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Séfarade et musulmane

27 avril 2024

Cet article sur la nationalité espagnole accordée aux descendants de Juifs séfarades qui ont fui ou ont été expulsés d’Espagne après 1492, date de la clôture de la «Reconquête» chère à Eric Zemmour, est un excellent complément au précédent publié sur ce blog le 26 avril.

On trouve ici la confirmation que Séfarade aujourd’hui ne veut pas nécessairement dire juif puisque la jeune femme qui fait l’objet de l’article est une palestinienne de confession musulmane (ou du moins ses parents le sont). L’histoire de ses ancêtres nous dit quelque chose de l’histoire de l’islamisation: ces derniers après avoir quitté l’Espagne se sont retrouvés au Maghreb puis à Alexandrie avant d’arriver à Jaffa qui venaient de passer dans l’orbite ottomane.

C’est à Alexandrie que ses ancêtres se convertissent à l’Islam et c’est ainsi que, par la suite, leur histoire se confondra avec celle de la population de Palestine. L’histoire de cette famille n’est qu’un exemple du parcours d’autres familles de Palestine qui, au fil du temps, sont passées de la religion juive ou chrétienne à la religion musulmane dans un processus qui fonctionnait encore au 19ème siècle.

Cette histoire nous rappelle aussi que l’islamisation des différentes contrées incorporées dans ce qu’on appelle le monde arabe, loin d’être immédiate a  été progressive et pratiquement toujours inachevée puisque à l’époque contemporaine tous les pays de cette région du monde comprenaient, et certains compressent encore, des communautés religieuses non musulmanes, juives ou chrétiennes

Passeport espagnol pour une Palestinienne séfarade

Heba Iskandarani, une réfugiée titulaire d’un document d’identité du Liban, obtient la nationalité espagnole après avoir enquêté sur ses ancêtres juifs expulsés en 1492

Par Miriam Blanco, El Pais (Espagne) 28 octobre 2024 traduit de l’espagnol par Djazaïri

A 26 ans, Heba Iskandarani peut se targuer d’être cosmopolite : née à Dubaï et vivant au Royaume-Uni, elle est la fille d’une mère libanaise et d’un père palestinien. Mais jusqu’au 31 août, aucun pays ne lui avait délivré de passeport. Elle voyageait avec un sauf-conduit libanais dans lequel elle apparaît comme une réfugiée palestinienne. Grâce à l’étonnante découverte de ses origines séfarades, elle est désormais citoyenne espagnole.

Heba Iskandarani et son passeport espagnol

Tout a commencé avec une analyse ADN et le fervent désir de ne plus être apatride. Il y a quatre ans, elle a informé son père que son nom de famille apparaissait sur Internet comme appartenant à une famille juive argentine. «Nous avons découvert que certaines de nos racines étaient en Espagne », raconte-t-elle au téléphone, toujours étonnée. Après cette révélation, la jeune femme a enquêté sur son lignage pour bénéficier de la loi qui, entre 2015 et 2019, a ouvert la possibilité d’obtenir la nationalité espagnole aux descendants de juifs expulsés par les Rois catholiques en 1492.

Le point de départ a été son grand-père paternel, Ahmad Iskandarani, un Palestinien expulsé de la ville côtière de Jaffa (aujourd’hui un quartier de Tel Aviv) après la création de l’État d’Israël en 1948. « Il ne parlait pas beaucoup, il s’habillait bien. », c’est tout ce qu’elle avait pu apprendre de sa grand-mère, qui était encore en vie. Dans son exode de réfugié vers le Liban, où il élevait huit enfants, il avait fait disparaître le nom de son père, Ayub (Job, en arabe), de sa pièce d’identité.

La jeune Iskandarani l’a présenté comme preuve de son ascendance séfarade devant la Fédération des communautés juives d’Espagne (FCJE), mais ni cette documentation ni le fait que son grand-père Ahmad avait des demi-frères aux noms sans équivoque hébreux – Yakub et Moïse – n’étaient suffisants pour obtenir le certificat de la FCJE. Elle a alors envoyé sa mère fouiller le grenier de la maison familiale au Liban. «Je lui en voulais beaucoup parce qu’elle était libanaise», avoue-t-elle en riant, repentante. « J’étais très proche de mon objectif et le gouvernement de Beyrouth ne pouvait pas m’aider », ajoute-t-elle.

Camouflée parmi une pile de papiers, une pièce d’identité appartenant à l’arrière-grand-mère paternelle, Latife, a été retrouvée. Le nom de famille de la mère d’Ahmad était Al Djerbi, un patronyme qui remonte à Djerba ou Djerba, l’île de Tunisie qui abrite encore une ancienne communauté juive. C’était une preuve concluante de son ascendance séfarade.

Par l’intermédiaire de ses avocats, Heba a engagé Roger Louis Martínez-Dávila , professeur d’histoire médiévale espagnole à l’Université du Colorado (États-Unis), pour valider sa généalogie. Il a localisé le lieu d’origine des ancêtres d’Iskandarani dans la Calle del Call dans le quartier juif de Barcelone, où jusqu’à quatre générations sont documentées. Après leur expulsion du royaume d’Aragon, ils voyagèrent du Maroc à Alexandrie, où ils se convertirent à l’islam avant d’arriver au port de Jaffa en tant que marchands sous l’Empire ottoman.

Une fois remplie la principale condition pour obtenir la nationalité espagnole, il lui restait encore à surmonter une longue course d’obstacles bureaucratiques et de dépenses importantes, qui entre les avocats, les honoraires, les notaires, les déplacements et les certifications, s’élevaient à environ 6 000 euros.

Déterminée, elle a réussi l’examen d’espagnol à l’Institut Cervantes de Dubaï, même si elle ne connaissait absolument pas la langue. « J’ai fait don de 200 euros à la Croix-Rouge espagnole », explique Heba, pour prouver le « lien particulier avec l’Espagne » exigé des candidats d’origine séfarade à la nationalité espagnole. Elle a également présenté la preuve de transferts d’une valeur de 300 000 euros effectués par son père, chef d’une entreprise qui importe des engrais espagnols aux Émirats arabes unis. «J’ai même pensé à prendre des photos en regardant des séries espagnoles sur Netflix », plaisante-t-elle.

Tout en se remémorant ses tribulations, elle dit sa satisfaction d’avoir obtenu le passeport espagnol. En plus d’être un symbole d’identité, c’est un atout précieux qui ouvre les portes sur le monde. « Le visa que j’ai par mon père ne me permet de travailler dans aucun pays de la région », précise-t-elle. Elle prépare actuellement un doctorat sur la reconstruction après les conflits au Moyen-Orient à l’ Université de Birmingham en Angleterre.

«Le 12 septembre, jour où j’ai reçu mon passeport espagnol,c’était une renaissance », avoue-t-elle avec enthousiasme. «C’est comme un nouvel anniversaire», célèbre-t-elle. « Palestinienne, juive, libanaise, musulmane, dubaïote et espagnole », ainsi se définit désormais la séfarade Heba Iskandarani, qui s’est toujours sentie avant tout citoyenne du monde.