément de dégâts sur les toits des immeubles.»

Zoomant sur trois différentes parties du même quartier d’Homs pour montrer des images d’avant et après les destructions, King a expliqué : « Bous ne sommes bien sûr pas sur place, mais ces images satellite très précises tendent à étayer les récits des militants selon lesquels il y a beaucoup de bombardements et des combats en cours dans la ville, ainsi que de nombreux incendies.» 

Il n’y a qu’un problème avec ce qu’il dit. La plupart des supposés combats, bombardements, destructions et tueries rapportés largement par la presse internationale se sont déroulés dans le quartier de Baba Amr à Homs, qui se trouve au sud-ouest de la ville et est un bastion de l’opposition au régime.

Mais les trois images satellite montrées par King ont été prises dans le quartier al-Zahra, une zone favorable au régime peuplée principalement d’Alaouites qui appartiennent à la même secte musulmane minoritaire que le président Syrien Bachar al-Assad.

Voilà une révélation stupéfiante. Des civils pro régime à Homs et dans d’autres coins de la Syrie se plaignent depuis des mois maintenant d’agressions, d’enlèvements et d’assassinats perpétrés par des groups armés d’opposition, sans recevoir beaucoup d’attention de la part des media étrangers.

Et elle remet complètement en cause l’affirmation de Ford selon laquelle : «Il n’y a aucune preuve que l’opposition…dispose ou s’est servi  de telles armes lourdes»

Voyons certaines captures d’écran de la présentation par CNN et comparons là à des images de Google Maps.  La première capture est celle où King désigne les trois zones en  surbrillance verte concernées par les destructions à Homs :

Les images satellite de CNN ont été présentées à l’écran avec un basculement de 90° dans le sens des aiguilles d’une montre ; dans la capture qui suit, nous avons orienté leurs images  pour que le nord se trouve en haut pour faciliter la comparaison avec nos images qui sont au format habituel nord sud. Ce qui simplifiera les choses pour les lecteurs qui se sentiront obligés de faire leur propre recherche internet sur le secteur considéré.

Quand on zoome sur un secteur en surbrillance où ont eu lieu des destructions, vous pouvez constater que les deux photos – celle de CNN et la nôtre – correspondent exactement. Au nord d’une route qui passe à l’horizontale se trouve un périmètre avec un grand arbre à sa limite gauche. Au sud de cette même route, des constructions sont positionnées à un angle diagonal distinct. Cette zone se trouve dans le quartier al-Zahra d’Homs. 

La capture d’écran qui suit est un zoom qui vous permet de voir l’emplacement des trois secteurs touchés par des destructions qui ont été présentés par CNN  – tous trois se trouvent clairement à l’intérieur du quartier d’al-Zahra qui est délimité par un cercle rouge.  En bas à gauche de l’image, se trouve un lieu circulaire que nous avons inclus afin d’aider les lecteurs à repérer l’emplacement d’al-Zahra au milieu des autres quartiers de Homs. C’est là qu’est située la citadelle de Homs. 

La dernière capture d’écran représente Homs dans son ensemble, ce qui permet de coir la distance entre Bab Amr (cercle bleu) à gauche de l’image, et al-Zahra à droite. La citadelle de la capture précédente se trouve entre les deux quartiers.

Une image ne vaut plus mieux qu’un long discours

Des photos et des vidéos montrant des scènes de violence n’ont cessé de nous parvenir d’Homs depuis les premières informations sur les violents combats à partir du 3 février. Il est difficile d’en tirer des conclusions parce que nous n’avons pas assez d’informations dans les images ou les vidéos pour confirmer l’origine des tirs ou des bombardements. Les images satellite postées par le Département d’Etat le 6 février – d’après le blog Moon of Alabama – ne montrent en réalité pas l’armée syrienne engagée dans une bataille ainsi que le donne à comprendre l’ambassadeur Ford quand il soutient que :

“Des photos satellite ont saisi à la fois le carnage et ceux qui l’ont provoqué – l’artillerie est clairement sur place, il est évident qu’elle bombarde des quartiers entiers.”

Mais sa déclaration sur l’incapacité de l’opposition à frapper à distance faute d’armement adéquat est maintenant sujette à caution compte tenu des images de CNN où on voit des bâtiments endommagés et des « cratères d’impact » sur la route – pourtant, même cela n’est pas concluant de manière définitive.

Si vous ne faites plus confiance à une photo, que dire d’allégations du genre de celles énoncées par Ford? Une des quelques vidéos que je trouve crédibles – parce qu’on y voit la mort  non contestée d’une personne «connue» – est la séquence concernant Gilles Jacquier, le cameraman de France 2 tué alors qu’il participait à une visite à Homs sous les auspices du gouvernement. Jacquier a été tué dans le quartier favorable au régime d’Akrama, qui abrite essentiellement un mélange d’Alaouites et de Chrétiens venus à l’origine de zones rurales. Le journaliste pro-opposition Omar Idlibi avait une fois surnommé ce quartier «le château du régime.»

Tandis que des informations contradictoires circulaient sur l’origine du projectile qui a étué jacquier et huit autres personnes ce jour là, les observateurs de la Ligue Arabe sur le terrain en Syrie ont enquêté et conclu ainsi : « les informations de la mission à Homs indiquent que le journaliste Fraçais a été tué par des obus de mortier de l’opposition. »

La Syrie a détruit en moi toute confiance en des images auxquelles j’accordais foi auparavant. Les deux parties au conflit manipulent les documents visuels pour faire de la propagande en fonction de leurs objectifs politiques. Le problème posé est que de nombreux récits authentiques sont maintenant déconsidérés du fait du scepticisme de lecteurs comme moi-même.

Les gouvernements et les media mis devant leurs responsabilités pour leur complicité dans la dissémination de fausses informations. Des vies humaines sont en jeu, après tout – ces mêmes vies qui sont la cause de leur lamentable «indignation».

Méthodes et fonctions de la propagande en Syrie

20 décembre 2011

Cet article de Sharmine Narwani est avant tout un compte rendu de lecture d’un texte publié par Stratfor, un institut privé d’analyse stratégique basé au Texas.

Stratfor d’est intéressé au discours sur la Syrie et aux récits colportés par les uns [le gouvernement] et surtout les autres [l’opposition] et à ses implications sur la crédibilité des acteurs Syriens de la crise.

Je n’ai pas de commentaire particulier à faire, le texte est d’une grande clarté.

 

Stratfor remet en cause le discours sur la Syrie

par Sharmine Narwani, The Huffington Post (USA) 19 décembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Depuis l’éclatement des premières manifestations de rue en Syrie en mars dernier, les discours sur la crise syrienne sont restés assez fidèles au thème propose pour toutes les révoltes arabes. Un dirigeant autoritaire qui écrase une opposition pacifique à son régime et ouvre le feu sur des civils avec un nombre de contestataires qui explose et une montée du nombre des tués…

Mais nous entrons maintenant dans le dixième mois de cette révolte particulièrement violente – même la Libye avec sa guerre civile à outrance, les choses n’ont pas été si longues. Alors qu’est-ce qui se passe ?

Selon l’organisme texan d’analyse du risque géostratégique Stratfor, qui a publié la semaine dernière un article à rebrousse-poil sur les efforts propagandistes de l’opposition syrienne, « la plupart des accusations les plus graves faites par l’opposition se sont avérées être grandement exagérées ou tout simplement fausses, nous en apprenant ainsi plus sur la faiblesse de l’opposition que sur le niveau d’instabilité à l’intérieur du régime syrien.»

C’est important pour deux raisons. Premièrement, c’est peut-être la première fois qu’une firme américaine de recueil d’informations ayant pignon sur rue met en cause ouvertement le discours en vigueur sur la Syrie. Deuxièmement, les conclusions de Stratfor soulèvent la question : sur quoi basons-nous nos initiatives politiques si nos hypothèses sous jacentes sont faussées ?

Quel est  réellement le niveau d’instabilité en Syrie? Quelle est l’ampleur de l’opposition au régime de Bachar al-Assad ? Le bilan des victimes nous  cloue sur place de dégoût – aujourd’hui, le plus fort taux de décès par jour – mais quelle est la valeur de ces chiffres ? Qui sont ces victimes et peut-on vérifier ? Les militants locaux sont-ils capables de distinguer entre un civil pro-régime tué et un civil anti-régime mort  – surtout maintenant que les deux camps sont armés et tirent ?

Je ne suis pas en mesure de discuter ces chiffres et ces aspects, alors je ne le ferai pas. Mais je poserai la question : d’où viennent les « faits » rapportés ?

Un biais inhérent aux données syriennes?

Le problème avec les données qui proviennent des organisations d’opposition est que ces dernières ont un intérêt évident à diffuser des informations dont elles tirent un « bénéfice » et à minimiser les statistiques qui leur sont « dommageables.» Et ce même principe vaut aussi pour le gouvernement – et c’est pourquoi nous accueillons avec prudence les annonces du régime syrien.

On ne voit pas l’opposition syrienne informer activement sur les simples soldats tués par exemple – sauf à dire que ce sont des militaires tués pour avoir déserté. Twitter grouille e ce moment de messages selon lesquelles plus de 70 de la grosse centaine de tués sont des «déserteurs».

On n’entend pas non plus parler du nombre de civils favorables au régime tués par l’opposition armée – dont certains auraient été tués alors qu’ils «manifestaient» pour soutenir le régime syrien.

Maintenant, ça ne veut pas dire que l’opposition syrienne ment purement et simplement pour s’adjuger la sympathie et le soutien de l’étranger – surtout parce que « l’opposition » n’est pas homogène et vient de différents horizons, par leur importance et leurs orientations.

Mais Stratfor s’interroge clairement sur les vises de certaines de ces organisations et le fait sur la base de preuves très récentes sur des campagnes de désinformation :

L’article de Stratfor s’intéresse principalement aux efforts de l’opposition pour créer l’impression ces dernières semaines qu’il existe une fracture significative dans le propre clan du président Assad et dans sa secte alaouite minoritaire dont des membres occupent les plus hautes fonctions dans les forces armées du pays et au gouvernement.

Parmi ces gaffes de toute première importance, une information du 10 décembre qui laissait entendre que le “vice ministre syrien de la défense et ancien chef du renseignement militaire Asef Shawkat avait été tué avec son adjoint et ancien chef de la direction générale de la sécurité, le général Ali Mamlouk.”

Stratfor postule que “l’image [sans fondement réel] de deux sunnites haut placés dans le régime tournant leurs armes l’un contre l’autre » contribue à créer « une histoire convaincante » pour des organisations qui veulent « entamer l’image d’un cercle rapproché d’Assad uni dans la volonté de réprimer l’opposition et de sauver le régime. »

Autre exemple avec une déclaration du 9 décembre publiée dans le journal à capitaux saoudiens Asharq al Awsat par une « ligue Alaouite des Comités de Coordination » auparavant inconnue qui prétend représenter la communauté alaouite en Syrie, « rejetait toute tentative de tenir la secte alaouite pour responsable de la ‘barbarie’ du régime Assad. Stratfor explique que cette histoire fabriquée donne « l’impression que la communauté alaouite se fissure et que le régime Assad fait face à une sérieuse perte de soutien à l’intérieur de sa propre secte minoritaire. »

Les analystes bases aux USA citent alors leurs propre source interne à l’opposition syrienne qui “admet que cette organisation était en fait une invention de l’opposition Sunnite en Syrie.”

Le même jour, d’autres organisations d’opposition connues, dont le Conseil national Syrien (CNS), l’Armée Syrienne libre (ASL) et l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme établi à Londres, commençaient à diffuser « des affirmations selon lesquelles les forces du régime assiégeaient Homs et avaient donné un ultimatum de 72 heures aux déserteurs Syriens pour qu’ils se rendent avec leurs armes sous peine de risquer d’être massacrés.»

Cette information a fait la une dans le monde entier – après tout, Homs avait été le centre de la colère et de la dissidence contre le régime, avec un nombre de tués bien supérieur à celui d’autres points chauds. L’enquête de Stratfor n’a cependant trouvé « aucun signe [annonciateur] de massacre, » et nous avertit que «les forces de l’opposition ont un intérêt à brosser le tableau d’un massacre imminent, dans l’espoir de reproduire les circonstances qui ont entraîné une intervention militaire en Libye.»

L’article poursuit en laissant entendre que les massacres dont on parle sont peu probables parce que « le régime a calibré sa répression pour éviter un tel scénario. Les forces gouvernementales, » soutient Stratfor, « ont pris soin d’éviter les chiffres élevés de tués qui pourraient conduire à une intervention sur la base de principes humanitaires. »

Et ainsi de suite

Les récits mensongers brouillent les pistes

Stratfor identifie quelques objectifs évidents qui orientent la propagande des organisations syriennes d’opposition

– Convaincre les Syriens à l’intérieur du pays (en allant au delà de la majorité Sunnite pour toucher les minorités qui pour l’instant soutiennent largement le régime) que le régime se lézarde et qu’il n’y a donc plus d’intérêt à le soutenir.

– Convaincre les acteurs externes, comme la Turquie, la France et les Etats Unis, que le régime est en train de se fracturer et s’apprête à commettre des massacres pour écraser l’agitation, dans le droit fil de ce que le régime avait fait en 1982 à Hama.

– Convaincre les Syriens comme les acteurs extérieurs que l’effondrement du régime Assad ne débouchera pas sur le niveau d’instabilité qui a sévi en Irak pendant près d’une dizaine d’années, ni sur la montée des islamistes comme cela semble être le cas en Libye. A cette fin, l’ASL a mis l’accent sur ses actions défensives et de protection des civils pour éviter d’être qualifiée de militants [terroristes]. Entre temps, l’opposition civile a souligné couloir conserver les structures étatiques intactes, de sorte à éviter le scénario irakien ou d’avoir à reconstruire l’Etat à partir de zéro en pleine guerre sectaire.

Stratfor relève que les organisations d’opposition ont réussi à faire passer leurs messages dans les media grand public occidentaux, et que ces organes d’informations « citent [régulièrement] des dénombrements de victimes fournis par l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, sans être en mesure de vérifier l’information. ». Mais l’article observe aussi que « le manque de coordination entre les divers organes d’informations de l’opposition et le manque de fiabilité des informations fragilise la crédibilité de l’opposition dans son ensemble.»

La Syrie a signé aujourd’hui un protocole avec la Ligue Arabe qui ouvrira la voie à une mission d’enquête sur le terrain. Si cet important processus n’est pas détourné par des forces politiques régionales – un scénario improbable même avec les meilleures intentions – nous devrions commencer à avoir des informations vérifiables sur ce qui se passe dans le pays.

En l’absence de faits, l’histoire syrienne n’a aucune chance de surmonter l’animosité et la rancœur ressentis dans les deux camps. Des histoires fausses, même sincères, ne feront qu’entretenir le conflit. Bravo à Stratfor pour avoir mis en relief l’importance de la transparence de l’information.


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