Un point de vue sud-africain sur la décision de la Cour Internationale de Justice

Une analyse sud-africaine de la décision rendue par la Cour Internationale de Justice de la Haye saisie par le gouvernement de l’Afrique du Sud qui accusait le régime sioniste de génocide.

Selon Nontobeko Hlela, la décision rendue à La Haye fera date car elle reconnaît que la population de Gaza fait face à un risque de génocide et que la cour enjoint au régime sioniste de faire le nécessaire pour l’éviter, pour prévenir et sanctionner les appels au génocide et faciliter la fourniture d’aide en nourriture et autres produits indispensables aux habitants de Gaza.

Nontobeko Hlela rappelle que les puissances occidentales, qu’elle qualifie de complices du génocide, avaient qualifié la démarche sud-africaine de sans fondement. Le ministre français des affaires étrangères avait même déclaré à l’Assemblée Nationale que «accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral». Probablement parce que Stéphane Séjourné répète la rhétorique sioniste qui veut que l’armée du régime sioniste soit la plus morale du monde.

Nontobeko Hlela

La Cour a rendu justice à l’Afrique du Sud qui a fait preuve de grandes vertus morales et de courage.

Et depuis, les moralisateurs ont tombé le masque et s’associent au génocide en suspendant leurs contributions financières à l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée de l’aide humanitaire plus  vitale que jamais pour les habitants de ce territoire

La décision de la CIJ marque une rupture de l’ordre international

par Nontobeko Hlela, The Mail & Guardian (Afr. Du Sud) 28 janvier 2024 traduit de l’anglais par Djazaïri

La rupture du système international tel que nous le connaissons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est bel et bien en marche. Le jugement de la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’affaire portée devant elle par l’Afrique du Sud a été un coup dur pour Israël et ses alliés.

Les ordonnances de la CIJ, qui ont vu 15 juges sur 17 se mettre d’accord sur quatre des six ordonnances prononcées contre Israël, indiquent un changement sismique dans l’équilibre mondial des forces. Ce changement penche clairement vers les pays du Sud, des pays comme la Gambie et maintenant l’Afrique du Sud ayant lancé avec succès un appel à l’intervention de la CIJ.

Le courage de ces pays africains pour contourner l’impasse du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU), qui a toujours été pris en otage par les grands acteurs avec leur droit de veto, est inspiré.

Le soi-disant « système international » et « l’ordre fondé sur des règles » censés garantir les droits de l’homme pour tous ne l’ont jamais fait et la position consternante de l’Occident face à la destruction de Gaza et au massacre organisé de sa population a montré qu’il est incapable de se réformer.

Mais nous nous trouvons désormais dans un soudain mouvement vers des possibles. La défaite d’Israël à la CIJ a montré que l’Occident n’est pas invulnérable. Elle a également montré que tout le monde et toutes les institutions peuvent ne pas se plier à la volonté des hommes politiques. Ces deux évolutions ouvrent la porte à la possibilité de changements majeurs dans l’ordre mondial.

Beaucoup pensaient que le nombre important de juges occidentaux siégeant à la CIJ signifierait un rejet pur et simple de la requête de l’Afrique du Sud, conformément aux vues de la plupart des capitales européennes. Cela ne s’est pas produit, tous les juges occidentaux ayant voté en faveur des ordonnances sud-africaines.

Il y a peut-être eu une erreur de calcul de la part d’Israël et de ses alliés, qui avaient rejeté avec arrogance la requête de l’Afrique du Sud devant la CIJ, la qualifiant de « sans fondement » et « sans objet ». Le jugement montre que même lorsque les hommes politiques n’ont pas la force morale nécessaire pour défendre ce qui est juste, les plus grands juristes du monde peuvent examiner et examineront chaque cas selon sa pertinence et se rangeront du côté de la justice. Les capitales occidentales se sont alignées derrière Israël, mais pas les juges occidentaux.

Israël et ses soutiens occidentaux, ainsi que la majorité des médias occidentaux, semblent également n’avoir pas réussi à saisir le changement du rapport de force mondial, un changement qui ne laissera pas le système géopolitique inchangé. Ce changement élimine la nécessité d’obtenir l’approbation des capitales occidentales et l’hypothèse selon laquelle les États les plus faibles doivent sans  s’aligner sans hésiter sur leurs points de vue.

Les dirigeants occidentaux n’ont pas non plus compris l’ampleur de l’effroi suscité dans leurs propres peuples par les actions d’Israël contre la population palestinienne et par le soutien implicite et explicite de leurs gouvernements au génocide israélien, effroi qui conduit à des protestations et à une dissidence considérables. Cette dissidence va au-delà de l’opposition à l’oppression et au génocide et inclut désormais des engagements plus larges en faveur du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Fait marquant, un grand nombre de jeunes juifs aux États-Unis sont profondément préoccupés par les actions d’Israël et recherchent une solution juste au conflit.

La défaite d’Israël et de ses soutiens occidentaux ouvre la voie à de nouvelles poursuites judiciaires, y compris la possibilité de sanctionner Israël et de lancer des accusations criminelles contre ses dirigeants. Le Center for Constitutional Rights (CCR), une organisation américaine de défense des libertés publiques, a déjà déposé une plainte devant un tribunal fédéral de Californie contre le président américain Joe Biden, le secrétaire d’État Antony Blinken et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin pour complicité dans le «génocide » israélien. à Gaza. Le CCR demande au tribunal de conclure que « les accusés ont violé leur devoir devant le droit international coutumier, dans le cadre de la common law fédérale, de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour empêcher Israël de commettre un génocide contre le peuple palestinien de Gaza ». Les juristes américains vont désormais voir leur intégrité testée.

Il est hautement significatif que ce soit l’Afrique du Sud, un pays avec sa propre histoire de dépossession, de violence d’État et de résistance de masse contre l’oppression, qui se soit levée et ait pris le leadership sur la scène mondiale. Le courage qu’il a fallu pour cela ne doit pas être sous-estimé. Des pays bien plus puissants, y compris ceux dirigés par des gouvernements de gauche, comme le Brésil, n’ont pas agi de manière aussi décisive

L’Occident a reçu un coup sévère pour sa légitimité et pour sa prétention selon laquelle sa « direction » du monde est une force du bien. La décision de la CIJ a clairement montré que l’Occident est moralement coupable de ne pas avoir défendu le peuple palestinien et de préférer se ranger du côté d’un gouvernement qui comprend des personnalités qui considèrent les Palestiniens comme de la « vermine » à « exterminer ».

Il est désormais parfaitement clair que l’Occident a violé le droit international ainsi que l’éthique en armant et en défendant le régime génocidaire de Tel Aviv quand il détruit les quartiers de Gaza et  tue plus de 26 000 personnes, dont 70 % sont des femmes et des enfants. . L’Occident est même resté les bras croisés et a observé que les Forces de défense israéliennes (FDI) continuaient de cibler, de tirer et de tuer des civils brandissant des drapeaux blancs. Le drapeau blanc est un symbole internationalement reconnu depuis des temps immémoriaux comme un signe de paix et tirer sur une personne non armée portant un drapeau blanc a toujours été considéré comme un crime.

Même la Convention de Genève et le Statut de Rome implorent les parties combattantes de ne pas attaquer les individus qui ont manifesté leur intention de se rendre, c’est-à-dire qui brandissent un drapeau blanc. Malgré ces pratiques et d’autres pratiques du droit international humanitaire, Tsahal a abattu des civils palestiniens brandissant des drapeaux blancs, cherchant un passage sûr. En fait, ils ont même abattu leurs propres citoyens, otages qui s’étaient enfuis ou avaient été libérés, qui brandissaient des drapeaux blancs et étaient torse nu pour montrer qu’ils n’étaient pas armés.

Certains de ces incidents ont été filmés , mais combien d’autres ne sont pas documentés ? Malgré cela et les nombreuses autres atrocités commises à Gaza, le gouvernement israélien s’est présenté devant la Cour Internationale de Justice et a proclamé au monde qu’il faisait tout pour protéger les civils. Les juristes de la CIJ ont vu clair dans ces mensonges et ont ordonné à Tsahal de ne pas commettre d’actes de génocide et de protéger plutôt que de cibler les civils.

L’Afrique du Sud a été vilipendée dans son propre pays par le lobby pro-occidental et à l’étranger. Les membres du Congrès des États Unis se sont fermement opposés à la décision de Pretoria de défendre, en prenant des risques, la justice pour le peuple palestinien en danger. Ils ont menacé la participation continue de l’Afrique du Sud à l’AGOA [facilités d’accès au marché des États Unis pour les produits des pays d’Afrique sub-saharienne] et ont qualifié les arguments de Pretoria contre Israël de « manifestement infondés et diffamatoires » et de « position profondément hostile

Il reste difficile de savoir si ces membres du Congrès changeront d’avis étant donné que la CIJ n’a pas jugé le cas de l’Afrique du Sud sans fondement, mais a en fait approuvé la plupart des ordonnances demandées par l’Afrique du Sud. À la manière typiquement américaine, ils rejetteront probablement la CIJ comme n’étant pas pertinente et présenteront uniquement leurs points de vue comme corrects et justes. C’est, après tout, ce que veulent leurs électeurs évangéliques qui considèrent les Palestiniens comme des barbares.

Cette hypocrisie et cette incapacité à faire respecter les règles du système international sans crainte, faveur ou préjugés érodent l’emprise de l’Occident sur le système mondial. Ce sont les actions de l’Occident, et non de la Chine, des Brics ou de toute autre initiative du Sud, qui font s’effondrer le « système international fondé sur des règles » et sapent l’emprise presque centenaire que l’Amérique et ses alliés ont sur les affaires du monde.

L’imposition et l’application sélectives par l’Occident du droit international, toujours en faveur de ses alliés, même s’ils ont tort, ont affaibli sa position et son emprise morale sur le système mondial. Le mépris de Berlin, de Londres et de Washington pour la décision de la CIJ en continuant à soutenir en bloc un Israël génocidaire leur fera plus de mal que le mépris de Tel Aviv à l’égard de la Cour. Cela exposera sans équivoque leur hypocrisie, rendant inutiles leurs futures interventions contre les États qui défient la CIJ.

L’Afrique du Sud, petit pays situé au pied du continent africain, a eu le courage de se lever et d’agir face à une immense pression nationale et internationale. Contrairement à l’Occident, le Sud global a été prêt à prendre des décisions audacieuses, justes et impopulaires, quelles qu’en soient les conséquences. L’histoire jugera la position de l’Afrique du Sud envers le peuple de Gaza comme étant du côté du bien.

Nontobeko Hlela est chercheur à l’Institute for Pan African Thought & Conversation et doctorant au Département de politique et de relations internationales de l’Université de Johannesburg.

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