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L’illégitimité et l’illégalité de l’entité sioniste

10 mai 2023

Il n’est pas inutile de rappeler, au moment où une Ursula von der Crazy félicite l’entité sioniste pour le 75ème anniversaire de sa création dans des termes qui rappellent l’époque des colonies, que l’existence de l’entité sioniste, alias l’État juif, alias la seule démocratie du Proche Orient, n’a aucune base légale si ce n’est celle du droit du plus fort.

Or ce droit du plus fort est antinomique avec le droit tel qu’ils se pratique et qui récuse l’usage de la force quand elle n’est pas exercée dans le cadre de la légitime défense.

Et la légitime défense dans le cas qui nous intéresse ici est l’apanage du peuple palestinien spolié de ses droits.

Israël est illégitime

Par Alan Hart, Counter Currents .org  5 avril 2010  traduit de l’Anglais par Djazaïri

Pour les lecteurs qui ne connaissent peut-être pas bien ce mot, un oxymore est une figure de style par laquelle des termes contradictoires sont combinés pour former une phrase expressive ou une épithète telle que cruelle gentillesse et faussement vrai. (Il est dérivé du mot grec oxymoros signifiant ostensiblement insensé).

Pour ma contribution à la série Comment délégitimez-vous Israel, je vais me limiter à une question et une réponse.

La question est : comment pouvez-vous délégitimer quelque chose (dans ce cas l’État sioniste) alors qu’elle n’est PAS légitime ?

Alan Hart, jeune correspondant de guerre

Si on met de côté le conte de fées de la promesse divine (qui, même si elle était vraie, n’aurait aucune incidence sur la question parce que les Juifs qui «sont revenus» en réponse à l’appel du sionisme n’avaient aucun lien biologique avec les anciens Hébreux), l’affirmation de la légitimité de l’État sioniste repose sur la déclaration Balfour de 1917 et la résolution du plan de partage de l’Assemblée générale des Nations Unies de 1947.

La seule véritable pertinence de la Déclaration Balfour réside dans le fait qu’elle était l’expression à la fois de la volonté d’un gouvernement britannique d’utiliser les Juifs à des fins impériales et de la volonté des Juifs sionistes d’être utilisés. La vérité est que la Grande-Bretagne n’avait aucun droit de promettre au sionisme une place en Palestine, territoire que les Britanniques ne possédaient pas. (La Palestine à l’époque était contrôlée et effectivement partie de l’empire Ottoman). La déclaration Balfour a permis au sionisme de dire que sa revendication sur la Palestine avait été reconnue par une grande puissance, puis d’affirmer que l’entreprise sioniste était ainsi légitime. Mais la légitimité britannique invoquée par implication était entièrement fallacieuse c’est-à-dire sans substance, mensongère, une imposture.

L’affirmation du sionisme selon laquelle Israël a reçu son acte de naissance et donc sa légitimité par la résolution de partition de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 1947 est un pur non-sens propagandiste, comme le démontre un examen honnête des archives de ce qui s’est réellement passé.

En premier lieu, sans le consentement de la majorité du peuple palestinien, l’ONU n’avait pas le droit de décider de partager la Palestine ou d’attribuer une partie de son territoire à une minorité d’immigrants étrangers afin qu’ils puissent établir un État à eux..

Malgré cela, par la plus étroite des marges, et seulement après un vote truqué, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution pour diviser la Palestine et créer deux États, un arabe et un juif, Jérusalem ne faisant partie d’aucun des deux. Mais la résolution de l’Assemblée générale n’était qu’une proposition non contraignante – ce qui signifie qu’elle ne pouvait avoir d’effet, ne pouvait devenir contraignante tant qu’elle n’était pas approuvée par le Conseil de sécurité.

La vérité est que la proposition de partition de l’Assemblée générale n’a jamais été soumise au Conseil de sécurité pour examen. Pour quelle raison? Parce que les États-Unis savaient que, si était approuvée, et à cause de l’opposition arabe et musulmane, elle ne pourrait être mis en œuvre que par la force ; et le président Truman n’était pas disposé à utiliser la force pour partager la Palestine.

Ainsi, le plan de partition était vicié (devenu invalide) et la question de savoir quoi diable faire de la Palestine – après le gâchis laissé par la Grande-Bretagne à son départ – avait été renvoyé à l’Assemblée générale pour de nouvelles discussions. L’option privilégiée et proposée par les États-Unis était la tutelle temporaire de l’ONU. C’est alors que l’Assemblée générale débattait de ce qui pouvait être fait qu’Israël a proclamé unilatéralement son existence – en fait, au mépris de la volonté de la communauté internationale organisée, y compris l’administration Truman.

La vérité à l’époque était qu’Israël, qui a vu le jour principalement à la suite du terrorisme sioniste et d’un nettoyage ethnique pré-planifié, n’avait pas le droit d’exister et, plus précisément, ne pouvait avoir le droit d’exister que si ….. Sauf si elle avait été reconnue et légitimée par ceux qui ont été dépossédés de leur terre et de leurs droits lors de la création de l’État sioniste. Selon le droit international, seuls les Palestiniens pouvaient donner à Israël la légitimité dont il avait besoin.

Comme me l’a dit il y a de nombreuses années Khalad al-Hassan, le géant intellectuel du Fatah, cette légitimité était « la seule chose que les sionistes ne pouvaient pas nous prendre par la force ».

La vérité de l’histoire telle que résumée brièvement ci-dessus est l’explication de la raison pour laquelle, en réalité, le sionisme a toujours insisté sur le fait que sa condition préalable absolue pour des négociations ayant une chance infinitésimale d’aboutir à un résultat positif (une mesure acceptable de justice pour les Palestiniens et la paix pour tous) est la reconnaissance du droit d’Israël à exister. Un droit, il le sait, qu’il n’a pas et qu’il n’aura jamais à moins que les Palestiniens ne le lui accordent.

It can be said without fear of contradiction (except by Zionists) that what de-legitimizes Israel is the truth of history. And that is why Zionism has worked so hard, today with less success than in the past and therefore with increasing desperation, to have the truth suppressed.

On peut dire sans crainte d’être contredit (sauf par les sionistes) que ce qui délégitime Israël, c’est la vérité historique. Et c’est pourquoi le sionisme a fait tant d’efforts, avec moins de succès aujourd’hui que par le passé et donc avec un désespoir croissant, pour étouffer la vérité.

Alan Hart, décédé en 2018, était un ancien correspondant à l’étranger d’ITN et de BBC Panorama. Il est l’auteur de « Sionisme: le véritable ennemi des Juifs »

L’alliance inavouable entre le sionisme et l’antisémitisme

15 mars 2023

Tony Greenstein est un ancien militant de l’aile gauche du Parti Travailliste de Grande Bretagne dont il a été exclu en 2018 notamment pour antisémitisme.

Greenstein a pourtant été éduqué dans une famille juive orthodoxe; son père était même rabbin!

Parmi les engagements de Tony Greenstein, celui pour la cause palestinienne en faveur de laquelle il fut un des fondateurs de Palestine Solidarity Campaign.

Dans ce texte qui n’est qu’un fragment de ses écrits sur le sionisme, il met bien en évidence la relation entre l’antisémitisme et le sionisme qui n’est pas celle à laquelle croient de nombreux observateurs du conflit entre le peuple palestinien et le régime sioniste. Il apporte aussi un éclairage utile sur la relation entre sionisme et socialisme.

Tony Greenstein

J’avais déjà proposé des articles sur cette thématique en présentant deux textes de Klaus Polkehn, des extraits d’un texte de Lenni Brenner et un texte de Charlie Pottins.

L’Alliance inavouable

Par Tony Greenstein

The Weekly Worker , n° 630, 22 juin 2006. traduit de l’anglais par Djazaïri

Quel est le lien entre sionisme et antisémitisme ? Tony Greenstein explique qu’il existe un lien plus étroit que de nombreux sionistes modernes ne voudraient l’admettre

Si vous êtes antisioniste et partisan de la lutte palestinienne, vous serez inévitablement accusé d’« antisémitisme ». Si vous êtes juif, vous serez probablement accusé d’avoir « la haine de soi » – l’étiquette que les nazis attachaient aux Allemands antifascistes.

L’accusation « d’antisémitisme » s’est tellement répandue les sionistes se la lancent régulièrement les uns contre les autres. Même Yitzhak Rabin, le Premier ministre israélien assassiné, a été représenté sur des affiches par des opposants aux accords d’Oslo de 1993 vêtu d’un uniforme SS. [1] C’est devenu si ridicule que lorsque le conseil d’administration de Marks and Spencer a rejeté une offre publique d’achat de Philip Green, ce dernier a accusé le président de M&S, Paul Myners, d’antisémitisme ! [2]

Au cours des trente dernières années, a eu lieu un processus de redéfinition de l’antisémitisme. Il ne s’agit plus de racisme ou de discrimination, mais plutôt d’hostilité à un mouvement politique. En 2004, le Congrès américain a adopté le Global Anti-Semitism Review Act, qui ordonne au Département d’État d’évaluer la façon dont les gouvernements du monde entier traitent les citoyens juifs. [3]

Il est étrange que l’antisémitisme, qui est aujourd’hui un préjugé marginal, justifie une telle inquiétude de la part de la classe dirigeante américaine, alors que le racisme contre les Arabes, les musulmans, les Noirs et les Hispaniques mérite à peine un froncement de sourcil. «L’antisémitisme » est devenu un outil idéologique puissant entre les mains de la classe dirigeante des États-Unis. C’est un « antisémitisme » auquel même les segments les plus antisémites de la société américaine – les évangélistes chrétiens blancs avec leurs passions du Christ – peuvent souscrire.

L’establishment américain a redéfini l’opposition à l’impérialisme américain et à son atout stratégique, l’État israélien, comme une forme de racisme. L’antisémitisme est devenu l’antiracisme respectable de la droite. Le sionisme a refermé  la boucle sur les Juifs. Dans cette alliance stratégique avec les États-Unis, les Juifs se voient à nouveau offrir une « protection » par la classe dirigeante, tout comme à l’époque féodale ils étaient protégés par la monarchie et la noblesse.

Le Juif éternel

De même que le capitalisme mercantile a donné naissance au capitalisme industriel, l’antisémitisme religieux a progressivement cédé la place à l’antisémitisme racial à partir du XVIIe siècle. [4] Alors que les antisémites chrétiens cherchaient à convertir les juifs, les antisémites raciaux soutenaient que tout était une question de race et non de religion. La question des juifs baptisés devait causer aux nazis toutes sortes de difficultés au moment où ils commençaient à mettre en œuvre la solution finale. [5]

A la place de l’éternel Juif, les sionistes posent l’éternel antisémite. Depuis 2 000 ans, selon le mythe sioniste, les Juifs ont erré sur la terre, victimes d’un antisémitisme implacable, ayant été expulsés de Palestine après la destruction du premier temple. En fait, la majorité de la communauté juive palestinienne s’était déjà dispersée dans les villes des empires grec et romain plus tard, des siècles avant la chute du deuxième temple, pour devenir un peuple largement commerçant. Lors de la chute du deuxième temple en 70 après JC, environ les trois quarts des Juifs palestiniens étaient déjà dispersés. [6]

Et quelle était l’explication sioniste de l’antisémitisme ? Qu’elle était inhérente au non-juif, un produit de l’antagonisme « naturel » du non-juif. Comme l’expliquait Léon Pinsker, fondateur des Amants ds Sion, « la judéophobie est donc une maladie mentale, et en tant que maladie mentale, elle est héréditaire et, héritée depuis 2 000 ans, elle est incurable ». [7]

Abram Leon notait à ce sujet : « Le sionisme transpose l’antisémitisme moderne à toute l’histoire ; il  s’épargne la peine d’étudier les diverses formes d’antisémitisme et leur évolution. [8]

Au cours de ce qu’Israel Shahak appelle la période classique – environ 800-1200 après JC en Europe occidentale – et plus tard en Europe orientale, les Juifs sont devenus une « classe populaire ». Ils exerçaient des fonctions socio-économiques spécifiques en tant qu’usuriers et prêteurs, collecteurs d’impôts, aubergistes, ainsi que certaines professions liées au commerce telles que les orfèvres et les marchands de diamants. Les Juifs étaient les agents de l’argent dans une société fondée sur les valeurs d’usage. Comme l’avait observé Marx, « Nous ne chercherons pas le secret du Juif dans sa religion, mais nous chercherons le secret de sa religion dans les Juifs. » [9] Sans ce rôle social et économique distinctif, le judaïsme se serait éteint.

La cause de l’antisémitisme à cette époque était « l’antagonisme envers le marchand dans toute société basée principalement sur la production de valeurs d’usage ». [10] Les Juifs « faisaient partie intégrante des classes privilégiées ». [11] Shahak note : « … dans toutes les pires persécutions anti-juives … l’élite dirigeante … était toujours du côté des Juifs … tous les massacres de Juifs pendant la période classique participaient d’une rébellion paysanne ou d’un autre mouvement populaire. ” [12]

Au fur et à mesure que le capitalisme se développait en Europe occidentale, les Juifs entraient de plus en plus en conflit avec la classe marchande locale en développement et étaient généralement expulsés – en Angleterre en 1290 – cherchant refuge en Europe orientale. C’est lorsque le capitalisme a commencé à se développer en Europe de l’Est et en Russie à la fin du XIXe siècle que les Juifs ont de nouveau fui ou ont été expulsés vers l’Europe de l’Ouest et les États-Unis. Quelque trois millions d’entre eux avaient  émigré vers les Etats Unis en 1914. C’est l’émigration des Ost Juden [Juifs orientaus, NdT] qui a recréé la question juive en Occident. Comme Abram  Leon l’a fait remarquer, « les masses juives se retrouvent coincées entre l’enclume du féodalisme en décomposition et le marteau du capitalisme en décomposition ». [13]

Sionisme et antisémitisme

Il n’est pas surprenant que les principaux partisans du sionisme politique, qui a commencé vers la fin du XIXe siècle, aient été en fait les antisémites. Et les plus bruyants et les plus acharnés des opposants au sionisme étaient, et restent, des Juifs. Lorsque Théodore Herzl voulut tenir le premier congrès sioniste à Munich en 1897, il fut contraint de le déplacer à Bâle en Suisse en raison de l’opposition de la communauté juive locale. [14]

Le sionisme est né en réaction à l’antisémitisme, notamment aux pogroms russes de 1881 à la suite de l’assassinat du tsar Alexandre II. Des centaines de personnes avaient été tuées en près de trois ans de pogroms. [15] Dans le port de la mer Noire d’Odessa, centre de l’illumination hébraïque (Haskallah), les pogroms ont sonné le glas du rêve des intellectuels juifs petits-bourgeois que les Juifs pourraient vivre sur un pied d’égalité avec les non-Juifs. Comme Moshe Lillienblum l’a écrit dans The way of return (1881), « Quand j’ai été convaincu que ce n’était pas un manque de haute culture qui était la cause de notre tragédie – parce que étrangers nous sommes et étrangers nous resterons même si nous atteignions le sommet de la culture… tous les anciens idéaux m’ont quitté. [16]

Pour les sionistes, comme Pinsker l’a noté plus haut, l’antisémitisme était une maladie incurable . Et s’il était incurable, il ne pouvait pas être combattu. De cette manière, le sionisme était différent de tous les autres courants politiques parmi les Juifs dans sa réaction à l’antisémitisme : il acceptait la principale prémisse des antisémites – à savoir. que la présence juive parmi les non-juifs n’était pas naturelle et qu’ils étaient des étrangers et des allogènes.

Isaac Deutscher a observé :

« Il ne faut pas oublier que la grande majorité des Juifs d’Europe de l’Est étaient, jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, opposés au sionisme… les ennemis les plus fanatiques du sionisme étaient précisément les ouvriers… ils étaient les opposants les plus déterminés au sionisme. l’idée d’une émigration de l’Europe de l’Est vers la Palestine … d’un exode des pays dans lesquels ils avaient leurs maisons et dans lesquels leurs ancêtres avaient vécu pendant des siècles, les antisionistes voyaient là une abdication de leurs droits, une reddition à l’antisémitisme. Pour eux, l’antisémitisme semblait triompher dans le sionisme, qui reconnaissait la légitimité et la validité du vieux cri : « Juifs, dégagez ! Les sionistes étaient d’accord pour partir. [17]

Herzl reconnaissait à la fois une identité d’intérêt et une idéologie commune entre le sionisme et l’antisémitisme. Lorsqu’il punlia  sa brochure L’État juif en 1895, l’accueil le plus chaleureux vint de la part des antisémites : « J’étais à l’imprimerie et j’ai parlé avec les gérants… tous deux sont vraisemblablement antisémites. Ils m’ont accueilli avec une franche cordialité. Ils ont aimé ma brochure. [18]

Le biographe de Herzl  Desmond Stewart notait avec perspicacité : « … déjà en 1896, les antisémites autrichiens trouvaient des munitions dans les arguments de Herzl, tout comme les partisans de Drumont… » [19] Edouard Drumont était l’un des idéologues antisémites les plus importants du XIXe siècle. Il écrivit un livre influent, La France juive (1886) et édita un quotidien, La Libre Parole , et il fut l’un des leaders des anti-dreyfusards. Herzl était plein d’admiration pour Drumont : « Mais je dois à Drumont une grande partie de la liberté actuelle de mes concepts, car c’est un artiste. [20] Herzl a fait pression pour que Drumont chronique sa brochure dans La Libre Parole, ce qu’il fit le 15 janvier 1897, et il fut ravi du résultat. Drumont « loue les sionistes de la tendance de Herzl qui ne voient pas en nous des fanatiques… mais des citoyens qui exercent le droit à l’autodéfense ». [21]

De même, l’adjoint d’Herzl, Max Nordau, dans un entretien avec Raphaël Marchant, correspondant de La Libre Parole , observe que le sionisme « n’est pas une question de religion, mais exclusivement de race, et il n’y a personne avec qui je sois plus d’accord sur ce point que M. Drumont.» [22]

Là-dessus, il y avait un accord unanime parmi les essayistes sionistes. Le premier théoricien sioniste était Moses Hess, que Marx avait connu très tôt. Dans son pamphlet, Rome et Jérusalem , Hess écrit que « la lutte raciale est primaire et la classe secondaire » [23] , avant de poursuivre en expliquant :

« Les Allemands détestent la religion des Juifs moins qu’ils ne détestent leur race – ils détestent la foi particulière des Juifs moins que leur nez particulier … la réforme, la conversion, l’éducation et l’émancipation – rien de tout cela n’ouvre les portes de la société au Juif allemand, d’où son désir de nier sa propre origine raciale. [24]

Le sionisme et l’antisémitisme partageaient la même vision politique et le même territoire. Herzl s’est vite rendu compte que « les antisémites deviendront nos amis les plus fiables, les pays antisémites nos alliés ». [25] La pierre de touche à la fois pour le sionisme et les antisémites (et plus tard les nazis) était leur aversion pour la Révolution française, qui avait libéré les Juifs des ghettos et accordé l’égalité politique. Les sionistes, comme les rabbins orthodoxes, voyaient dans l’émancipation la cause de tous leurs maux. Le sionisme était l’équivalent séculier de l’orthodoxie juive.

Comme l’a observé l’historien sioniste Noah Lucas, « le sionisme était l’antagoniste avant tout de l’assimilation individuelle associée à l’émancipation ». [26] Le discours de Max Nordau au premier Congrès sioniste en 1897 tournait en dérision la Révolution française et l’émancipation comme un simple « mode de pensée géométrique du rationalisme français ». Les seuls doutes de Nordau concernant le sionisme étaient que les Juifs pourraient ne pas être «anthropologiquement aptes à devenir une nation». [27] De même, Nahman Syrkin, le premier sioniste « socialiste », avait soutenu que « l’émancipation des Juifs était, dès le début, le résultat d’une conformité logique aux implications d’un principe plutôt qu’un besoin réel ». [28]

On prétend souvent que Herzl est devenu sioniste à cause de l’affaire Dreyfus de 1894 – Alfred Dreyfus, un officier juif de l’armée française, avait été  accusé à tort d’espionnage, déchu de son grade et condamné à la réclusion à perpétuité sur l’île du Diable. L’affaire Dreyfus est devenue une cause célèbre et a prouvé que l’antisémitisme pouvait être combattu avec succès. C’est cette hostilité à l’antisémitisme qui devait aboutir à l’extermination de moins de 25 % des Juifs français dans l’holocauste. [29]

Desmond Stewart confirme qu’il est peu probable que le sionisme de Herzl résulte de l’affaire Dreyfus. [30] De même le rabbin Elmer Berger :

« Où dans le monde, un siècle auparavant, plus de la moitié d’une nation aurait-elle pris la défense d’un Juif ? Si Herzl avait eu une connaissance de l’histoire, il aurait vu dans l’affaire Dreyfus une preuve éclatante et réconfortante du succès de l’émancipation. [31]

Herzl lui-même a écrit :

« A Paris… j’ai acquis une attitude plus libre envers l’antisémitisme, que je commençais maintenant à comprendre historiquement et à pardonner. Avant tout, je reconnais la vaacuité et la futilité d’essayer de « combattre » l’antisémitisme. [32]

Antidote au socialisme

La stratégie de Herzl, qu’il ne devait pas voir aboutir de son vivant, consistait à faire appel aux hommes d’État et aux dirigeants européens pour nouer une alliance impériale avec le mouvement sioniste naissant. Au cours de ses voyages, il rencontra l’empereur allemand, les ministres tsaristes les comtes Witte et von Plehve, le sultan ottoman, Lord Cromer, Joseph Chamberlain, le roi Victor Emmanuel et même le pape ! Son message était toujours le même : en aidant le mouvement sioniste, vous aidez les opposants juifs au socialisme et à la révolution.

Léonard Stein note :

« Les événements de 1917 ont rendu naturel de se tourner vers le sionisme en tant que force stabilisatrice dans le monde juif, et de le valoriser pour sa puissance… pour fournir un antidote à la manie destructrice des Juifs en rébellion contre leur sort… » [33 ]

Au Kaiser allemand Herzl écrivit :

« Notre mouvement, déjà largement répandu, doit livrer partout une bataille acharnée avec les partis révolutionnaires qui sentent à juste titre en lui un adversaire. Nous avons besoin d’encouragement même si cela doit rester un secret soigneusement gardé. [34]

Et lorsqu’il a réitéré cet argument devant le grand-duc de Bade, ce dernier répondit, concernant la nécessité de maintenir les sociétés sionistes légales en Russie : « Pobedonostev devrait entendre cela. Tu devrais le lui dire. [35] Le grand-duc n’avait qu’un seul souci, selon Herzl :

« Il a pris mon projet de construction d’un État avec le plus grand sérieux. Sa principale crainte était que s’il soutenait la cause, les gens pourraient l’accuser d’antisémitisme. [36]

Lorsque Herzl rencontra le ministre allemand des Affaires étrangères von Bulow, « l’aspect antisocialiste du sionisme a été approfondi dans les moindres détails ». [37] Et quand il a enfin pu voir le Kaiser, il s’est empressé d’expliquer : « Nous éloignons les Juifs des partis révolutionnaires. [38]

Le point culminant de la recherche d’alliés antisémites par Herzl survint avec sa visite en août 1903 au ministre de l’Intérieur du Tsar, von Plehve, qui avait organisé les pogroms de Kichinev à peine quatre mois auparavant. Alors que Herzl expliquait le sionisme, Plehve l’interrompit : « Vous n’avez pas à justifier le mouvement devant moi. Vous prêchez à un converti ”. [39]

Cette réunion était cruciale pour les plans de Herzl. Parmi les mouvements politiques en Russie, seul le sionisme devait rester légal. Plehve rédigea une lettre promettant « une assistance morale et matérielle », une lettre qui est devenue « l’atout le plus précieux de Herzl ». [40] (Il est difficile de surestimer la haine avec laquelle les ministres tsaristes étaient tenus par les Juifs. Le nom de Plehve « avait une résonance maléfique comme l’aura plus tard  celui d’Adolf Eichmann ». [41] ) En raison de ce lobbying de Herzl « il n’y avait aucune interdiction des activités sionistes et une autorisation officielle a même été donnée pour la tenue de la deuxième conférence des sionistes russes à Minsk (septembre 1902) ». [42]

Le 17 février 1904, Plehve se rendit à Londres, où il fut interviewé par Lucien Wolfe pour The Times . Plehve admettra qu’il avait organisé les pogroms « parce que la jeunesse juive se livrait entièrement aux mouvements révolutionnaires ». Cependant, il « ne s’opposerait pas à l’encouragement des idées sionistes en Russie dans la mesure où elles étaient de nature à favoriser l’émigration » et « il pensait aussi que pour les non-émigrants, elles pourraient être utiles comme antidote aux doctrines socialistes ». [43]

Des années plus tard, Jabotinsky, chef des sionistes révisionnistes, devait tenir des pourparlers similaires avec le chef ukrainien Petlyura, dont les gangs fascistes assassinèrent quelque 100 000 Juifs entre 1918 et 1921. Comme l’admet Lacquer, « le principal coupable des pogroms était les forces nationalistes sous les ordres de Petlioura. [44]

On prétend souvent que le sionisme est un mouvement progressiste, voire socialiste. Pourtant, le phénomène du sionisme «socialiste» n’a eu lieu que parce que les travailleurs juifs d’Europe de l’Est avaient apporté leur soutien aux partis révolutionnaires et socialistes, puisqu’ils combattaient l’antisémitisme. Les dirigeants du Bund ont affirmé que le socialisme des sionistes de gauche était une imposture délibérée, qu’ils portaient un masque rouge pour cacher leurs véritables intentions et s’adapter à l’air du temps radical [socialiste ou communiste, NdT] . [45] À propos du sionisme « de gauche », Lucas note : « Le sionisme est entré en conflit direct avec les intérêts perçus du prolétariat juif. C’est dans ce contexte que les idées du sionisme socialiste ont été formulées. [46]

En pratique, chaque fois que les besoins du sionisme et du socialisme s’opposaient, c’était ce dernier qui cédait. Yitzhak Ben-Zvi, le deuxième président d’Israël, l’a dit succinctement en 1921 :

«Chaque fois que nous rencontrons une contradiction entre les principes nationaux et socialistes, la contradiction doit être résolue en abandonnant le principe socialiste en faveur de l’activité nationale. Nous n’accepterons pas la tentative contraire de résoudre la contradiction en se débarrassant de l’intérêt national au profit de l’idée socialiste. [47]

Réaction justifiable

C’était un lieu commun parmi les dirigeants sionistes que l’antisémitisme était une réaction compréhensible, sinon justifiée, à une présence juive étrangère. Jacob Klatzkin, un important intellectuel sioniste et rédacteur en chef de son journal officiel, Die Welt , et co-rédacteur en chef de l’ Encyclopaedia Judaica , a affirmé : « En un mot, nous sommes naturellement des étrangers. Nous sommes une nation étrangère au milieu de vous et nous voulons le rester. [48]

Klatzkin était inévitablement amené à justifier l’antisémitisme :

« La contribution de nos ennemis réside dans le maintien de la communauté juive en Europe de l’Est. Il faut apprécier le service national que la Pale of Settlement  [zone de résidence pour les Juifs] nous a rendus … nous devons être reconnaissants à nos oppresseurs de nous avoir fermé les portes de l’assimilation et avoir veillé à ce que notre peuple soit concentré et non dispersé. [49]

Ce thème de l’aspect bénéfique de l’antisémitisme, est une constante dans le sionisme, tout comme la haine de Klatzkin envers la diaspora (Galut) juive  :

« La Diaspora ne peut qu’entraîner la disgrâce de notre peuple et soutenir l’existence d’un peuple à l’âme et au corps défigurés, en un mot d’une horreur. Au pire, elle peut nous maintenir dans un état d’impureté nationale et engendrer une sorte de créature extravagante… Le résultat ne sera ni juif ni gentil [gentil = non juif]– en tout cas, pas un pur type national… » [50 ]

La logique était claire : « Au lieu d’établir des sociétés de défense contre les antisémites qui veulent restreindre nos droits, nous devrions établir des sociétés de défense contre nos amis qui veulent défendre nos droits. [51] Ce n’était pas non plus purement rhétorique. Lors d’une réunion contre l’antisémitisme, convoquée par l’organisme communautaire juif allemand Centralverein , « les perturbateurs sionistes et antisémites sont allés dans le même sens ». [52] Comme le demande Niewyk, « Est-ce que le point de vue des sionistes sur les vies juives déformées en dehors de la Palestine a renforcé le stéréotype antisémite des Juifs en tant que matérialistes, exploiteurs et traîtres ? » [53]

Un des successeurs ultérieurs de Herzl et premier président d’Israël, Chaim Weizmann, négocia la déclaration Balfour. En tant que ministre de l’Intérieur en 1905, Arthur J Balfour avait introduit la loi sur les étrangers pour empêcher les réfugiés juifs de fuir les pogroms en Angleterre. En 1902, Herzl avait témoigné devant la Commission royale sur l’immigration des étrangers, prônant des restrictions à l’immigration juive : « La comparution de Herzl devant la commission ne pouvait avoir que deux effets. Les antisémites pourraient dire que le docteur Herzl, un expert, a soutenu qu’un Juif ne pourrait jamais devenir Anglais. [54] Lorsque Lord Rothschild  demanda à Weizmann de ne pas soutenir ceux qui prônaient des restrictions à l’immigration juive, il répondit :

« Je serais une créature méchante si je ne disais que des choses qui pourraient conduire à une restriction de l’immigration. Mais je serais l’une de ces créatures méchantes à qui les Juifs anglais devraient ériger un monument par gratitude, parce que je les ai sauvés d’un afflux de Juifs d’Europe de l’Est et donc peut-être de l’antisémitisme. [55]

En plus d’être un antisémite, Balfour était aussi un ardent sioniste. Aujourd’hui encore, le quartier général sioniste londonien de Finchley s’appelle Balfour House. Le principal groupe anti-immigration du début du XXe siècle était dirigé par le député conservateur William Evans-Gordon. Dans son autobiographie, Weizmann écrit :

« Le projet de loi sur les étrangers en Angleterre et le mouvement qui s’est développé autour de lui étaient des phénomènes naturels qui auraient pu être prévus… Chaque fois que la quantité de Juifs dans un pays atteint un point de saturation, ce pays réagit contre eux… L’Angleterre avait atteint le point où elle pourrait ou accepterait d’absorber un certain nombre de Juifs et pas plus… La réaction contre cela ne peut être considérée comme de l’antisémitisme au sens ordinaire ou vulgaire de ce mot… Sir William Evans-Gordon n’avait aucun préjugé anti-juif particulier… il était sincèrement prêt à encourager toute implantation de Juifs presque partout dans l’empire britannique, mais il ne voyait pas pourquoi les ghettos de Londres ou de Leeds ou de Whitechapel devraient être transformés en une branche des ghettos de Varsovie et de Pinsk [ville de Biélorussie, NdT]. [56]

Peut-être que ce sentiment est le mieux résumé par le romancier israélien AB Yehoshua : « Même aujourd’hui, d’une manière perverse, un véritable antisémite doit être un sioniste. [57]

Dans le prochain article, nous verrons comment l’attitude sioniste traditionnelle envers l’antisémitisme n’a pas changé à l’époque de l’holocauste nazi. Au contraire, elle s’est renforcée, scellant le sort de centaines de milliers de Juifs dans le processus.

Notes:

1. B. Kimmerling, Politicide , Londres 2006, p. 123.

2. Chronique juive , 6 août 2004.

3. D. Rennie, The Daily Telegraph , 13 octobre 2004.

4. Voir R. Hilberg, The destruction of European Jewry , New York 1985, p. 19.

5. Voir, par exemple, G. Reitlinger, The final solution , Londres 1953, p. 388. Les fascistes catholiques slovaques, qui n’avaient aucun scrupule à déporter des juifs « à part entière », refusèrent que des juifs baptisés soient déportés. Il en a été de même dans toute l’Europe, y compris en Hongrie et en Roumanie.

6. Voir A. Ruppin, Les Juifs dans le monde moderne , Londres 1934, p. 22; cité dans A. Leon, The Jewish question – a Marxist interpretation , New York 1980, p. 68.

7. L. Pinsker, Autoemanzipation, ein Mahnruf an seine Stammesgenossen, von einem russischen Juden , Berlin 1882, p. 5.

8. A. Léon, op. cit. , p. 247.

9. Sur la question juive , Essais choisis par Karl Marx , New York 1926, p. 88.

10. A. Léon, op. cit. , p. 71.

11. I. Shahak, Histoire juive, religion juive , Londres 1994, p. 52.

12. Idem. , p. 66–67.

13. A. Léon, op. cit. , p. 226.

14. N. Weinstock, Le sionisme, un faux messie , 1969, p. 39.

15. D. Vital, Les origines du sionisme , Oxford 1980, pp.51-55.

16. Cité dans A. Hertzberg, The Zionist idea – a historical analysis and reader , New York 1981, pp.169-170.

17. I. Deutscher, La Révolution russe et la question juive , Le Juif non juif et autres essais , pp.66-67.

18. M. Lowenthall, Les journaux de T Herzl , New York 1962, p. 91.

19. D. Stewart, Theodor Herzl , New York 1974, p. 25.

20. Idem.

21. Idem. , p. 251 fn.

22. Idem. , p. 322.

23. M. Hess, Rome et Jérusalem , Avant-propos , New York 1958.

24. Idem. , p. 49. Voir aussi p. 71.

25. R. Patai ( éd. ), The complete diaries of Theodore Herzl , Vol.1, Londres 1960 : entrée du 11 juin 1895.

26. N. Lucas, L’histoire moderne d’Israël , New York 1975, p. 18.

27. Journaux complets , pp. 275–76.

28. N. Syrkin, Le problème juif et l’Etat socialiste-juif ; cité dans A. Hertzberg op. cit. , p. 337.

29. Reitlinger estime que 60 à 65 000 Juifs français sont morts dans les camps d’extermination, Hilberg avance le chiffre à 75 000 sur quelque 300 000.

30. D. Stewart, Theodore Herzl – artiste et homme politique , Londres 1974, p. 164.

31. Idem. , p. 167.

32. Idem. , p. 6.

33. L. Stein, La déclaration Balfour , Londres 1961, p. 162.

34. R. Patai ( éd. ), op. cit. , p. 596.

35. Idem. , p. 657.

36. M. Lowenthall, op. cit. , p. 118.

37. Idem. , p. 666.

38. Idem. , p. 729.

39. R. Patai ( éd. ), op. cit. , p. 1 525.

40. M. Menhuin, La décadence du judaïsme à notre époque , New York 1969, p. 46.

41. D. Stewart, op. cit. , p. 316.

42. C. Weizmann, Lettres et papiers , vol. 2, Oxford 1971, p. 284.

43. Idem. , vol. 3, p. 216 fn.

44. W. Lacqueur, Une histoire du sionisme , New York 1975, p. 441.

45. B. Ehud, Zionismus oder Sozialismus , Varsovie l899, p. 30; et L. Monst Origins of the Russian-Jewish , Melbourne 1947, p. 136 ; cité dans W. Lacqueur, op. cit. , p. 273.

46. ​​N. Lucas, op. cit. , p. 35.

47. Achduth , n° 16, Tel-Aviv 1921 ; cité dans Machover et Offenburg, Le sionisme et ses épouvantails , pp. 49-50.

48. J. Klatzkin, Krisis und Entscheidung in Judentum , Berlin 1921, p. 118 ; cité dans K. Hermann, Sionisme et racisme , Guildford 1976, p. 204.

49. Idem. , p. 205.

50. Idem. , p. 322–23.

51. J. Klatzkin dans B. Matovu, La volonté sioniste et l’acte nazi ; cité dans U. Davies, Sionisme – utopie incorporée , p. 17.

52. DL Niewyk, Les Juifs de Weimar en Allemagne , Louisiane, p. 139, note de bas de page 68 ; citant Israelitisches Familienblatt , 3 juin 1920.

53. Idem.

54. W. Lacqueur, op. cit. , p. 119.

55. R. Patai ( éd. ), op. cit. , p. 1, 292–93.

56. C. Weizmann, Trial and error , New York 1966, pp. 90–91.

57. Chronique juive , 22 janvier 1982.

Le sionisme et l’apartheid

31 décembre 2022

Comme moi, vous avez lu ou entendu les réactions suite au retour de Benjamin Netanyahou aux manettes du gang sioniste flanqué de complices au racisme décomplexé. Et vous avez eu l’impression que ce qui se tramait dans l’entité sioniste, c’était un changement radical.

L’ambassadrice sioniste Yael German en compagnie de Ted Deutchn président de l’American Jewish Committee

Les responsables politiques des grandes puissances ne s’y sont eux pas trompés en ne voyant pas de rupture par rapport à l’histoire de l’entité sioniste et ils ont félicité Netanyahou, annonçant qu’ils travailleraient avec lui comme ils l’ont fait avec les autres.

Les réactions les plus négatives viennent des Juifs libéraux ou, sionistes modérés (si tant est que ce soit possible). Par exemple de Yael German, l’ambassadrice sioniste à Paris qui a annoncé sa démission car la politique annoncée par Netanyahou est « contraire à sa conscience ». Ces sionistes « modérés » ont le sentiment que leur idéal sioniste est en train de disparaître pour laisser place à un régime franchement raciste et aux tendances fascistes.

Or, comme l’explique Lawrence Davidson dans l’article que je vous propose, cette évolution correspond à la nature fondamentale du projet sioniste, nature dont l’expression publique se faisait avec retenue pour éviter d’effaroucher les opinions publiques de par le monde.

Ce temps du refoulement est manifestement révolu.

Thomas Friedman et le mythe de l’Israël libéral
Par Lawrence Davidson, Counter Punch (USA) 23 décembre 2022 traduit de l’anglais par Djazaïri

Israël est en train de constituer un gouvernement de droite agressif et raciste sous la direction de Benjamin Netanyahu, un homme sans principes. Ce n’est pas la première fois que les Israéliens élisent un gouvernement aussi répugnant. En effet, au moins trois fois dans sa courte histoire, l’électorat juif israélien a choisi des fanatiques idéologiquement engagés (dans ces cas, ayant en plus un passé terroriste) comme dirigeants : Yitzhak Shamir, Ariel Sharon et Menahem Begin. Ces choix de l’électorat n’étaient pas non plus des exceptions qui auraient été en quelque sorte contraires au caractère national d’Israël. Ils étaient tous, comme c’est également le cas aujourd’hui, les résultats logiques d’une opinion nationale – représenté par l’idéologie de l’État sioniste d’Israël – qui a toujours été fondamentalement raciste et qui, à de fréquentes occasions, se déchaîne en des sommets de haine devant la résistance légitime de ses victimes palestiniennes.

Lawrence Davidson

Cependant, les partisans d’Israël dans la diaspora ignorent souvent ces faits historiques. Qu’ils le fassent témoigne de la puissance du mythe généré par la propagande d’un Israël libéral et démocratique – l’Israël idéalisé que tant de gens connaissent dans leur cœur, qui pourrait et devrait être le véritable Israël. L’un de ceux qui semblent confondre l’idéal avec le réel est Thomas Friedman, chroniqueur au New York Times, qui écrit souvent sur Israël.

Dans une chronique récente intitulée The Israel We Knew is Gone, [l’Israël que nous connaissions n’est plus] Friedman écrit comme si le prochain gouvernement de Netanyahou avait un caractère unique : «une alliance tapageuse de dirigeants ultra-orthodoxes et de politiciens ultranationalistes, y compris certains extrémistes juifs anti-arabes carrément racistes autrefois considérés comme complètement en dehors des normes et des frontières de la politique israélienne. Friedman mentionne « Itamar Ben-Gvir, qui a été condamné par un tribunal israélien en 2007 pour incitation au racisme et soutien à une organisation terroriste juive » ainsi que «Bezalel Smotrich, le chef du parti Sionisme religieux, qui a longtemps prôné l’annexion pure et simple de la Cisjordanie par Israël » et a défendu la violence des colons contre les Palestiniens.

Friedman ne croit pas que ces personnages, ou les partis qu’ils dirigent, soient représentatifs de l’Israël qu’il connaît. Cependant, leurs perspectives et leurs objectifs diffèrent peu de ceux d’un Shamir, d’un Sharon ou d’un Begin. Ce qui est différent, ou comme le dit Friedman, «en dehors des normes et des limites de la politique israélienne », c’est le manque de retenue en public diplomatiquement embarrassant d’hommes tels que Ben-Gvir et Smotrich, combiné à la volonté de Netanyahou de sacrifier le mythe de l’Israël libéral pour conserver le pouvoir. Tout cela est un choc pour Friedman et la vision qu’il préfère de l’État juif. Il constitue une «réalité auparavant impensable». Netanyahou conduit Israël là où aucun politicien israélien « n’est allé auparavant », etc. Friedman conclut donc que « l’Israël que nous connaissions n’est plus ».

La réalité, c’est l’apartheid

Pour démontrer à quel point l’analyse de Friedman est superficielle, considérez ce qui suit. En 2021, trois organisations de défense des droits de l’homme établies et réputées pour leurs conclusions fiables, ont produit des rapports publics factuels démontrant qu’Israël, tant dans la culture que dans les politiques gouvernementales, est un État qui pratique l’apartheid. (L’apartheid, « un système institutionnalisé de ségrégation et de discrimination fondée sur la race », a été déclaré crime contre l’humanité en vertu du droit international.) B’tselem, l’organisation israélienne de défense des droits humains, a publié son rapport en janvier 2021. Amnesty International a suivi en février et Human Rights Watch en avril. En octobre 2022, les Nations Unies ont publié un rapport décrivant le comportement d’Israël dans ses territoires occupés comme du « colonialisme de peuplement ».

L’apartheid n’est pas quelque chose que les Juifs israéliens ont découvert en se levant le matin. C’est leur choix historique, auquel Thomas Friedman semble avoir peu prêté attention. Ainsi, lorsqu’il décrit la situation actuelle, il ne mentionne pas que le but du sionisme a toujours été l’appropriation de toute la Palestine avec le moins de Palestiniens en résidence possible. Il [Friedman] désigne plutôt un groupe distinct d’Israéliens « qui ont toujours détesté les Arabes », et la croissance de ce groupe due à « une recrudescence dramatique de la violence – coups de couteau, fusillades, guerre des gangs et crime organisé – par les Arabes israéliens … contre les Juifs israéliens, en particulier dans les communautés mixtes.

Pour les partisans du parti de droite Likoud de droite, les partis religieux et le mouvement des colons, cette violence ne se produit pas parce qu’Israël est un État d’apartheid, mais parce qu’Israël a été, à leurs yeux, trop libéral envers les Palestiniens. Et maintenant il est temps de mettre fin à cette prétendue orientation tolérante. L’un des slogans les plus réussis de la campagne politique de Netanyahu était : « Ça y est. Nous en avons assez ».

Le racisme brise toutes les pulsions humanistes

Le succès de Netanyahu dans la mobilisation d’une droite aux multiples facettes, toujours active, sinon politiquement unie, fait finalement peur à Thomas Friedman. Il s’alarme qu’Israël soit en proie à une ferveur « ultranationaliste générale ». Citant Moshe Halbertal, le philosophe juif de l’Université hébraïque, « Ce que nous voyons est une évolution de la droite belliciste vers une identité politique construite sur la focalisation sur « l’ennemi extérieur » – les Palestiniens – vers une focalisation sur « l’ennemi intérieur » – l’Arabe israélien. » Le problème avec l’analyse d’Halbertal est qu’elle est basée sur une fausse dichotomie. Le sionisme n’a jamais fait de distinction sérieuse entre les Palestiniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur. Pour de nombreux sionistes, ce sont tous des Arabes qui devraient être poussés à émigrer vers les terres arabes voisines. Le sionisme a rendu cette attitude inévitable en créant, dès le début, une société expansionniste et discriminatoire définie par la religion qui dérive vers la race. La recherche de compromis basés sur le « processus de paix » ou une « solution à deux États » apparaissent maintenant comme de vieilles ruses qui ont servi à détourner l’attention de l’opinion mondiale du véritable objectif d’Israël. En ce qui concerne « l’Israël historique » [c’est-à-dire l’entité sioniste réelle, NdT], un programme maximaliste d’occupation et de colonisation a toujours été le seul résultat acceptable pour les sionistes au pouvoir.

Les circonstances politiques actuelles effraient Friedman aussi d’une autre manière. Il nous dit que « la coalition de Netanyahu a également attaqué les institutions indépendantes vitales qui sous-tendent la démocratie israélienne et sont responsables, entre autres, de la protection des droits des minorités ». Des institutions telles que le système des juridictions ordinaires, les médias et la Cour suprême doivent être disciplinées en étant « placées sous le contrôle politique de la droite ». Cependant, cette volonté de contrôler les institutions ne concerne pas principalement les Palestiniens. Elle reflète la haine de la droite (et tout comme aux États-Unis, la haine semble être le mot adéquat) à l’égard des attitudes des sionistes de gauche et du centre sur les questions qui affectent les juifs israéliens : Qui est juif ? les «droits des minorités» , des couples de même sexe, des personnes LGBTQ, les problèmes des femmes, les juifs réformés, etc. Friedman semble incapable d’appréhender le fait que le racisme au coeur de la culture et de la politique en Israël ne peut que briser les élans humanistes à l’intérieur de cette société, même pour des problèmes qui touchent des Juifs.

En fin de compte, Friedman est préoccupé « par l’avenir du judaïsme en Israël » et il pourrait bien avoir raison de l’être. Revenant à Halbertal, il note que « la Torah représente l’égalité de tous les peuples et la notion que nous sommes tous créés à l’image de Dieu. Les Israéliens de tous les peuples doivent respecter les droits des minorités parce que nous, en tant que Juifs, savons ce que c’est que d’être une minorité. C’est une philosophie juive profonde. Alors, pourquoi cette essence de l’enseignement juif est-elle si faible au sein de l’Israël sioniste ? Ni Friedman ni Halbertal ne saisissent la cause profonde – la nature historiquement raciste, voire d’apartheid, de l’Israël sioniste. Ils ne comprennent pas parce qu’ils sont aveuglés par le mythe de l’Israël libéral, qui est maintenant en danger soi-disant à cause de la résistance des Palestiniens. Il cite Halbertal qui se plaint : « Quand vous avez ces menaces de sécurité viscérales dans la rue tous les jours, il devient plus facile pour ces immondes idéologues de se mettre en avant.»

L’affirmation de Thomas Friedman selon laquelle « l’Israël que nous connaissions n’est plus » relève en grande partie de l’illusion. En bonne partie, son Israël n’a jamais existé. Certes, il y avait, et il y a encore pour le moment, une façade pseudo-démocratique – quelque chose comme la «démocratie» en Alabama, aux États-Unis, dans les années 1950. Les choses évoluent maintenant davantage dans le sens fasciste. Bezalel Smotrich, l’une des bêtes noires de Friedman, a proclamé que les droits de l’homme et les institutions qui soutiennent ces droits sont des «menaces existentielles » pour Israël. La plupart des sionistes accepteront cette affirmation, du moins en ce qui concerne les Palestiniens, car elle correspond historiquement aux sensibilités israéliennes. Après tout, l’occupation se poursuit dans toute sa gloire immorale depuis un demi-siècle sans objection significative de la plupart des Juifs israéliens et de leurs partisans de la diaspora.

Ce que vous voyez maintenant si publiquement étalé est, et a toujours été, la véritable culture et le caractère de l’Israël sioniste – un État conçu pour un seul groupe et construit sur la conquête et la dépossession des autres. Nier cela, c’est nier l’histoire et la logique de l’idéologie sioniste. Et le coût ? Cela doit être compris non seulement en termes de droits des Palestiniens, mais aussi en termes d’essence même du judaïsme, qui sont tous deux détruits simultanément. Tout cela devrait maintenir Thomas Friedman, et d’autres adeptes du mythe de l’Israël libéral, éveillés toute les nuits avec des cauchemars à n’en plus finir

Lawrence Davidson est professeur d’histoire à la retraite à l’Université West Chester à West Chester, Pennsylvanie.

Le nazi qui avait voulu se convertir au judaïsme

23 décembre 2018

Les médias anglophones mainstream parlent bien de cette histoire d’un couple anglais qui a baptisé son fils Adolf en référence à Hitler et vient d’être condamné à de la prison ferme pour adhésion à un parti d’extrême droite illégal.

La presse française en parle aussi tout comme un journal francophone du Sionistan.

Mais ce journal sioniste d’expression française comme les autres grands médias anglophones tait un aspect de la biographie d’un des condamnés, à savoir Adam Thomas, le père du petit Adolf.

C’est en effet par la presse communautariste qu’on apprend que ce dernier a essayé de se convertir au judaïsme et même qu’il a une excellente connaissance de la Torah.

La démarche d’Adam Thomas n’étonnera que ceux qui ignorent ce qu’a fait l’entité sioniste de la religion juive. On sera par contre circonspect sur ce qui a motivé son exclusion de l’école religieuse qu’il fréquentait à Jérusalem. Adam Thomas était un simple agent de gardiennage, un profil peu favorable à l’aboutissement d’un processus de conversion.

Le néo-Nazi qui avait essayé de se convertir au judaïsme incarcéré pour son adhésion à la National Action

Par Ben Welch, The Jewish Chronicle (UK) 18 décembre 2018 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le mois dernier, la Jewish Chronicle avait révélé qu’Adam Thomas avait passé plusieurs mois en Israël à l’époque où il essayait de se convertir au judaïsme, avant de rejoindre une organisation antisémite.

Un couple qui a baptisé leur bébé Adolf en référence à Hitler a été emprisonné après avoir été reconnu coupable d’appartenance à un parti néonazi illégal.

Adam Thomas, 22 ans, et Claudia Patatas, 38 ans, de Waltham Gardens à Banbury dans l’Oxfordshire, étaient parmi les six personnes condamnées par le tribunal de Birmingham pour appartenance à la National Action.

Mardi matin, Thomas a été condamné à six années et demi de prison et Patatas  cinq années

Les jurés ont pu entendre qu’ils avaient donné à leur bébé le prénom Adolf par « admiration » pour le dictateur nazi et qu’ils avaient décoré leur domicile avec des croix gammées et de l’iconographie du Ku Klux Klan.

Adam Thomas, 22, and Claudia Patatas, 38, holding a swastika flag whilst holding their baby

Adam Thomas, Claudia Patatas et le petit Adolf

Des photographies retrouvées dans leurs appareils électroniques montraient Thomas portant son jeune fils au domicile avec la robe à capuche du Ku Klux Klan.

Le mois dernier, la JC a révélé que Thomas avait séjourné plusieurs mois en Israël à l’époque où il essayait de se convertir au judaïsme, fréquentant même une yeshiva (école religieuse juive) à Jérusalem avant d’en être exclu.

Un porte-parole de la yeshiva Machon Meir avait dit à l’époque : « Nous confirmerons qu’il a essayé d’étudier au Département des Conversions de Machon Meir.

« Mais nous avions senti au bout d’un moment qu’il était vraiment bizarre. Ce n’était pas tout de suite évident. Il connaissait très bien la Torah, il avait un caractère doux et même assez agréable.

« Il avait une mémoire extraordinaire et était passionné par la connaissance de la Torah. Il avait aussi un côté sombre et une tendance à l’extrémisme. Quand ce côté est apparu, nous savions qu’il n’était pas digne des études de giur [conversion]. »

Machon Meir a confirmé que Thomas s’était inscrit sous le nom de « Avi Thomas », tandis que ses condisciples disaient qu’il se faisait appeler « Avi ben Abraham. »

Thomas et Patatas, qui est d’origine portugaise, ont été jugés en même temps que d’autres néo-nazis, Darren Fletcher, Daniel Bogunovic, Joel Wilmore et Nathan Pryke.

Dans une conversation avec un autre membre de la National Action, Patatas avait dit que « tous les Juifs doivent être mis à mort, » tandis que Thomas avait dit une fois à sa compagne qu’il « considérait qu’on ne pouvait pas tolérer les non blancs. »

En condamnant Patats, le juge Melbourne Inman a déclaré: « vous êtes aussi extrémiste que Thomas dans vos idées comme dans vos actions.

« Vous avez agi ensemble dans tout ce que vous avez pensé, dit et fait, en choisissant le prénom de votre fils et avec les photos troublantes de votre fils entouré de symboles du nazisme et du Ku Klux Klan. »

Le juge a dit de la National Action : « Ses buts et objectifs sont la mise à bas de la démocratie dans ce pays par de graves actes de violence et le meurtre, et l’imposition d’un Etat de type nazi qui éradiquerait des pans entiers de la société par cette violence et des tueries de masse.

« L’éradication de ceux que vous considérez comme inférieurs simplement à cause de leur couleur de peau ou de leur religion. »

Législation foncière et colonisation sioniste, l’histoire d’une escroquerie criminelle

16 décembre 2018

Un article intéressant qui montre la continuité de la stratégie sioniste d’accaparement des terres de la Palestine pour asseoir territorialement l’Etat et établir des colons juifs.

L’auteur rappelle qu’au moment du déclenchement de la guerre qui a débouché sur la partition de la Palestine suite à la proclamation d’un Etat juif, les Juifs ne possédaient pas 4 % des terres. C’est donc par la suite qu’ils se sont appropriés les terres, d’abord dans la partie de la Palestine qui leur a été reconnue internationalement, puis sur le reste. Cette appropriation passe par des voies qui se présentent comme légales, même si elles légalisent en réalité le vol et la rapine.

Les procédés employés par les sionistes font tout à fait penser à ceux employés par la France coloniale pour acquérir des terres à livrer à la colonisation européenne, notamment à partir du constat que la politique d’achat de terres aux indigènes algériens ne donnait pas les résultats escomptés. La rapine du colonialisme français s’orienta alors vers les biens habous, forme de propriété extrêmement répandue, déclarés biens domaniaux

La question foncière et donc du territoire est en effet au cœur du processus de colonisation de peuplement. Cette question est à la fois un axe fort de la politique législative et d’aménagement du régime sioniste et son point faible.

Elle est son point fort car elle parvient à réaliser son objectif qui est d’exclure les autochtones de la propriété de la terre. Elle est son point faible car, utilisant des procédés qui relèvent purement et simplement du vol et de l’escroquerie, elle est sans valeur au regard du droit international qui prévoit le droit au retour chez eux des Palestiniens. Comme certains auteurs l’ont relevé, les colons qui avaient entrepris de coloniser ce qui est devenu les Etats Unis avaient pris soin, à chaque fois qu’ils prenaient possession d’un territoire, d’obtenir un certificat de cession en bonne et due forme de la part des populations qu’ils chassaient.

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La reconnaissance par les Palestiniens de l’entité sioniste en tant qu’Etat juif serait un tel certificat de renonciation au droit retour.

Le contexte historique du droit de la propriété foncière et de l’aménagement du territoire en Israël

Par Gerry Liston, Mondoweiss (USA) 6 mars 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Les origines des régimes fonciers et de l’aménagement du territoire  en Israël peuvent être situées en 1901, année qui a vu la création du Fonds National Juif (FNJ). Le FNJ qui, comme on le verra, joue encore un rôle prédominant dans le régime de la propriété foncière en Israël a été fondé à l’origine dans le but d’acquérir des terres en Palestine. Selon les statuts de la compagnie anglaise au sein de laquelle il avait été d’abord constitué, son objet est l’acquisition de terres en Palestine « dans le but d’installer des Juifs sur ces terres. » Les terres acquises par le FNJ pouvaient être mises en location mais « à des Juifs exclusivement. » [1]

Les dirigeants du mouvement sioniste dans ses premières années avaient de grandes ambitions pour le FNJ. De fait, une résolution avait été adoptée par le 7ème congrès sioniste pour rejeter la « colonisation non planifiée, non systématique et philanthropique à petite échelle » de la Palestine. [2] En dépit de ces ambitions, le FNJ des débuts ne réussit pas sa mission de « rachat » des terres de Palestine. En mai 1948, le FNJ ne détenait que 3,56 % du sol de la Palestine historique. En mai 1948, le FNJ ne détenait que 3,56 % du sol de la Palestine historique. ]

La confiscation des terres palestiniennes en Israël

C’est la guerre qui a enclenché le plus vaste processus d’acquisition des terres dans ce qui est aujourd’hui l’Etat d’Israël. Les violences de 1948 ont causé le déplacement de 750 000 à 900 000 Palestiniens [4]. 531 localités arabes furent détruites ou vidées de leurs habitants en 1948 et peu après, laissant vacants 20 350 km2 de terres. [5]

L’Etat d’Israël nouvellement créé recourut massivement à une législation d’urgence pur gérer ces terres. Par exemple, des « règlements relatifs aux biens des personnes absentes » furent promulgués pour donner le contrôle des biens des propriétaires « absents » à un « conservateur des biens des absents ». Le conservateur était fondé à saisir ces biens et c’était au propriétaire de la terre qu’incombait la charge de prouver qu’il ou elle n’était pas absent. Le terme « absent » était défini très largement. Il incluait non seulement ces palestiniens qui n’avaient pas complètement fui l’Etat d’Israël, mais s’appliquait aussi aux Juifs comme aux Arabes.  Cependant, une disposition réglementaire apparemment neutre au niveau racial exemptait « les absents qui avaient abandonné leurs maison par peur des ennemis d’Israël ou des opérations militaires, ou qui avaient été capables de gérer efficacement leurs biens sans aider les ennemis d’Israël, » – rendant ainsi la réglementation applicable seulement aux Palestiniens.[6]

Le rôle du conservateur sera assis sur une base juridique plus solide avec l’application en 1950 de la Loi sur les biens vacants. Cette loi permettait au conservateur de transférer le bien du propriétaire absent à un organisme créé la même année, l’Autorité du Développement. L’Autorité du Développement avait à son tour la possibilité de transférer le bien foncier au FNJ. Ces transfèrent eurent lieu, concernant près de 2 400 km2 de terrains de propriétaires absents, faisant plus que tripler le patrimoine constitué par le FNJ en 1941. [7]

Ce ne sont pourtant pas seulement les terres des « absents » qui furent visées pendant et après 1948. Beaucoup de Palestiniens qui n’avaient pas fui leur domicile furent aussi expulsés de chez eux. Par exemple, les règlements militaires (d’urgence) de 1945 (hérités du mandat britannique) furent utilisés pour déclarer « zones interdites » des secteurs peuplés d’Arabes, leur refusant en pratique l’accès à leurs terres. En fait, certains terrains furent confisqués sans absolument aucune base juridique. La loi sur l’acquisition des terres (loi de validation des actes et de compensation) de 1953 fut promulguée pour garantir la « légalité » de la confiscation des terrains (aussi bien des absents que des non absents) pendant et après 1948. Elle légalisa rétroactivement la confiscation des terres sur la base de la « sécurité » et du « développement ». Selon les termes du ministres des finances de l’époque, son but était « d’instiller de la légalité dans certaines actions entreprises pendant et après la guerre. » [8]

Cette prise de contrôle de la terre fut une telle réussite qu’n 1951 le gouvernement israélien détenait 92 % de la terre située à l’intérieur de ses frontières (ce chiffre comprend les terres du FNJ). [9] Ce qui ne signifia cependant pas la fin des efforts pour acquérir encore plus de terres. Comme le constate Sabri Jyris, les autorités israéliennes se tournèrent simplement vers la « recherche de nouvelles catégories de terres à racheter. » [10] Ce qu’elles firent avec une procédure d’établissement du ‘titre foncier’, c’est-à-dire une procédure pour déterminer l’occupant légitime d’un terrain au regard de la loi.

Les secteurs à peuplement arabe dense, comme la Galilée, furent ciblés à cet égard. En fait, le chef de la commission chargée de l’établissement des titres de propriété en Galilée, Yosef Weitz, remarquait ouvertement que le but de l’opération était la « judaïsation de la Galilée. » [11] Le géographe israélien du foncier Sandy Kedar a découvert dans ce contexte que les tribunaux israéliens « appliquaient la loi d’une manière qui restreignait la reconnaissance légale des terres « frontalières » détenues par des Arabes. » [12] Ainsi, par exemple, vers la fin des années 1960, sur les 8 000 cas de contestation en Galilée tranchés par les tribunaux, 85 % le furent en faveur de l’Etat. [13] L’élargissement de l’opération de régularisation des titres fonciers a eu pour conséquence la transformation de milliers d’hectares de terres palestiniennes privées ou communautaires en biens de l’Etat israélien. [14]

Le développement du droit foncier israélien moderne

Deux mesures importantes furent adoptées au début des années 1960 pour garantir que les terres de l’Etat israélien deviennent en pratique l’apanage de la population juive. Premièrement, la Loi Fondamentale: Terres Israéliennes fut promulguée en 1960. Elle définissait les terres détenues par l’Autorité du Développement, l’Etat d’Israël et le FNJ comme « Terres d’Israël » et disposait que ces terres ne pouvaient être vendues. Le ministre Zerah Wahrhaftig expliquait ainsi le but de la loi : « Nous voulons qu’il soit clair que la terre d’Israël appartient à ceux qui vivent à Sion, parce que le peuple d’Israël vit un peu partout dans le monde. D’un autre côté, chaque loi qui est adoptée l’est dans l’intérêt de tous les habitants de l’Etat et tous les habitants de l’Etat signifie aussi des gens qui n’appartiennent pas au peuple d’Israël [l’Etat] mais au peuple mondial d’Israël. » A la question de savoir pourquoi cela n’était pas affirmé explicitement dans la loi, Wahrhaftig répondit, « nous ne pouvons pas le dire. » Il expliqua ensuite, « il y a [dans la loi] une innovation juridique très significative : nous donnons un habillage légal aux statuts du FNJ. » [15]

Deuxièmement, un accord a été conclu entre le gouvernement israélien et le FNJ, prévoyant que ce dernier aurait près de 50% des sièges au Conseil israélien des Terres (ILC). L’ILC a été créée par la loi de 1960 sur l’administration des terres israéliennes et dispose de pouvoirs étendus pour élaborer des politiques relatives aux «terres israéliennes». Cette loi a également institué l’Administration des Terres Israéliennes (ILA) pour la mise en œuvre de ces politiques. Selon un rapport du contrôleur de l’État israélien, la participation des représentants du gouvernement aux réunions du conseil de l’ILC a été minime comparée à celle des représentants du FNJ. [16] La discrimination exercée par l’ILA à l’encontre de la population palestinienne en Israël n’est donc guère surprenante.

Discrimination contre les Palestiniens dans les politiques foncières et d’aménagement

Les chiffres relatifs à la location de terres agricoles, soit 85% des terres israéliennes, illustrent clairement cette discrimination. [17] Par exemple, le rapport de l’ILA pour l’an 2000 indique que sur les 200 000 hectares loués en vertu de baux de longue durée, aucun n’a été loué à des citoyens palestiniens. [18] L’ILA préfère clairement louer des terres à des collectivités juives (telles que des kibboutz et des moshavs). Selon Hussein et McKay, «environ 90% de toutes les terres agricoles israéliennes sont louées à [de tels] collectifs juifs». [19] À cet égard, les Palestiniens en Israël se heurtent à un obstacle majeur. En vertu de la loi de 1953 sur les candidats à la colonisation agricole, certains organismes peuvent être reconnus en tant qu’organismes participant à la création de collectivités agricoles. Aucune organisation palestinienne n’est toutefois reconnue comme telle par cette loi. A cet égard, Israël a reconnu en 2001 devant la commission des droits économiques, sociaux et culturels que « de nouvelles installations agricoles arabes ne sont pas prévues, » déclarant que c’était « en raison d’une politique de développement des installations existantes. » [21]

Cela est conforme à l’approche israélienne générale concernant l’établissement de nouvelles agglomérations arabes. Depuis la fondation de l’Etat d’Israël, aucune nouvelle communauté palestinienne n’a été créée en Israël, à part un certain nombre de «townships» établis pour la communauté bédouine du sud. [22] Cela contraste nettement avec la situation de la population juive, pour laquelle 700 nouvelles communautés ont été établies. Cela va également à contre-courant de la multiplication par six du nombre de citoyens palestiniens d’Israël depuis 1948 [24].

En outre, plutôt que de représenter une exception à la politique israélienne à l’égard de sa population arabe, le développement des cantons ou townships bédouins constitue une manifestation extrêmement dure de cette politique. Depuis l’adoption de la loi de 1965 sur la planification et la construction, les plans directeurs établis en vertu de cette loi n’ont pas reconnu l’existence d’un certain nombre de localités palestiniennes, dont la majorité sont des communautés bédouines du sud du désert de Naqab. [25] La «solution» a été de construire ces townships dans une zone du désert appelée Siyag, où de nombreux Bédouins ont été contraints de déménager après 1948. [26] Selon Human Rights Watch, ces townships font partie d’un plan visant à «Consolider [e] le contrôle de l’Etat sur un maximum de terres bédouines tout en confinant les bédouins dans les zones les plus petites possible et en rompant la contiguïté des zones bédouines. [27]

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Village bédouin non reconnu dans le Naqab (ces villages sont régulièrement détruits par l’occupant sioniste)

Les «commissions d’admissions» constituent un autre obstacle à l’occupation des terres agricoles par les Palestiniens. Ces commissions fonctionnent dans 695 villes agricoles et communautaires, qui représentent ensemble 68,5% de toutes les villes en Israël et environ 85% de tous les villages. [28] Initialement introduite par l’ILA, cette institution a récemment été consacrée dans la législation israélienne avec l’adoption par la Knesset en mars 2011 de la loi relative à la commission d’admissions. Cette loi exige que toute personne souhaitant s’installer dans une communauté de moins de 400 familles dans les régions de Naqab (Néguev) et de Galilée (qui abritent une proportion relativement élevée de Palestiniens) obtienne l’approbation d’une telle commission. [29] En vertu de la loi, ces commissions peuvent écarter des candidats qui, entre autres, «sont peu préparés au mode de vie de la communauté» ou «pourraient nuire à la cohésion de la communauté. » [30]

Les Palestiniens sont également confrontés à une forte discrimination dans le droit du foncier et la politique israélienne d’aménagement en ce qui concerne leur utilisation actuelle de terres (principalement urbaines). Seulement 2,5% des terres en Israël sont sous le contrôle d’une autorité d’aménagement contrôlée par les Palestiniens. [31] En outre, malgré la multiplication par 16 des zones bâties dans les agglomérations palestiniennes depuis le mandat britannique, la zone de juridiction moyenne des villes et conseils locaux palestiniens a diminué de 45% au cours de cette période. [32] Par conséquent, comme Bimkom l’a observé, la plupart des localités arabes sont tributaires des décisions prises par les commissions d’aménagement qui, pour la plupart, sont dépourvues de représentation palestinienne. [33]

Les plans élaborés pour les localités palestiniennes par les organismes d’aménagement dominés par les Juifs «ne font souvent que définir les zones de développement existantes». En revanche, même «les plus petites localités juives… ont des plans de construction détaillés et des réglementations relatives à l’utilisation des terres» [34]. Les principaux experts en politique israélienne d’aménagement ont résumé la situation: «L’espace israélien a été très dynamique, mais les changements sont allés principalement dans une direction: les Juifs étendent leur contrôle territorial par divers moyens, y compris la colonisation en cours, tandis que les Arabes ont été contenus dans une géographie inchangée. » [35] Par conséquent, il est peu surprenant que, si la population palestinienne représente aujourd’hui 18% de la population israélienne totale, elle n’occupe que 3,5% du territoire. [36]

Une conséquence évidente de cet endiguement est l’augmentation de la densité de population dans les localités palestiniennes. La densité de population dans les villages arabes est près de quatre fois supérieure à celle des villages juifs. [37] En conséquence, les Palestiniens en Israël ont été forcés de construire sans les permis nécessaires. Selon Bimkom, ce phénomène est combattu par les services israéliens d’aménagement « avec toute la force de leur arsenal juridique », tandis que des pratiques similaires au sein de la communauté juive sont traitées « avec beaucoup de tolérance » [39].

Evolutions récentes

En août 2009, la Knesset a adopté la loi sur l’administration des terres israéliennes, qui introduit un certain nombre de réformes dans le régime de la législation foncière israélienne. Un aspect important de la loi est la conclusion d’un accord entre l’État israélien et le FNJ prévoyant un échange de terrains entre les deux institutions. La majorité des terres transférées au FNJ se trouvent dans les régions de Galilée et de Naqab, qui comptent une forte population arabe. [40] L’accord prévoit que ces terres seront gérées «de manière à préserver les principes du FNJ relatifs à ses terres». [41] L’échange de terres est également au cœur d’un autre élément clef des réformes de 2009, à savoir: privatisation de 80 000 hectares de terres domaniales, y compris des terres du FNJ. Parmi ces terres se trouvent des terres confisquées à des réfugiés palestiniens. Comme l’a déclaré le groupe de défense des droits civiques Adalah, cette privatisation «empêchera toute possibilité future de restituer ces terres à leurs propriétaires d’origine» [42]. La loi de 2009 garantit également au FNJ une représentation de près de 50% dans un Conseil du territoire israélien réorganisé. [43]

Les récents développements du régime de droit foncier israélien impliquent donc la poursuite de la confiscation des terres palestiniennes, de leur «judaïsation», ainsi que du confinement et de la concentration de la population palestinienne en Israël, décrits ci-dessus. Ces politiques violent clairement les obligations d’Israël imposées par le droit international des droits de l’homme. Elles sont également contraires à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui interdit les mesures «destinées à diviser la population selon des critères raciaux par la création de réserves et de ghettos distincts pour les membres d’un groupe ou de plusieurs groupes raciaux», ainsi que «l’expropriation de biens fonciers appartenant à un ou des groupe raciaux. « 

Notes

  1. Lehn, W. and Davis, U. The Jewish National Fund, London: Kegan Paul (1988), p. 30 – 32.
  2. Lehn, W. “The Jewish National Fund,” Journal of Palestine Studies, Vol. 3, No. 4 (Summer, 1974), p. 94.
  3. See Lehn and Davis, note 1 supra,p. 74.
  4. Jaradat Gassner, I., Haddad, T., Mazzawi, R., Akram, S., Al Azza, N., Jaradat, M., and Gado., Y (eds.) Survey of Palestinian Refugees and Internally Displaced Persons, 2008-2009, BADIL Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights (2009), p. 10.
  5. Dajani, S., Ruling Palestine – A History of the Legally Sanctioned Jewish-Israeli Seizure of Land and Housing in Palestine (2005), p. 33 – 34.
  6. Forman, G. and Kedar, A. “From Arab land to ‘Israel Lands’: the legal dispossession of the Palestinians displaced by Israel in the wake of 1948,” Environment and Planning D: Society and Space, Vol 22 (2004), p. 81.
  7. See Lehn, note 2 supra, p. 85.
  8. See Forman and Kedar, note 6 supra,p.820.
  9. p. 823.
  10. Jiryis, S, The Arabs in Israel London: Monthly Review Press, (1976), p. 111.
  11. Kedar, A. “The Legal Transformation of Ethnic Geography: Israeli Law and the Palestinian Landholder 1948 – 1967” New YorkUniversityJournal of International Law and Politics (2001) Vol. 33, p. 951.
  12. p. 952.
  13. Abu Hussein, H. and McKay, F. Access Denied: Palestinian Land Rights in Israel, London: Zed, 2003, p. 133.
  14. See Lehn and Davis, note 1 supra, p. 107.
  15. See Hussein and McKay, note 14 supra, p. 177.
  16. p. 182.
  17. p. 183.
  18. p. 182.
  19. p. 191.
  20. State of Israel, Second Periodic Report ot the Committee on Economic, Social and Cultural Rights (July, 2001), Ministry of Justice, Ministry of Foreign Affairs and Ministry of Labour and Social Affairs, p. 100.
  21. See Hussein and McKay, note 14 supra, p.199.
  22. Kedar, S., Khamaisi, R., and Yiftachel, O., “Land and Planning” in After the Rift: New Directions for Government Policy Towards the Arab Population in Israel(Ghanem, A., Rabinowtiz, D., and Yiftachel, O. eds), p. 17.
  23. “Off the Map: Land and Housing Rights Violations in Israel’ʼs Unrecognized Bedouin Villages,” Human Rights Watch, March 2008, Volume 20, No. 5(E), p. 14.
  24. , p. 20.
  25. , p. 43.
  26. Hesketh, K. (March, 2011), “The Inequality Report: The Palestinian Arab Minority in Israel,” p.32. Available at http://www.adalah.org/upfiles/Christian%20Aid%20Report%20December%202010%20FINAL(1).pdf (accessed 28.12.2012).
  27. Human Rights Watch (30/3/2011) “Israel: New Laws Marginalize Palestinian Arab Citizens.” Available at http://www.hrw.org/news/2011/03/30/israel-new-laws-marginalize-palestinian-arab-citizens (accessed 28.12.2012).
  28. Kedar, S. and Yiftachel O., “Land Regime and Social Relations in Israel,” p. 144. Available at http://www.geog.bgu.ac.il/members/yiftachel/new_papers_eng/Kedar%20and%20Yiftachel.pdf (accessed 28.12.2012).
  29. See Hussein and McKay, note 14 supra, p. 217.
  30. Groag, S. and Hartman, S., “Planning Rights in Arab Communities in Israel: An Overview,” p. 5. Available at http://www.bimkom.org/dynContent/articles/PLANNING%20RIGHTS.pdf (accessed 28.12.2012).
  31. See Hussein and McKay, note 14 supra, p. 228.
  32. See Kedar, Khamaisi and Yiftachel,note 24 supra, p.17.
  33. [See Groag and Hartman,note 33 supra, p. 3.
  34. Hussein and McKay, note 14 supra, p. 233.
  35. See Groag and Hartman,note 33 supra, p. 4.
  36. Bishara, S. and Hamdan, H., “Critique of the Draft Bill – Israel Land Administration Law (Amendment No. 7) 2009,” Adalah Position Paper (21 July 2009), p. 9. Available at http://www.adalah.org/newsletter/eng/jul09/Position_Paper_on_Land_Reform_Bill_july_2009.pdf (accessed 28.12.2012)
  37. p. 2.
  38. p. 17

Un livre à compter sur le thème de la protection des oliviers de Palestine

23 septembre 2018

Après l’abécédaire « P est pour la Palestine », Golbarg Bashi récidive en proposant un autre livre pour enfants, un livre à compter basé sur la problématique de la destruction des oliviers des paysans palestiniens par les colons ou les « soldats » sionistes.

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Le Dr Golbarg Bashi

Gageons que ce livre à compter aura le même succès que l’abécédaire malgré l’hostilité active manifestée par les milieux sionistes aux Etats Unis.

De fait, quand on voit l réaction que peut provoquer chez les sionistes un simple livre pour enfants, on mesure la difficulté de la tâche de ceux qui veulent communiquer, par l’art ou par des productions savantes sur l’injustice du sort du peuple palestinien.

Golbarg Bashi donne une suite à ‘P is for Palestine’ avec un livre pour enfants sur la protection des oliviers

Par Bada Elia, Mondoweiss (USA) 20 septembre 2018 traduit de l’anglais par Djazaïri

L’année dernière, lorsque le livre d’alphabet pour enfants « P is for Palestine» a été publié, l’auteur d’origine iranienne, le Dr Golbarg Bashi, s’attendait à une réaction, mais certainement pas à un déluge de haine. En effet, c’est l’absence de représentation positive de la vie des Palestiniens dans les livres pour enfants qui avait motivé Bashi à écrire. Elle met en lumière les personnes qu’elle a d’abord eu à connaître et dont elle s’est occupée en Suède, où elle-même était une jeune réfugiée après que sa famille eut fui la guerre Iran-Irak. « En Suède, j’ai rencontré des enfants d’autres zones de guerre et j’ai échangé des histoires avec eux. C’est la situation difficile des réfugiés palestiniens qui m’a profondément marqué », écrit Bashi .

Aujourd’hui, Bashi est une intervenante régulière dans les écoles de New York, où elle initie les jeunes enfants à diverses cultures du monde entier. Au début, elle ne pouvait trouver aucun livre sur la Palestine qui dépeignait ses habitants comme des gens ordinaires avec leur vie quotidienne, alors elle a décidé d’en écrire une Comme Bashi l’a expliqué peu de temps avant la publication du livre : «Ce livre est destiné à l’enfant palestinien pour qu’il le montre à son ami(e) pendant des moments de jeu ou qu’il l’emmène à l’école pour une lecture».

La publication de « P is for Palestine» a été aussi saluée par les amis de la Palestine, qu’elle suscité l’opposition des sionistes. Le choix de Bashi du «I est pour Intifada», illustré par un père portant sa fille sur son épaule avec un keffieh qui flotte, a provoqué la colère des sionistes qui ne peuvent pas admettre la volonté d’autodétermination palestinienne. Mais Bashi a insisté, dans un communiqué publié alors que la tentative de la faire taire allait crescendo: «P est pour la Palestine et I pour l’Intifada. Il serait irresponsable de la part de l’auteur d’un livre pour enfants palestiniens (ou par exemple des enfants amérindiens) d’ignorer ou d’édulcorer le fait que leur peuple a un mouvement de résistance, qui se manifeste majoritairement par une contestation pacifique. »

Bashi a depuis reçu des menaces de mort et quelques rabbins ont forcé Book Culture, une chaîne de librairies indépendante à New York, à présenter des excuses pour avoir fait la promotion du livre, intimidant ainsi potentiellement d’autres librairies. Selon le propriétaire de Book Culture, Chris Doeblin, la dernière fois que le magasin a été confronté à de telles menaces il y a quelques dizaines d’années, c’était avec la publication par l’Iran d’une fatwa sur Salman Rushdie pour « Les versets sataniques». Ce dernier livre reste proposé à la vente via Amazon – quand il n’est pas en rupture de stock.

De fait, malgré l’énorme retour de flamme, « P is for Palestine » a connu plusieurs réimpressions épuisées à chaque fois. Tout récemment, le Middle East Monitor l’a placé parmi les quatre titres qu’il recommande dans sa sélection pour le Palestine Book Award 2018. Et en ce moment, Bashi travaille sur un livre complémentaire très plaisant, « Counting Up the Olive Tree: a Palestine Number Book., illustré par Nabi H. Ali, qui apprend à compter dans le contexte de la résistance à la destruction de d’une icône emblématique de la Palestine: l’olivier.

Dans le nouveau livre, dont j’ai eu un aperçu, de jeunes joueurs de football de différents villages palestiniens doivent se réunir pour protéger « le dernier olivier » « du sinistre bûcheron. »

 «S’il vous plait, ne coupez pas notre olivier, sur notre terre pas encore libre», plaident les enfants auprès du bûcheron, qui les congédie. Alors que le bûcheron se couche pour faire la sieste, les enfants en appellent d’autres à les rejoindre au moment où ils grimpent sur l’arbre. «Le joueur numéro 1 a dit au joueur numéro 2, attrape le numéro 3, qui dit au numéro 4, il faut protéger l’olivier, nous tous et quelques autres… »

Et comme tous les onze joueurs de cette équipe grimpent l’olivier, avec de petits cris de Yallah! Yallah! (vite! Vite!) ils peuvent voir «Regardez qui vient! Les joueurs de en-Nai’me (un village)!

Et tous les enfants se sont rassemblés «Gardiens et défenseurs, milieux de terrain et attaquants, ils se tiennent debout et droits». Et ces «chiffres héroïques» ont protégé l’arbre: « Nous vous défendrons et le dernier olivier, » affirment les défenseurs de la terre qui attend d’être libérée! »

Quand le bûcheron se réveille de sa sieste, il regarde les branches de l’arbre qui sont lourdement chargées, pas seulement d’olives ais de tous les jeunes enfants du village palestinien voisin.

A propos de son livre précédent, Bashi observe : «Ils ont essayé de brûler ‘P est pour la Palestine’ à New York, mais voyez la réponse mondiale à notre précieux petit livre écrit avec amour pour les enfants palestiniens et tous les autres enfants innocents du monde entier, et publié uniquement grâce à une collecte de fonds longue / modeste.» Maintenant, il y a une pression pour que paraisse “Counting up the Olive Tree.”

Beaucoup d’émotions différentes ont surgi en moi comme je regardais le livre à paraître. J’ai beaucoup apprécié le scénario édifiant, ainsi que les illustrations enjouées. «Delightful» [agréable, merveilleux] m’est apparu comme l’adjectif le plus approprié. Mais aussi, stimulant. Inspirant. J’ai adoré la présentation objective, une observation sobre et factuelle, qui tend néanmoins vers un résultat encourageant, «la terre n’est pas encore libre». Surtout, je suis reconnaissante envers Bashi, qui non seulement n’a pas cédé après la campagne haineuse lors de la publication de « P is for Palestine », mais a au contraire écrit un autre livre pour nous

  Le livre à compter pour enfants devrait être disponible en janvier 2019. J’en ai pré-commandé quelques exemplaires moi-même, dans le cadre de la collecte de fonds qui rend possible cette aventure si nécessaire. Vous pouvez également le faire. Nus pourrons ainsi sauver nos oliviers, dans le pays qui sera libre un jour.

« Counting Up the Oliver Tree: a Palestine Number Book », illustré par Nabi H. Ali

Mario Vargas Llosa, du sionisme au boycott? (Patience, pas encore)

21 mai 2018

Le texte que je vous propose ici est d’un intérêt certain, moins par son contenu que par son auteur.

En effet, l’auteur de cet article d’opinion est un illustre écrivain hispano-péruvien qui appartient à la même génération que Gabriel Garcia Marquez et Julio Cortazar. Comme Garcia Marquez, Vargas Llosa est lauréat du prix Nobel de la paix.

Engagé dans sa jeunesse à gauche, soutenant notamment la révolution cubaine, Mario Vargas Llosa a évolué politiquement pour se situer nettement à droite.

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Mario Vargas Llosa

Pour le sujet qui nous intéresse, il faut surtout savoir que Mario Vargas Llosa a regardé et continue à regarder l’aventure coloniale sioniste d’un œil très favorable. J’ignore depuis quand l’auteur péruvien est dans ces dispositions mais j’ai l’impression que c’est ancien et que c’est probablement d’abord lié à des amitiés personnelles entretenues avec des hommes de lettres de l’entité sioniste. Mais aussi à un vieux fond colonialiste chez cet homme originaire d’une ancienne colonie espagnole mais dont je doute qu’il appartienne à la communauté indigène de son pays. Ce fond colonialiste, je le repère dans sa reprise du mythe qui, après avoir servi en Algérie, a servi et continue à servir pour l’entité sioniste, à savoir que les colons juifs ont « construit des villes modernes et des fermes modèles là où il n’y avait que des déserts ».

On se demande comment quelqu’un d’intelligent et cultivé peut, en 2018, écrire ce genre de choses et en plus en faire un argument justifiant une entreprise de dépossession.

Une autre origine de son soutien au projet sioniste est évidemment le drame de la seconde guerre mondiale. Mais là aussi, l’écrivain parle des « Juifs expulsés d’Europe après les atroces massacres des nazis ».

J’ignore d’où Mario Vargas Llosa tient cette information mais les Juifs n’ont pas été expulsés d’Europe après la fin de la deuxième guerre mondiale. Les agents sionistes allaient par contre à la rencontre des réfugiés pour de leur vendre l’idée d’un départ vers la Palestine.

On voit comment, quand la réalité des faits ne permet pas de justifier une prise de position politique, on travestit ou déforme les faits pour qu’ils puissent assurer ce rôle justificateur.

Il n’empêche que Mario Vargas Llosa se pose des questions et qu’il se demande sérieusement si le pays qu’il a soutenu, et continue de soutenir, correspond encore au projet qu’il reconnaît chez ses quelques amis à présentables qu’il lui reste dans l’entité sioniste.

Encore un petit effort, et l’écrivain appellera au boycott de l’entité sioniste.

PS: je sais que la traduction n’est pas très bonne, mais Llosa est un écrivain (de renom), pas moi.

La boîte de Pandore

Ce ne sont pas les Palestiniens qui représentent le plus grand danger pour l’avenir d’Israël, mais Netanyahou, ses sbires et le sang qu’ils ont versé

Par Mario Vargas Llosa, El Pais (Espagne) 20 mai 2018 traduit de l’espagnol par Djazaïri

Au moment même où Ivanka Trump, enveloppée dans une robe diaphane qui devait parler à ceux qui étaient présents, découvrait la plaque inaugurant la toute nouvelle ambassade américaine à Jérusalem, l’armée israélienne tuait par balles soixante Palestiniens et en blessait mille sept cents, qui jetaient des pierres, en essayant d’approcher les barbelés qui séparent Gaza du territoire d’Israël. Les deux événements n’ont pas coïncidé par hasard, le dernier était une conséquence du premier.

La décision du président Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, annoncée lors de sa campagne électorale, brise soixante-dix ans de neutralité [sur ce point, NdT] des États-Unis. Ces derniers, comme ses alliés en Occident, soutenaient jusqu’à présent que le statut  de Jérusalem, revendiquée comme capitale par les Palestiniens et les Israéliens, devrait être décidé dans l’accord entre les deux parties en vue de la La boîte de tonnerrecréation de deux Etats existant côte à côte dans la région. Bien que la théorie des deux Etats soit encore parfois évoquée par les dirigeants des deux pays, personne ne croit que cette formule est encore possible, compte tenu de la politique expansionniste d’Israël dont les colonies de Cisjordanie dévorent les territoires et isolent un peu plus chaque jour  les villes et villages qui devraient former l’État palestinien. Si cet Etat existait, il serait à l’époque actuelle à peine moins qu’une caricature des bantoustans sud-africains du temps de l’apartheid.

 Le président Trump a affirmé que sa décision de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël était «réaliste» et que, au lieu d’entraver l’accord [entre les parties au conflit, NdT], elle le faciliterait. Il est possible qu’il ne l’ait pas seulement dit mais, dans sa formidable ignorance des affaires internationales auxquelles il pense quotidiennement d’une manière si irresponsable, qu’il le croie. Mais je doute que r beaucoup d’autres, à part lui et la poignée de fanatiques qui ont applaudi comme des enragés quand Ivanka a dévoilé la plaque dont Bibi Netanyahou qui, les larmes aux yeux, a hurlé : « Quel jour glorieux. » En effet, Trump a ouvert la boîte de pandore avec cette décision et, outre la confusion et la perplexité dans lesquels il a plongé ses alliés, il a provoqué en bonne partie la tuerie cruelle et stupide qui est venue s’ajouter au supplice qu’est, depuis longtemps déjà, la vie pour les malheureux habitants de Gaza.

La création des deux États coexisteraient en paix était la formule la plus sensée pour mettre fin à cette guerre larvée qui dure depuis soixante-dix ans au Moyen-Orient, et de nombreux Israéliens y ont cru pendant longtemps. Malheureusement, à l’époque d’Arafat, les Palestiniens rejetèrent un projet de paix dans lequel Israël fit des concessions notables, comme la restitution d’une grande partie des territoires occupés et l’acceptation de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la Palestine.

Depuis lors, cet immense mouvement de l’opinion publique israélienne qui voulait la paix est allé déclinant tandis que croissait le nombre de ceux qui, comme Sharon, pensaient que la négociation était impossible et que la seule solution viendrait d’Israël seulement et serait imposée aux Palestiniens par la force. Et il y a beaucoup de gens dans le monde, comme Trump, qui le croient aussi et qui sont prêts à soutenir cette politique insensée qui ne résoudra jamais le problème et continuera à remplir le Moyen-Orient de tension, de sang et de cadavres.

Ce processus a été rendu possible un gouvernement tel que celui  présidé par Netanyahu, le plus réactionnaire et arrogante qu’ait jamais eu Israël, et sûrement le moins démocratique donc convaincu de sa supériorité militaire absolue dans la région, qui harcèle sans relâche ses adversaires, vole chaque jour un peu plus de territoire et, les accusant d’être des terroristes qui mettent en péril l’existence du petit Israël, leur tire dessus et les blesse et les assassine à sa guise au moindre prétexte.

Je voudrais citer ici un article de Michelle Goldberg paru dans The New York Times du15 mai, à propos de ce qui s’est passé au Moyen-Orient et qui porte le titre de: « Un spectacle grotesque à Jérusalem ». L’article décrit en détail la concentration fantastique d’extrémistes israéliens et de fanatiques évangéliques américains venus célébrer l’ouverture de la nouvelle ambassade et la gifle que fut pour le peuple palestinien ce nouvel affront infligé par la Maison Blanche. L’auteur n’oublie pas l’intransigeance du Hamas, ni le terrorisme palestinien, mais rappelle également les conditions indescriptibles dans lesquelles les habitants de Gaza sont condamnés à vivre. Je les ai vues de mes propres yeux et je connais le degré d’abjection dans lequel survit à grand peine cette population, sans travail, sans nourriture, sans médicaments, avec des hôpitaux et des écoles en ruines, avec des bâtiments effondrés, sans eau, sans espoir, soumise à des bombardements aveugles chaque fois qu’il y a un attentat.

Mme Goldberg explique que l’image du sionisme a souffert dans l’opinion publique mondiale avec la droitisation extrême des gouvernements israéliens et qu’une partie importante de la communauté juive aux Etats-Unis ne soutient plus la politique actuelle de Netanyahu et des petits partis religieux qui lui donnent une majorité parlementaire. Je crois que cela s’applique également au reste du monde, à des millions d’hommes et de femmes qui, comme moi, ressentaient une identification à un peuple qui avait construit des villes modernes et des fermes modèles là où il n’y avait que des déserts et au sein duquel un nombre très important voulait vraiment une paix négociée avec les Palestiniens. Cet Israël n’existe malheureusement plus. Maintenant, c’est une puissance militaire, sans aucun doute, et d’une certaine manière coloniale, qui ne croit qu’en la force, surtout ces derniers temps,

Toute cette puissance ne sert pas à grand-chose si une société reste en permanence sur le qui-vive, dans l’attente de passer à l’attaque ou d’être attaquée, à s’armer chaque jour davantage parce qu’elle se sait haïe par ses voisins et même par ses propres citoyens, à exiger de sa jeunesse qu’elle passe trois ans dans l’armée pour assurer la survie du pays et continuer à gagner les guerres, et punir avec férocité et sans relâche, à ma moindre agitation ou protestation, ceux dont la seule faute est d’avoir été là, pendant des siècles  quand commencèrent à arriver les Juifs expulsés d’Europe après les atroces massacres des nazis. Ce n’est pas une vie civilisée ou désirable, vivre entre deux guerres et tueries, aussi puissant et fort que soit un Etat.

Les vrais amis d’Israël ne devraient pas soutenir la politique à long terme suicidaire de Netanyahou et de sa clique. C’est une politique qui fait de ce pays, qui était aimé et respecté, un pays cruel et sans pitié pour un peuple qu’il maltraite et subjugue tout en se présentant en même temps comme une victime de l’incompréhension et du terrorisme. Ce n’est plus vrai, si ce fut jamais le cas.

J’ai beaucoup d’amis en Israël, en particulier parmi ses écrivains, et j’ai défendu à plusieurs reprises son droit à l’existence, avec des frontières sûres, et, surtout, à ce qu’il trouve un moyen pacifique de coexister avec le peuple palestinien. Je suis honoré d’avoir reçu le Prix de Jérusalem et je suis heureux de savoir qu’aucun de mes amis israéliens n’a participé au « spectacle grotesque » qui mettait en vedette l’emblématique Ivanka Trump dévoilant la plaque inaugurale, et je suis sûr qu’ils ont ressenti tout autant de tristesse et d’indignation que moi pour la tuerie sur les barbelés de Gaza. Ils représentent un Israël qui semble avoir disparu ces jours-ci. Mais espérons qu’il revienne. En leur nom et en celui de la justice, nous devons proclamer haut et fort que ce ne sont pas les Palestiniens qui représentent le plus grand danger pour l’avenir d’Israël, mais Netanyahou et ses acolytes et le sang qu’ils font couler.

 

Le rêve sioniste converge avec le cauchemar suprémaciste

17 mai 2018

Un  texte intéressant de Lluís Bassets. Si l’article figure dans la rubrique opinion du journal El Pais, il n’en reste pas moins que Bassets est non seulement journaliste (et pas n’importe lequel) mais également directeur adjoint de ce journal espagnol pour la Catalogne.

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Lluís Bassets

Bassets capte bien l’essentiel de ce qui se joue en ce moment en Palestine, terre où s’exerce  avec une force inégalée l’idéologie agressive et suprémaciste  qui domine actuellement aux Etats Unis, pays où elle n’a jamais disparu malgré les succès de la lutte pour les droits civiques. C’est la convergence de ces suprémacismes qui est au cœur du texte présenté ici.

Comme le dit Lluís Bassets en conclusion, la Palestine est le miroir où chacun peut se regarder et où sont condensés tous les maux qui affectent le monde et l’empêchent de vivre en paix.

Avec Netanyahou et Trump, le rêve sioniste converge avec le cauchemar suprémaciste

Par Lluís Bassets, El Pais (Espagne) 17 mai 2018 traduit de l’espagnol par Djazaïri

La mutation est achevée. Le rêve a tourné et ne se différencie guère maintenant, 70 ans plus tard, du cauchemar Trumpien. Au moment même où des habitants de Gaza tombaient, tués par des tirs de snipers [sionistes], la fille de Donald Trump et son mari, Jared Kushner, accompagné par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, inauguraient l’ambassade américaine à Jérusalem. Douleur pour les uns et gloire pour les autres, le même jour et à seulement environ 80 kilomètres de distance.

El primer ministro de Israel, Benjamin Netanyahu, junto a  Ivanka Trump y a Jared Kushner frente a la nueva embajada estadounidense en Jerusalén, el pasado 14 de mayo.

14 mai 2018: inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem occupée.       Sara et Benjamin Netanyahou, Ivanka Trump et Jared Kushner

Le statut de la ville est l’un des trois sujets majeurs d’un différend persistant (les deux autres sont la restitution des territoires occupés et le droit au retour des Palestiniens expulsés). Dans tous les plans de paix, la question de Jérusalem devait être abordée en dernier. Ce ne sera plus le cas, puisque Washington, qui avait jusqu’alors prétendu agir en médiateur honnête, l’a laissée au bon vouloir de son président.

Trump tient ainsi sa promesse électorale. Au Moyen-Orient, on n’est pas dupe: il fait ce que veut Netanyahou, que ce soit rompre l’accord nucléaire avec l’Iran, ou reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël. Ce n’est pas une question de politique internationale. La seule politique qui l’intéresse est la politique intérieure des États-Unis, où il soigne son électorat avant les élections de mi-mandat au cours desquelles la majorité républicaine est en jeu au Congrès et au Sénat et l’éventualité d’une réélection à la présidence en 2020

Le geste aura un impact international relatif. Peu de pays, et seulement de petits pays, le suivront dans la relocalisation des ambassades. Mais la répression militaire qui s’abat sur les Gazaouis est déjà de toute évidence disproportionnée. La tuerie isole encore plus Israël et détériore son image de démocratie civilisée, bien que cela ne soit guère important pour Netanyahou du moment que Trump est inconditionnellement de son côté.

La dérive de Washington laisse un vide que personne ne comblera. La Russie ne le fera pas, qui est revenue dans la région avec des réflexes tactiques de superpuissance prudente, mais sans la capacité d’agir comme un médiateur honnête. C’est encore moins le cas de la Chine, pas encore mûre pour agir comme une superpuissance mondiale. Ce n’est pas le cas non plus de l’Union Européenne qui, comme l’a souligné Jeremy Shapiro dans Foreign Affairs, manque d’unité et de volonté (« Pourquoi Trump peut-il tranquillement ignorer l’Europe? Ses dirigeants s’empressent de condamner mais n’agissent jamais »).

Selon Netanyahou, également maître dans l’art de l’inversion du sens, Trump a fait l’histoire dans un grand jour pour la paix. C’est pourquoi il donnera son nom à une place, à une gare et même à un club de football, le Beitar Jerusalem qui ajoutera le nom du président à son nom.

La lumière parmi les nations est maintenant un miroir du monde. De l’unilatéralisme, du désordre international, du bellicisme, et aussi des inégalités, de l’injustice, de la discrimination, de l’extrémisme, du suprémacisme. Dans ce territoire disputé, deux nations sont dans une étreinte sanglante , victimes de différents moments historiques: l’une ayant obtenu réparation et l’autre mise à terre, 70 ans ensemble, mais sans paix, sans pitié, sans pardon. Le miroir où nous regarder.

 

L’entité sioniste ou l’assassinat comme politique

1 mai 2018

Cet article de The Intercept est un compte rendu de lecture de « Rise and kill first », un livre sur la politique d’assassinat mené par l’entité sioniste à l’encontre de ses ennemis, palestiniens en premier lieu.

« Rise and kill first » est un extrait d’une exhortation talmudique: « Si quelqu’un vient pour te tuer, lève-toi et tue-le avant »

Le livre, qui a donné lieu à quelques articles en français que vous trouverez sur la toile, dont le lien ci-dessus (mais pas aussi intéressants que celui que je vous propose) relève certains faits importants. Par exemple que la violence meurtrière à l’égard des civils caractérise le projet colonial sioniste dès le départ avec l’imitation des méthodes en vigueur dans la police tsariste qui les exerçait aux dépens des Juifs de l’Empire russe. L’histoire de la Haganah, c’est-à-dire l’armée sioniste, prétendument la plus morale du monde, s’inscrit précisément dans ce phylum. Ou encore que, contrairement aux autres Etats, où on tend à laisser les assassins dans l’ombre, l’Etat sioniste tend à les valoriser au point d’en faire des hommes de gouvernement de premier plan.

On apprend ainsi qu’un homme qui deviendra chef de l’Etat sioniste, Yitzhak Ben Zvi, ordonna l’assassinat en 1924 de Jacob Israel de Haan, un chef religieux juif qui s’était éloigné du sionisme politique. Jacob Israel de Haan était par ailleurs un homosexuel et on a parfois prétendu que ce fut une des causes de son assassinat…

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Jacob Israel de Haan

Charles Glass complète cependant le propos de l’auteur du livre en notant le rôle des Britanniques, notamment d’un officier sioniste chrétien, dans la formation des tueurs sionistes, de Moshe Dayan en particulier.

Plus important, et la comparaison avec la pratique de l’assassinat à grande échelle par les Etats Unis vient à l’appui de ce constat, la leçon qu’on peut retirer de la politique d’assassinats menée par le régime sioniste est que, si elle semble permettre des victoires tactiques, elle ne permet aucunement de répondre à l’enjeu essentiel qui est celui de la survie à long terme de l’Etat voyou. Elle peut même au contraire avoir des conséquences négatives sur ce plan ainsi que l’a montré l’émergence du Hezbollah au Liban, une force redoutable pour l’entité sioniste apparue au sein d’une communauté chiite qui, auparavant, ne représentait nullement une menace pour Tel Aviv

Nous touchons du doigt ici l’incapacité stratégique de l’Etat voyou qui, s’il veut perdurer, ne doit pas se projeter à dix ans, ni même vingt ans mais plutôt à cent ans s’il veut avoir quelque espoir de subsister au milieu de communautés multimillénaires.

 

« Rise and kill first » explore les effets pervers du programme israélien d’assassinats

Par Charles Glass, The Intercept 11 mars 2018 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le titre du livre

Au milieu des années 1960, l’auteur de comédies pour la télévision Sol Weinstein avait produit une série de livres parodiques avec l’agent Israel Bond du M 33 et 1/3, un Mossad à peine déguisé. «Loxfinger», «Matzohball», «Au service secret de Sa Majesté la Reine» et «Vous ne vivez que jusqu’à ce que vous mouriez» étaient la réponse de la Borscht Belt au machisme chic des romans d’Ian Fleming qui se frayaient un chemin sur grand écran. Les exploits de l’agent Oy-Oy-7 étaient très drôles.

« Non seulement un détenteur d’Oy-Oy était autorisé à tuer », écrivait Weinstein en 1965 dans « Loxfinger », mais « il était également habilité à assurer un service commémoratif pour la victime. » Plutôt que « shaken not stirred« , Bond Schlemiel exigeait des egg creams dans « le style de la 7ème et de la 28ème tue… pas de copeaux de glace dans des verres Corning de 25 cl. » Il allumait ses Raleighs bout-filtre avec son « Nippo, véritable copie japonaise d’un Zippo. » Les trois premiers épisodes étaient sortis en 1965 et 1966. Le quatrième, « Vous ne vivez que jusqu’à ce que vous mouriez », a été publié un an après la guerre des Six Jours de 1967 et a mis fin à la série. L’agent secret juif n’était plus une blague.

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Comme Ronen Bergman le dit clairement dans son exposé pénétrant sur le programme d’assassinat secret d’Israël, «Rise and Kill First: L’histoire secrète des assassinats ciblés d’Israël», les agents envoyés par Israël pour assassiner ses ennemis n’étaient jamais très drôles. Israël est une rareté parmi les nations: Plutôt que de confiner ses assassins dans l’ombre, il les promeut au poste de Premier ministre. L’histoire de Bergman fait état d’assassinats extra-judiciaires exécutés en personne par Menahem Begin, Yitzhak Shamir, Ariel Sharon et Ehud Barak, qui tous se hissèrent à la tête du gouvernement israélien. Ce livre soigneusement documenté, écrit en sept ans et demi, met en lumière un appareil d’État qui brouille les distinctions entre collecte de renseignements et opérations, soldats et assassins, politiciens et meurtriers, mais revendique plus de triomphes que de défaites.

Bergman, un ancien avocat israélien et journaliste d’investigation, trace non seulement les détails des assassinats au cours du siècle dernier, mais aussi l’effet pervers de dépendre d’opérations secrètes à l’exclusion de la diplomatie et du compromis. Pourquoi négocier avec vos ennemis quand il est si facile de les tuer ?

Dès les premières décennies de la colonisation sioniste européenne dans la Palestine ottomane, certains colons imitèrent les méthodes de l’Etat policier tsariste, dont ils avaient fui l’antisémitisme en marquant des ennemis à éliminer. Bergman reprend l’histoire de la fondation en 1907 par Yitzhak Ben Zvi de Bar Giora, du nom de Simon Bar Giora, chef d’une rébellion malheureuse contre Rome au 1er siècle après JC. Cette organisation devint le Hashomer,l a  Garde, puis la Haganah, puis les Forces de défense israéliennes, ou FDI [l’amée de l’entité sioniste, NdT]. Parmi les premières victimes de Bar Giora, il y eut Araf al-Arsen, un officier de police arabe que Ben Zvi considérait comme hostile aux colons, en 1909. Les massacres ne cessèrent pas après que les Britanniques eurent occupé la Palestine avec l’intention de créer, selon l’expression de la Déclaration Balfour « un foyer national pour le peuple juif. « Ben Zvi ordonna l’assassinat en 1924 d’un chef religieux juif, Jacob de Haan, connu pour son opposition au sionisme. Le tueur était Avraham Tehomi qui avait rompu avec le dirigeant juif le plus populaire de la Palestine, David Ben Gourion, pour fonder l’Irgoun Zvai Leumi (Organisation militaire nationale) en 1931. Ben Gourion était à l’époque opposé aux assassinats, un point de vue qui évolua quand il fut au pouvoir dans le nouvel Etat. Pendant ce temps, des factions sionistes clandestines assassinaient des officiels et des civils britanniques et arabes.

Bergman raconte en détail les nombreuses opérations entreprises par l’État naissant qui ont contré un programme de missiles égyptiens, brisé l’échine des commandos palestiniens opérant depuis Gaza, pénétré les services de renseignement syriens et placé des micros espions dans l’appartement en Allemagne où de jeunes activistes palestiniens planifiaient des raids en Israël. C’est une histoire étonnante, pleine de prouesses, mais Bergman ne néglige pas les crimes de guerre commis en cours de route. Le massacre par Ariel Sharon d’au moins 99 personnes dans le village de Qibya en Cisjordanie en 1953 n’était fait qu’un parmi tant d’autres qui tournaient en dérision Tohar HaNeshek, la pureté des armes, qu’Israël revendiquait pour ses forces armées [l’armée la plus morale du monde, NdT]. En outre, la concentration des ressources sur les assassinats, écrit Bergman, a conduit Israël à ignorer les signes annonçant que l’Egypte et la Syrie préparaient une guerre en octobre 1973 pour récupérer les territoires perdus en 1967.

Dans la soirée du 9 avril 1973, Israël lança « l’une des plus grandes opérations d’assassinats ciblés du vingtième siècle, sinon la plus grande », pour tuer trois responsables palestiniens à Beyrouth. Soixante-cinq agents, dirigés par Ehud Barak habillé en femme, débarquèrent de 19 canots pneumatiques, soutenus par 3 000 agents de communications, de logistique et de renseignement en Israël, et firent irruption dans les appartements des trois Palestiniens. L’un d’entre eux, Kamal Nasser, était un porte-parole, pas un combattant. La femme d’un autre, Yusuf al-Najar, est morte près de lui dans leur lit. Bien que je fus à Beyrouth ce soir-là, je n’appris pas le raid avant le lendemain matin quand des Palestiniens en colère manifestèrent dans les rues. Des rumeurs circulèrent sur une collaboration de l’Etat libanais avec les Israéliens, ce qui n’était pas le cas. Le pays se polarisa alors sur la question palestinienne. Bergman ne traite pas des effets du raid sur le Liban qui a vu l’OLP et l’armée libanaise s’affronter en mai, préfigurant la guerre civile qui devait suivre en 1975 et pousserait Israël à envahir le Liban en 1978 et en 1982.

Parce que le livre se concentre sur les actions israéliennes et leurs effets corrupteurs sur la politique israélienne, il y manque parfois leurs conséquences dans les pays où elles ont eu lieu. Se servir des citoyens juifs de Syrie, d’Egypte et d’Irak comme espions, par exemple, a créé la fausse impression que leurs communautés étaient des cinquièmes colonnes. Bombarder et envahir le Liban dans les années 1970 et 1980, l’assassinat étant un élément essentiel de la campagne, a fait émerger de la communauté chiite libanaise jusqu’alors pacifique une organisation appelée Hezbollah qui est devenue la force de guérilla la plus efficace qu’ait jamais affrontée Israël.

Ce livre traite des opérations ratées, comme l’assassinat du serveur marocain Ahmed Bouchikhi [frère de Chico du groupe de musiciens flamenco les Gipsy Kings], que les agents israéliens avaient pris pour le chef des renseignements palestiniens, Abu Hassan Salameh. Il admet également qu’une partie de la campagne pour tuer Salameh, qui finit par réussir à Beyrouth en 1979, a eu pour conséquence une rupture de sa relation avec la CIA dont Israël craignait qu’elle conduise à la reconnaissance politique de l’OLP. Tuer était un outil non seulement pour épargner des vies israéliennes, mais aussi pour influer sur la politique internationale.

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Ahmed Bouchikhi, à gauche, a été assassiné en 1973 à Lillehammer (Norvège) devant sa femme par le Mossad qui l’avait pris pour le leader palestinien Ali Hassan Salameh

Tout excellent que soit ce travail, il n’est pas sans absences inexpliquées, dont l’inclusion ne contredirait en rien la thèse de Bergman. L’une est le rôle d’un officier de l’armée britannique et fervent sioniste chrétien, Orde Wingate. Pendant la révolte arabe de 1936-1939 contre la domination britannique et la colonisation sioniste, Wingate entraîna de jeunes combattants juifs de ses escadrons de nuit spéciaux [Special Night Squads], dont Moshe Dayan, à assassiner et à terroriser les villageois arabes. Ses activités ne méritent qu’une brève note de bas de page dans «Rise and Kill First», bien que l’État israélien a reconnu sa dette envers lui en donnant son nom au Centre Wingate Institute pour l’éducation physique et le sport en 1957 en l’honneur de «l’ami». Un autre élément manquant est l’affaire Lavon de 1954, quand Israël a payé des agents juifs égyptiens pour poser des bombes dans des centres culturels américains afin de nuire aux relations entre les États-Unis et le nouveau régime de Gamal Abdel Nasser. L’opération avait échoué avec la capture des agents par les Egyptiens, et le ministre israélien de la Défense Pinhas Lavon avait été contraint de démissionner suite à la condamnation internationale.

Bergman écrit: «Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a assassiné plus de gens que n’importe quel autre pays occidental.» Les chiffres qu’il cite – 1 000 morts avant la deuxième Intifada palestinienne, 168 «liquidations» réussies pendant cette Intifada, et 800 assassinats ciblés « depuis lors – sont sans comparaison avec le record des États-Unis. Au Vietnam seulement, l’Opération Speedy Express et le Programme Phoenix in Vietnam ont coûté la vie à plus de 30 000 partisans du Viet Cong. Les escadrons de la mort dirigés par les États-Unis en Amérique latine ont tué des milliers de personnes. Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont adopté l’assassinat d’ennemis présumés comme un instrument politique légitime, même si sa légalité est douteuse. « Killing Hope: les interventions de l’armée américaine et de la CIA depuis la Seconde Guerre mondiale »  le livre de William Blum cite plus de 50 tentatives de la CIA pour attenter à la vie de politiciens étrangers. La CIA a tenté et n’a pas réussi à tuer Zhou Enlai en 1954, le général irakien Abdel Karim Kassem en 1959, et Fidel Castro, à plusieurs reprises. Masquant ces échecs ont été la participation réussie de l’agence au meurtre du dirigeant congolais Patrice Lumumba en 1961, des frères Diem au Vietnam en 1963 et de Salvador Allende au Chili en 1973. Ce n’est qu’en 1976 que le président Gerald Ford signe le décret 11905 qui interdit aux agents du gouvernement de «se livrer, ou conspirer à s’engager dans, l’assassinat politique». Ce décret, avec de nombreuses autres protections, a été jeté par-dessus bord en 2001, à la suite des tueries de masse d’Al-Qaïda le11 septembre.

Présentement, les États-Unis, Israël, la Russie, la Corée du Nord et bien d’autres membres de la communauté des nations continuent d’assassiner leurs opposants sans avoir à rendre des comptes. Le monde est revenu au droit divin des rois de décider qui vivra et qui mourra. Bergman a accompli le précieux service de nous refuser le droit de prétendre – comme tant d’Allemands l’ont fait en 1945 – que nous ne savions pas.

L’islamophobie sera le nouvel antisémitisme selon le Professeur John L. Esposito

20 avril 2018

Le point de vue exposé ici est celui d’un Chrétien qui professe dans une prestigieuse université catholique de Washington aux Etats Unis. Quelqu’un qui est donc solidement ancré dans ses convictions chrétiennes, ce qui ne l’empêche pas de constater la réalité de l’islamophobie.

Il est détesté par les islamophobes qui lui reprochent notamment ses prises de position jugées trop favorables à la cause palestinienne. De fait, s’il est franchement abusif d’affirmer que derrière chaque islamophobe se cache un Juif, on peut dire que bien souvent se cache un sioniste ou une officine sioniste.

Le professeur Esposito ne propose malheureusement pas  une analyse des causes internes de la montée de l’islamophobie dans les sociétés occidentales. Mais peut-être que cette interview n’était pas le lieu adéquat pour ce genre de développement ?

« L’islamophobie sera le nouvel antisémitisme »

Rencontre avec John L. Esposito, professeur à l’université de Georgetown

Par Rosa Meneses, El Mundo (Espagne) 20 avril 2018 traduit de l’espagnol par Djazaïri

John L. Esposito (né en 1940 à New York), professeur à l’Université de Georgetown , est l’un des plus grands spécialistes mondiaux du dialogue interreligieux et un auteur prolifique, avec plusieurs livres consacrés à la connaissance de l’islam. Parmi ses anciens étudiants figurent le roi Philippe VI d’Espagne, le roi Abdullah de Jordanie ou l’ancien président américain Bill Clinton. Mercredi, Esposito a été nommé docteur ‘honoris causa’ par l’Université Pontificale Comillas ICAI-ICADE et hier, juste avant de partir pour la Malaisie, il a donné une interview à EL MUNDO.

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Le Professeur John L. Esposito

L’université [pontificale] vous a distingué pour votre travail en faveur du dialogue inter-religieux, en particulier entre Christianisme et Islam. Après des siècles d’existence, nous n’avons toujours pas appris à vivre ensemble ?

Je pense que nous avons bien réussi en termes de coexistence, mais au cours de ces dernières années, il y a eu des reculs importants. Si nous regardons, par exemple, la situation politique mondiale, nous voyons de grandes divisions entre l’Europe, les États-Unis, la Russie ou la Chine. Nous vivons dans un monde globalisé et, que cela plaise ou non, nous sommes interdépendants culturellement, politiquement et économiquement. Mais aujourd’hui, nous voyons comment les politiciens d’extrême droite aux États-Unis et en Europe prêchent un discours d’exclusion, contre les immigrés et les musulmans. Et à titre d’exemple, nous avons la situation ridicule de pays comme la République tchèque, la Pologne et la Hongrie [qui connaissent une poussée xénophobe, NdT] où il n’y a même pas un grand nombre de musulmans ou d’immigrés. Je pense que la coexistence est un défi et je n’exagère pas quand je dis que ce sont des temps dangereux à vivre.

De Donald Trump à Marine Le Pen ou Viktor Orban, nous assistons à la montée du populisme dans le monde. Pourquoi leur discours commun est-il une réaction contre l’Islam ?

Oui, il y a une réaction contre les musulmans, mais cela fait partie d’une réaction générale contre les immigrants. Nous oublions que, pour de nombreuses personnes en Europe et aux États-Unis, leurs relations avec l’islam et les musulmans ont commencé avec la révolution islamique iranienne en 1979. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme en 1974, l’islam et les musulmans étaient invisibles. Après la Révolution de 1979 – qui a été suivie par l’assassinat de [le président égyptien, Anouar] Sadate et ensuite par la montée d’Al-Qaïda – les musulmans ont été vus d’une fenêtre très étroite à travers laquelle on généralise. Les problèmes survenus en 1979 avaient eu une couverture médiatique qui avait vraiment exacerbé la situation.

Sommes-nous, nous les médias, responsables de la mauvaise image de l’islam et des Musulmans ?

Non, les terroristes sont responsables. Mais les médias ont une grande influence. Je ne dis pas qu’ils offrent une image négative d’une manière délibérée, mais c’est une réalité. Il existe une très grande disparité entre la couverture médiatique des sociétés musulmanes et la couverture médiatique de l’extrémisme. Dans une étude réalisée en 2015 et 2016 au Royaume-Uni et en Allemagne, huit reportages sur dix étaient négatifs et traitaient de l’extrémisme religieux. Les dirigeants politiques et les élites éduquées ont une vision de la réalité basée sur celle fournie par la télévision, les médias et même les réseaux sociaux. Le problème est lorsque cette vision est utilisée comme une arme par des politiciens qui jouent avec la peur parce qu’elle leur donne des votes et de l’argent.

Pensez-vous que l’islamophobie est devenue un problème dans nos sociétés actuelles tout comme l’antisémitisme le fut dans l’Europe des années 1930 ?

Il y a un risque que l’islamophobie devienne le nouvel antisémitisme. C’est une idée sur laquelle j’ai mis en garde dans mes écrits depuis des années. Aux Etats-Unis, il y a même des organisations juives qui ont reconnu ce problème et qui, ces dernières années, ont soutenu des projets contre l’islamophobie, parce qu’elles voient une ressemblance qui leur est familière avec ce qui s’est passé en Europe. Des études publiées en 2015 et 2016 montrent que l’islamophobie est là pour rester et qu’elle est également en cours de normalisation dans le sens que vous pouvez dire des choses contre les musulmans et l’islam publiquement (dans les médias, etc.) en bénéficiant de la liberté d’expression, alors que ce ne serait pas admis si ces choses visaient d’autres groupes parce qu’elles seraient considérées comme racistes. Et cela conduit à un discours de haine ou à des crimes de haine comme les attaques contre des mosquées qui ont eu lieu au Royaume-Uni. Nous sommes restés sourds à ces signaux.

L’islam politique a-t-il changé suite aux révolutions arabes ?

Pas tellement l’islam politique. Je crois que ce qui s’est passé est qu’une partie de la vague de changement a rendu certains pays plus autoritaires. L’Egypte ou les pays du Golfe, par exemple. La Tunisie est un bon exemple de ce que l’islam politique peut faire. En Egypte, il y a eu beaucoup d’erreurs mais le moyen de canaliser la situation avec Mohamed Morsi, qui a été élu démocratiquement, aurait dû être d’attendre les élections. Cependant, les militaires [égyptiens] craignaient ce qui pouvait résulter des élections. Donc, ce que nous voyons maintenant, c’est qu’ils ont géré les élections comme auparavant, quand le leader se présente et obtient 97% des voix. Quand les islamistes sont autorisés à participer au système politique comme n’importe quel autre groupe de citoyens et qu’il existe une vaste société civile, vous pouvez voir comment ils sont intégrés dans ce système. Au cours des 20 dernières années, nous avons vu des élections en Jordanie, au Koweït, en Malaisie, en Indonésie, au Sénégal, au Maroc, où les islamistes participent au système. Mais cela est caché à la fois par les politiciens et les médias de droite, qui mettent tous les islamistes dans le même sac et, au lieu de parler de leur participation à la société, ils concentrent leur attention uniquement sur Al-Qaïda et l’État islamique. .

L’Islam a-t-il besoin d’une réforme religieuse pour s’adapter à l’époque?

J’ai écrit beaucoup de livres à ce sujet. La réalité est que les réformateurs ont toujours existé, mais que leur démarche été entravée. Il est très difficile de préconiser des réformes dans les pays autoritaires, surtout s’il est question de réformer les traditions religieuses parce que tout ce qui affecte la société en termes culturels et politiques est une menace pour les régimes autoritaires. D’un autre côté, il y a des chefs religieux conservateurs qui bloqueront tout changement à cet égard. Pour que les réformes puissent se frayer un chemin, elles ont besoin d’une société ouverte.

Avons-nous surmonté le discours du «choc des civilisations»?

Huntington et moi avons débattu ensemble plusieurs fois. L’expression «choc des civilisations» a beaucoup été utilisée au fil des années, mais elle a signifié différentes choses. Parce que la question est : « quelle est la direction de ce choc ? » La notion de «confrontation» est utilisée par les deux parties ; elle est également utilisée par les extrémistes musulmans. D’un autre côté, j’ai travaillé pendant de nombreuses années avec Gallup et dans nos études nous voyons que les musulmans admirent beaucoup de choses de l’Occident : les libertés, l’éducation, la démocratie, l’économie, par exemple … Mais ils critiquent le double standard en termes de la défense de la démocratie. Ils disent que l’Occident ne fait que promouvoir la démocratie pour lui-même, alors que pour le Moyen-Orient, il préfère promouvoir la sécurité et les affaires, comme George W. Bush l’a fait et comme le fait maintenant Trump. La sécurité est à nouveau l’axe des relations entre les États-Unis et l’Union européenne avec les pays du Moyen-Orient. Trump est revenu pour articuler cette politique dans laquelle on dit aux autocrates : « Ce que vous faites dans votre pays est votre affaire ».


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