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Un (ou deux) agent(s) sioniste(s) en difficulté en Syrie

5 janvier 2013

La prétendue révolution syrienne nous a réservé un certain nombre de surprises, dont la moindre n’a pas été de voir les monarchies du Golfe, adeptes d’une démocratie avancée et éclairée pour leurs administrés, apporter un soutien multiforme à ceux qui ont pris les armes pour renverser le président Bachar al-Assad.

Une autre surprise de taille fut de voir débarquer dans le territoire syrien de nombreux militants démocrates armés non seulement de fusils mais de bannières du genre de celles que brandissent les ultra-fondamentalistes qui se reconnaissent dans des personnages comme Aymen Ez Zawahiri.

Il est vrai que, comme ce dernier et ses émules, ils n’ont curieusement jamais porté le fer contre les terroristes sionistes.

Et parmi ces militants, on avait même pu découvrir la présence de combattants venus de Ceuta, cette portion du Maroc toujours aux mains de la monarchie espagnole.

Des gens qui n’ont donc jamais levé le petit doigt pour mettre fin à cette situation absurde mais qui se découvrent une ardeur belliqueuse suffisamment forte pour les transporter à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux, laissant femmes et enfants.

Dans le même ordre d’idée on peut lire cette information curieuse à plus d’un titre dans le Yediot Aharonot, ce journal du Sionistan.

On y apprend en effet  que

Un Arabe Israélien qui est passé de Turquie en Syrie et a rejoint les rebelles qui combattent pour renverser le président Bachar Assad a dit à sa famille qu’il avait des difficultés pour rentrer en Israël parce que les rebelles ont brûlé son passeport.

 L’homme affirme que les rebelles lui ont dit “quiconque nous rejoint ne retourne plus dans sa famille.”

Cette fois nous avons donc un type, apparemment Palestinien qui réside dans l’entité sioniste qui n’a pas d’autre chose à faire que de combattre contre le gouvernement syrien !

En prêtant un peu attention à l’article on apprend en fait que ce palestinien est avec un autre citoyen de l’entité sioniste, dont on ne sait s’il est Arabe, Druze, Juif ou autre pour employer quelques qualificatifs de nationalité qu’on trouve là-bas sur les cartes d’identité.

De fait, on ne sait rien de cet autre ressortissant de l’entité sioniste. Du premier individu par contre, sa famille qui a peur pour sa sécurité nous dit qu’il admet avoir fait une erreur.

Ce n’est pas seulement le fait pour un palestinien qui vit en Palestine occupée  d’aller combattre en Syrie qui est curieux.

Ce qui est encore plus étrange en effet, c’est de voir cet individu se lamenter sur la disparition de son passeport, comme s’il s’était servi de ce document pour entrer en territoire syrien !

Je le vois bien en effet montrer d’abord son passeport aux douaniers Turcs avant de faire la même chose avec leurs confrères Syriens.

N’importe quoi !

Alors pourquoi ces bizarreries ?

Probablement parce que ce jeune Palestinien s’est fait monter la tête par un agent des services secrets sionistes, précisément l’autre ressortissant de l’entité qui est avec lui en Syrie. Le titre du journal ne porte pourtant que sur un individu, tout simplement par ce que c’est cet individu et sa famille qui paniquent devant cette situation.

Le contact avec la famille est sans doute le signal donné aux autorités sionistes pour qu’elles organisent tranquillement la sortie du territoire de ses «brebis égarées,» soit un imbécile heureux et un agent de renseignement.

C’est ainsi que je comprends la conclusion de l’article qui nous dit que le ministère sioniste des affaires étrangères a contacté

“des éléments en Turquie dans une démarche visant à atteindre les deux [israéliens] disparus dont on pense qu’ils sont entrés en Syrie, mais pour l’instant il n’y a pas dé développements. »

Les sionistes s’expriment souvent d’une manière ambigüe, et ce passage ne fait pas exception puisque nous pouvons lire que le ministère a contacté des « éléments en Turquie» alors qu’il existe bel et bien une représentation diplomatique sioniste à Ankara même si elle a été réduite au niveau d’un chargé d’affaires.

Malgré l'hostilité populaire, il existe une ambassade sioniste à Ankara

Il existe malgré tout une ambassade sioniste à Ankara

On se demande bien alors ce que peuvent être ces « éléments ».

Sinon, ce n’est pas la première fois qu’on a une info sur les mésaventures d’un espion sioniste par des membres de sa famille inquiets.

128 bus de pèlerins Turcs refoulés par les autorités irakiennes

18 octobre 2012

En prenant position comme elle l’a fait sur le dossier syrien, c’est-à-dire en participant activement non seulement à la structuration politique de l’opposition au régime de Damas mais aussi à l’équipement et à la formation militaire des bandes armées qui sèment le chaos en Syrie, la Turquie a foncé tête baissée dans le piège que lui a tendu l’Occident.

Elle n’en sera récompensée ni par une accession à l’Union Européenne, ni même par un abandon définitif des projets de législation sur le génocide arménien.

En attendant, la Turquie doit assumer en grande partie le fardeau que constitue l’aide aux réfugiés de Syrie, pour la bonne raison qu’elle refuse de laisser les institutions internationales (ONU, Croix Rouge entre autres) administrer les camps de réfugiés (pour l’autre bonne raison que ce ne sont pas de simples camps de réfugiés, mais aussi des camps d’entraînement militaire) et son commerce avec la Syrie s’est réduit à presque rien, au grand dam des entreprises des régions limitrophes de la Syrie. L’impossibilité de faire transiter des marchandises destinées aux marchés jordanien et au delà saoudien ou koweïtien par la Syrie est aussi un problème sérieux pour l’économie turque.

A ces aspects s’ajoutent d’autres problèmes plus politiques qui sont autant de menaces pour l’unité de la Turquie.

Au niveau régional, les relations avec l’Arménie, déjà pas très bonnes sont devenues carrément exécrables, tandis que celles avec l’Iran sont passées de bonnes ou même chaleureuses à un niveau oscillant entre tiédeur et froideur.

Et puis il y a l’Irak, ce pays révélateur des contradictions de la Turquie. Ankara a prétendu entretenir de bonnes relations avec Bagdad tout en court-circuitant l’autorité centrale du pays afin de passer des accords dans le domaine pétrolier directement avec la province autonome du Kurdistan irakien.

Autant de choses qu’Ankara refuserait, même en rêve, pour les Kurdes de Turquie que l’armée et la police turques combattent sans relâche non seulement sur le sol turc mais aussi en territoire irakien.

Et le gouvernement turc le fait en fonction d’un «mandat » qui lui est attribué par le parlement… turc !

Ce mandat vient d’être renouvelé par les législateurs d’Ankara alors même que le gouvernement irakien a fait savoir qu’il s’opposait à ce  que l’armée turque intervienne sur son territoire.

Mais il n’y a pas de problème puisque :

le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu s’est entretenu lundi à Ankara avec des dirigeants Kurdes d’Irak pour obtenir leur soutien dans la lutte menée par les forces turques contre le PKK.

Je dirai seulement une chose aux dirigeants Turcs : à force d’actionner et de soutenir des forces centrifuges dans les pays voisins, vous récolterez ce que vous aurez semé, c’est-à-dire la mise en branle de ces mêmes forces dans votre pays.

En attendant, le régime irakien est furieux de tout ce qui se passe, aussi bien dans le Kurdistan qu’en Syrie où le dénouement de la crise pourrait s’avérer funeste en cas d’accession au pourvoir des poulains de la monarchie saoudienne. La recrudescence des attentats meurtriers attribués à des organisations pro saoudiennes n’est d’ailleurs qu’un avant-goût de ce qui attendrait alors l’Irak.

Les autorités irakiennes, sans doute lasses de ne pas être entendues par celles d’Ankara, essayent cependant de leur montrer que la patience a des limites. C’est ainsi qu’on apprend que 128 autocars transportant des pèlerins pour La Mecque viennent d’être refoulés alors qu’ils s’apprêtaient à entrer en Arabie Saoudite par le poste frontière d’Arar au sud-est de l’Irak.

les bus n’ont pas été autorisés à passer à Arar parce que les visas des passagers avaient été délivrés par les autorités régionales kurdes et non par le gouvernement central, ont déclaré des officiels.

Point de passage d’Arar

«Ni Ankara, ni l’ambassade turque à Bagdad n’ont contacté les autorités irakiennes à propos de l’entrée d’un aussi grand nombre» de personnes et «nous ne savons pas vraiment si ce sont des pèlerins,» partis pour La Mecque, a déclaré Mussawi [conseiller du premier ministre Irakien].

Pèlerins Turcs au poste frontière d’Arar. Ceux-ci ont les documents de voyage adéquats

Mussawi fait apparemment une allusion assez transparente aux pèlerins Iraniens capturés en Syrie par l’opposition armée et présentés par cette dernière comme étant en réalité des Gardiens de la Révolution.

Pour comprendre ce qui se passe, et ce que ne veut pas comprendre le gouvernement turc, il faut juste savoir admettre que les Kurdes ont un projet national et qu’ils divergent avant tout sur les modalités de sa concrétisation et sur qui doit en assumer le leadership. En nouant des relations étroites avec la province kurde autonome d’Irak, les Turcs ne font que renforcer une faction porteuse de ce projet national, et cette faction se retournera contre eux le jour où elle sera assez sûre de sa force.

Qu’on le veuille ou pas, le projet national kurde, sous sa forme actuelle, est antithétique avec le maintien de la carte de la région telle qu’elle a été fixée au lendemain de le 1ère guerre mondiale.

D’un autre côté, les Turcs devraient aussi savoir que le pouvoir de Bagdad dont la nature centrale reste bien théorique aspire de toutes ses forces à redevenir un véritable pouvoir central, exactement comme au temps de Saddam Hussein.

Ce pouvoir est chiite, nous dit-on. Et constitué de personnes hostiles à l’ancien régime irakien. La belle affaire ! C’est un pouvoir d’abord irakien au sens où il est de cette terre et de ce pays et qu’il ne peut que reprendre un projet sans lequel il ne sera plus question d’Irak.

Espérons quand même que le problème du passage des pèlerins pourra être résolu car ils ne sont sans doute que les victimes des agissements de leur gouvernement.

Avion de ligne syrien: les Etats Unis laissent Erdogan s’enfoncer dans le ridicule

14 octobre 2012

La tension entre la Syrie et la Turquie, déjà forte, est monté d’un cran suite à l’arraisonnement le 10 octobre par l’armée turque d’un avion civil syrien assurant une liaison entre Moscou et Damas.

Le gouvernement turc a motivé cet arraisonnement par la présence d’armes russes dans les soutes de cet avion, ce que les autorités syriennes ont démenti.

La Russie a également démenti la présence d’armes dans cet avion, dont les soutes renfermaient par contre des pièces de rechange pour du matériel radar et a fait part de sa colère contre un acte qui aurait pu mettre en danger la vie de ses ressortissants qui se trouvaient à bord de l’appareil.

Si cet avion avait transporté des armes, la Russie n’aurait pas opposé de démenti, puisque rien ne lui interdit de vendre ce genre de matériel à l’armée syrienne.

Il va de soi que la Turquie ne se serait pas risqué à une montée de tension avec la Russie, d’où elle importe 60 % de ses besoins en gaz, si elle n’avait pas eu le soutien des Etats Unis qui se sont servis d’Ankara pour adresser un message à Vladimir Poutine sur le dossier syrien.

Effectivement les Etats Unis ont soutenu la démarche turque et on peut même concevoir que ce sont leurs services secrets qui ont soufflé à Recep Tayyip Erdogan que l’avion syrien transportait de l’armement, des «munitions» avait même précisé le premier ministre Turc.

Des munitions, ça se reconnaît pourtant au premier coup d’œil, sans demander d’investigations particulières.

En plus de ces supposées munitions, l’avion syrien transportait comme on l’a dit un certain nombre de ressortissants Russes . Ces derniers, munis de passeports diplomatiques, étaient peut-être des agents du FSB, les services secrets russes, ce qui n’a sans doute pas contribué à calmer les autorités ruses.

Erdogan a bien mérité sa médaille

Si Recep Tayyip Erdogan a bien brouillé son pays avec la Russie et si la tension a encore fortement augmenté entre la Turquie et la Syrie sous le regard impavide des Etats Unis, ces derniers ont maintenant décidé de laisser le premier ministre Turc s’enfoncer tout seul dans le ridicule puisque on peut lire dans le journal The Hindu daté du 14 octobre 2012 :

Les Etats Unis ont reconnu que la Russie n’avait violé aucune loi avec la cargaison contenue dans l’avion civil syrien reliant Moscou à Damas qui a été forcé par la Turquie à atterrir à Ankara mercredi.

Cette affaire est un bel exemple de névrose expérimentale induite par le maître américain chez son toutou Erdogan.

La prochaine étape de l’expérimentation consistera sans doute à amener le sujet expérimental à mordre son voisin syrien, ce qu’il sera probablement disposé à faire compte tenu de l’état mental et du ridicule dans lequel les manipulations américaines l’ont laissé.

La presse française n’en parle pas: 155 000 manifestants à Ankara contre la guerre

8 octobre 2012

La situation en Syrie est devenue un vrai casse-tête pour le gouvernement turc qui ne sait maintenant plus comment s’en dépêtrer.

Après avoir encouragé Ankara à soutenir la sédition armée dans le pays voisin, les démocraties humanistes occidentales ont clairement fait savoir qu’elles n’étaient pas intéressées par le déclenchement d’une guerre ouverte avec la Syrie.

Pas plus qu’elles n’acceptent de mettre la main au portefeuille pour aider les autorités turques à faire face aux besoins des Syriens qui se sont réfugiés sur son sol.

La Turquie se retrouve maintenant donc seule face aux problèmes posés par la situation en Syrie. On peut compter sur les prétendus rebelles prétendument démocrates pour essayer de provoquer la guerre ouverte dont Recep Tayyip Erdogan et son équipe ne veulent pourtant pas.

C’est ainsi qu’il faut interpréter le récent transfert de ce qui est présenté comme la direction militaire de l’Armée Syrienne Libre en territoire syrien dans ce que les derniers évènements ont transformé en zone tampon, ou en réduit, de facto.

Avec le refus explicite d’accueillir de nouveaux réfugiés, nous avons là les premiers signes d’une volonté de désengagement. Une volonté qu’on peut aussi repérer dans la proposition faite par le gouvernement turc d’une démission du président Bachar al-Assad qui pourrait être remplacé par le vice-président actuel Farouk al Chareh.

Sympa de ta part Bachar, mais tes costumes sont trop grands pour moi. Même la retoucheuse Erdogan pourra rien y faire

Recep Tayyip Erdogan ne sait plus comment sortir la tête haute d’une affaire qui se réduirait à une question de personne. J’imagine volontiers le premier ministre Turc supplier à  genoux Bachar al-Assad de céder le pouvoir, seul expédient qui lui reste pour sauver la face.

Parce que le gouvernement turc a fait montre d’irréflexion et de sottise dans sa gestion de l’affaire syrienne. Avant d’emboîter le pas à Londres ou à Paris, il aurait dû se rappeler que son pays partage une longue frontière et bien d’autres choses avec la Syrie : une histoire, des Alaouites et des Kurdes entre autres.

Et que tout bouleversement dans le pays voisin est susceptible d’avoir des répercussions en Turquie où les lignes de fracture sont très présentes  et peuvent s’élargir jusqu’à causer des troubles de nature à remettre en cause la stabilité du pays et la paix civile.

J’’ai déjà parlé sur ce blog de ces lignes de fracture avec les trois minorités précitées, kurdes, alaouites et alévies.

Alévis et Kurdes sont très présents dans les zones limitrophes de la Syrie

Vos journaux n’en ont bien sûr pas parlé, mais ce sont plus de 150 000 manifestants, essentiellement alévis, qui ont défilé dimanche dernier à Ankara pour réclamer justice et égalité mais aussi pour signifier leur refus de l’escalade militaire avec la Syrie voisine.

Manifestants à Ankara: Erdogan, tu insistes sur le foulard, commence d’abord par en porter un toi-même!

A bon entendeur, M. Erdogan!

Tension pendant une grande manifestation alévie

Zaman (Turquie) 7 Octobre 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Des manifestants se sont affrontés à la police dimanche alors d’environ 155 000 manifestants étaient rassemblés place Sıhhiye à Ankara ce dimanche, dans une manifestation organisée par la Fédération Alevi Bektaşi et le Fédération des Associations Alévis pour exprimer leur demande d’égalité.

La police a tiré du gaz lacrymogène sur certains manifestants parce qu’ils avaient refusé d’être fouillés à leur arrivée sur la place Sıhhiye. Il y a eu un bref affrontement entre manifestants et policiers quand la foule a commencé à pousser après la barricade de la police à l’entrée. L’agence de presse Cihan a rapporté que ceux qui se sont heurtés à la police aux checkpoints de l’entrée appartenaient à la Plateforme Socialiste des Opprimés (ESP) et à une organisation marginale nommée Partisan. Cihan indique que ce sont ces organisations qui ont lancé des objets contre la police. Un manifestant a été arrêté et trois agents de police ont été blessés dans ces incidents.

Le rassemblement, appelé le « Laik ve Türkiye Demokratik ICIN ESIT Yurttaşlık Mitingi » (manifestation  de l’égalité citoyenne pour une Turquie laïque et démocratique), a commencé dans la matinée, les manifestants alévis s’étant regroupés à la gare d’Ankara avant de se diriger sur Sihhiye vers 10:30. Les manifestants ont scandé des slogans appelant à la justice pour le massacre de Sivas en 1993 où 35 alévis avaient été tués, à l’abolition des cours de religion obligatoires, à l’octroi aux lieux de culte des Alévis (cemevi, mot dérivé de l’arabe djemaa) le même statut que les mosquées, tout en protestant contre l’éventualité d’une guerre avec la Syrie et en exprimant un soutien au peuple syrien.

Outre l’ESP et Partisan, la manifestation a vu la participation d’autres organisations associatives et politiques, dont le Parti de la Solidarité et de la Liberté (ÖDP), le Parti Communiste Turc (TKP), l’Association Halkevleri, le Parti Populaire de Libération (HKP) et beaucoup d’autres.

Ces organisations protestaient aussi contre les insuffisances de l’enquête sur des incidents récents où les maisons d’habitants Alévis avaient été marquées en rouge dans plusieurs villes.

Un bus du Parti Républicain Populaire (CHP) ouvrait la marche pour la foule dans sa marche entre la gare de chemin de fer et Sıhhiye. Le fan club Çarşı de l’équipe de football de Beşiktaş jouait du tambourin et il y avait un groupe de caisses claires nommé  Kızıldavul (tambour rouge).

En 2010, le gouvernement avait organisé sept ateliers sur une période de six mois qui avaient vu la participation de 400 universitaires, théologiens, membres d’organisations de la société civile, politiciens, journalistes et représentants Alévis et Bektaşis.

Malgré tout, un certain nombre d’organisations avaient protesté contre le gouvernement, accusant les autorités de «sunniser» les Alévis dans le pays.

Toute la lumière  n’a pas encore été faite sur l’histoire des Alévis au temps de l’empire ottoman, mais les relations entre les communautés sunnite et alévie en Anatolie ont été difficiles dès le début. En 1511, l’armée ottomane avait brutalement réprimé en Anatolie une révolte des Turkmènes Kizilbaş (tête rouge) de confession alévie, et 40 000 d’entre eux avaient péri. La bataille de Çaldıran, entre l’empire Ottoman sous Yavuz Sultan Selim et le dirigeant Séfévide Ismaïl en 1514 avait eu pour conséquence un édit impérial ordonnant la mise à mort de tous les Kızılbaş de la région.

Les siècles qui suivirent furent aussi troublés, mais pas aussi brutaux. En fait, les troupes impériales ottomanes – appelées janissaires – étaient recrutées exclusivement dans des loges Bektaşi. Ce qui reste difficile à apprécier, c’est l’étendue de la persécution des Alévis à l’époque républicaine. Des centaines d’Alévis furent tués dans des pogroms, dont beaucoup considèrent qu’ils avaient été ourdi en sous-main par des organisations secrètes à l’intérieur de l’appareil d’Etat, dans les villes de Çorum, Yozgat et Kahramanmaraş, dans les années 1970. 34 artistes Alévis avaient péri brûlés vifs en 1992 dans l’incendie de l’hôtel Madimak à Sivas. Il y a eu d’autres incidents, comme celui dans le quartier alévi de Gazi à Istanbul en 1995, quand des Alévis avaient été la cible de tirs à l’arme automatique.

Les habitants de la ville turque bombardée ont d’abord manifesté contre les autorités de leur pays

6 octobre 2012

Le New York Times du 3 octobre consacrait un long article au regain de tension à la frontière turco-syrienne et aux bombardements effectués par l’armée turque en représailles pour un obus de mortier qui s’est abattu en Turquie, causant la mort de cinq personnes, dont une mère de famille et  ses trois enfants.

Depuis, un autre obus en provenance de Syrie a touché le territoire turc sans faire de victimes, entraînant néanmoins une autre riposte.

Pourtant, comme l’écrivait le journal newyorkais,

On ne sait pas vraiment si le mortier qui a frappé la Turquie a été tiré par les forces gouvernementales ou par les rebelles qui combattent pour renverser le régime de M. Assad, mais la Turquie croit qu’il est parti d’une position gouvernementale, expliquent des analystes. Le gouvernement turc a dit avoir utilisé le radar pour sélectionner des cibles supposées être des postes avancés de l’armée syrienne.

 Si c’est la première fois qu’un obus tiré depuis la Syrie fait des victimes en Turquie, ce n’est cependant pas la première fois que la petite ville d’Akçakale est touchée par des projectiles liés aux affrontements entre les troupes syriennes et l’opposition armée.

Dans le brouillard qui englobe la guerre en cours en Syrie, où les allégeances et les motivations sont imprécises et où une impasse sanglante s’est installée, certains observateurs disent ne pouvoir d’empêcher de se demander si cet épisode n’a pas été orchestré par l’une ou l’autre des parties. Les rebelles ont imploré l’OTAN d’instaurer des zones d’exclusion aérienne ou de refuge, et le président Assad peut imaginer rassembler ses partisans contre une invasion étrangère, disent des experts. «Plusieurs parties essayent d’attirer la Turquie dans le conflit,» a affirmé sur la chaîne turque NTV,  Atilla Sandikli , directeur du Wise Men Center for Strategic Studies à Ankara.

Le gouvernement turc sait tout ça, bien sûr. Comme il était au courant mais n’avait jamais donné suite aux réclamations des habitants qui craignaient un incident de ce genre.

Et ce n’est pas un hasard si

Les habitants [d’Akçakale], excédés par les retombées de plus en plus fortes de la violence en Syrie, sont descendus dans les rues pour crier des slogans contre les autorités locales après qu’un obus de mortier ait touché un quartier résidentiel, tuant deux femmes et trois enfants.

En effet, les habitants le savent bien : on ne peut pas entretenir des bandes armées à ses frontières, les laisser faire le coup de feu dans le pays voisin puis se replier à l’abri sur son territoire sans en subir des conséquences.

Situation d’Akçakale

Et quand on sait qui sont les gens qui prétendent renverser le régime syrien par la force des armes, des gens absolument dépourvus de principes, on ne saurait être étonné si on apprenait que ce sont eux, où leurs formateurs venus des USA ou d’Angleterre, qui ont bombardé le territoire turc.

Ce raisonnement est appelé théorie du complot par ceux qui pensent que 1) il n’y a jamais de complot – sauf contre l’Occident – et 2) que le discours des politiques correspondent toujours à leurs intentions – par exemple qu’on bombarde vraiment une population à des fins humanitaires ou qu’on tue des gens pour les sauver.

La nouvelle diplomatie turque, reflet des aspirations de la société

28 octobre 2011

Les orientations de la diplomatie turque ne sont pas toujours faciles à saisir, ce pays étant au carrefour d’intérêts contradictoires. On a eu un exemple très récent avec la volte face qui a conduit Ankara à se rapprocher de Téhéran après une brouille qui succédait à un premier rapprochement. Une politique étrangère qui veut jouer la carte du pragmatisme au prix de certaines incohérences qui pourraient cependant s’avérer lourdes de conséquences.

On peut essayer de mieux cerner les évolutions de la diplomatie turque en s’intéressant par exemple au Journal of Turkish Weekly (JTW) qui est la vitrine grand public d’USAK, un centre d’expertise des relations internationales dont le siège se trouve à Ankara.

USAK serait un organisme proche du premier ministre Erdogan, c’est du moins ce qu’affirme Alon Ben-Meir, Ben-Meir est un expert originaire de l’entité sioniste qui collaborate à USAK et critique la position du premier ministre Turc sur les suites de l’affaire du Mavi Marmara. Ben-Meir part en effet du principe que l’entité sioniste est une démocratie et qu’elle a donc vocation à être proche de la Turquie (pour être juste, il critique aussi la posture des autorités deTel Aviv).

En fréquentant un peu le JTW, je n’ai pas eu spécialement l’impression d’être devant un lieu d’expression particulièrement proche du premier ministre. Mais plutôt d’un site soucieux des intérêts de la Turquie, ce qui est assez normal.

Le JTW nous propose avec Osman Bahadir Dincer une analyse de l’évolution de la diplomatie turque avec un texte qui complétera utilement celui de Tarık Oğuzlu que je vous avais présenté tantôt.

Osman Bahadir Dincer

L’intérêt de cette approche est de tendre à montrer que les évolutions diplomatiques de la Turquie qui se sont manifestées entre autres, par le coup de colère d’Erdogan à Davos en 2009, sont en fait l’aboutissement de changements qui ont commencé à la fin des années 1980 et se sont produits d’abord dans la société civile.

Le gouvernement Erdogan est donc moins la source de ces changements que leur traduction en termes politiques et diplomatiques. Le gouvernement turc a ainsi la charge de concrétiser en politique intérieure comme extérieure les aspirations d’une opinion qui est dominée, en termes de classes sociales, par des commerçants et des entrepreneurs dont la pensée économique est en rupture avec le relatif immobilisme kémaliste et qui culturellement renouent, via la religion notamment, avec la Turquie ottomane que le kémalisme abhorrait.

De ce fait, ces couches de la population ont donc beaucoup en commun au niveau culturel  avec d’autres strates de la société, paysannes notamment. Et toutes ces catégories sociales imprégnées plus ou moins fortement par la religion musulmane acceptent ou, mieux encore, cherchent à tourner leurs regards vers «l’Orient», en fait le Moyen Orient et l’Afrique du Nord.

Et comme par hasard, ces régions sont aussi le terrain du déploiement d’une bonne partie de l’activité économique et certainement le lieu d’une expansion durable de l’économie de la Turquie et donc de l’influence politique de ce pays.

Cet article ne cite cependant qu’une fois l’entité sioniste et ce n’est que pour renvoyer la relation avec cet Etat à une vision du passé dont on saura peut-être bientôt si elle est dépassée.

Le changement d’identité dans la politique étrangère turque

Par O. Bahadir Dincer Turkish Weekly27 Septembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Une transformation est en cours dans la politique étrangère turque qui est inextricablement lié à un changement dans l’identité du pays. Les dynamiques responsables de ce changement d’identité doivent être recherchées dans la transformation sociale, économique et culturelle que connaît actuellement la Turquie.

Pendant des années, la Turquie a accordé peu d’attention aux régions extérieures à l’Occident et particulièrement au monde arabe. C’était largement parce que ses regards étaient entièrement tournés vers l’Occident. La Turquie républicaine avait choisi de ne s’identifier qu’au monde occidental. Elle percevait la modernisation et l’occidentalisation comme des notions qui relation de complémentarité. En conséquence, les relations avec les régions musulmanes avaient toujours été tenues à distance et et de faible niveau. Dans l’agenda du nouvel Etat turc [kémaliste], les pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord étaient seulement des espaces sur la carte auxquels il était inutile de consacrer du temps.

Nous avons cependant désormais atteint une étape marqu&e par un élan de la politique étrangère qui s’est largement débarrassé de ces perceptions négatives. Une transformation est en cours dans la politique étrangère turque en lien inextricable avec le changement dans l’identité du pays. Les dynamiques responsables de ce changement d’identité doivent être recherchées dans la transformation sociale, économique et culturelle que connaît actuellement la Turquie

Un changement du sentiment d’identité

Les réformes entreprises au début dans la première période de la république turque visaient à atteindre une modernisation de style occidental par le développement d’une structure sociale et la création d’un ordre politique. Ce modèle était conçu pour écarter le dogmatisme et faire prédominer les idées positivistes dans la structure sociale.  Dans toute la mesure du possible, le passé islamique et l’héritage de la Turquie ottomane avaient été rejetés. Niyazi Berkes décrivait cette transformation modernisatrice de la Turquie comme « une orientation absolument inconditionnelle vers la civilisation occidentale et la répression de tout type de tendance dans un sens opposé qui aurait pu se manifester. » L’occidentalisation était perçue comme une clef qui permettrait d’ouvrir la porte de la prospérité économique et de l’ordre social dont rêvait l’Etat turc. Cette mentalité était fondée sur la dichotomie entre « l’ouest et le reste » et la porte donnant sur «le reste» était gardée hermétiquement close.

Avant toute autre chose, la perception des Arabes dans la société turque a un rôle important dans la transformation de la politique étrangère turque. La transformation vécue actuellement au niveau de la société a donné, de la même manière, une forme à la politique étrangère turque. Dit autrement, le vent du changement pousse tout le monde devant lui. Différents segments de la société et de l’Etat continuent à changer toujours plus avec l’ouverture des canaux de la démocratie.

Un des facteurs  qui a modelé la perception des Arabes dans la société turque est lé révolte arabe et le mouvement nationaliste qui avait émergé à la fin de l’Empire Ottoman. Après la révolte [des Arabes contre l’Empire], les Arabes avaient été considérés comme des traîtres pendant de nombreuses années dans la société turque. Le monde occidental avait délibérément exacerbé ce sentiment et des perceptions mutuelles biaisées s’ancrèrent.

Pendant la guerre froide, la Turquie a glissé vers le bloc occidental et est devenue membre de l’OTAN, ce qui éloigna encore plus la Turquie du Moyen Orient. La Turquie fut le premier pays musulman à reconnaître Israël, ce qui détériora encore plus ses relations avec le monde arabe. Il y eu de petits signes périodiques d’évolution jusque dans les années 1980, mais c’est seulement avec Turgut Özal que la perception négative des Arabes se brisa.

Une période de changement s’ouvre avec Turgut Özal

C’est la politique menée pendant la période Özal… qui a ébranlé pour la première fois la structure séculière, nationaliste  et étatique qui avait prévalu dans la politique étrangère jusque dans les années 1980. La fin de la guerre froide, l’accroissement de l’importance stratégique de la Turquie dans la région et une nouvelle structure où s’intriquent  la montée de menaces et d’opportunités dans les pays voisins sont autant de facteurs qui ont affecté le cours de la politique étrangère turque. Les nouvelles approches de politique étrangère ont suscité le développement d’une identité distincte de la Turquie dans ses relations avec l’Afrique du Nord et le Moyen Orient.

Mais l’inflexion des relations de la Turquie avec le Moyen Orient et l’Afrique du Nord qui a débuté dans les années 1980 n’avait pas pu progresser suffisamment, en partie à cause de l’atmosphère internationale de l’époque et en partie à cause de problèmes que la Turquie rencontrait dans sa vie politique intérieure. Les critiques du Moyen Orient par les media turcs de l’époque jouèrent un rôle central dans le développement d’idées négatives sur les peuples arabes.

Après les années 1980, le modèle étatique existant a été de plus en plus critiqué, ce qui ouvrit la voie à des idées alternatives sur la modernité dans notre démarche pour comprendre l’aventure de la modernisation en Turquie. Les politiques économiques libérales appliquées après les années 1980 renforcèrent le capitalisme local et ouvrirent la voie à de nouveaux acteurs de la vie économique et à la nouvelle donne économique qui leur était associé. L’influence croissante du capital anatolien aboutit au renforcement d’un groupe capitaliste surnommé les « tigres anatoliens ». L’investissement qui était méprisé dans le modèle étatique traditionnel était maintenant l’objet de l’adhésion. Le développement du commerce de la Turquie avec les pays du Moyen Orient, d’Afrique et d’Asie en est un indicateur. Dit autrement, les hommes d’affaires Turcs ont maintenant abandonné leur approche idéologique et inhibitrice et adopté des méthodes pragmatiques et cohérentes. Ce fut une transformation économique et sociale mais aussi politique. Cette transformation des dynamiques internes a abouti à une structure dans laquelle l’organisation politique est venue soutenir cette évolution économique. L’idée du professeur Nilüfer Gôle de ‘modernités alternatives’ relie la différenciation qu’a connue la Turquie dans les sphères économique, sociale et politique à la structure intégratrice du système politique turc. De la même manière, la Turquie que nous connaissons aujourd’hui peut être considérée comme celle où une élite laïcisée ; celle qui identifiait la modernité à la laïcité, a transmis le témoin à une élite conservatrice et pragmatique qui représentent une conception alternative de la modernité. Cette transformation qui  s’est produite dans la vie politique intérieure et l’économie a eu le soutien des aspirations populaires et il est certain qu’elle a influé sur la politique étrangère turque.

Le professeur Ersel Aydinli a défini le rapport entre la transformation du modèle politique et de l’économie avec la politique étrangère comme étant une ‘dé-élitisation. »  Le professeur Aydinli réfère ici à une structure dans laquelle la place du point de vue de l’élite dans les relations internationales a été remplacée par une structure basée sur des relations entre des peuples, les similitudes, une culture et un patrimoine communs.  La transformation actuellement en cours dans la politique étrangère turque est quelque chose qu’on peut décrire, quand on l’étudie avec les changements que vit la Turquie, comme un processus de ‘ré-élitisation’ consécutif à la ‘dé-élitisation.’ De notre point de vue, cette approche offre un cadre plus large pour comprendre l’effet produit par une nouvelle politique étrangère sur les transformations en cours au centre, en Turquie. Ces changements dans la structure sociale, politique et économique incitent la Turquie à agir de manière pragmatique dans sa politique étrangère d’aujourd’hui plutôt que de suivre une ligne figée et pour le statu quo. Le pragmatisme de la politique étrangère turque et le changement de la structure interne annoncent un modèle plus intégrateur  et axé sur la construction.

Vers une société plus dynamique et une politique étrangère plus active.

Cette nouvelle conception de la diplomatie dépasse largement la simple appréhension de menaces : elle représente une vision qui est le parallèle des politiques plus constructives et inclusives qui sont appliquées maintenant en Turquie, et elle est à la base de son rôle croissant dans la région et dans le monde entier. Cette perception plus inclusive de l’identité participe au renforcement de la confiance en soi du citoyen. Il est impossible de ne pas voir le fait que la Turquie commence désormais à jouer un rôle de plus en plus important à l’international  dans ce contexte. Une Turquie capable de parler aussi bien à l’Orient qu’à l’Occident grâce à sa politique étrangère inclusive peut aborder les problèmes de manière multidimensionnelle. Un changement de ce genre est un acquis qui n’est pas obtenu par un simple changement de gouvernement. Les gouvernements sont au contraire le produit de ce changement. La Turquie est devenue un élément de stabilisation dans la région, pas seulement à cause des succès des initiatives du gouvernement mais aussi parce que le peuple est la force motrice derrière ce changement.

La visite du premier ministre Recep Tayyip Erdögan en Irak en mars dernier et ses récentes visites au Moyen Orient en sont d’excellents exemples. Des visites de ce genre auraient été très difficiles à accepter par une société sauf si elle est en paix avec elle-même ou si elle n’avait pas la volonté d’aller vers l’autre et restait basée sur las codes culturels mettant l’accent sur le rejet des autres. Mais la Turquie a réussi, elle est maintenant à l’évidence un pays qui œuvre à réduire les différences et qui cherche à réconcilier diverses parties.

En reconnaissant une fois de plus ses liens historiques et culturels avec ses voisins, la Turquie a modifié la perception globale de ses voisins en créant une nouvelle perception géographique. Le rôle de la perception dans la détermination de la politique étrangère est connu pour son importance. Certains spécialistes iraient même jusqu’à dire que les perceptions sont la réalité de la politique étrangère. Personne ne devrait ignorer le fait que le changement dans la perception du Moyen Orient par la politique étrangère turque a été la cause d’un changement de paradigme. Le moule identitaire étroit et unidimensionnel à la création duquel de longues années ont été consacrées avec le soutien de l’Occident n’es plus adapté à une Turquie qui évolue et se développe. Parler de la rupture de ce moule comme d’un ‘changement d’axe’ signifie rien moins que le costume dessiné pour la Turquie est maintenant trop petit. Qui plus est, des approches de ce genre omettent de constater que l’Occident n’est plus une entité homogène. Nous passons par une période  où il faut poser souvent la question «Quel occident ?».

Les nuages noirs se dissipent.

Le renforcement des liens d’influence qui résultent de la croissance des relations économiques ont permis aux différentes partenaires de beaucoup mieux  se connaître. Ce qui nous permis, en Turquie, de réaliser que les gens qui vivaient dans des pays avec lesquels nous partageons une frontière commune ne sont pas différents de nous. Cette prise de conscience dans la pratique a conduit à une cristallisation de la perception de l’identité qui subissait un changement de philosophie. La suppression des visas, l’accroissement des échanges et des voyages de plus en plus fréquents d’un pays à l’autre qui en ont résulté ont entraîné un reflux de perceptions négatives pleines d’idées reçues. On peut ainsi dure que les nuages noirs qui planaient au-dessus des relations arabo-turques ont commencé à se disperser.

La politique étrangère d’aujourd’hui n’est plus cette chose qui n’intéressait que l’élite et elle a un rôle dans la formation des nouveaux mécanismes sociopolitiques et économiques qui peuvent produire une nouvelle sorte d’élite qui était en maturation depuis longtemps. Il était inévitable que les changements dans les dynamiques sociales affectent en définitive la politique étrangère turque et c’est ce qui s’est passé en fin de compte. La société turque est maintenant beaucoup plus active. Mais dans le même temps, cette transformation oblige la Turquie à agir plus prudemment. Une explosion des attentes vis-àvis de cette politique pourrait creuser le fossé entre les aspirations et les possibilités de la Turquie et mener au désenchantement.

Parce que nous ne parlons pas seulement d’un pays qui modifie ses perceptions mais d’un pays qui, dans le même temps, est en position d’orienter ses perceptions correctement.

Co-rédigé avec Dilek Karal.

 O. Bahadir Dincer est chercheur à l’USAK Center for Middle Eastern and African Studies (Ankara)

 

La Turquie et le nouvel ordre au Moyen Orient

19 octobre 2011

Le propos de ce blog n’est pas vraiment de vous livrer mes analyses, ou plutôt mon analyse se lit dans les choix de textes que je vous présente.

Je vous propose donc un texte de Tarık Oğuzlu un professeur Turc de relations internationales qui permet de mieux comprendre la vision qu’a son pays de l’avenir du Proche Orient. L’article est publié dans Zaman, un journal proche du parti actuellement au pouvoir à Ankara.

Je n’ai pas pu résister à la tentation d’ exposer les réflexions que m’a inspirées son papier. Ne vous gênez cependant pas si vous préférez aller directement à l’article de Tarık Oğuzlu et vous dispenser de me lire.

L’action de la Turquie au Moyen Orient ou en Afrique du Nord peut sembler déroutante. Et elle l’est car elle tient compte de contraintes multiples liées autant à l’histoire de ce pays qu’à son positionnement au carrefour de plusieurs régions du monde : l’Europe, le Moyen Orient , l’Afrique du Nord et le Caucase.

Ainsi, après s’être opposé à une intervention militaire en Libye, le gouvernement de M. Erdogan a finalement décidé de s’impliquer dans le cadre  de l’OTAN.

Ailleurs, alors que la Turquie avait procédé à un important rapprochement avec l’Iran et la Syrie, les troubles qui agitent ce dernier pays ont entraîné une crise politique majeure entre les deux gouvernements et tendu par ricochet les relations avec l’Iran. Le feu vert donné par les autorités d’Ankara à l’installation sur leur sol d’un bouclier antimissiles de l’OTAN a accentué la brouille avec le gouvernement iranien.

Et pour corser le tout, le gouvernement turc, mécontent du refus des autorités sionistes de présenter des excuses officielles pour l’assassinat de neuf ressortissants Turcs qui se trouvaient sur le Mavi Marmara a expulsé l’ambassadeur sioniste à Ankara et suspendu (une mesure donc provisoire)la coopération militaire.bilatérale. Cette coopération se poursuit cependant dans un cadre…multilatéral.

On ne peut pas comprendre ces évolutions si on se contente de penser que Recep Tayyip Erdogan est un gentil islamo-démocrate qui a la cause palestinienne à cœur et qui fera tout pour la faire avancer.

M. Erdogan est certainement et sincèrement  très concerné par la cause palestinienne, comme sans doute l’écrasante majorité des Turcs, mais il est d’abord à la tête d’une nation et il agit avant tout en fonction de ce qu’il perçoit être les intérêts de son pays. Il ne faut pas oublier non plus qu’il doit composer avec des secteurs puissants de l’armée et de l’administration de l’Etat qui l’attendent au tournant pour le bouter hors du pouvoir, soit par la voie des urnes, soit s’ils ne peuvent faire autrement par un putsch.

En fait, Erdogan et son pays se trouvent dans des situations qui sont à la fois des atouts et des contraintes et l’amènent par moments à piloter à vue même s’il s’est fixé un cap stratégique tout à fait net.

Son adhésion à l’OTAN par exemple lui impose des contraintes qui s’opposent à un développement cohérent des relations entre Ankara et Téhéran. Or l’Iran est un partenaire économique prometteur pour la Turquie que ce soit pour l’approvisionnement énergétique que pour des échanges portant sur d’autres biens. Un partenariat solide avec l’Iran pourrait ouvrir la voie à une présence pourquoi pas conjointe dans un Caucase et une Asie Centrale où les cultures perse et turque sont étroitement imbriquées, voire en osmose.

Mais dans ce même Orient, dans l’ex URSS, la Turquie doit garder un œil sur l’Arménie avec laquelle le rapprochement reste délicat et entravé par le poids de l’histoire et  par les interférences de l’entité sioniste ou de puissances occidentales comme on l’a vu récemment avec les propos tenus par Nicolas Sarkozy à Erevan, la capitale arménienne. Et un conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan turcophone qui ne saurait être complètement exclu aurait forcément un écho important à Ankara.

Or la participation de la Turquie à l’OTAN lui éviterait d’être seule à faire face aux conséquences d’une guerre qui pourrait embraser toute la sous-région car il ne faut pas oublier que des communautés arméniennes existent au Liban mais aussi en Iran et que l’Azerbaïdjan est aussi une province iranienne..

A l’ouest, la Turquie demeure dans une amitié froide avec la Grèce pour des raisons historiques qui se traduisent par des contentieux sur le domaine maritime, une question très sensible quand on sait que le proche littoral turc est parsemé d’îles grecques. Sans oublier, bien entendu l’épineuse question chypriote qui envenime aussi les relations avec l’Union Européenne dont la république de Chypre est membre.

Là aussi, l’OTAN est une assurance contre une guerre opposant la Turquie et la Grèce.

D’une manière générale, l’OTAN est plus un atout qu’un inconvénient pour Ankara. Et l’OTAN a au moins autant besoin de la Turquie que cette dernière n’a besoin de l’OTAN.

Il n’en reste pas moins que la Turquie est maintenant à la croisée des chemins. Ayant accédé à une forme de démocratie représentative pluraliste, elle est en passe compte tenu de sa démographie et de son dynamisme économique d’accéder au rang de très grande puissance régionale aux plans politique, militaire et économique.

Mais les choses ne sont pas jouées car, pour concrétiser ce statut, elle comptait s’arrimer à l’Union Européenne qui aurait pu être l’instrument de son expansion économique et de la stabilisation définitive de ses institutions.

Le problème est que, en dépit de signaux contradictoires, l’UE ne semble pas vouloir de la Turquie qui est pourtant un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe et dont Istanbul, la principale métropole, occupe un position géographique beaucoup plus occidentale que l’île de Chypre qui a par contre été admise dans l’UE.

La réponse d’Erdogan a été de réorienter les efforts de sa diplomatie vers le Moyen orient et l’Afrique du Nord, deux régions qui étaient autrefois largement intégrées dans l’empire ottoman.

Il faut dire que, tout comme l’Europe balkanique, le Moyen Orient est le cadre en quelque sorte naturel de la Turquie. Et que le mouvement diplomatique d’Erdogan avait en fait été précédé de celui des entrepreneurs, d’abord petits puis plus importants qui ont tiré parti d’un marché où les productions turques se sont avérées très concurrentielles et très demandées. Et comparativement aux autres pays du Proche orient ou à ceux d’Afrique du Nord, l’économie turque dispose de capacités techniques et ce compétences très supérieures.

Cette évolution économique correspond aussi à une évolution culturelle en Turquie qui voit l’Islam prendre de plus en plus de place dans la vie des gens sans pour autant mettre en cause l’Etat républicain ni même le caractère séculier de l’Etat. Plus largement, c’est la page du kémalisme au regard braqué vers l’occident qui se tourne doucement. Sur ce point, observons que la laïcité de la Turquie kémaliste est plus une fiction destinée à vendre le kémalisme en France qu’une réalité ; voyez par exemple les imams envoyés en France par le gouvernement turc, une pratique antérieure au gouvernement Erdogan.

Pour que la Turquie puisse durablement asseoir sa prospérité économique et sa puissance politique, elle a cependant besoin d’un environnement stable car sa prospérité n’est pas fondée sur les performances commerciales des marchands de canon qui profitent des guerres, mais plutôt sur la vente de produits agricoles, de biens de consommation et de prestations en matières de travaux publics.

Les pays les plus importants pour la Turquie sont connus : ce sont d’abord les pays avec lesquels elle partage une frontière et un cours d’eau , l’Euphrate, c’est-à-dire l’Irak, et la Syrie. Viennent ensuite l’Iran, et l’entité sioniste puis l’Egypte.

Or, en dehors de l’Iran, cette zone vit une instabilité chronique non dans le sens où les régimes politiques changeraient très souvent mais dans le sens où elle est depuis des années au bord d’un embrasement général avec, en attendant, l’éclatement d’affrontements armés très localisés mais dévastateurs, comme à Gaza et au Liban

La Turquie a longtemps pu s’accommoder de cette situation d’autant qu’elle privilégiait la relation avec l’entité sioniste qui lui fournissait à bon marché la technologie américaine dont a besoin son armée. Par ailleurs, la Turquie a des contentieux structurels avec ses voisins syrien et irakien, à propos des frontières avec la Syrie, et sur la question de la gestion de l’eau avec ces deux pays.

Mais cette situation qui privilégie le régime sioniste  ne satisfait pas la Turquie des commerçants et des entrepreneurs que représente l’actuel premier ministre Turc qui ne veut pas que son accès aux marchés soit pénalisé ou que ses investissements partent en fumée en fonction des caprices du régime sioniste.

Le gouvernement turc analyse donc le rôle du régime sioniste comme étant la principale source d’instabilité régionale. Il a par contre sous-estimé la fragilité interne de régimes comme le régime égyptien ou le régime syrien et la perméabilité des opinions ou de franges de la population aux réseaux d’influence des monarchies du Golfe. La Turquie avait  beaucoup misé sur le régime de Damas et ce qu’il est convenu d’appeler « le printemps arabe » l’a amenée à revoir ses positions. En effet, M. Erdogan ne veut pas d’une Syrie à feu et à sang et il considère que seul le pluralisme politique pourra éviter une plongée de la Syrie dans un chaos qui pourrait durer et dont elle subirait les contrecoups, via par exemple sa propre minorité arabe (syrienne pour partie) et/ou sa population kurde. Après tout, ne pourrait-on pas imaginer dans l’hypothèse d’une Syrie plongée dans l’anarchie une jonction des trois Kurdistans, irakien, syrien et turc ?

Un tel scénario entraînerait certainement une intervention militaire turque. Nous n’en sommes pas là, bien entendu.

Il reste que le ton de plus en plus ferme employé par le gouvernement turc à l’encontre du gouvernement syrien témoigne avant tout non du désir de la Turquie d’un changement brutal  de régime mais plutôt d’une crainte pour l’avenir et d’un conseil  ferme adressé à Bachar al-Assad de faire des réformes, au cas où son pouvoir survivrait aux événements en cours. Ce qui n’empêche pas la Turquie de tisser des liens avec l’opposition pour être prête dans l’éventualité où le régime baathiste serait emporté, sans pour autant apporter une aide de type militaire à ceux qui contestent l’autorité de Bachar al-Assad. De fait, ni la chute, ni le maintien du pouvoir en place en Syrie ne peuvent être exclus. Dans les deux cas, les liens tissés avec l’opposition au régime de Damas s’avèreront très utiles.

Pour l’instant, la Turquie a quand même du mal à trouver un interlocuteur crédible dans l’opposition syrienne qui est un patchwork de démocrates sincères, parfois naïfs, d’anciens pontes du régime ou de fondamentalistes de tout poil, clients de tel ou tel monarque du Golfe. Ces derniers n’ont aucune volonté de tester la sincérité des propositions réformistes du chef de l’Etat syrien.

Autant d’éléments qui expliquent une posture d’équilibriste dans laquelle la diplomatie turque a parfois  vacillé et failli tomber en indisposant par trop non seulement Damas mais aussi Téhéran. Un luxe que la Turquie ne peut en réalité se permettre pour des raisons économiques mais aussi stratégiques car l’Iran, comme on l’a dit, est aux marches du Caucase et peut parfaitement interférer avec les intérêts de la Turquie dans cette région tout comme elle peut être un atout pour la diplomatie turque. On doit insister encore sur la question kurde qui est le point commun  des deux pays de «l’axe du mal» avec le pilier oriental de l’OTAN.

Pour changer de région, il convient d’observer qu’en Libye, la Turquie s’est impliquée après avoir hésité mais s’est gardée d’avoir un rôle militaire offensif, pour au contraire s’attribuer le beau rôle quasi exclusivement humanitaire et elle tirera profit de la situation quelle  que soit l’évolution des choses dans ce pays.

Parce que la Turquie est de toute façon chez elle au Proche Orient et en Afrique du Nord qui sont un lieu naturel en quelque sorte pour le déploiement de sa puissance nouvelle en gestation. Quand Erdogan présente le système turc en exemple aux autres pays musulmans, il faut le prendre au sérieux et comprendre que la Turquie n’aura de cesse d’influer sur ces pays qui faisaient anciennement partie de l’empire ottoman. Pour des raisons historico-culturelles, c’est certain, mais surtout pour la bonne raison que c’est ce qu’il estime être l’intérêt de son pays.

Mais le premier ministre Turc n’ignore pas que rien ne sera vraiment possible tant que le conflit palestino-sioniste ne sera pas réglé ou en bonne voie de règlement.

La Turquie d’aujourd’hui apportera sa contribution à ce règlement parce qu’elle voit un obstacle dans les agissements du régime sioniste, là où  la Turquie kémaliste percevait au contraire  un avantage dans sa relation avec l’Europe et les Etats Unis.

Alors bien sûr, la Turquie ne va pas faire la guerre au régime sioniste. Mais pour comprendre ce qui se passe, il faut quand même se figurer que la Turquie a pris de sérieuses mesures de rétorsion à l’encontre de l’entité sioniste parce que cette dernière a refusé de s’excuser officiellement pour avoir perpétré le meurtre de neuf ressortissants Turcs embarqués dans un convoi humanitaire pour Gaza.

Ce qu’il faudrait ici chercher à comprendre, ce n’est pas pourquoi la Turquie insiste tant pour obtenir ces excuses, mais pourquoi le régime délinquant de Tel Aviv s’obstine à refuser de les présenter. D’autant que  nous venons de voir les autorités sionistes s’excuser auprès des généraux Egyptiens pour avoir assassiné récemment des militaires Egyptiens dans le Sinaï.

Cette différence de traitement nous renvoie au statut différent de l’Egypte et de la Turquie vis-à-vis du régime sioniste. Dans le cas égyptien, l’entité sioniste cherche à éviter un glissement de l’Egypte dans le camp hostile par une dénonciation des accords de paix bilatéraux. On a un moment cru que ce glissement allait s’opérer dans les premières semaines qui ont suivi la chute de Moubarak, mais tel n’a pas été le cas. La promesse des militaires Egyptiens de lever complètement le blocus terrestre de gaza n’a notamment pas été tenue pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas.

Dans le cas de la Turquie, il en va autrement car ce gouvernement a évolué  vers une position hostile à l’égard du gouvernement sioniste. Ce n’est certes pas une position de belligérance, tant s’en faut, mais une sévère détérioration des relations avec un pays qui était un allié sûr. Du point de vue sioniste, présenter des excuses officielles à cet ami qui s’éloigne ne pourrait être que le prélude à de nouvelles exigences de ce puissant voisin, exigences qu’il deviendrait alors difficile de rejeter d’un revers de main. La Turquie est, ne l’oublions pas, la profondeur stratégique de l’entité sioniste qui a maintes fois utilisé son espace aérien pour se livrer à des agressions.

D’autre part, des excuses seraient un aveu de culpabilité dont des tribunaux pourraient se souvenir.

Le gouvernement turc sait tout cela  et il va maintenir la pression aussi sur le régime sioniste, allégeant cette pression éventuellement au gré de ses besoins politiques.

Mais le pli est pris car il découle d’une analyse stratégique et cette dernière diverge complètement de celle qui est faite par les stratèges de l’entité sioniste. Là où les sionistes veulent le statu quo, pour continuer à coloniser et subsister dans la peur indispensable à ce ghetto implanté en Palestine ; la Turquie a besoin de changements partout où  ils seront nécessaires à la réalisation d’une stabilité durable conforme à ses intérêts économiques.

Ce sont en fait deux images du Proche orient qui s’opposent : une vision turque d’un Proche Orient intégré [autour de la Turquie] et stabilisé avec des systèmes politiques représentatifs, une vision sioniste d’un proche Orient fragmenté agité de luttes internes avec une régulation par bombardements ou interventions militaires peu coûteuses en hommes et en argent.

Ces visions sont incompatibles. L’entité sioniste devra donc soit rentrer dans le rang de la normalité, soit disparaître d’une manière ou d’une autre. Comment ? Difficile à dire. Certainement pas par la guerre. Par exemple, le simple fait de se normaliser (hypothèse audacieuse je l’admets) entraînera fatalement la disparition de cette entité.

La Turquie et Israël interprètent différemment l’ordre qui émerge au moyen orient

Par Tarık Oğuzlu, Zaman (Turquie) 26 septembre 2011 traduit de l’anglais par Djazaîri

La récente crise des relations turco-israéliennes suite aux réactions diamétralement opposées des deux parties devant les conclusions du rapport dit Palmer de l’Organisation des Nations Unies ne peut être comprise isolément de la manière dont chacun lit l’ordre régional embryonnaire au Moyen-Orient. En un mot, il apparaît que la Turquie agit comme une puissance «révisionniste / aspirante [au leadership] »  tandis qu’Israël est un fervent « partisan du statu quo».

Il semble que la Turquie soit bien en avance sur Israël dans l’adaptation à la nouvelle dynamique régionale, particulièrement en ce qui concerne les implications régionales e ce qu’on appelle le « printemps arabe. » La Turquie est à la pointe des démarches pour établir un nouvel ordre au Moyen orient qui cesserait de considérer Israël comme un « acteur par nature au-dessus de la réprobation internationale et du droit international » ; qui ne verrait plus les Etats Unis comme le ‘gardien’ d’un ordre régional comme si les acteurs régionaux étaient incapables de résoudre leurs problèmes eux-mêmes ; et qui cesserait d’associer la région au pétrole, aux armes de destruction massive et au conflit israélo-arabe.

Alors que la Turquie plaide pour un nouvel ordre régional base sur un rôle actif et la responsabilité des acteurs régionaux et considère que la sécurité d’Israël ne pourrait être garantie que par la normalisation des relations d’Israël avec ses ‘ennemis’, Israël semble nettement préférer  l’idée que les Etats Unis continuent à agir comme garant de la sécurité territoriale israélienne.

 Vu de Turquie, il semble qu’une paix et une stabilité durables dans la région ne puissant se réaliser que si cette région n’est plus considérée comme un objet des intérêts occidentaux en matière de sécurité. Ni Israël, ni aucun autre acteur extérieur ne devraient continuer à définir le Moyen Orient dans une perspective instrumentale visant à ‘contenir’ et à ‘éliminer’ des menaces émanant de cette zone. Cette façon de penser ne ferait qu’empêcher les acteurs régionaux d’entrer mutuellement en relation à travers le prisme de la coopération. Les acteurs régionaux devraient être les sujets/acteurs de leur destinée plutôt que les objets des autres.

Avec l’évolution du printemps arabe, la Turquie a adopté la thèse selon laquelle un nouvel ordre régional ne peut être établi qu’en contribuant à l’institutionnalisation de la ‘démocratie représentative’ dans la région.  Ce qui permettrait non seulement de concrétiser des relations plus pacifiques et plus stables entre les acteurs régionaux mais aussi de placer les relations entre les puissances occidentales et les acteurs régionaux sur des bases plus saines. Il est vraiment ironique que la Turquie, un pays dont les lettres de créances occidentales ont été rudement mises à l’épreuve ces dernières années, apparait comme ayant pris la tête d’un ordre régional  au Moyen orient en sympathie avec l’Occident, tandis qu’Israël, un pays qui doit son existence aux puissances occidentales et a longtemps été vu comme le vrai défenseur des intérêts occidentaux en matière de sécurité régionale, semble aller à contre courant.

Un autre aspect ironique est que, alors que les Etats Unis ont dû s’exprimer ‘officiellement’ contre l’admission de la Palestine comme membre souverain des Nations Unies, il y a eu un niveau de plus en plus élevé de convergence entre Ankara et Washington sur de nombreuses questions figurant sur l’agenda moyen oriental.  La rencontre entre Obama et Erdogan en marge du sommet de l’ONU le confirme. De lui-même, le président Obama se serait probablement rangé du côté de la cause palestinienne aux Nations Unies.

Il faut noter que si la Turquie a osé prendre le risque de détériorer ses relations avec les régimes en place en Libye, en Syrie et en Iran en soutenant clairement les appels populaire pour plus de libertés, de bien-être et de dignité, Israël a opté pour une approche très prudente de crainte qu’un nouvel ordre régional basé dur le ‘pouvoir du peuple’ pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les  piliers traditionnels de la sécurité régionale, les relations d’Israël avec les Etats voisins et la légitimité de l’existence d’Israël.

Là où les dirigeants Turcs ont, en de nombreuses occasions, souligné l’importance croissante et la légitimité du ‘pouvoir’ du people, leurs homologies Israéliens ont mis en avant les risqué et les dangers des changements de régimes dans la région. Pour la Turquie, c’est au peuple dans la rue de ‘s’approprier’ le nouvel ordre et aux leaders qui émergent d’agir en rendant compte à leurs électeurs. S’appuyer sur des ressources naturelles, des institutions politiques répressives ou un soutien extérieur ne garantira plus la survie d’un régime.

Si la Turquie semble croire que la solution au conflit israélo-arabe est une condition sine qua non de la légitimité et de la viabilité de tout nouvel ordre qui pourrait émerger dans la région, Israël donne l’impression de penser qu’aujourd’hui est le plus mauvais moment pour engager des négociations directes avec les Palestiniens. Tandis que la Turquie envisage l’admission aux Nations Unies  d’un Etat palestinien indépendant/souverain comme un moyen d’échapper à l’actuel enlisement/ impasse du processus de paix, Israël tend à interpréter l’activité de lobbying de la Turquie en faveur de la campagne des Palestiniens pour entrer à l’ONU comme une action particulière de la Turquie pour punir Israël de son intransigeance sur la question des excuses [pour le meurtre des neuf passagers du Mavi marmara].

Alors que la Turquie considère la normalisation des relations entre les pays arabes et Israël comme vitale pour ce nouvel ordre, Israël tend à interpréter les efforts croissants de la Turquie pour obtenir une telle normalisation comme sapant la légitimité d’Israël et modifiant le rapport de force vis-à-vis des Arabes.

Du point de vue turc, il n’y a rien d’anormal à ce que la Turquie, une ancienne puissance impériale de la région, s’implique activement dans le règlement de la querelle israélo-arabe et présente en conséquence ses thèses dans les forums internationaux. Il n’est cependant pas question de dire que la Turquie court après des tentatives de reconstituer l’empire ottoman. Il faut au contraire comprendre que plus ma paix intérieure et la stabilité de la Turquie influent sur l’évolution de la région et plus la Turquie deviendra puissante en termes de pouvoir de convaincre comme de contraindre, et plus la Turquie sera intéressée par la façon dont les choses se passent chez ses voisins.

C’est de la simple realpolitik tout comme ce qui préside à l’élaboration des politiques étrangères er de sécurité en Amérique, en Europe, en Russie et en Chine.

 Assoc. Prof. Dr. Tarık Oğuzlu, Bilkent University Department of International Relations