Comme moi, vous avez lu ou entendu les réactions suite au retour de Benjamin Netanyahou aux manettes du gang sioniste flanqué de complices au racisme décomplexé. Et vous avez eu l’impression que ce qui se tramait dans l’entité sioniste, c’était un changement radical.

Les responsables politiques des grandes puissances ne s’y sont eux pas trompés en ne voyant pas de rupture par rapport à l’histoire de l’entité sioniste et ils ont félicité Netanyahou, annonçant qu’ils travailleraient avec lui comme ils l’ont fait avec les autres.
Les réactions les plus négatives viennent des Juifs libéraux ou, sionistes modérés (si tant est que ce soit possible). Par exemple de Yael German, l’ambassadrice sioniste à Paris qui a annoncé sa démission car la politique annoncée par Netanyahou est « contraire à sa conscience ». Ces sionistes « modérés » ont le sentiment que leur idéal sioniste est en train de disparaître pour laisser place à un régime franchement raciste et aux tendances fascistes.
Or, comme l’explique Lawrence Davidson dans l’article que je vous propose, cette évolution correspond à la nature fondamentale du projet sioniste, nature dont l’expression publique se faisait avec retenue pour éviter d’effaroucher les opinions publiques de par le monde.
Ce temps du refoulement est manifestement révolu.
Thomas Friedman et le mythe de l’Israël libéral
Par Lawrence Davidson, Counter Punch (USA) 23 décembre 2022 traduit de l’anglais par Djazaïri
Israël est en train de constituer un gouvernement de droite agressif et raciste sous la direction de Benjamin Netanyahu, un homme sans principes. Ce n’est pas la première fois que les Israéliens élisent un gouvernement aussi répugnant. En effet, au moins trois fois dans sa courte histoire, l’électorat juif israélien a choisi des fanatiques idéologiquement engagés (dans ces cas, ayant en plus un passé terroriste) comme dirigeants : Yitzhak Shamir, Ariel Sharon et Menahem Begin. Ces choix de l’électorat n’étaient pas non plus des exceptions qui auraient été en quelque sorte contraires au caractère national d’Israël. Ils étaient tous, comme c’est également le cas aujourd’hui, les résultats logiques d’une opinion nationale – représenté par l’idéologie de l’État sioniste d’Israël – qui a toujours été fondamentalement raciste et qui, à de fréquentes occasions, se déchaîne en des sommets de haine devant la résistance légitime de ses victimes palestiniennes.
Cependant, les partisans d’Israël dans la diaspora ignorent souvent ces faits historiques. Qu’ils le fassent témoigne de la puissance du mythe généré par la propagande d’un Israël libéral et démocratique – l’Israël idéalisé que tant de gens connaissent dans leur cœur, qui pourrait et devrait être le véritable Israël. L’un de ceux qui semblent confondre l’idéal avec le réel est Thomas Friedman, chroniqueur au New York Times, qui écrit souvent sur Israël.
Dans une chronique récente intitulée The Israel We Knew is Gone, [l’Israël que nous connaissions n’est plus] Friedman écrit comme si le prochain gouvernement de Netanyahou avait un caractère unique : «une alliance tapageuse de dirigeants ultra-orthodoxes et de politiciens ultranationalistes, y compris certains extrémistes juifs anti-arabes carrément racistes autrefois considérés comme complètement en dehors des normes et des frontières de la politique israélienne. Friedman mentionne « Itamar Ben-Gvir, qui a été condamné par un tribunal israélien en 2007 pour incitation au racisme et soutien à une organisation terroriste juive » ainsi que «Bezalel Smotrich, le chef du parti Sionisme religieux, qui a longtemps prôné l’annexion pure et simple de la Cisjordanie par Israël » et a défendu la violence des colons contre les Palestiniens.
Friedman ne croit pas que ces personnages, ou les partis qu’ils dirigent, soient représentatifs de l’Israël qu’il connaît. Cependant, leurs perspectives et leurs objectifs diffèrent peu de ceux d’un Shamir, d’un Sharon ou d’un Begin. Ce qui est différent, ou comme le dit Friedman, «en dehors des normes et des limites de la politique israélienne », c’est le manque de retenue en public diplomatiquement embarrassant d’hommes tels que Ben-Gvir et Smotrich, combiné à la volonté de Netanyahou de sacrifier le mythe de l’Israël libéral pour conserver le pouvoir. Tout cela est un choc pour Friedman et la vision qu’il préfère de l’État juif. Il constitue une «réalité auparavant impensable». Netanyahou conduit Israël là où aucun politicien israélien « n’est allé auparavant », etc. Friedman conclut donc que « l’Israël que nous connaissions n’est plus ».
La réalité, c’est l’apartheid
Pour démontrer à quel point l’analyse de Friedman est superficielle, considérez ce qui suit. En 2021, trois organisations de défense des droits de l’homme établies et réputées pour leurs conclusions fiables, ont produit des rapports publics factuels démontrant qu’Israël, tant dans la culture que dans les politiques gouvernementales, est un État qui pratique l’apartheid. (L’apartheid, « un système institutionnalisé de ségrégation et de discrimination fondée sur la race », a été déclaré crime contre l’humanité en vertu du droit international.) B’tselem, l’organisation israélienne de défense des droits humains, a publié son rapport en janvier 2021. Amnesty International a suivi en février et Human Rights Watch en avril. En octobre 2022, les Nations Unies ont publié un rapport décrivant le comportement d’Israël dans ses territoires occupés comme du « colonialisme de peuplement ».
L’apartheid n’est pas quelque chose que les Juifs israéliens ont découvert en se levant le matin. C’est leur choix historique, auquel Thomas Friedman semble avoir peu prêté attention. Ainsi, lorsqu’il décrit la situation actuelle, il ne mentionne pas que le but du sionisme a toujours été l’appropriation de toute la Palestine avec le moins de Palestiniens en résidence possible. Il [Friedman] désigne plutôt un groupe distinct d’Israéliens « qui ont toujours détesté les Arabes », et la croissance de ce groupe due à « une recrudescence dramatique de la violence – coups de couteau, fusillades, guerre des gangs et crime organisé – par les Arabes israéliens … contre les Juifs israéliens, en particulier dans les communautés mixtes.
Pour les partisans du parti de droite Likoud de droite, les partis religieux et le mouvement des colons, cette violence ne se produit pas parce qu’Israël est un État d’apartheid, mais parce qu’Israël a été, à leurs yeux, trop libéral envers les Palestiniens. Et maintenant il est temps de mettre fin à cette prétendue orientation tolérante. L’un des slogans les plus réussis de la campagne politique de Netanyahu était : « Ça y est. Nous en avons assez ».
Le racisme brise toutes les pulsions humanistes
Le succès de Netanyahu dans la mobilisation d’une droite aux multiples facettes, toujours active, sinon politiquement unie, fait finalement peur à Thomas Friedman. Il s’alarme qu’Israël soit en proie à une ferveur « ultranationaliste générale ». Citant Moshe Halbertal, le philosophe juif de l’Université hébraïque, « Ce que nous voyons est une évolution de la droite belliciste vers une identité politique construite sur la focalisation sur « l’ennemi extérieur » – les Palestiniens – vers une focalisation sur « l’ennemi intérieur » – l’Arabe israélien. » Le problème avec l’analyse d’Halbertal est qu’elle est basée sur une fausse dichotomie. Le sionisme n’a jamais fait de distinction sérieuse entre les Palestiniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur. Pour de nombreux sionistes, ce sont tous des Arabes qui devraient être poussés à émigrer vers les terres arabes voisines. Le sionisme a rendu cette attitude inévitable en créant, dès le début, une société expansionniste et discriminatoire définie par la religion qui dérive vers la race. La recherche de compromis basés sur le « processus de paix » ou une « solution à deux États » apparaissent maintenant comme de vieilles ruses qui ont servi à détourner l’attention de l’opinion mondiale du véritable objectif d’Israël. En ce qui concerne « l’Israël historique » [c’est-à-dire l’entité sioniste réelle, NdT], un programme maximaliste d’occupation et de colonisation a toujours été le seul résultat acceptable pour les sionistes au pouvoir.
Les circonstances politiques actuelles effraient Friedman aussi d’une autre manière. Il nous dit que « la coalition de Netanyahu a également attaqué les institutions indépendantes vitales qui sous-tendent la démocratie israélienne et sont responsables, entre autres, de la protection des droits des minorités ». Des institutions telles que le système des juridictions ordinaires, les médias et la Cour suprême doivent être disciplinées en étant « placées sous le contrôle politique de la droite ». Cependant, cette volonté de contrôler les institutions ne concerne pas principalement les Palestiniens. Elle reflète la haine de la droite (et tout comme aux États-Unis, la haine semble être le mot adéquat) à l’égard des attitudes des sionistes de gauche et du centre sur les questions qui affectent les juifs israéliens : Qui est juif ? les «droits des minorités» , des couples de même sexe, des personnes LGBTQ, les problèmes des femmes, les juifs réformés, etc. Friedman semble incapable d’appréhender le fait que le racisme au coeur de la culture et de la politique en Israël ne peut que briser les élans humanistes à l’intérieur de cette société, même pour des problèmes qui touchent des Juifs.
En fin de compte, Friedman est préoccupé « par l’avenir du judaïsme en Israël » et il pourrait bien avoir raison de l’être. Revenant à Halbertal, il note que « la Torah représente l’égalité de tous les peuples et la notion que nous sommes tous créés à l’image de Dieu. Les Israéliens de tous les peuples doivent respecter les droits des minorités parce que nous, en tant que Juifs, savons ce que c’est que d’être une minorité. C’est une philosophie juive profonde. Alors, pourquoi cette essence de l’enseignement juif est-elle si faible au sein de l’Israël sioniste ? Ni Friedman ni Halbertal ne saisissent la cause profonde – la nature historiquement raciste, voire d’apartheid, de l’Israël sioniste. Ils ne comprennent pas parce qu’ils sont aveuglés par le mythe de l’Israël libéral, qui est maintenant en danger soi-disant à cause de la résistance des Palestiniens. Il cite Halbertal qui se plaint : « Quand vous avez ces menaces de sécurité viscérales dans la rue tous les jours, il devient plus facile pour ces immondes idéologues de se mettre en avant.»
L’affirmation de Thomas Friedman selon laquelle « l’Israël que nous connaissions n’est plus » relève en grande partie de l’illusion. En bonne partie, son Israël n’a jamais existé. Certes, il y avait, et il y a encore pour le moment, une façade pseudo-démocratique – quelque chose comme la «démocratie» en Alabama, aux États-Unis, dans les années 1950. Les choses évoluent maintenant davantage dans le sens fasciste. Bezalel Smotrich, l’une des bêtes noires de Friedman, a proclamé que les droits de l’homme et les institutions qui soutiennent ces droits sont des «menaces existentielles » pour Israël. La plupart des sionistes accepteront cette affirmation, du moins en ce qui concerne les Palestiniens, car elle correspond historiquement aux sensibilités israéliennes. Après tout, l’occupation se poursuit dans toute sa gloire immorale depuis un demi-siècle sans objection significative de la plupart des Juifs israéliens et de leurs partisans de la diaspora.
Ce que vous voyez maintenant si publiquement étalé est, et a toujours été, la véritable culture et le caractère de l’Israël sioniste – un État conçu pour un seul groupe et construit sur la conquête et la dépossession des autres. Nier cela, c’est nier l’histoire et la logique de l’idéologie sioniste. Et le coût ? Cela doit être compris non seulement en termes de droits des Palestiniens, mais aussi en termes d’essence même du judaïsme, qui sont tous deux détruits simultanément. Tout cela devrait maintenir Thomas Friedman, et d’autres adeptes du mythe de l’Israël libéral, éveillés toute les nuits avec des cauchemars à n’en plus finir
Lawrence Davidson est professeur d’histoire à la retraite à l’Université West Chester à West Chester, Pennsylvanie.